Méditation du 3ème dimanche de Pâques

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« Comment le Seigneur s’était fait reconnaître par eux à la fraction du pain. » La résurrection du Christ est une alliance éternelle qui continue à chaque messe, comme le prolongement de sa présence au milieu de nous à travers son corps et son sang. Le dimanche, tout particulièrement, l’eucharistie revêt une solennité d’autant plus grande qu’il est le premier jour de la nouvelle création, ou encore le huitième jour. Ce jour du Seigneur apparaît de manière particulière, parce qu’il célèbre la résurrection et se vit comme une action de grâce hebdomadaire. « En tant que ” premier jour “, le jour de la résurrection du Christ rappelle la première création. En tant que ” huitième jour ” qui suit le sabbat[i] il signifie la nouvelle création inaugurée avec la résurrection du Christ »[ii] Et tout prend sens dans la fraction du pain, comme début d’une vie ancrée dans le Christ, et nous invite à la prière, au partage fraternel et à une communion des fidèles au Christ. Un témoignage de foi vécu avec confiance dans l’action de Dieu, avec espérance dans la réalisation de sa promesse et avec amour dans la relation à Dieu, à soi et au frère. Dans l’amour, nous ne ferons plus qu’un. « Parmi nous, ceux qui ont de quoi viennent en aide à tous ceux qui sont dans le besoins, et nous sommes toujours unis entre nous. Dans toutes nos offrandes, nous bénissons le Créateur de l’univers par son Fils Jésus Christ et par l’Esprit Saint. »[iii] La célébration de la Sainte Messe rassemble tous les fidèles dans leurs diversités à la même table du Seigneur dans un esprit de partage et de recueillement pour ainsi témoigner de l’amour sincère de Dieu et l’offrande de sa vie pour chacun de nous.

1     Le désir d’une vraie rencontre

L’apparition du Christ dans notre vie et la relation d’amour qu’Il y dépose sont pour nous l’occasion d’un vrai retournement où tout, peu à peu, s’ordonne à la volonté de Dieu et oriente notre vie vers le choix de Dieu. Cela demande du temps et de la persévérance, tout en gardant confiance à Dieu et en nous laissant dépouiller des mauvaises habitudes. C’est tout un chemin de conversion intérieure et de témoignage auprès de nos frères de la vie de l’Esprit. Mais ce n’est possible que dans la vie eucharistique. « En un mot, Dieu s’offre à nous. Il nous crie : Aimez-moi et vous m’aurez en vous. Car vous ne pouvez même pas m’aimer si vous ne m’avez pas en vous »[iv] Le partage de la Parole et du pain creuse en nous un désir  de Dieu en profondeur et affermit notre foi en rendant compte de notre espérance

 

Pour répandre et défendre la foi, il nous faut toujours rappeler l’importance d’être témoins du Christ. C’est ainsi que dans la vie du monde les témoins de la foi seront perçus comme redonnant vie à la grâce de Dieu aujourd’hui. « Participant au sacrifice eucharistique, source et sommet de toute la vie chrétienne, ils offrent à Dieu la victime divine et s’offrent eux-mêmes avec elle[v] ; ainsi, tant par l’oblation que par la sainte communion, tous, non pas indifféremment mais chacun à sa manière, prennent leur part originale dans l’action liturgique. »[vi] Cette participation peut se faire dans la course d’Emmaüs jusqu’à Jérusalem pour témoigner de cette joie, comme à ceux qui restent à Jérusalem pour prier et attendre un signe du Seigneur. L’eucharistie au centre de notre vie est cette présence qui irradie tous nos actes de la volonté de Dieu et de notre libre acceptation à Le suivre jusqu’au bout, chacun selon son charisme propre. « Si la coupe qui a été mélangée, et si le pain qui a été fait, reçoivent le Verbe de Dieu, et deviennent l’Eucharistie du sang et du corps du Christ, qui fortifie et affermit notre substance, comment peut-on dire que la chair est incapable de recevoir le don de Dieu, qui est la vie éternelle, alors qu’elle est nourrie par le sang et le corps du Christ, et en est le membre ? »[vii] Le désir de rencontre du Christ durant la messe est une préfiguration de la rencontre pour le salut éternel. « Ainsi nos corps qui sont nourris de l’eucharistie, après avoir été couchés dans la terre et s’y être dissous, ressusciteront en leur temps, quand le Verbe de Dieu leur donnera la résurrection pour la gloire de Dieu le Père »[viii] La vie en Dieu se nourrit de la présence du ressuscité et trouve sa force dans la vie de l’Esprit pour nous accompagner chaque jour sur le chemin du Salut. « Si l’eucharistie est véritablement source et sommet de la vie et de la mission de l’Église, il s’ensuit avant tout que le chemin de l’initiation chrétienne a pour point de référence la possibilité d’accéder à ce sacrement. »[ix]C’est un engagement de toute notre vie pour conformer nos choix à ce désir de rencontrer Dieu et de tout faire pour entrer en communion. Oui, nous sommes responsables des choix de vie que nous posons, qui doivent aller vers le meilleur bien. C’est un chemin de transformation intérieure et en même temps de conversion permanente, pour laisser l’Esprit nous guider et nous nourrir à la table du Seigneur afin de ne jamais perdre cette unité.

2     Jésus notre paix

La recherche d’unification de tout notre être demande de retrouver le sens de notre vocation originelle responsable de l’œuvre de Dieu en faisant croître et en collaborant avec Dieu dans son projet d’amour. Mais le péché des origines a mis fin à cette communion recherchée pour grandir en liberté. Heureusement « le Christ a tout unifié en lui : le ciel et la terre, Dieu et l’homme, le temps et l’éternité, la chair et l’esprit, la personne et la société. Le signe distinctif de cette unité et de cette réconciliation de tout en lui est la paix : le Christ « est notre paix »[x]. L’annonce de l’évangile commence toujours avec le salut de paix, et à tout moment la paix couronne les relations entre les disciples et leur donne cohésion. »[xi] La prise de conscience d’une humanité unifiée dans l’appel de Dieu et la vie de l’esprit nous aide à vivre dans tous nos choix la volonté de Dieu et nous y complaire comme lieu de croissance et d’appel au bonheur. Bâtir une paix véritable demande alors d’être unifiés en nous-mêmes et en cohésion dans nos actes pour témoigner de cette présence de Dieu autour de nous. L’eucharistie devient l’occasion concrète de matérialiser cette recherche de paix et de justice, en remettant toute notre histoire entre les mains de Dieu et en rendant grâce pour toutes les merveilles qu’Il y déploie. « La paix est possible parce que le Seigneur a vaincu le monde, avec ses conflits permanents « faisant la paix par le sang de sa croix » »[xii]. À chaque eucharistie, nous nous en souvenons et nous marchons à sa rencontre pour avoir part à l’héritage de vie. « L’annonce de la paix n’est pas celle d’une paix négociée mais la conviction que l’unité de l’Esprit harmonise toutes les diversités. »[xiii] Or le rassemblement dominical, toutes classes sociales confondues dans la multiplicité des races, des peuples et des langues, nous rappelle cette unité autour du Christ, où nous puisons la richesse de l’investissement fraternel dans l’accueil de l’autre et d’une recherche de communion communautaire. Si nous faisons ensemble, c’est bien au nom du Christ, de son saint évangile et d’une injonction de Dieu pour chacun d’entre nous, dans la vocation baptismale. « Au nom de Dieu, respecte, défends, aime et sers la vie, toute vie humaine ! C’est seulement sur cette voie que tu trouveras la justice, le développement, la liberté véritable, la paix et le bonheur! »[xiv] Vivre l’eucharistie est célébrer la vie en Dieu dans le monde de ce temps. Nous rappelons, à travers la mort et la résurrection du Christ, l’appel à la liberté que nous devons suivre en artisans de paix. Car la vraie liberté est d’abord un exercice de paix, comme l’ont découvert certains acteurs politiques dans la non-violence.

 

La vigilance, que nous devons garder, rappelle que venir à la messe ne nous fait pas oublier les soucis du monde. « Les problèmes qui assombrissent notre horizon actuel sont nombreux. Il suffit de penser à l’urgence de travailler pour la paix, de poser dans les relations entre les peuples des jalons solides en matière de justice et de solidarité, de défendre la vie humaine, de sa conception jusqu’à sa fin naturelle. Et que dire des mille contradictions d’un univers « mondialisé » où les plus faibles, les plus petits et les plus pauvres semblent avoir bien peu à espérer ? »[xv] C’est justement dans la prière d’intercession et la recherche de la paix, que nous porterons un fruit qui demeure. Combien d’hommes et de femmes ont cherché à vivre la paix et le bien commun, que ce soit saint Grégoire le Grand pour arrêter les barbares envahissant l’empire romain par un dialogue et un appel à vivre les choses de manière apaisée, ou Robert Schumann l’un des pères fondateurs de l’Europe, qui par sa foi a essayé de communiquer l’appel de Dieu à vivre nos relations dans la confiance en l’autre, une connaissance et un échange bienveillant pour aboutir à l’amitié des peuples et renouer avec la fraternité européenne berceau de la civilisation occidentale. « ‘ l’autre ne doit jamais être enfermé dans ce qu’il a pu dire ou faire, mais il doit être considéré selon la promesse qu’il porte en lui’[xvi], promesse qui laisse toujours une lueur d’espérance »[xvii] C’est bien à travers le partage de la Parole et Christ en son corps et en son sang, que nous grandissons en fraternité, parce que nous rayonnons d’un véritable amour fidèle à la Parole du Seigneur

 

Néanmoins l’aventure eucharistique est aussi un témoignage d’avoir un seul cœur et une seule âme, c’est à dire de vivre la communion entre nous, et donc la prière pour le monde et nos frères les hommes. C’est la prière d’intercession qui manifeste au monde notre compassion. « Après avoir accompli le sacrifice spirituel, rite non sanglant, nous adressons à Dieu, sur cette hostie de propitiation, des supplications pour la paix partout dans l’Église, pour l’empereur, les armées et les alliés, pour les malades et les gens éprouvés, et en général nous prions tous pour tous ceux qui sont morts parmi nous; nous sommes convaincus que cette invocation sera de très grand secours pour les âmes en faveur desquelles monte la prière tandis qu’est présente la victime sainte et redoutable. »[xviii] Rappeler que la messe est un instant de prière, c’est aussi rappeler l’importance de l’intériorité dans ce que nous devons vivre avec ferveur, autre nom de la piété. Vivre en paix, c’est rechercher la fidélité dans les engagements que nous prenons, notamment celui du témoignage de la bonne nouvelle. « L’évangile dont nous avons la charge est aussi parole de vérité. Une vérité qui rend libres[xix] et qui seule donne la paix du cœur, c’est ce que les gens viennent chercher lorsque nous leur annonçons la bonne nouvelle. Vérité sur Dieu, vérité sur l’homme et sa mystérieuse destinée, vérité sur le monde. »[xx] Ce n’est pas toujours bien perçu, et vite relativisé, mais en tout cas nous devons vivre ce témoignage de vérité dans ce que nous sommes et laisser le souffle de l’Esprit traverser toute notre vie. L’enseignement de la parole et la fraction du pain sont une expérience vivifiante de l’aventure que Dieu créé en nous, et à laquelle nous devons répondre dans l’instantanéité de notre être et tout au long de notre histoire : « qu’il me soit fait selon ta parole. » Seule une personne recherchant la communion dans la méditation de la Parole et l’offrande d’elle-même peut vivre une telle disponibilité.

 

Que ce soit dans la joie ou dans la peine, accepter que Dieu soit présent dans tous les lieux de notre vie et lui faire place, nous fait marcher avec lui dans cet abandon à sa grâce et nous appelle à la disponibilité intérieure pour chasser tout ce qui ne vient pas de lui. C’est cela la conversion : un refus des mauvaises orientations, pour vouloir ce que Dieu veut. Notre témoignage prendra corps dans cette unification de tout notre être par le rayonnement de sa présence, et cette lumière se lira sur les visages comme une marque de la vie du ressuscité. Tout notre être tourné vers le Christ nous rend lumière pour nos frères et véritablement artisans de paix pour l’annonce du Royaume. « L’eucharistie est par nature sacrement de la paix. Cette dimension du mystère eucharistique trouve dans la célébration liturgique une expression spécifique par le rite de l’échange de la paix »[xxi] car le don de la paix à rechercher est conjoint au don de communion à vivre et à faire vivre. Être artisan de paix puise sa ressource justement à l’écoute de la Parole de Dieu et à la présence du Christ en nous. La communion est la perfection de notre humanité, en rendant Dieu présent concrètement dans notre corps. Il nous pousse à rechercher la paix en nous (ce qu’on appelle la paix intérieure, fruit de l’Esprit Saint), et la paix autour de nous et dans toutes nos interactions, avec notre prochain, avec la nature et avec les animaux. Saint François d’Assise dans sa vie a vécu cette communion cosmopolite où, quelle que soit la civilisation ou la rencontre avec la nature, il a toujours recherché à louer Dieu et à partager cette paix de Dieu. « La communauté évangélisatrice est toujours attentive aux fruits, parce que le Seigneur la veut féconde. Il prend soin du grain et ne perd pas la paix à cause de l’ivraie. Le semeur, quand il voit poindre l’ivraie parmi le grain n’a pas de réactions plaintives ni alarmistes. Il trouve le moyen pour faire en sorte que la Parole s’incarne dans une situation concrète et donne des fruits de vie nouvelle, bien qu’apparemment ceux-ci soient imparfaits et inachevés. »[xxii] À chaque eucharistie, en remettant notre vie au Seigneur et en priant avec insistante pour nos frères, nous promettons cette paix qui rayonne dans toutes nos actions. La civilisation de l’amour fait œuvre de paix autour d’elle, et donc de fécondité et de développement dans l’apprentissage d’une liberté tournée vers le bien commun au service des uns et des autres.

 

Or la vie en communauté demande d’accueillir les fruits de Dieu dans notre vie avec humilité pour les partager avec toujours plus de largesse. « Plus un charisme tournera son regard vers le cœur de l’évangile plus son exercice sera ecclésial. Même si cela coûte, c’est dans la communion qu’un charisme se révèle authentiquement et mystérieusement fécond. Si elle vit ce défi, l’Église peut être un modèle pour la paix dans le monde. »[xxiii] La civilisation chrétienne a, dans l’histoire des hommes, montré qu’en développant la paix et l’harmonie entre les peuples, elle a été œuvre de construction d’une civilisation de l’amour et de solidarité. Mais lorsque le dévoiement de la Parole s’est fait pour l’accaparement des uns au détriment des autres, ce fut signe, comme toute autre civilisation, d’explosion. Vivre l’évangile qui proclame une parole de vie et de fécondité,  nous demande d’être attentifs à toujours le témoigner dans la paix, que nous partageons comme un lieu de rencontre et de fraternité.

 

 

3     L’eucharistie, une rencontre personnelle pour une aventure communautaire

Le témoignage demande une vie de communion avec Dieu et nous ne pouvons rien faire seuls, mais c’est en participant au sacrifice eucharistique que nous nous renouvelons et entrons toujours un peu plus dans la profondeur de la vie de Dieu. « Ce n’est pas l’aliment eucharistique qui se transforme en nous, mais c’est nous qui sommes mystérieusement changés par lui. Le Christ nous nourrit en nous unissant à Lui ; « Il nous attire en Lui ».[xxiv] »[xxv] Être témoins du Christ nous demande d’être toujours reliés à la source de la Parole et à celle de la table, comme lieu d’unité et de communion, d’ajustement à Dieu et d’unification de tout notre être pour correspondre pleinement à notre vocation de fils de Dieu. Certes nous connaissons le combat spirituel et les inclinations au péchés que l’Adversaire nous propose, mais par la nourriture du ciel, nous savons ce qui est meilleur et vers quoi nous tendons ; nous y adhérons alors avec plus de véhémence, c’est bien Jésus que nous voulons, et Lui seul.

 

Participer en communauté à la messe n’est pas une histoire de club, ou de succès, ou de victoire sur d’autres religions, ou encore de satisfaction personnelle ni d’identité. Rien de tout cela, la célébration eucharistique est rencontre avec une personne, Jésus, une présence que nous ressentons lorsque deux ou trois sont réunis en son Nom. Une orientation de toute notre existence pour entrer dans la louange de Dieu. « L’eucharistie transforme toute notre vie en culte spirituel agréable à Dieu »[xxvi] C’est un appel à la lecture de l’évangile, à rendre présent Jésus dans notre vie, à travers la présence réelle que nous recevons. Il nous conduit sur le chemin de la sainteté, c’est-à-dire, de l’ajustement de toute notre vie à la joie de Dieu, en vivant les dons de l’Esprit et soutenus par l’eucharistie. « Renouveler sa façon de penser fait partie intégrante de la forme eucharistique de la vie chrétienne, « alors nous ne serons plus comme des enfants, nous laissant secouer et mener à la dérive par tous les courants d’idées. »[xxvii]L’importance de cette communion ne rend pas relative nos relations aux autres, ni à notre propre histoire mais devient une exigence de la foi pour conformer notre vie aux Écritures. Vouloir vivre notre foi en disjoignant la pratique de la communion d’une situation conjugale n’est pas sans questionner gravement.

 

4     Sacrement de l’amour

Nous retrouver à la fraction du pain et recevoir le Christ qui vient nous parler, pose un principe de réalité dans notre vie de foi. Le Christ est vivant et, s’Il nous appelle à le reconnaître en le touchant, c’est pour montrer la réalité de l’amour que nous devons vivre jusqu’au sacrifice ultime de la vie du rédempteur. Or, à chaque messe, nous commémorons cette joie de la rencontre vivante. « Dans l’événement pascal et dans l’eucharistie qui l’actualise au cours des siècles, il y a un « contenu » vraiment énorme, dans lequel est présente toute l’histoire en tant que destinataire de la grâce de la rédemption. Cette admiration doit toujours pénétrer l’Église qui se recueille dans la célébration eucharistique. »[xxviii] C’est un appel à vivre cette union à Jésus avec nos frères, et à passer du sacrement de l’amour au service de l’amour, gardant le même lien entre Dieu et nous, conduisant à la fécondité de la relation à travers notre prochain.

 

4.1                La conversion, chemin de communion

Dieu s’offre à nous, et la réponse que nous proposons c’est d’attendre que la situation change. Comme si le sacrifice eucharistique supportait une certaine relativité dans le temps et, de fait, un refus provisoire de conversion. Dieu a pitié de nous et nous laisse errer dans le temps jusqu’au jour des retrouvailles, mais il nous faut impérativement développer ce goût de Dieu, à travers l’adoration eucharistique et la communion fréquente, ce qui nécessite aussi de vivre le sacrement de réconciliation. « La relation entre eucharistie et réconciliation nous rappelle que le péché n’est jamais une réalité exclusivement individuelle ; il comporte toujours également une blessure au sein de la communion ecclésiale, dans laquelle nous sommes insérés par le baptême. C’est pourquoi la réconciliation… est aussi le rétablissement de la pleine communion ecclésiale, qui se manifeste par le fait de s’approcher à nouveau de l’eucharistie.[xxix] »[xxx] Nous devons tout faire pour rechercher la réconciliation avec Dieu et tendre vers ce désir d’être avec Lui sans nous satisfaire de situations certes passagères, mais qui peuvent durer longtemps et qui ne respectent pas la vérité de l’amour. Rien ne justifie l’attente, au contraire il nous faut être toujours tendus vers l’appel à transformer notre vie et à attendre Jésus pour notre aujourd’hui. « La foi authentique dans le Fils de Dieu fait chair est inséparable du don de soi, de l’appartenance à la communauté, du service, de la réconciliation avec la chair des autres. Dans son incarnation, le Fils de Dieu nous a invités à la révolution de la tendresse. »[xxxi] Or la première relation de tendresse que le Seigneur nous offre d’expérimenter se vit dans l’eucharistie, comme sommet de toute notre humanité, exigence de la fidélité à Dieu et en même temps de la compassion envers les efforts que nous faisons et nos limites humaines.

 

Il ne faut pas nous affliger de nos péchés, mais vivre un temps de retournement intérieur, entendre la voix du Seigneur qui nous appelle à sortir de l’obscurité, et revenir vers la maison du Père. « Convertissez-vous donc et tournez-vous vers Dieu pour que vos péchés soient effacés. » Notre histoire ne peut se réduire à nos actes, mais doit aussi trouver le mouvement du cœur qui cherche Dieu et la capacité de revenir à la lumière. Dieu vient nous libérer, laissons-nous guider sur ce chemin de vérité, afin de réunifier nos vies en sa présence. « Les deux structures ‘l’homme existe’ et ‘l’homme agit’ se distinguent réellement, même si c’est le même homme qui existe et qui agit. »[xxxii] C’est bien dans notre vocation personnelle, et à travers notre histoire, que Dieu vient poser les pas de sa présence. Cela ne rend pas nos actions étrangères à ce que nous sommes, mais ne nous enferme pas non plus dans ce que nous sommes. C’est le principe même de la conversion, la capacité de changer et de ne pas se laisser enfermer dans nos actes. Ce qui est vrai pour nous l’est pour notre prochain. Nous ne devons pas l’enfermer dans son acte mais, avec un regard toujours bienveillant espérer un changement du cœur pour revenir au Seigneur. « Quand on envisage l’homme comme sujet du dynamisme, cette cohésion concerne aussi bien son action que ce qui se passe en lui, aussi bien chacun de ses actes que chacune de ses activations »[xxxiii]. Il nous faut regarder l’ensemble, autant les agissements que les motivations, pour unifier notre vie. Ce n’est pas de l’extérieur que vient le problème, nous dit le Christ, mais de l’intérieur. Or justement la conversion doit unifier notre être intérieur avec nos actions qui se voient. Il nous faut voir en chacun une personne capable de Dieu et agissante pour vivre la communion, malgré nos limites humaine et les penchants qui viennent de l’Adversaire. « Le difficile effort de dépasser ce qui nous divise sans perdre l’identité personnelle suppose qu’un sentiment fondamental d’appartenance demeure vivant en chacun. »[xxxiv] Dans le mystère eucharistique, notre unité se vit dans la fraternité au Christ et à sa Parole agissante.

 

Oui, la cohésion humaine est pleinement vécue dans le Christ, Lui qui s’est conformé à la volonté du Père pour être pleinement libre dans son humanité. Par sa passion et sa résurrection il nous a libérés du péché et, par l’offrande de sa vie, nous fait entrer dans le Salut, dont la résurrection est le signe et l’aboutissement de l’alliance éternelle. « C’est lui qui, par son sacrifice, obtient le pardon de nos péchés, non seulement des nôtres, mais encore de ceux du monde entier. » La rencontre du Christ est une réconciliation de notre humanité blessé par le péché. Il vient nous donner le pardon de Dieu de manière radicale sans autre sacrifice que la repentance, et le retournement du cœur pour s’engager à ne plus recommencer. Le pardon de Dieu ne demande rien d’autre que le repentir sincère. Ensuite c’est sa grâce qui agit et qui nous relève.

4.2                 Une conversion du regard

Il nous faut être attentif pour toujours agir avec compassion pour nous même et pour nos frères, afin de redire la vérité de l’amour, et rechercher la miséricorde, afin d’entrer dans ce dynamisme de l’amour qui rercherche toujours à rétablir la relation. Compassion et miséricorde sont les clés de la conversion possible de chacun à son Dieu, et le Christ nous y engage dans un rapport de vérité. Ce n’est pas la mort du pécheur, mais sa conversion que cherche Dieu et qu’Il rappelle à travers les prophètes. N’hésitons pas à partager cette annonce récurrente des prophètes[xxxv] appelant à changer de cap pour nous tourner vers Dieu, Lui qui ne cesse pas de nous attendre. Or c’est bien un attitude ouverte d’accueil qui nous permettra de recevoir l’amour de Dieu et la prodigalité de son pardon.  Néanmoins il faut bien reconnaitre, que nous avons parfois du mal à vivre dans la vérité, et d’être en cohérence avec notre foi, et ainsi connaitre des distorsions dans nos façons d’agir. Cette perte de cohésion ne doit pas rendre relatif nos actions, mais ne doit pas nous désespérer de l’amour de Dieu, car Il est toujours présent.

 

La réconciliation avec Dieu demande aussi une conversion du regard sur nos frères, pour les reconnaitre comme tel, et non comme d’étranges personnalités d’un autre type. Si Dieu est notre Père, alors nous sommes tous frères. La réconciliation que nous avons à vivre avec Dieu doit se faire entre frère. « Puisque donc «Dieu … nous a réconciliés avec Lui par le Christ», Paul se sent poussé à exhorter les chrétiens de Corinthe: «Laissez-vous réconcilier avec Dieu». Cette mission de réconciliation par la mort sur la Croix, l’évangéliste Jean en parlait, en d’autres termes, en observant que le Christ devait mourir «afin de rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés» »[xxxvi].C’est un travail de tous les jours pour reconnaitre l’œuvre de Dieu dans le monde de ce temps, et accueillir la présence du Seigneur au long des jours. Or la méditation de la Parole, et l’intelligence des Ecritures nous découvre l’amour que nous avons à réaliser autour de nous. C’est un engagement de notre part. « Celui qui dit : « Je le connais », et qui ne garde pas ses commandements, est un menteur : la vérité n’est pas en lui. Mais en celui qui garde sa parole, l’amour de Dieu atteint vraiment la perfection. » Vivre le temps de repentance c’est remettre les commandements du Seigneur au cœur de notre vie, et vouloir l’amour de Dieu en toute chose. Si simple à dire, et si difficile à faire dans les mouvances du cœur et les appels contradictoire qui nous font perdre cette cohésion humaine fondamentale, d’image de Dieu appelé à la ressemblance.

4.3                Communier à la source de la vie

Or justement participer à cette fraction du pain, demande comme les disciples d’Emmaüs un passage par la méditation des Ecritures, mais un réchauffement du cœur par la présence du Seigneur. «On présentera aux fidèles l’Eucharistie comme ‘l’antidote qui nous libère de nos fautes quotidiennes et nous préserve des péchés mortels’, et on leur indiquera la façon convenable d’user des parties pénitentielles de la liturgie de la messe. » Plus nous sommes proche de Dieu, et à l’écoute de sa Parole, plus notre cœur se transforme en sa présence et nous rend attentifs aux commandements afin d’ajuster notre vie à notre relation à Dieu. L’appel intérieur, comme un impératif de l’amour nous pousse alors à participer le plus souvent possible au sacrifice eucharistique, car nous nous y abreuvons de l’amour de Dieu, ce désir qui ne cesse de grandir et de s’épanouir dans tous les événements de la vie. Aller à la messe devient alors l’acte gratuit de l’amour pur don, et nous sanctifie toujours plus de sa présence aimante. Nous n’y allons plus par devoir ni par commandement, mais juste parce que nous aimons, et dans l’attente d’une rencontre toujours plus proche, toujours plus vraie d’un changement de vie qui s’opère et porte témoignage. La vie au cœur de l’eucharistie devient un chant d’action de grâce dans tous les actes que je produis, lorsque je résonne à l’unisson de la Parole de Dieu et à la vie de l’Esprit. Et purifier peu à peu, par les actes pénitentiels déjà opéré dans la célébration de la messe, je me reconnais en confiance dans la relation à Dieu.

 

Néanmoins, si notre présence à la messe de manière répétée, traverse notre âme de repentir, et transforme notre vie en action de grâce en nous ajustant à la Parole, il nous faut aussi vivre le sacrement de pénitence comme une prise de conscience personnelle et sincère de ce qu’il faut changer dans notre vie. La célébration eucharistique est déjà une présence du royaume des cieux, et une participation à la vie divine mais le chemin de la sainteté demande une prise de conscience individuelle et une demande de pardon pour sans cesse revenir à la juste relation à Dieu. .  « ‘On doit rappeler à qui veut communier le précepte: Que l’homme s’éprouve lui-même[xxxvii]. La coutume de l’Église montre que cette épreuve est nécessaire, afin que tout homme, s’il a conscience d’un péché mortel, si contrit qu’il s’estime, ne s’approche pas de la sainte Eucharistie sans une confession sacramentelle préalable’; s’il se trouve en cas de nécessité et qu’il ne lui est pas possible de se confesser, qu’il fasse d’abord un acte de contrition parfaite»[xxxviii]. La vérité de la relation n’empêche pas la célébration mais demande sans cesse de nous laisser guider par la voie du Seigneur, et opérer les changements véritables du cœur pour s’approcher pleinement de son amour. Si la notion de péché mortel a évolué dans notre époque par un relativisme face à ce que nous faisons d’une part, et d’un amoindrissement du vocabulaire, l’appelant un péché grave, tout en nuançant la portée, il n’en reste pas moins qu’une conversion profonde est nécessaire en cas de faute grave, volontaire et librement effectué sur un aspect particulièrement important[xxxix]. Nous comprenons alors que nous ne pouvons pas communier lorsque nous avons rompu la communion avec Dieu par nos actes. Le repentir n’est pas necessaire, il est indispensable, et le retournement du cœur vital pour revenir au Seigneur et tout attendre de lui, source de la miséricorde. Or si le péché grave demande un « acte positif » c’est-à-dire qui produit de l’effet, la réconciliation demande aussi un « acte positif », en allant se confesser et demander le pardon de Dieu pour toutes ses fautes.

Plus nous entendons la parole de Dieu, plus nous comprenons l’étendu de notre péché, et plus nous nous en repentissons, c’est un cercle vertueux vers la grâce qui loin de nous désespérer nous fait au contraire entrer dans la recherche du salut et la confiance en sa promesse du rachat pour la vie éternelle. Oui le sacrement de réconciliation est une démarche de confiance en l’amour de Dieu et de sa divine providence. « Le péché mortel est une possibilité radicale de la liberté humaine comme l’amour lui-même. Il entraîne la perte de la charité et la privation de la grâce sanctifiante, c’est-à-dire de l’état de grâce. S’il n’est pas racheté par le repentir et le pardon de Dieu, il cause l’exclusion du Royaume du Christ et la mort éternelle de l’enfer, notre liberté ayant le pouvoir de faire des choix pour toujours, sans retour »[xl] Mais cette même liberté peut aller vers la recherche du Dieu vivant et sa présence dans notre vie. Une vie de foi illuminée par la présence du Christ que nous reconnaissons dans la Parole partagée et le sacrifice d’action de grâce. La participation à sa résurrection se vit bien dans les trois jours de son offrande, du jeudi saint et du partage de son corps et de son sang à la passion pour vivre la joie du Salut dans la résurrection. L’eucharistie est toujours un rappel de ces trois jours, comme lieu d’alliance mémoriel pour chacun d’entre nous, que nous rappelons à chaque anamnèse dans l’attente du retour manifeste du Christ.

 

5     Le témoignage chemin de réalisation d’unité

Notre témoignage sera cette communion à Dieu qui nous met sur les routes du monde pour annoncer la joie de l’évangile, et toujours partager cette relation unique avec Dieu pour amener chacun à redécouvrir la grande espérance du Salut. « Nous ne pouvons nous approcher de la table eucharistique sans nous laisser entraîner dans le mouvement de la mission qui, prenant naissance dans le cœur même de Dieu, veut rejoindre tous les hommes. La tension missionnaire est donc constitutive de la forme eucharistique de l’existence chrétienne. »[xli] La dimension missionnaire est constitutive de la dimension eucharistique, parce qu’elle appelle à une même communion avec le Christ, notre Dieu et notre sauveur. Il nous faut revenir en hâte à Jérusalem pour annoncer cette joie de la rencontre et partager avec tous le feu de l’Esprit. Marie « contemple le mystère de Dieu dans le monde, dans l’histoire et dans la vie quotidienne de chacun de nous et de tous. Elle est aussi bien la femme orante et laborieuse à Nazareth, que notre Notre-Dame de la promptitude, celle qui part de son village pour aider les autres « en hâte »[xlii]. Cette dynamique de justice et de tendresse, de contemplation et de marche vers les autres, est ce qui fait d’elle un modèle ecclésial pour l’évangélisation. »[xliii] Elle qui a sans cesse porté le Christ à l’intérieur d’elle-même puis à l’extérieur en le partageant avec le monde, nous donne le modèle d’une prière d’offrande qui est toujours partage et gratuité. Le dynamisme de l’évangélisation doit revenir à cette simplicité d’une annonce faite pour le Salut du monde. « En effet, la vraie joie est de reconnaître que le Seigneur demeure parmi nous, compagnon fidèle de notre chemin. L’eucharistie nous fait découvrir que le Christ, mort et ressuscité, se manifeste comme notre contemporain dans le mystère de l’Église, son Corps. Nous sommes rendus témoins de ce mystère d’amour. »[xliv] Alors restons dans la joie de la rencontre, et laissons notre cœur s’épancher sur son cœur pour ne faire plus qu’un dans la communion d’amour. C’est le principe de réalité de toute communauté chrétienne que de vivre l’amour entre frères et de le partager avec tous pour amener au Christ ceux que nous rencontrons. La grâce de l’eucharistie est justement cet appel particulier à la communion qui ouvre à « l’intelligence et à la compréhension des Écritures »

 

5.1                « Au commencement était le Verbe »

La Parole de Dieu est parole de vie, mais elle est aussi la source de toute notre existence et un appel à y puiser nos façons d’agir. Il y a une cohésion de tout notre être dans l’approfondissement des Écritures et l’ajustement de nos actes qui en découlent. L’intelligence des Écritures implique la connaissance et donc le temps pris pour lire, méditer et prier les textes. La compréhension et le temps de l’écoute de Dieu à travers les Écritures pour comprendre les directions à suivre sous le souffle de l’Esprit Saint. « Selon une ancienne tradition, on peut distinguer deux sens de l’Écriture : le sens littéral et le sens spirituel, ce dernier étant subdivisé en sens allégorique, moral et anagogique. La concordance profonde des quatre sens assure toute sa richesse à la lecture vivante de l’Écriture dans l’Église »[xlv]. Le premier sens littéral signifie qu’il nous faut contempler l’action de Dieu de manière très concrète. Jésus est vraiment mort sur la croix et il n’a pas fait semblant. Il est ressuscité et ce n’est ni un esprit, ni un fantôme puisqu’Il demande aux disciples de venir le toucher et qu’Il mange avec eux. Le sens littéral, dans la prière peut faire dire à une parole hors contexte un sens bien précis pour l’orientation de notre vie. Peu importe le contexte, dans le souffle de l’Esprit nous pouvons y trouver l’action à mener pour notre vie, par une compréhension personnelle qui doit toutefois être discernée en Église. Le sens spirituel vise, à travers les événements, à trouver des moyens d’actions pour nous aujourd’hui. C’est une mise en pratique de la parole de Dieu dans la réalité du monde de ce temps. Le sens allégorique, comme la paternité de Dieu, nous aide à comprendre la notion de proximité de Dieu avec nous à travers l’image du père terrestre, même si cela ne reste qu’une analogie, car Dieu ne peut s’enfermer dans une image. Il n’empêche que cela donne une voie de compréhension. L’autre direction des Écritures peut nous aider à y trouver les sources de la recherche du meilleur bien et le sens moral pour agir avec justice comme témoignage de notre attachement à Dieu. Le sens moral exclut toute rigidité pour vivre en vérité la Parole sans pour autant verser dans la relativité. Il y a bien un cadre d’action et en même temps un appel à un dépassement dans la liberté d’enfant de Dieu pour rendre l’amour toujours premier. Même s’il faut toujours parallèlement nous souvenir que l’amour ne va jamais à l’encontre de la vérité des commandements. Lire qu’on ne doit pas faire son marché le dimanche est un impératif qui peut connaître des exceptions dans un contexte très précis, et toujours de manière très exceptionnelle, mais ne peut jamais être une habitude relativiste de la Parole. Enfin la parole est venue à nous pour nous sauver et nous amener au Salut promis par Dieu. C’est le sensdu mot anagogique. Quelle promesse de bonheur éternel nous fait découvrir la Parole de vie ? Comprendre la Parole n’est pas de manière parcellaire, en développant tel ou tel sens, mais en vivant la réalité des quatre sens dans un approfondissement intérieur toujours plus intense. D’où l’importance aussi d’apprendre des versets de la bible par cœur, non pour faire savant mais pour les graver au plus profond de nous et nous permettre ensuite de les méditer tout au long de nos journées. « Un distique médiéval résume la signification des quatre sens : le sens littéral enseigne les événements, l’allégorie ce qu’il faut croire, le sens moral ce qu’il faut faire, l’anagogie vers quoi il faut tendre. »[xlvi] Il ne s’agit pas simplement d’intelligence des Écritures, mais bien d’une compréhension dans notre vie de ce que nous devons vivre.

 

5.2                La Parole, une rencontre

La rencontre avec Dieu se vit dans la Parole, comme un appel pour chacun d’entre nous à venir à sa rencontre, faire le détour pour être illuminés de sa présence, et savoir reconnaître la terre sacrée d’une authentique expérience spirituelle. Dieu nous parle et nous demande d’agir selon notre vocation. Il y a un appel personnel qui se relit dans l’expérience communautaire. « L’intensité d’une authentique expérience ecclésiale ne peut que développer une intelligence de la foi authentique à l’égard de la Parole de Dieu ; réciproquement, on doit dire que lire dans la foi les Écritures fait grandir la vie ecclésiale même. … « Les paroles divines grandissent avec celui qui les lit »[xlvii]. … L’écoute de la Parole de Dieu introduit et accroît la communion ecclésiale avec ceux qui cheminent dans la foi. »[xlviii] Le premier témoignage que nous devons vivre est de mettre la parole de Dieu au cœur de notre réunion, non comme une obligation bien-pensante, mais comme un désir de rendre féconde sa Parole et y puiser la direction du cœur. Plus que de lire l’évangile ou la parole du jour, peut-être rechercher dans un passage biblique ce qui peut éclairer notre rencontre et l’enrichir d’un apport nouveau. Nous devons être acteurs de la Parole donnée par Dieu, en recherchant comment la faire résonner de manière nouvelle dans les réflexions que nous devons mener et les choix de vie à faire.

 

            Jésus ne peut partager son pain qu’une fois qu’il a éclairé les disciples de la Parole de Dieu. C’est elle qui réchauffe notre cœur et nous introduit à la communion avec Jésus présent dans l’eucharistie. « La Parole et l’eucharistie sont corrélées intimement au point de ne pouvoir être comprises l’une sans l’autre : la Parole de Dieu se fait chair sacramentelle dans l’événement eucharistique. …. C’est pourquoi, «la Parole de Dieu et le mystère eucharistique ont toujours et partout reçu de l’Église non pas le même culte mais la même vénération. »[xlix] le témoignage de notre vie prend sa source dans l’eucharistie, mais s’abreuve des Écritures pour y développer l’intelligence relationnelle nécessaire à l’annonce du Salut. Auprès de certains, il faudra développer une intelligence pédagogique afin d’aborder la présence de Dieu comme une réalité à saisir, et non un cours à endormir.

 

            C’est une parole qui nous est donnée, et non une idée, la présence de Jésus dans l’eucharistie nous redit la vie des Écritures, et son déploiement dans la vie des croyants. Or nous sommes attendus dans le témoignage, dans notre façon de vivre la messe et de la prolonger dans la vie de tous les jours. Tout est lié dans le témoignage, comme une cohérence de notre relation à Dieu, à nous-mêmes et à nos frères. « Origène, l’un des maîtres de cette lecture de la Bible, soutient que l’intelligence des Écritures demande, plus encore que l’étude, l’intimité avec le Christ et la prière. Il est convaincu, en effet, que la voie privilégiée pour connaître Dieu est l’amour, et que l’on n’acquiert pas une authentique [science du Christ] sans s’éprendre de Lui. »[l]Développer l’intelligence des Écritures revient alors à Le reconnaître à la fraction du pain et à comprendre la route que doivent vivre les disciples dans le don sincère d’eux-mêmes par amour. « Ajoutons que ce fait de se trouver soi-même dans son propre don devient source d’un nouveau don de soi qui croît en vertu des dispositions intérieures à l’échange du don et dans la mesure où il rencontre une acceptation et un accueil identiques et même plus profonds, comme fruits d’une toujours plus intense conscience du don lui-même. »[li] Le témoignage devient alors la réalisation de notre vocation d’images de Dieu, en reflétant son amour dans nos relations, expression de l’amour que nous recevons par grâce de l’Esprit Saint – Personne-Don. La recherche d’unité est une manière d’accueillir le don et de vivre la communion. La Parole nous aide à le comprendre par l’exemple du Christ et la fidélité de l’alliance de Dieu dans notre histoire.

 

Nous éprendre du Christ, c’est vivre l’amour dans une compréhension plus profonde de l’être et de sa cohésion avec le mystère du Verbe incarné. Une exigence de la vérité de Dieu à travers la connaissance de sa Parole et de ce que nous en comprenons dans l’expérience de nos vies. Notre volonté s’ordonne à la volonté de Dieu et nous rend disponible à la grâce de l’Esprit pour nous laisser guider sur le chemin de sainteté. « C’est de cette connaissance de Jésus-Christ que découle, telle une source, la certitude et l’intelligence contenue dans toute l’Écriture sainte. En conséquence, il est impossible d’entrer dans la connaissance de l’Écriture sainte sans cette foi venant du Christ. Cette foi est lumière, porte et aussi fondement de toute l’Écriture»[lii]. La connaissance des Écritures est reconnaissance de la présence du Christ dans notre vie et approfondissement de la relation avec Jésus, présent au milieu de nous. Plus nous mettrons le Christ au cœur de notre vie, plus nous discuterons avec Lui et nous comprendrons comment agir le mieux possible pour l’avènement du Royaume. 

Synthèse

 

Dans la rencontre d’Emmaüs, les disciples à travers l’Écriture et la relation au Christ ont fait l’expérience spirituelle d’une rencontre qui bouleverse leur vie et redonne sens. Ils étaient saisis d’étonnement car ils n’osaient pas encore y croire, ils doutaient même de leurs sens, ils n’avaient pas pleinement l’intelligence des Écritures. Il y a un désir de Dieu dans la lecture de la Parole et son implication quotidienne. Il nous faut non seulement la lire mais, comme nous le dit le Christ « à vous d’en être les témoins »,c’est-à-dire partager cette foi en la résurrection. Nous sommes responsables de notre foi : soit nous la laissons dépérir dans un recroquevillement mondain et bien laïc, soit nous osons sortir et annoncer avec hardiesse cette joie de vivre, ce feu intérieur que rien ne peut éteindre. L’appel à la conversion est un appel à l’ajustement de notre vie à la vie de Dieu, un appel à la fraternité retrouvée dans la vérité de l’amour.

 

            À travers la découverte de la Parole de Dieu, dans le souffle de l’Esprit permettant de vivre cette relation de proximité avec le Christ rédempteur, dans la foi, prenons le temps de la prière et de la lecture amoureuse de la Bible. « Même la lettre de l’évangile tue s’il manque à l’intérieur de l’homme, la grâce de la foi qui guérit »[liii]. À nous de faire écho de cette guérison intérieure qui nous aide à grandir dans la foi et à témoigner avec force de la joie de l’évangile. En effet « les paroles divines grandissent avec celui qui les lit »[liv] et permettent une compréhension toujours nouvelle des textes sacrés. Prenons le temps de nous ouvrir à l’action de grâce à travers l’eucharistie. « L’eucharistie nous ouvre à l’intelligence de la sainte Écriture, comme la sainte Écriture illumine et explique à son tour le mystère eucharistique. En effet, sans la reconnaissance de la présence réelle du Seigneur dans l’eucharistie, l’intelligence de l’Écriture demeure incomplète ».[lv]. La communion n’est pas un luxe mais une nécessité spirituelle qui nous ouvre aux merveilles du Seigneur dans notre aujourd’hui et tout au long de notre histoire. En lisant la Bible, en suivant la loi du Seigneur qui apporte vie, alors nous respirons l’amour. « Mais en celui qui garde sa parole, l’amour de Dieu atteint vraiment la perfection ».

 

 

18 avril 2021 – Père Greg – Curé

Saint Charles Borromée – Joinville-le-Pont

 

 

 

 

[i] cf. Mc 16, 1 ; Mt 28, 1

[ii] &2174 CEC

[iii] Première apologie de St Justin – la célébration de l’Eucharistie – Office des lectures de Pâques, Dimanche III

[iv] St Augustin – Homélie sur le psaume 149 – Office des lectures de Pâques Mardi III

[v] Cf. Pie XII, Encycl. Mediator Dei, 20 novembre 1947 ; AAS 39 (1947), praesertim p. 552s.

[vi] &11 LG

[vii] Traité de Saint Irénée contre les hérésies, – L’eucharistie, gage de la résurrection Office des lectures de paques Jeudi III

[viii] ibid

[ix] &17 Sacramentum Caritatis

[x] Ep 2, 14

[xi] &229 Evangelii Gaudium

[xii] &229 Evangelii Gaudium citant Col 1, 20

[xiii] &230 Evangelii Gaudium

[xiv] &5 Evangelium Vitae

[xv] &20 Ecclesia de Eucaristia

[xvi] Message pour la 53e Journée Mondiale de la Paix 1er janvier 2020 (8 décembre 2019), n. 3 : L’Osservatore Romano, éd. en langue française (17-24 décembre 2019), p. 11.

[xvii] &228 Fratelli Tutti

[xviii] Mysterium Fidei citant saint Cyrille de Jérusalem

[xix] Cf. Jn 8, 32.

[xx] &78 Evangelii Nuntiandi

[xxi] &49 Sacarmentum Caritas

[xxii] &24 Evangelium Gaudium

[xxiii] &130 Evangelii Gaudium

[xxiv] Benoît XVI, Homélie sur l’esplanade de Marienfeld, (21 août 2005): AAS 97 (2005), p. 891; La Documentation catholique 102 (2005), p. 910; Homélie de la veille de la Pentecôte (3 juin 2006): AAS 98 (2006), p. 505; La Documentation catholique 103 (2006), p. 623.

[xxv] &70 Sacramentum Caritatis

[xxvi] ibid

[xxvii] Ep 4, 14 dans &77 Sacramentum Caritatis

[xxviii] &5 Ecclesia de Eucaristia

[xxix] Cf. Conc. œcum. Vat. II, Const. dogm. Lumen gentium, n. 11; Jean-Paul II, Exhort. apost. post-synodale Reconciliatio et Paenitentiae (2 décembre 1984), n. 30 : AAS 77 (1985), pp. 256-257; La Documentation catholique 82 (1985), p. 22.

[xxx] &20 Sacramentum Caritatis

[xxxi] &88 Evangelii Gaudium

[xxxii] P 105 Personne et acte – priorité de l’existence sur l’action

[xxxiii] P 106 Personne et acte op cité

[xxxiv] &230 Fratelli Tutti

[xxxv] Ez 18,23

[xxxvi] &7 Reconciliatio et Penitentiae citation Co 5,18-2 et Jn 11,52

[xxxvii] 1 Co 11, 28

[xxxviii] &27 Reconciliatio et Penitentiae citant Paul VI CONGRÉGATION DES RITES, Instruction sur le culte du mystère eucharistique – Eucharisticum mysterium (25 mai 1967), n. 35: AAS 59 (1967), PP. 560-561.

[xxxix] &1857 CEC

[xl] &1861 CEC

[xli] &84 Sacramentum Caritatis

[xlii] cf. Lc 1, 39-45

[xliii] &288 Evangelii Gaudium

[xliv] &97 Sacramentum Caritatis

[xlv] &115 CEC

[xlvi] &118 CEC

[xlvii] Homiliae in Ezechielem, I, VII, 8: CCL 142, 87 (PL 76, 843 D).

[xlviii] &30 Verbum Domini

[xlix] &55 Verbum Domini

[l] &86 Verbum Domini

[li] &TDC 17/5

[lii] & 29 Verbum Domini citant St Bonaventure Breviloquium, Prol. Opera Omnia, V, Quaracchi 1891, pp. 201-202.

[liii] Somme Théologique, Ia-IIae, q.106, art.2.

[liv] Homiliae in Ezechielem, I, VII, 8: CCL 142, 87 (PL 76, 843 D).

[lv] &55 Verbum Domini