Lettre du Vendredi Saint

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« il apprit par ses souffrances l’obéissance et, conduit à sa perfection,

il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent la cause du salut éternel. »

 

            Chaque vendredi saint nous relisons l’évangile de saint Jean pour méditer sur la Passion du Christ, mais nous avons lu lors de la messe de la passion (appelé aussi dimanche des rameaux), le récit de saint Marc. Je vous propose une lecture méditative de cette Parole dans l’évangile de Marc. La réflexion sera un peu différente, plus personnelle et en même temps exprimant la foi dans la méditation de la Parole.

 

La croix et la résurrection sont les deux points centraux de notre Salut. Par le sacrifice de la croix nous entrons dans l’alliance du Salut dont le signe est la résurrection. L’incarnation du Christ, ainsi que sa résurrection, procède de la même œuvre créatrice de l’amour de Dieu. « Le Christ en effet nous a aimés le premier et par l’exemple d’amour qu’il nous a proposé, il s’est fait pour nous un sceau afin que nous devenions conforme à son image, en nous débarrassant de l’image de l’homme terrestre, et en prenant sur nous l’image de l’homme céleste. »[i] Or l’amour connait aussi l’épreuve et la confrontation au mal qui sévit dans ce monde, à cause du Tentateur et de l’incapacité de l’homme à faire durablement confiance à Dieu. Cette incapacité collective à suivre la Parole de vie entraîne, pour les justes, l’affliction encore plus forte et la douleur de la perte du combat à mener. Or le Christ, loin de nous laisser dans cette désespérance à cause du péché, partage notre condition humaine pour nous permettre de faire le choix de l’amour en puisant à la source de la vie la vérité de notre être. « Ta croix, ô Christ, est la source de toutes les bénédictions, la cause de toute grâce. Par elle, les croyants tirent de leur faiblesse la force, du mépris reçu la gloire, et de la mort la vie. »[ii] Retrouver la bonne hiérarchie des valeurs est cause de bénédiction de Dieu parce que nous le suivons sur le chemin d’alliance qu’Il nous propose, et recueillons la réalisation de la promesse du Salut éternel.

1      « Il est venu chez lui, et les siens ne l’ont pas accueilli »

 

« La fête de la Paque allait avoir lieu deux jours après. » Deux, nombre de la relation binaire, comme choisir entre le bien et le mal, il n’y a pas de nuance, pas d’espace, qu’un choix, sommes-nous vraiment pour Jésus ou contre lui ? Il n’y a plus d’espace pour le compromis, voici l’heure de la radicalité de l’amour, d’aimer jusqu’au bout. Deux jours comme un choix à poser et à exécuter. Une façon pour le Christ de convertir les cœurs, pour opérer un changement de fait  afin qu’ils fussent « bien plus nombreux à croire à cause de sa parole »[iii] ou alors deux jours pour changer la foule et l’instrumentaliser afin qu’elle demande la crucifixion que Pilate présente comme « voici votre roi ». Deux jours, c’est ceux de la passion, mais non pas du discernement, ceux de l’excitation et de l’embrasement, et non de la conversion, de la purification et du Salut, qui demandent trois jours. Dans nos actes, nous avons toujours le choix, même lorsqu’il y a des addictions fortes, certes la responsabilité peut être atténuée par l’environnement ou le vice de la répétition, il n’en reste pas moins qu’à un moment donné, une once de volonté s’exécute. Ce qui est vrai personnellement, l’est aussi collectivement. Le prophétisme est justement d’aller à l’encontre de l’esprit du monde, pour rappeler la Parole de Dieu. Là, le temps nous presse, la fête approche, et nous célébrons la libération de l’esclavage d’Egypte pour la terre promise : n’est-ce pas un signe supplémentaire qu’il faut faire place nette ? Deux jours, comme pressés par le temps pour accomplir ce qu’ils savent peu glorieux, mais pour protéger leurs privilèges, leurs avantages, et garder l’aura auprès du peuple. Deux jours pour manipuler le peuple et lui faire dire l’inverse de ce qu’il pense, en exacerbant l’émotion et en taisant la vérité.

 

« Pas en pleine fête pour éviter des troubles dans le peuple ». Parfois certains choix deviennent obscurs, par le mensonge, l’hypocrisie et la perversion d’actions téléguidées en sous-marin. La surface est lisse, mais le fond est mauvais. Ne rien laisser paraître et, en fait, attenter à la source de la vie. Lorsque la torpille touche son but, on s’aperçoit des dégâts, mais durant son trajet on peut ne pas la voir. Il en va de même de nos actions, lorsqu’elles reflètent les couleurs des ténèbres. Si la vérité vient à la lumière, les actions mauvaises demandent la manipulation et l’obscurcissement des consciences, en instrumentalisant les instants et en renversant la hiérarchie des valeurs pour abonder dans un sens perfide. « La lumière est venue dans le monde et les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière, car leurs œuvres étaient mauvaises. »[iv] On voit bien aussi la tentation de toute-puissance afin de maîtriser le peuple sans créer de troubles, qui pourraient avoir des conséquences chez l’envahisseur romain. Dans la logique, c’est pour le bien du peuple que l’on veut faire condamner Jésus et le mettre à mort, afin de garder un semblant de stabilité. « Quiconque, commet le mal hait la lumière et ne vient pas à la lumière, de peur que ses œuvres ne soient démontrées coupables. »[v] C’est dans l’obscurité de leurs consciences que Caïphe et le conseil des Juifs  prennent la décision d’accusation au lieu de s’abreuver à la source de la vie. Eviter les troubles parce qu’ « il y a intérêt à ce qu’un seul homme meure pour le peuple. »[vi] Une fuite en avant pour sauvegarder les apparences et sembler rester maître, avec parallèlement une vision prophétique du nouvel Adam qui viendra sauver tout le peuple et même plus, toutes les nations. La vision étriquée d’un petit nombre se fracasse devant l’universalité de l’amour de Dieu, qui s’exprime aussi de manière mystérieuse. Nous ne sommes que des serviteurs, accueillant la grâce de sa présence et en vivant autour de nous. Le peuple a trouvé le sensus fidei pour exprimer par ses propres mots la vérité de la relation profonde avec Dieu.

2      « Le vent souffle où il veut et tu entends sa voix »

Jésus est à Béthanie, ce village qu’il visite si souvent lorsqu’il est proche de Jérusalem et « dans la maison de Simon le lépreux » qui n’est nulle part ailleurs mentionné. On comprend que, dans la maison de Marthe où vivait Lazare, il aurait été trop vite repéré, mais ce n’est plus le temps de la question du service ou de l’intériorité, mais de celle de la purification et du sacré, du don de sa vie contre la lèpre de l’homme qu’est le péché. D’ailleurs le paradoxe entre Simon, dit le lépreux, et sa maison est total. Le lépreux a un nom, il a aussi un lieu d’habitation, il n’est plus dans cette exclusion de la société, ou peut être devons-nous comprendre que Jésus va rejoindre ceux qui sont dans l’exclusion pour habiter parmi eux, et rappeler que le règne de Dieu est d’abord et avant tout pour eux ? Probablement que Simon avait été un ancien lépreux, puisqu’on s’autorise à manger avec lui, ou atteint d’une maladie apparentée à la lèpre dont il s’était sorti ou que Jésus a guéri, d’où l’invitation à demeurer avec lui pour le repas  ?

 

Mais n’est-ce pas aussi un appel de Jésus à rejoindre chacun dans l’exclusion et à faire fi de la loi sanitaire sur la pureté pour rejoindre le prochain au nom même de la fraternité ? Rien ne peut nous dispenser de l’amour fraternel, ni les divisions idéologiques, raciales ou sectorielles, ni les divisions sanitaires pour définir ceux qui sont fréquentables ou pas, ni les consignes culturelles. L’amour de Dieu est pour chacun d’entre nous car il fait de nous des proches, des frères. « L’amour authentique, à même de faire grandir, et les formes les plus nobles d’amitié résident dans des cœurs qui se laissent compléter. Le fait de constituer un couple ou d’être des amis doit ouvrir nos cœurs à d’autres cercles pour nous rendre capables de sortir de nous-mêmes de sorte que nous accueillions tout le monde. »[vii] Il s’agit d’aller vers l’autre, dans toutes ses dimensions, d’oser la rencontre pour renouer la relation dans notre vocation d’image de Dieu, et de rechercher sans cesse à annoncer la joie de l’évangile dans la rencontre.

3      « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu »

« Une femme avec un parfum très pur de grande valeur lui versa le parfum sur sa tête. » Certains gestes, que nous ne comprenons pas toujours, sont prophétiques : ils rappellent l’impératif premier d’être disponibles à la grâce et sont signe pour nos frères de la présence de Dieu dans ce monde. Cette bonne odeur de la grâce qui se répand dans toute la maison et que l’on ne peut garder pour soi enfermée dans un flacon. Voici qu’une femme dont on ne connait pas le nom, comme le riche de Lazare, qui pourtant offre un signe stupéfiant en versant un parfum hors de prix, durant un repas. Lorsque la richesse est pour la gloire de Dieu, elle participe au signe de sa messianité. Mais le fait de ne pas connaître cette femme, c’est aussi pour révéler que l’action l’emportait sur la personne, et ainsi mettre en exergue l’importance significative de ce qui s’est passé. Ce parfum très pur, d’une plante exotique venant d’Inde, nous dit la prodigalité du geste et sa gratuité profonde. Elle casse l’ampoule, pour que le parfum imprègne plus rapidement le corps, comme une onction messianique qui se répand sur le corps. Ce n’est pas seulement la tête mais le corps tout entier qui participe à cette onction et qui manifeste la valeur unique du Christ. N’est-ce pas l’onction qui préfigure la passion, où l’envoyé de Dieu prend tout son sens à la veille de sa crucifixion – service de l’homme par la radicalité du service,  comme un raccourci de tout l’évangile sur le sacrifice ultime, marque du don ?

 

« Ils la rudoyaient », l’incompréhension du monde face aux gestes prophétiques, que cela soit de la part des enfants du monde ou des disciples du Christ, qui ont laissé s’assoupir les grâces de l’Esprit. Dérangés durant leur repas et dans l’incompréhension du geste, ils en viennent à faire des reproches. Même quelques apôtres s’exaspéraient, Juda et ceux qu’il avait embarqué dans la justification de l’indignation. Perdre autant d’argent pour rien et le prétexte des pauvres justifient la légitimité de l’indignation avant même d’accueillir la messianité du Christ. Pourquoi acheter de belles choses liturgiques alors que dehors tant meurent de faim ? Il y a toujours des comparaisons qui peuvent paraître bien dangereuses lorsqu’elles ne sont pas adaptées au contexte dans la spécificité du temps et de l’environnement. Un courroux pour cette femme qui semble folle pour avoir dépensé autant d’argent. Mais n’est-elle pas la sagesse qui adore le Christ dans sa vocation messianique, et les apôtres courroucés des vierges folles ne vivant que dans l’instant ? Nous-mêmes ne sommes-nous pas dans la folie du temps lorsque nous nous privons de Dieu pour d’autres activités dites plus urgentes, en oubliant l’essentiel ?

 

Néanmoins la colère des apôtres tient peut-être aussi devant l’impuissance de la pauvreté, et l’impossibilité de répondre à toutes les sollicitations. Parfois nous aimerions faire tant. Un pauvre demandait à saint François de Sales une chemise pour s’habiller, et celui-ci demande à son domestique de lui donner la chemise. Le pauvre revient en colère voyant la chemise usée, et saint François de Sales se retourne vers son domestique en reconnaissant qu’il n’est pas charitable de donner un tel habit. Et le domestique de répondre “J’ai donné la meilleure de vos quatre chemises, Monseigneur”. On voudrait toujours donner plus, et ce n’est pas toujours possible, comme il faut accueillir ce que l’on nous donne, et non pas exiger. La vérité de la relation passe toujours par l’accueil. Et Jésus réajuste notre regard sur l’onction de Béthanie, qui n’est culturellement pas habituelle.

4     Lui et moi

« Il est beau le geste qu’elle a fait envers moi. » Jésus contemple la beauté du geste, dans ce désintéressement total, rappelant le sacré du corps plutôt que celui de l’avoir. Il rappelle cette beauté de la création que Dieu remarque à la fin de chaque jour, “Il vit que cela était bon”, comme Jésus remarque dans ce geste une beauté de la relation humaine qui laisse entrevoir l’appel messianique. « Des pauvres vous en aurez toujours… et vous pouvez leur faire du bien », le pouvoir d’entrer en relation avec nos frères dans le partage des biens tout en revoyant comment la pauvreté doit être l’espace d’une rencontre vraie. En même temps nous pouvons y lire une priorisation du temps, c’est-à-dire mettre la relation au Christ au cœur même de toutes nos actions, avant de vouloir chercher à se rendre utile, car ce qui fait sens trouve sa source dans notre relation à Dieu, puisqu’Il continue de nous accompagner sur notre chemin d’humanité. Quant à nos frères, il nous faut avoir non seulement la volonté de faire le bien, mais le pouvoir de le faire. Faire du bien est d’abord leur redonner l’espace de leur dignité.

 

« Mais moi vous ne m’avez pas pour toujours », phrase terrible du Christ qui nous rappelle à notre responsabilité : le premier n’est-il pas la fraternité ? La concomitance entre faire du bien et le fait de ne pas avoir le Christ pour toujours nous rappelle ce travail de conversion à travers la relation au frère. Certes tout n’est pas facile, mais parfois il nous faut savoir nous assoir en face de l’autre et prendre le temps de la rencontre. C’est là que nous pouvons ensemble penser les questions de corruption et d’abus de biens sociaux, comme des vols pour la société, et une prise de conscience de tous à mener une vie meilleure. Non, le travail au noir n’est pas viable, même dans une société pourtant bien ancrée dans une stabilité politique et démocratique. Car cela ronge peu à peu nos relations les uns avec les autres.

 

« Judas cherchait comment le livrer au moment favorable. » Le moment favorable, où Dieu agit vite, devient celui de la lâcheté de l’homme à travers la dénonciation et la traîtrise. Ce moment favorable de la séduction consiste à se défier de l’œuvre de Dieu afin de poursuivre son propre chemin, caché dans les buissons, comme dans l’impasse d’une réconciliation impossible, sans s’apercevoir de l’instrumentalisation de la situation. L’envie est l’expression d’un désir dévoyé, lorsqu’il est refermé sur ses propres pulsions sans attendre une relation mais dans l’instinct de la possession. Que ce soit un fruit défendu, ou l’établissement d’un règne de Dieu politique, c’est toujours le même schéma de la duplicité et du mensonge, puis de la honte et de la désespérance pour se reconnaître loin de Dieu.

5     Vivre la disponibilité pour la présence du Seigneur

« Il envoie deux disciples » Même pour les préparatifs de la Pâque, Jésus envoie les disciples par deux pour préparer le repas, car être disciple, c’est se mettre au service, il n’y a plus ni homme ni femme, mais des personnes au service du Seigneur qui se tiennent à sa disposition pour manifester sa gloire. Traditionnellement le repas du sabbat était fait par les femmes du foyer, (les mères et les filles), alors que les hommes (les pères et les fils) allaient à la synagogue pour prier. Ici point de foyer commun, mais une première cellule d’Église, où chacun est envoyé pour se mettre au service. Partir à deux c’est mettre la lumière de l’altérité pour faire œuvre de séparation, et ainsi pouvoir discerner avec justesse ce qui est bon de ce qui ne conduit pas au ciel. A deux, nous pouvons vivre l’interrogation comme un autre mode d’engagement demandant le recul et en même temps la sincérité de l’action.

 « Allez à la ville ». Jésus a préparé cette Pâque avec les disciples, Il a donné des indications précises, comme pour dire qu’il était déjà convenu de la chose avec le propriétaire. Comme pour l’ânon, il sait exactement quoi faire, parce qu’il a pris la responsabilité de s’assurer que cela puisse être fait. La toute-puissance de Dieu se lit dans l’organisation de notre histoire. Cette attention à ce que les choses soient prêtes, comme pour les disciples la capacité d’accueillir la passion du Christ comme un signe de rédemption, en leur annonçant plusieurs fois qu’Il allait être livré aux mains des hommes. Toujours cette prévenance du Seigneur pour chacun d’entre nous. Aller dans la cité, c’est aussi au cœur de la fraternité rejoindre l’humanité en mouvement pour redire le sens de Dieu. La ville-cité est donc le lieu du témoignage, en même temps que Jérusalem est ville de prière et de communion à Dieu (par le Temple), la ville sainte par excellence, qui devient le passage obligé de la nouvelle alliance.

 

« Un homme portant une cruche d’eau », ce n’est plus la femme de Samarie auquel Jésus a parlé, mais le travail d’un homme qui demande de l’effort et une certaine santé physique. Il est le signe de l’accueil du Seigneur en ayant préparé le lieu de la rencontre. L’eau qui, dès le commencement, est signe de vie et de fécondité, mais là où le souffle de Dieu apparaît pour faire naître son alliance avec les hommes d’une manière renouvelée. L’eau, dans le baptême, signifie la purification du corps. Elle est donc liée à la vie humaine et, en même temps, au peuple de la nouvelle alliance, tout en étant préfiguration de l’eau qui coulera de son sein lorsque le garde Le transpercera sur la croix, signe d’une eau vivifiante qui se comprend dans le mystère du Verbe incarné, sagesse de Dieu et don pour les hommes. « Ils n’auront plus faim, ils n’auront plus soif, ni le soleil ni la chaleur ne les accablera, puisque l’Agneau qui se tient au milieu du Trône sera leur pasteur pour les conduire aux sources des eaux de la vie. Et Dieu essuiera toute larme de leurs yeux. »[viii] Le porteur de cruche est déjà une préfiguration de la consolation pour les disciples, du drame de la Passion, et annonce subtilement la fécondité de la confiance en Dieu. Néanmoins, cette cruche est aussi le baptême par le sang du témoignage de l’action de Dieu dans notre vie, que les martyrs reproduisent à chaque fois qu’ils annoncent Jésus Christ et qu’ils sont tués pour cette annonce explicite.

 

« Le soir venu quand fut couché le soleil »[ix], c’est le soir, lorsqu’on n’a plus rien à faire d’utile, que l’on s’occupe des malades et des esprits démoniaques que l’on amène à Jésus. Dans l’obscurité du mal, on espère que la présence de Dieu soit le lieu de notre louange. Reconnaître Jésus, c’est chasser les ténèbres de notre vie : « passons sur l’autre rive » Le soir, après avoir vécu la grâce de la multiplication des pains, il est temps de vivre le combat, à travers la tempête que Jésus finit par apaiser. Et Il marche sur les eaux pour venir à notre rencontre afin de chasser de nos vies toutes peurs et nous assurer de sa présence. Il vient nous aider dans l’épuisement de nos vies, afin de nous encourager à aller de l’avant et avec nous faire un chemin d’humanité. Il nous demande juste la disponibilité de tout notre être : « ayez confiance, c‘est moi, soyez sans crainte. »[x] Le soir venu, Il recueille le fruit de sa parole dans le figuier desséché parce qu’il n’a pas rempli l’une de ses missions. Et nous voici le soir venu, appelés à nous recentrer sur ce moment de rencontre unique, cette multiplication des pains qui est par anticipation le corps et le sang du Christ. C’est toujours à la tombée de la nuit, après l’accablement du poids du jour, à la neuvième heure, que nous nous sentons disponibles à l’œuvre de Dieu, là où Jésus célèbre la Cène quelques jours avant la date officielle. Curieux décalage qui indique une liturgie chrétienne spécifique.

6     Trahison

« Quelqu’un va me livrer… celui qui est en train de se servir avec moi dans le plat » Jésus est maître de l’histoire et de son destin, Il sait les choses, mais renvoie l’homme à sa liberté, jusqu’au bout. Juda aurait pu renoncer à  son projet, c’est-à-dire celui de manquer de confiance en Jésus, et jusqu’au bout il aurait du faire autrement, mais la trahison finale n’est le résultat que de petits actes accumulés. Les tueurs en série commencent toujours par un premier meurtre (sans oublier que l’inverse n’est pas vraie). Mais cette annonce montre aussi que c’est Jésus qui se donne volontairement à travers cette trahison : il accepte d’être l’agneau immolé pour le salut du monde, et d’être mis sous l’autorité des hommes pour révéler celle de Dieu, qui vient sauver ce qui est perdu et vaincre définitivement la mort et le péché. Rien n’est fait par surprise, mais tout accomplit le dessein de Dieu dévoilé par les prophètes dans la logique de la folie des hommes et de la responsabilité des actes et des conséquences.

 

« Ils devinrent tout tristes », comme une séparation que l’on refuse peu à peu et cette incertitude personnelle : serait-ce possible que ce soit moi qui trahisse Jésus ? Comme une angoisse d’une situation confuse et la pensée d’une prédestination. Mais la faute de celui qui a déjà organisé son crime est bien personnelle. Même si parallèlement les disciples se montreront fuyant lors de l’arrestation jusqu’à partir nu préférant laisser le drap dans la main des ravisseurs. Cette tristesse du manque qui reconnaît aussi sa propre faiblesse, comme un lieu d’anéantissement de tout l’être, un lieu où se révèle notre propre péché : nous comprenons alors notre responsabilité pleine et entière. L’annonce de la trahison n’est-elle pas la révélation que Dieu se cache à travers l’épreuve et ce cri du psalmiste « combien de temps, Seigneur, vas-tu m’oublier, combien de temps, me cacher ton visage ? »[xi]C’est l’épreuve du manque de Dieu qui se révèle à l’homme et de sa propre fragilité, seul et semblant sans amour, comme une vision de l’enfermement par anticipation. L’enseignement du Christ ne nous a-t-il pas permis d’ôter notre propre péché ? Sommes-nous si endurcis que cela, pour être inconscients jusqu’à livrer le Messie ? Cette mort que l’on découvre, nous appelle à redécouvrir la place de Dieu dans notre vie et à garder confiance, même dans l’abandon, car c’est toujours le Christ qui nous conduit. « Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés. »[xii] C’est ainsi que nous serons unis à la joie du Christ rédempteur, parce que nous serons dans le repentir et que nous voudrons l’interroger, serait-ce moi ? Une conversion du cœur qui annonce l’aurore du Salut et de la confiance à Dieu : Jésus ne nous a pas quittés, malgré les crises que nous traversons, Il est toujours avec nous et de manière indéfectible parce que le véritable amour est toujours fidèle quoi qu’il arrive. Bientôt le ressuscité nous donnera sa joie. 

7     L’eucharistie

« Ceci est mon corps… ceci est mon sang », Jésus préfigure l’eucharistie en signifiant qu’Il sera toujours vivant dans la célébration eucharistique, aussi pauvre soit-elle. Ce n’est ni une question de latin ou de langue maternelle, ni de la dynamique des chants mais bien une présence dans notre présent. Avant même le sacrifice de la croix, Il nous offre l’excellence du service et du don de sa personne. « Il est prêtre, victime et autel : médiateur entre Dieu le Père et le peuple[xiii], victime d’expiation[xiv] qui s’offre elle-même sur l’autel de la croix. Personne ne peut dire « ceci est mon corps » et « ceci est la coupe de mon sang » si ce n’est au nom et en la personne du Christ, unique souverain prêtre de la nouvelle et éternelle Alliance.[xv] »[xvi] A chaque messe, nous faisons mémoire de ce sacrifice offert pour la multitude, présence de Dieu dans notre humanité blessée et qui révèle la beauté du don comme lieu de sanctification. « Les Apôtres qui ont pris part à la dernière Cène ont-ils compris le sens des paroles sorties de la bouche du Christ ? Peut-être pas. Ces paroles ne devaient se clarifier pleinement qu’à la fin du triduum pascal, c’est-à-dire de la période qui va du jeudi soir au dimanche matin. »[xvii]. Tout don passe par le mystère de la dépossession, pour l’accueil d’une autre réalité qui nous dépasse et parallèlement accomplit le don lui-même. « En instituant le sacrement de l’eucharistie, Jésus anticipe et intègre le sacrifice de la croix et la victoire de la résurrection. Dans le même temps, Il se révèle comme le véritable agneau immolé, prévu dans le dessein du Père dès avant la création du monde. »[xviii] Toute eucharistie est d’abord sacrifice de Dieu pour l’humanité et présence de la lumière de l’amour, pour chasser l’obscurité du mensonge du péché.

 

            Le récit de la passion est en même temps récit de la compassion de Dieu pour son humanité. « L’amour sponsal[1] est le signe sacramentel de l’amour du Christ pour son Église, un amour qui a son point culminant dans la croix, expression de ses « noces » avec l’humanité et, en même temps, origine et centre de l’eucharistie. »[xix] Mais la participation de chacun, dans la vérité de son être et la disponibilité du cœur, demande alors une réponse adaptée. « La vie morale « a une valeur de “culte spirituel”[xx], puisé et nourri à la source inépuisable de sainteté et de glorification de Dieu que sont les sacrements, en particulier l’eucharistie : en effet, participant au sacrifice de la croix, le chrétien communie à l’amour d’offrande du Christ, et il est habilité et engagé à vivre cette même charité dans tous les actes et tous les comportements de sa vie ».[xxi] »[xxii] En invitant les apôtres à vivre du partage du pain, le Christ signifie la communion à l’amour qui prend une réalité matérielle dans la solidarité et une réalité spirituelle avec Dieu par sa présence réelle. Et le chant de l’anamnèse continue notre acte d’espérance dans l’attente de son retour dans la gloire. Oui nous attendons le Christ victorieux, qui viendra juger les vivants et les morts et établir la civilisation de l’amour éternel.

 

            C’est pourquoi nous ne devons pas comprendre l’eucharistie comme un souvenir d’ancien combattant, mais bien comme l’espérance d’une réalité déjà présente dans l’offrande du corps et du sang, à venir par l’établissement du règne de Dieu. « Toute célébration eucharistique actualise sacramentellement le don que Jésus a fait de sa vie sur la croix pour nous et pour le monde entier. En même temps, dans l’Eucharistie, Jésus fait de nous des témoins de la compassion de Dieu pour chacun de nos frères et sœurs. »[xxiii] Le don de Dieu est présence d’amour qui revitalise notre vie dans l’accueil de son corps et de son sang. Notre humanité est renouvelée à chaque sacrifice, car nous vivons peu à peu une plus grande proximité avec Dieu à chaque fois que nous participons de manière fervente à une messe. Ce qui implique d’ailleurs une conversion du cœur de plus en plus profonde et une transformation de nos manières d’agir, pour nous conformer à la Parole du Christ.  

 

Mais l’offrande du jeudi saint est une participation du corps de notre humanité avec le corps du Christ, mystère divin. « Le corps en effet – et seulement lui – est capable de rendre visible ce qui est invisible : le spirituel et le divin. Il a été créé pour transférer dans la réalité visible du monde le mystère caché de toute éternité en Dieu et en être le signe visible. »[xxiv] Nous sommes entraînés à aller au-delà des apparences pour saisir peu à peu l’œuvre de Dieu, qui se manifeste de différentes manières dans notre humanité et dépasse nos sens pour rejoindre notre intelligibilité. L’amour se manifeste autrement que dans la réalité matérielle ou sensuelle, pour redonner sens à l’homme et à sa dignité première d’image de Dieu. C’est le sens même de l’offrande, comme lieu d’intégration de notre personne, corps et âme pour un même service de louange vers Dieu et de témoignage envers nos frères.

8     L’heure du combat spirituel et de l’épreuve

            « Vous allez tous être exposés à tomber… Je frapperai le berger et les brebis seront dispersées. » L’heure du combat révèle aussi nos propres fragilités. Pourtant ce n’est pas le fait de tomber qui importe, mais bien celui de se relever avec le Christ et de lui être fidèle pour toujours, chose possible une fois que la résurrection arrive et qui prend son ampleur à travers la Pentecôte et la vie de l’Esprit. Le témoignage nous pousse à annoncer malgré les obstacles de ce monde et nous invite à lutter avec efficacité, car Dieu est avec nous et nous devance dans ce combat.

 

« Pierre, Jacques et Jean. » Pierre pour l’autorité de l’Église et en même temps son dynamisme pour suivre le Christ. Jean pour sa ferveur auprès du maître et sa présence comme lieu d’Église devant l’humanité souffrante. Jacques le frère (un lien de parenté cousin) de Jésus, comme le familier des rencontres, celui qui le connaît dans ce lien familial et un engagement du sang. Pierre et Jacques comme des martyrs, donnant leur vie jusqu’au sang, et Jean comme témoin prophétique de l’annonce du retour du Christ au jugement dernier. D’autres diront : Pierre serviteur royal pour affermir ses frères, Jacques comme serviteur d’une communauté pour l’ancrer dans la prière et l’annonce de l’Évangile et Jean comme témoin d’une espérance qu’il va porter au bout d’un monde. Trois apôtres différents, dans une communauté chrétienne appelée à annoncer dans l’altérité des personnalités un même Dieu.

 

« Mon âme est triste à mourir » une belle écologie humaine intégrale, car il y a un ajustement entre l’âme et le corps, et ce qui entoure les ténèbres entre la sixième et neuvième heure, comme le voile dans le temple qui se déchire pour la prière du soir. Un évènement de tout le cosmos qui révèle l’alliance nouvelle du Salut promis à l’humanité. Le corps et l’âme sont revus dans le projet originel de la création. « La conscience de la signification du corps et la conscience de sa signification génératrice viennent en contact, chez l’homme, avec la conscience de la mort dont il porte, pour ainsi dire, l’inévitable horizon en lui-même. Et cependant, dans l’histoire de l’homme, revient toujours le cycle “connaissance-génération” où la vie lutte toujours et de nouveau avec l’inexorable perspective de la mort et toujours la surmonte. »[xxv] Avec le scandale de la croix et la grâce de la résurrection, la perspective de la mort est estompée par la grande espérance du Salut. Oui, la tristesse de Jésus porte la tristesse de notre humanité face à la mort et au semblant d’absurdité qu’elle montre, mais qui ne révèle pas la manifestation de Dieu pour l’éternité dans le jugement de l’amour. La tristesse de mourir de Celui qui est source de vie annonce la joie du Salut à l’aurore de Pâques. Nullement une mélancolie suicidaire, ou encore une vision euthanasique défiant la providence de Dieu, mais juste une prière douloureuse, un sacrifice d’action de grâce qui se fait aussi dans la réalité du moment et du déroulement injuste de l’histoire.  C’est une vraie tristesse, car elle est le résultat d’un manque de notre humanité, mais aussi une vraie joie de la résurrection, car elle est l’accomplissement de la promesse du Salut.  Une conscience de notre finitude et en même temps l’ouverture d’un autre horizon, où nous sommes régénérés par le Christ dans une vie nouvelle. « L’immortalité ne découle pas simplement de l’évidente vérité que l’indivisible ne peut mourir, mais de l’acte sauveur de Celui qui aime, qui a le pouvoir de le faire ; aussi l’homme ne peut-il disparaître complètement, parce que Dieu le connaît et l’aime. »[xxvi]

 

« Restez et veillez ». L’heure du combat spirituel ne demande aucun assoupissement mais la vigilance de tous les instants pour accompagner le Christ dans son agonie. Il nous demande la confiance pour être auprès de Lui, comme lieu de repos, et comme sécurité pour nous, avec vigilance pour ne pas nous laisser attiédir par les séductions du péché, et ainsi entrer en tentation. L’horreur du démon de l’acédie est justement de ne pas nous pousser au mal, qui nous mettrait tout de suite en vigilance, mais d’endormir notre défiance pour mieux l’instrumentaliser afin de nous faire fauter. « Ainsi Dieu à dit ? »  Par l’assoupissement nous entrons dans un marché de dupes et, une fois que nous en prenons conscience, nous nous retrouvons devant l’horreur de ce qui a été fait. Vouloir sortir de soi et ne pas veiller, c’est l’expression du dégoût d’agir et un obstacle à la recherche du bonheur et à la réalisation de l’amour. C’est le cri du Seigneur « Adam ou es-tu ? » que l’on retrouve dans le récit de la passion « Simon tu dors ! » la question par excellence d’une réalité bien présente « l’esprit est ardent mais la chair est faible », comme pour signifier ce paradoxe de notre humanité, que l’on connaît dans l’adolescence, tout feu tout flamme pour mettre de l’ordre dans la gestion de la planète, et le désordre dans sa chambre à la maison.

 

« Abba Père, tout est possible pour Toi », prière d’abandon par excellence à la volonté de Dieu pour qu’Il manifeste ainsi son amour et relève l’homme de son péché. Tout est possible, mais Dieu continue son alliance avec l’homme en lui faisant confiance jusqu’au bout, jusqu’à la crucifixion pour révéler que l’amour est bien au-dessus de tout. Le pardon de la croix et le relèvement du péché, dans le salut apporté par le Christ, nous libèrent totalement de l’ancien monde. Il est notre Sauveur et Il nous montre le chemin de liberté par excellence qui se vit dans l’amour de Dieu et de nos frères, et le don sincère de nous-mêmes pour nous réaliser pleinement dans notre vocation première d’images de Dieu appelées à la ressemblance, notamment à travers la Personne Don.

9     Le temps du silence

« Tu ne réponds rien » face à l’idéologie et l’instrumentalisation de la parole, parfois il faut nous tenir en silence et dans la prière afin de garder la paix intérieure et de vivre la vérité de l’amour jusqu’au bout. Le silence est alors une parole assourdissante, une présence qui se dit autrement que par les mots. Une atmosphère où l’intérieur s’unit à l’extérieur pour exprimer l’énergie de tout l’être en étant simplement là. Il nous faut réinventer le silence. Derrière la question de Pilate, il y a la question du monde, face à notre espace intérieur, sur la qualité de notre présence à Dieu et notre capacité à prendre du recul, face à ce qui n’a pas plus d’importance que cela, même si ça fait les gros titre des journaux. Dans la foi nous allons toujours à l’essentiel, et c’est le Christ Sauveur que nous annonçons mais, lorsque nous ne pouvons pas parler, au lieu de nous défendre, il vaut mieux nous taire et réinventer l’espace de la rencontre pour dire notre espérance au moment opportun. L’occupation médiatique de l’espace-temps est absurde lorsqu’elle n’est pas tournée vers l’annonce explicite du Salut. Le silence est alors le lieu de notre témoignage par excellence, comme un havre de repos et de profondeur où chacun peut aller puiser à la source vive de la présence de Dieu.

 

« Il se rendait bien compte que c’était par jalousie que les grands prêtres l’avaient livré. » En une phrase nous avons la tragédie du pouvoir qui pour plaire doit exécuter des ordres contraires à la morale et violant parfois les consciences. C’est l’expérience d’une situation où nous nous retrouvons entraînés sans en porter toute la responsabilité, mais dans une collaboration avec le mal qui fait de nous un rouage de la machine infernale. C’est d’ailleurs la réponse des nazis arrêtés à la fin de la guerre qui, pour défense, disaient “nous n’avons fait qu’obéir aux ordres”. Pas une seule fois, ils se sont posé des questions de conscience, fanatisés par l’aura du chef. Du petit comptable du camp de concentration aux plus grands acteurs, tous ont une part de responsabilité, proportionnée aux fonctions qu’ils occupaient. Tout était dans l’idéologie, et malheur à qui se mettait en travers du chemin car il y avait une seule école de pensée. Aujourd’hui, dans le délit d’entrave à l’avortement, nous continuons cet univers concentrationnaire et tyrannique en refusant que la conscience de la foi chrétienne puisse exprimer autre chose. En dénonçant les manœuvres eugéniques sur les conséquences des personnes portant un handicap, on paye les impôts et on vote, tout en sachant que cette société porte aussi en son sein une culture de mort. Dans le cynisme économique et la réduction des lits d’hôpitaux occasionnant le tri des malades à l’entrée des urgences, on favorise ainsi une dérive euthanasique, sans se l’avouer et tout en le niant mais, hélas, les remontées du terrain font froid dans le dos. Ce débat de l’euthanasie qui ne passe pas[xxvii] en pleine crise sanitaire, et le travail acharné des équipes soignantes pour maintenir la vie. Nous participons à cette société, dans une incapacité à changer l’ensemble, alors que, comme sel de la terre, nous devons infléchir les positionnements pour ouvrir à l’altérité des solutions et faire découvrir d’autres horizons.

10  Le témoignage de la croix

« Simon de Cyrène, le père d’Alexandre et de Rufus ». Un père avait deux fils. Ceux-ci semblent connus des évangélistes et de la communauté chrétienne. Un homme de passage qui revenait du travail des champs doit, en plus, aider un condamné à porter sa croix et participer ainsi à son humiliation. Combien de travailleurs des champs ont été assimilés à une forme d’humiliation de la condition humaine, et peu reconnus dans ce qu’ils faisaient ? Combien de passants se sont laissé conquérir par la condition du Christ et ont suivi leur chemin sans connaître la Parole mais touchés par l’exemple ?

 

Troisième, sixième neuvième heure, celle des ouvriers retardataires. Six heures de souffrance pour le Christ, comme un cri pour la création du monde où tout s’est accompli jusqu’au repos de Dieu dans le sépulcre fermé et l’attente du huitième jour, celui de la résurrection. « Quand arriva la sixième heure (c’est-à-dire : midi), l’obscurité se fit sur toute la terre. » L’heure du démon de l’acédie, connu pour nous sur un aspect appelé démon de midi. Le démon de l’acédie attaque notre ferveur, nous remplit de défiance dans ce languissant à quoi bon. Une forme de désespérance et d’obscurité de la conscience, qui ne supporte plus le temps et dans l’instant manque de repère.

 

          « Et à la neuvième heure, Jésus cria d’une voix forte :« Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Voici l’heure de la prière du soir et de l’accomplissement de la Parole, comme une entrée dans la nuit de Dieu, non celle de Noël et de l’incarnation, ni celle de la fuite en Égypte, ni celle de la solitude de l’homme qui a abandonné Dieu et doit fuir le jardin, cette nuit de la trahison qui nous laisse face à nous-mêmes et à nos actes, cette nuit terrible où même Dieu nous manque, Celui que nous avions pourtant rejeté par nos péchés et nos tiédeurs, Celui que nous n’avons pas su écouter à l’heure de notre onction. Cette nuit, comme le désert de l’homme, qui impose une intériorité plus forte pour laisser Dieu nous parler, où la prière devient supplication et demande d’intercession pour qu’Il manifeste sa gloire.

 

            « Voilà qu’Il appelle le prophète Élie ! », réflexion de ceux qui ignorent les prières juives et ne parlent pas hébreu, ils ne reconnaissent même pas le psaume 22, qui pourtant révèle l’aspect prophétique de la mort de Jésus par l’image d’Élie. Le char de feu deviendra le tombeau vide où la gloire de Dieu sera manifestée pour toujours. « Mais Jésus poussant un grand cri expira » la prière est devenu le cri de l’homme et le cri de Dieu, l’alliance est scellée par le signe de la croix, voici la promesse d’un nouveau Salut accordé par la résurrection du Christ. Vraiment rien n’est impossible à Dieu.

11  Profession de foi et audace de l’attente

« Vraiment, cet homme était Fils de Dieu ! » l’exclamation du centurion, qui en a vu d’autres sur les champs de bataille et le service de la Rome impériale, réalise cette vocation du monde païen qui s’ouvre à la reconnaissance de la messianité du Christ. Il n’est pas seulement pour le peuple juif, mais le peuple élu devient celui des quatre horizons de la terre. Le Salut promis est offert à tous, offert et non imposé car le Salut est toujours une offrande de Dieu à l’homme qui, dans sa liberté de fils de Dieu, doit répondre oui à l’héritage proposé, et non le gaspiller en dehors de la maison du Père. L’offrande du soir est cette alliance nouvelle où les étoiles du ciel, par analogie, représentent ce monde des croyants qui luit dans la nuit. C’est une direction à suivre pour arriver au matin de Pâques et à la lumière éblouissante d’une nouvelle espérance.

 

« Il y avait aussi des femmes, qui observaient de loin, et parmi elles, Marie Madeleine, Marie, mère de Jacques le Petit et de José, et Salomé, et encore beaucoup d’autres, qui étaient montées avec lui à Jérusalem. » Les femmes, sont présentes à l’ensevelissement du corps, comme l’aide à une nouvelle naissance dans l’au-delà. Elles repèrent l’endroit pour le préparer lorsque viendra le règne de Dieu sans comprendre que le Christ a une histoire unique et véritable. Certes elles ont bien compris, comme beaucoup, que c’était un homme de grande valeur et d’une sagesse encore à découvrir, mais ne s’attendaient pas à la manifestation de Dieu qui a vaincu la mort et le péché, pour redonner à l’humanité cette liberté originelle grâce au Salut. La nouvelle alliance, dont le signe visible est la croix et la résurrection, est scellée par la confiance qu’il nous faut mettre en Celui qui peut tout pour nous. Les femmes observent encore l’endroit où on l’avait mis, pour se hâter dès le petit matin afin d’embaumer le corps et se retrouver face au mystère de Dieu.

 

« Joseph d’Arimathie intervint. Il eut l’audace d’aller chez Pilate », l’audace de s’affranchir de la loi pour faire quelque chose de juste, c’est-à-dire ensevelir Jésus avec dignité, et non dans la fosse commune qui servait de garde à manger aux chiens errants. « Pilate s’étonna qu’il soit déjà mort », un étonnement compréhensible pour des crucifiés qui pouvaient crier pendant plusieurs jours. Un étonnement de la rapidité d’une mort imprévue, comme un coup de tonnerre dans un engrenage bien huilé.

 

 

2 avril 2021 – Père Greg – Curé

Saint Charles Borromée – Joinville-le-Pont

 

 

 

[1] L’amour dans le don total de soi comme offrande agréable à Dieu par la consommation de tout son être.

[i] Baudouin de For, Homélie sur le Cantique des cantiques in article Amour

[ii] Saint Léon le Grand, office des lectures du Vendredi Saint

[iii] Jn 4, 41

[iv] Jn 3,19

[v] Jn 3,15

[vi] Jn 18,14b

[vii] &88 Fratelli Tutti

[viii] Ap 7,16-17

[ix] Mc 1,32

[x] Mc 6,50

[xi] Ps 12,2

[xii] Mt 5,4

[xiii] cf. He 5, 5-10

[xiv] cf. 1 Jn 2, 2; 4, 10

[xv] cf. He 8-9

[xvi] &23 Sacramentum Caritatis

[xvii] &11 Ecclesia de Eucharistia

[xviii] &10 Sacramentum Caritatis

[xix] &27 Sacramentum Caritatis

[xx] Rm 12, 1; cf. Ph 3, 3

[xxi] Encycl. Veritatis Splendor (6 août 1993), n. 107: AAS 85 (1993), pp. 1216-1217; La Documentation catholique 90 (1993), p. 937.

[xxii] &82 Sacramentum Caritatis

[xxiii] &88 Sacramentum Caritatis

[xxiv] TDC 19 – catéchèse du 20 février 1980

[xxv] TDC 22 catéchèse du 26 mars 1980

[xxvi] TDC 68 du 16 décembre 1981 – note

[xxvii] Bruno Saintot – Directeur centre sevres, département bioéthique, article sur l’euthanasie avril 2021