Lettre du Jeudi Saint

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            « Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout. » L’absolu de l’amour est l’offrande de sa vie pour nos frères, comme Jésus nous l’a montré, parce qu’il n’y a rien au-dessus de l’amour. La vérité de l’amour nous entraîne dans l’éternité de Dieu et, en même temps, nous fait vivre cette communion intense où la volonté du Père s’accorde avec ma libre acceptation. Nous devons alors vivre l’ajustement tant désiré pour Le louer, Le bénir et vivre de Lui dans le partage de la relation trinitaire et d’une Parole qui se donne et nous construit pour la liberté de l’amour. Aimer jusqu’au bout, c’est vivre cette liberté du partage de notre vie au nom même de la vérité de la relation. C’est ainsi que le mal est vaincu une fois pour toutes par cette puissance dynamique de l’amour. À travers l’offrande de sa vie, le Christ ouvre nos consciences à venir contempler son œuvre et nous conformer à la vie en Dieu, car l’Esprit Saint est là pour nous guider chaque jour, pas après pas vers cette vie de communion. C’est un apprentissage permanent de la fidélité, source de liberté véritable pour accéder au développement de l’homme dans son intégralité. Tout notre être, poussé par l’amour, retrouve sa vraie nature dans la réunification de notre humaine image de Dieu. Or le Christ récapitule notre vocation humaine en Se donnant lui-même en sacrifice. Celui-ci commence comme un service par le lavement des pieds, se continue par les croix à porter, afin de vivre un temps de résurrection, c’est-à-dire de communion éternelle avec Dieu, promesse même du Salut.

1     Le service, lieu de fécondité
            Aimer jusqu’au bout demande de se mettre au service, c’est-à-dire vivre la relation sur le mode de l’humilité afin de porter un fruit qui demeure. La civilisation de l’amour est d’abord  au service des frères, dans la liberté de nos choix portés par le bien commun et ajustés à la Parole, tout en restant attentifs à être artisans de paix, c’est-à-dire soucieux de l’ajustement au frère. Un service déséquilibré peut être une atteinte à l’autonomie du frère ou empêcher la croissance du frère. La juste place du service est d’être une proposition sans jamais vouloir s’imposer ou s’immiscer : être seulement là, dans les tâches quotidiennes et pourtant vitales du prendre soin de l’autre. Le lavement des pieds, pour des voyageurs pédestres, est une nécessité pour reposer son corps et permettre à l’âme d’être disponible à la relation. Car c’est de cela qu’il s’agit, d’aider à vivre sans réserve la relation, pour construire une nouvelle humanité où chacun se sait frère d’un même Père. Une écologie intégrale pour un développement plénier de toute notre personne, en interaction avec nos frères, et donc l’établissement d’une société où le service est l’expression d’une évolution constructive. « Une écologie intégrale implique de consacrer un peu de temps à retrouver l’harmonie sereine avec la création, à réfléchir sur notre style de vie et sur nos idéaux, à contempler le créateur, qui vit parmi nous et dans ce qui nous entoure, dont la présence “ne doit pas être fabriquée, mais découverte, dévoilée” »[i]. Or le service est lieu de révélation de Dieu pour chacun d’entre nous et de disponibilité à l’autre dans une relation qui, peu à peu, s’établit en vérité de ce que nous vivons. Le service comme lieu de présence est à comprendre comme lieu d’échange en profondeur où s’expriment parfois des choses inattendues que parfois la personne n’a pas su dire dans d’autres occasions.

 

Cette proximité dans le service est lieu d’accomplissement d’un chemin d’humanité qui éclaire la vie de sens et ouvre à la dimension vers Dieu. Les ordres hospitaliers, que ce soit saint Camille ou saint Jean de Dieu, ont compris que dans le service des souffrants ils accomplissaient l’œuvre du Christ d’une manière significative. Ils donnent un sens à l’homme, qui reconnaît la dignité du frère, et l’ouvrent à l’émerveillement de la rencontre avec Dieu à travers la charité du prochain. L’appel au service à l’exemple du Christ est l’occasion de renouveler nos relations à travers la gratuité de l’amour en restant disponibles à chacun. « L’exemple de sainte Thérèse de Lisieux nous invite à pratiquer la petite voie de l’amour, à ne pas perdre l’occasion d’un mot aimable, d’un sourire, de n’importe quel petit geste qui sème paix et amitié. Une écologie intégrale est aussi faite de simples gestes quotidiens par lesquels nous rompons la logique de la violence, de l’exploitation, de l’égoïsme. »[ii] Or les disciples du Christ doivent comprendre que l’autorité de l’évangile se vit d’abord et avant tout dans le service et la disponibilité aux fragilités du prochain. Le vivre jusqu’au bout implique cette volonté de l’absolu de l’amour qui est premier, et n’est pas conditionné par une réponse. L’amour se donne dans sa radicalité première, comme à l’image de Dieu. Ce don de l’amour, pour être pleinement fécond dans la relation, doit être partagé et porter d’autant plus de fruit, mais donner l’amour et le partager avec son prochain est premier.

 

Le service de l’évangile est bien l’annonce de notre foi, même si parfois nous avons l’impression de nager à contre-courant, qu’il y a des incompréhensions qui demeurent ou une volonté de non-écoute de la Parole de Dieu. Pourtant le serviteur, loin de se comporter en propriétaire, continue son service de l’annonce pour le bien de tout le peuple. L’Esprit Saint nous accompagne dans ce témoignage pour nous donner la force d’aller jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’au don de notre vie. Aimer jusqu’au bout est une grâce pour chacun d’entre nous d’entrer en union avec Dieu et en communion avec nos frères, une grâce de l’ajustement de toute notre personne dans cette écologie intégrale à travers toutes les interactions. Notre humanité sera renouvelée intégralement dans l’unification de tout notre être dans une même fidélité à l’amour de Dieu et au service du prochain. C’est une liberté responsable parce que nous sommes acteur du service et qu’en même temps nous œuvrons ensemble pour la civilisation de l’amour. « La vision chrétienne a la particularité d’affirmer et de justifier la valeur inconditionnelle de la personne humaine et le sens de sa croissance. La vocation chrétienne au développement aide à poursuivre la promotion de tous les hommes et de tout l’homme. »[iii] Lorsque Jésus lave les pieds de ses disciples, il les aide à comprendre le service comme lieu de liberté dans la relation à l’autre et d’exercice de l’autorité dans l’humilité. On ne s’impose pas à l’autre, mais on lui propose le chemin de vie qu’est le Christ, car son autorité dans notre vie transforme tous nos actes pour les orienter vers la grande espérance du Salut. Entre l’amour des siens et l’amour jusqu’au bout, il y a l’espace du don sincère de nous-mêmes c’est-à-dire la réalisation de notre appel à la ressemblance de Dieu. « La vocation est un appel qui réclame une réponse libre et responsable. Le développement humain intégral suppose la liberté responsable de la personne. »[iv]

2     La présence de Dieu, lieu d’humanité
La lumière de la présence de Dieu dans notre vie brille et illumine notre connaissance de la foi, c’est-à-dire de la confiance en Dieu, chassant les ténèbres du péché et de la tentation de vivre à l’écart de Dieu, refusant de Le rencontrer sur le chemin. Cette lumière de l’amour de Dieu vient éclairer l’humanité d’un Salut éternel à travers la nouvelle alliance irrévocable. L’homme retrouve ainsi sa vocation première d’image de Dieu, car pardonné du péché originel et appelé à vivre l’amour dans sa radicalité la plus profonde, c’est-à-dire jusqu’au don de sa vie. Le Christ nous conduit sur ce chemin de liberté de l’amour qui demande un choix de notre part et, en même temps, un engagement dans la fidélité de l’amour de Dieu toujours premier. « Agneau innocent, par son sang librement répandu, il nous a mérité la vie ; et, en lui, Dieu nous a réconciliés avec lui-même et entre nous[v] nous arrachant à l’esclavage du diable et du péché. »[vi] Aimer jusqu’au bout implique alors un don total, accepter d’être offert en sacrifice, ce que font les martyrs, en ne préférant que les biens du ciel et recherchant la justice de Dieu comme seul lieu d’équilibre. Ils répondent à cet appel du Christ pour chacun de nous : « souviens-toi non seulement de tout ce que j’ai fait pour toi, mais encore de ce que j’ai supporté de ta part, en fait de peine et de mépris. Et vois si tu n’es pas injuste à mon égard en ne m’aimant pas. Qui en effet t’a aimé comme moi ? Qui t’a créé sinon moi ? Qui t’a racheté, sinon moi ? »[vii] L’absolu de l’amour à un visage, mais aussi une réalité qui passe par la mort sur la croix, avant de manifester l’œuvre de Dieu, de manière tout aussi radicale, par la résurrection.

 

Ce que Jésus a promis, il l’a réalisé dans la résurrection, fait unique dans notre histoire, pour nous amener à l’alliance nouvelle et refonder notre espérance sur la promesse du Salut. « L’espérance encourage la raison et lui donne la force d’orienter la volonté[viii]. Elle est déjà présente dans la foi qui la suscite. La charité dans la vérité s’en nourrit et, en même temps, la manifeste. … Le don par sa nature surpasse le mérite, sa règle est la surabondance. Il nous précède dans notre âme elle-même comme le signe de la présence de Dieu en nous et de son attente à notre égard. »[ix] Faut-il le répéter, nous ne sommes pas sans espérance, car le Christ dans le service du lavement des pieds nous rappelle l’absolue nécessité de prendre soin de nos frères et d’être attentifs à tous les aspects de leur vie. C’est chemin faisant, et en les écoutant, que nous pouvons enseigner les Écritures et leur annoncer la Bonne Nouvelle. Toujours dans le respect de leur liberté de connaître Dieu, nous devons être attentifs à saisir les occasions d’annoncer l’évangile avec force dans la foi et douceur dans la relation. L’autorité de l’évangile n’admet pas les compromissions, mais rappelle l’amour comme lieu de réalisation de la providence divine, cet amour qui se décline pour ceux qui ont autorité à travers le service et le souci du frère. « Nous devons manifester un amour plus fort pour une liberté qui ne soit pas arbitraire, mais vraiment humanisée par la reconnaissance du bien qui la précède. Dans ce but, il faut que l’homme rentre en lui-même pour reconnaître les normes fondamentales de la loi morale que Dieu a inscrite dans son cœur. »[x] Pour cela, il faut des témoins. Or le premier témoignage que nous donne le Christ est de se mettre au service de chacun afin de lui révéler sa part d’humanité propre. Commencer le repas pascal par le lavement des pieds est un témoignage de disponibilité qu’il faut garder encore aujourd’hui. Le signe de l’humble présence par les tâches quotidiennes, pourtant importantes, introduit la nouvelle alliance et celle-ci s’éclaire par le lavement des pieds. « La foi authentique dans le Fils de Dieu fait chair est inséparable du don de soi, de l’appartenance à la communauté, du service, de la réconciliation avec la chair des autres. Dans son incarnation, le Fils de Dieu nous a invités à la révolution de la tendresse. »[xi] Il nous faut revoir la question de nos relations les uns avec les autres, dans une dimension d’échange en vérité de tout notre être et la volonté de croître dans l’unité, même s’il faut reconnaître aussi les impasses et les voies sans issue. Réfléchir à une éthique du dialogue qui dans les différences d’opinion n’enlève jamais la relation fraternelle et le respect de la dignité humaine. Il nous faut accepter de ne pas être d’accord et pourtant de continuer de nous aimer. Aller à la rencontre fait vivre parfois des échecs, mais souvent occasionne d’autres possibles en se laissant bousculer.

3     La rencontre, lieu d’humilité
Être servi par le Christ réveille en nous l’espace d’une autre forme de rencontre qui, à travers l’humilité du Christ, demande l’humilité de notre cœur pour nous laisser aimer tels que nous sommes et non tels que nous voudrions être, c’est-à-dire nous laisser aimer en vérité, malgré toutes nos limites, mais aussi avec toutes nos forces. « L’homme contemporain écoute plus volontiers les témoins que les maîtres… ou s’il écoute les maîtres, c’est parce qu’ils sont des témoins”[xii]. Saint Pierre l’exprimait bien lorsqu’il évoquait le spectacle d’une vie pure et respectueuse, “gagnant sans paroles même ceux qui refusent de croire à la Parole”[xiii]. C’est donc par sa conduite, par sa vie, que l’Église évangélisera tout d’abord le monde, c’est-à-dire par son témoignage vécu de fidélité au Seigneur Jésus, de pauvreté et détachement, de liberté face aux pouvoirs de ce monde, en un mot, de sainteté. »[xiv] Or le témoignage le plus authentique se vit à travers le service de la charité et la disponibilité de notre temps envers tous, quel que soit leur horizon. Le disciple du Christ est témoin de l’universalité de l’amour, c’est justement ce qui fait la force de son témoignage et incite à rendre grâce pour les hommes de bonne volonté et à la reconnaissance de l’humanité.

 

« Comprenez-vous ce que je viens de faire pour vous ? » La question du Christ est pour chacun d’entre nous, pour revoir notre lien d’autorité, pour comprendre que nous sommes d’abord frères. Cette fraternité ouvre à une relation particulière en dehors de l’esprit du monde, mais bien dans la veine de l’évangile. Car même dans la course folle des hommes de ce temps il y a bien, à un moment donné, une demande de sens. Or, dans le témoignage de notre foi, « le monde réclame et attend de nous simplicité de vie, esprit de prière, charité envers tous, spécialement envers les petits et les pauvres, obéissance et humilité, détachement de nous-mêmes et renoncement. Sans cette marque de sainteté, notre parole fera difficilement son chemin dans le cœur de l’homme de ce temps. Elle risque d’être vaine et inféconde. »[xv] Le Christ, le jeudi saint, nous enseigne par son attitude et ses gestes comment nous mettre au service de l’autorité de la Parole, en étant attentifs à chacun et dans un esprit d’humilité. C’est à partir de cette purification du service de la charité que nous pouvons entrer pleinement dans le sacrement de la charité qu’est l’eucharistie. Tournés vers nos frères, nous sommes à l’écoute de Dieu qui, le premier, se manifeste dans notre vie et nous donne la joie de sa présence. « Il ne faut pas perdre la capacité d’écoute. Saint François d’Assise a écouté la voix de Dieu, il a écouté la voix du pauvre, il a écouté la voix du malade, il a écouté la voix de la nature. Et il a transformé tout cela en un mode de vie »[xvi]. La fête du jeudi saint est l’écoute de Dieu dans la célébration de Pâques, promesse d’alliance pour une communion sincère qui s’inscrit dans l’histoire des hommes et, en même temps, se vit dans le service tel que le Christ le propose.

 

Le principe d’autorité se vit dans le service et l’attention à l’autre. C’est à cette condition que nous pouvons entrer alors dans la nouvelle alliance de l’offrande de la vie de Dieu en nous, lorsque nous savons être donnés à nos frères. C’est la règle d’or de l’eucharistie que d’être dans l’écoute de Dieu et du frère, pour discerner les signes et rendre gloire à Dieu pour tous ses bienfaits. L’action de grâce nous entraîne vers une vie intime plus profonde avec notre Seigneur et plus vraie avec nos frères. Un changement de regard pour voir en l’autre Dieu à l’œuvre et, dans notre vie, une manifestation authentique de son amour. C’est ce qui nous pousse à une transformation de nos relations à l’autre à travers la bienveillance, comme lieu de dynamisme dans la rencontre. « Cultiver la bienveillance n’est pas un détail mineur ni une attitude superficielle ou bourgeoise. Puisqu’elle suppose valorisation et respect, elle transfigure profondément le mode de vie, les relations sociales et la façon de débattre et de confronter les idées, lorsqu’elle devient culture dans une société. Elle facilite la recherche du consensus et ouvre des chemins là où l’exaspération détruit tout pont. »[xvii] Voir en l’autre d’abord une merveille de Dieu avant de s’attacher à ses actes, c’est reconnaître le dessein merveilleux du Créateur pour chacun de nous et, en vérité regarder, nos propres responsabilités pour nous ajuster sans cesse à sa volonté. Cela demande une liberté responsable, c’est-à-dire qui œuvre pour la dignité de l’homme dans toutes ses dimensions.

4     L’eucharistie lieu de charité
Le sacrement de la charité, l’eucharistie, ne se comprend qu’à travers cette nouvelle alliance du Salut et cet appel à la communion. D’ailleurs, la passion et la résurrection ne se comprennent que par cet appel de la communion dans le service du jeudi saint. En effet « le Fils de Dieu m’a aimé et il s’est livré lui-même pour moi »[xviii]. En souffrant pour nous, il ne nous a pas simplement donné l’exemple, afin que nous marchions sur ses pas[xix] mais il a ouvert une route nouvelle : si nous la suivons, la vie et la mort deviennent saintes et acquièrent un sens nouveau. »[xx] Or pour nourrir ce chemin d’humanité à la lueur de l’évangile et du souffle de l’Esprit, nous sommes invités à vivre la communion afin de nous fortifier dans la foi, consolider notre amour et conforter notre espérance. Car l’amour jusqu’au bout est l’autre nom du don absolu. Le jeudi saint, fête de l’eucharistie par excellence, commémorant la première d’une manière prophétique en attendant la mort et la résurrection du Christ pour lui donner toute son ampleur, révèle cette offrande de l’amour qui va jusqu’au bout du don et nous révèle ce que veut dire le mot aimer. « Éprouver de l’affection pour quelque chose, c’est l’aimer. Ainsi donc, toute inclination de la volonté » et même du désir des sens « tient son origine de l’amour. »[xxi] Il nous faut bien comprendre que la volonté est une des ressources de l’amour pour être fidèle dans le temps, et constant, pour être vraiment libre.

L’eucharistie est ce lieu où la volonté se nourrit de la grâce pour continuer son chemin de croissance dans la communion avec Dieu et la relation fraternelle avec son prochain. C’est de là que nous puisons nos forces pour être témoins d’un Dieu vivant en nous et au milieu de nous. Certes nous pouvons avoir des émotions qui nous poussent à aimer et à servir nos frères, mais l’amour demande finalement la volonté et une meilleure connaissance de l’autre, pour passer des sens extérieurs à une expérience intime mue par une volonté personnelle et dont nous faisons mémoire. Tout ce qui fait sens en nous, et qui procède des valeurs morales dont la personne est le sujet, est lié à cette volonté d’aimer en vérité, et non dans le sentiment de vouloir aimer, ou l’exécution d’un droit plus ou moins normé. Le Christ sait que Judas va le livrer, il connaît sa fin tragique dans la crucifixion mais, dans le lavement des pieds, Il révèle sa haute mission messianique de venir sauver tous les hommes, non en s’imposant mais dans la libre acceptation de sa présence, pour purifier tout l’être.

 

            Au service de l’homme, Jésus s’offre comme nourriture, afin de nous fortifier. « Dans le pain et le vin, sous les apparences desquelles le Christ se donne à nous à l’occasion du repas pascal[xxii], c’est la vie divine tout entière qui nous rejoint et qui participe à nous sous la forme du sacrement. »[xxiii] L’absolu de l’amour passe par la vie sacramentelle pour nous soutenir sur notre chemin d’humanité. Vivre la messe, et y participer, demande un esprit de prière, en même temps qu’une disponibilité à la grâce pour accueillir l’inattendu de Dieu. Cela demande d’être comme un enfant, attentif à tout ce qu’il se passe, avec naturel et intérêt particulier afin de laisser croître en nous la vie de Dieu. Être comme un enfant, c’est ne pas se poser de question ni attendre son intérêt, mais s’ouvrir à ce qui se présente et avoir cette joie innocente de L’accueillir avant de réfléchir ou d’échafauder une stratégie. Par l’eucharistie, Dieu se donne et la vie de l’Esprit nous fait expérimenter ce don dans tous les aspects de notre quotidien. Le mystère du Verbe incarné, dans le dessein d’amour du Père, s’actualise par les dons que l’Esprit continue de nous donner lorsque nous recherchons la communion avec Dieu. « C’est dans le Christ mort et ressuscité et dans l’effusion de l’Esprit Saint, donné sans compter[xxiv], que nous sommes rendus participants de l’intimité divine. »[xxv] La sainte Cène est en même temps communion au corps et au sang du Christ, et lavement des pieds c’est-à-dire que le sacrement de la charité nous ouvre au service de la charité. Le don de Dieu se vit à travers le don sincère de nous-mêmes à travers la relation fraternelle et la relation divine.

5     Conclusion
L’invitation du Christ à partager son corps et son sang, c’est-à-dire cette réalité de la vie spirituelle dans notre quotidien, est en même temps une invitation à nous laisser transformer par sa présence et à réaliser la force de nos réunions communautaires comme lieu de complémentarité avec cette richesse de toutes nos personnalités. « Il est quand même possible de partir d’un fait pour que la Parole puisse résonner avec force dans son invitation à la conversion, à l’adoration, à des attitudes concrètes de fraternité et de service, etc., puisque certaines personnes aiment parfois entendre dans la prédication des commentaires sur la réalité, mais sans pour cela se laisser interpeller personnellement. »[xxvi] Il n’y a pas de témoignage, si nous-mêmes ne sommes pas dans une dynamique de conversion, et si nous ne nous laissons pas interroger par la Parole. La méditation de la Parole n’est pas de l’ordre du possible, mais doit être de l’ordre du nécessaire. Trop souvent nous écoutons d’une oreille distraite, sans trop nous sentir concernés, pire encore sans vouloir bouger, sûrs de notre bon droit ou de la bonne méthode pour vivre sa foi dans un certain confort qui ne nous bouscule pas mais nous laisse dans une tiédeur de la pratique. « Autour du mystère eucharistique naît ainsi le service de la charité vis-à-vis du prochain, qui « consiste précisément dans le fait que j’aime aussi, en Dieu et avec Dieu, la personne que je n’apprécie pas ou que je ne connais même pas. Cela ne peut se réaliser qu’à partir de la rencontre intime avec Dieu, une rencontre qui est devenue communion de volonté pour aller jusqu’à toucher le sentiment. J’apprends alors à regarder cette autre personne non plus seulement avec mes yeux et mes sentiments, mais selon la perspective de Jésus Christ ».[xxvii] Qu’à travers cette expérience du service et de la communion, nous sachions nous configurer à l’amour du Christ qui va jusqu’au bout, c’est-à-dire dans la réalisation de sa vocation propre, et qui nous interroge sur notre propre vocation d’images de Dieu appelées à la ressemblance .

 

1er avril 2021 – Père Greg – Curé

Saint Charles Borromée – Joinville-le-Pont

 

 

[i] &225 Laudato Si, citant &71  Evangelii Gaudium
[ii] &230 Laudato Si
[iii] &18 Amour dans la vérité
[iv] &17 Amour dans la vérité
[v] Cf. 2 Co 5, 18-19 ; Col 1, 20-22.
[vi] &22/3 Gaudium et Spes
[vii] Baudouin de Ford, homélie sur le cantique des cantiques article Amour p 67 dictionnaires des pères de l’Eglise
[viii] Cfr. ibid., n. 23: loc. cit., 1004-1005. DC 105 (2008) pp. 24-25.
[ix] &34 Amour dans la vérité
[x] &68 Amour dans la vérité
[xi] &88 Evangelii Gaudium
[xii] Allocution aux membres du Conseil des Laïcs (2 octobre 1974) : AAS 66 (1974), p. 568
[xiii] Cf. 1 P 3, 1.
[xiv] &41 Evangelii Nuntiandi
[xv] &76 Evangelii Nuntiandi
[xvi] &48 Fratelli Tutti
[xvii] &224 Fratelli Tutti
[xviii] Ga 2, 20
[xix] Cf. 1 P 2, 21 ; Mt 16, 24 ; Lc 14, 27.
[xx] &22/3 Gaudium et Spes.
[xxi] P 590 la voie de l’amour citant Thomas d’Aquin
[xxii] cf. Lc 22, 14-20; 1 Co 11, 23-26
[xxiii] &8 Sacramentum Caritatis
[xxiv] cf. Jn 3, 34
[xxv] &8 Sacramentum Caritatis
[xxvi] &155 Evangelii Gaudium
[xxvii] &88 Sacramentum Caritatis citant &18  Dieu est amour