2020. Septembre. La fraternité 1/2

« Or nous, ce n’est pas l’esprit du monde que nous avons reçu, mais l’Esprit qui vient de Dieu »

Dans une année, nous avons plusieurs rentrées, celle de l’année civile, qui correspond pour lesentreprises à faire les comptes, aux impôts et autres taxes à fixer les nouvelles règles. La nouvelle année,est lancée sur l’air économique. A chaque élection présidentielle, vient une rentrée politique, où de nouveaux axes sont fixés, pour mettre en forme les points forts du projet, délaissant souvent les autres promesses et dans un agenda rythmé par les élections successives. Il y a la rentrée scolaire, avec un nouveau rythme dans le travail professionnel, mais aussi éducatif et social, le sas des vacances a redonnéun nouveau souffle pour de nouvelles activités, et la rentrée liturgique, ou avec l’avent nous redécouvronsJésus à travers la catéchèse évangélique.

Comme nous le proposions l’année dernière, et un peu bousculés par la pandémie, peut-être pourrions-nous approfondir la fraternité comme lieu de rencontre et de réalisation de la civilisation del’amour, même si j’ai conscience que l’écrire, c’est plus facile que de le vivre. « L’amour inépuisable duPère commun nous est communiqué, en Jésus, à travers aussi la présence du frère. »1 C’est pourquoi ilnous faut comprendre concrètement ce qu’est “mettre la civilisation de l’amour dans l’aujourd’hui denotre vie”. Une présence du Christ rédempteur qui nous met en route et en même temps nous prépare à être responsables de nos choix. « Le chemin de la sainteté est une source de paix et de joie que nous offrel’Esprit, mais en même temps Il demande que nous soyons avec « les lampes allumées »2 et que nous restions attentifs : « Gardez-vous de toute espèce de mal »3. »4 Nous savons bien que nous ne sommes pas seuls et que l’Esprit Saint vient au secours de notre faiblesse pour nous donner les dons nécessaires au salut. La grâce qui nous fait bâtir sur le roc5, recherchant la Parole comme lieu de rencontre, la prièrecomme dialogue incessant et contemplation de l’œuvre de Dieu et le service de la charité pour êtreresponsable de son frère. En même temps, la Parole de Dieu nous invite à combattre le Tentateur, pourfaire toujours le choix de l’alliance avec Dieu et de la confiance en son projet d’amour.

0.1 La proximité dans la relation

Renforcer la fraternité, dans un service de la proximité où nous sommes attentifs à ceux qui nous sont proches, demande aussi de rétablir le lien auprès de ceux qui nous entourent et sont restés étrangers. « La foi amène le croyant à voir dans l’autre un frère à soutenir et à aimer. »6 Rien ne sert de courir aux périphéries si nous vidons le centre et affaiblissons ainsi le sens de l’évangile. Cette proximitéauprès de tous ceux qui nous entourent doit demander une ingéniosité dans la pastorale et une ouverture dans la gratuité du don afin de nous rendre disponibles aux demandes, et ainsi rétablir le lien social. « Lecroyant est appelé à exprimer cette fraternité humaine, en sauvegardant la création et tout l’univers et ensoutenant chaque personne, spécialement celles qui sont le plus dans le besoin et les plus pauvres. »7 Laproximité demande l’attention à ce qui nous entoure et d’essayer d’établir les liens afin de fairecommunauté.

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La relation amène à la connaissance de l’autre et à son accueil dans notre vie, nous faisant ainsi découvrir la communion. Nous sommes alors conduits dans une même conquête, à la recherche del’alliance à rétablir, perdue par le péché originel mais retrouvée grâce à la résurrection de notre Sauveur. Ensemble, nous pouvons marcher vers la grande aventure de l’espérance du Salut. Entrer au service du frère par cette relation, c’est vivre le service de la charité dans la joie de la rencontre. Le sens de la foi estde reconnaître chacun comme son frère et, comme fils de Dieu, l’inviter à entrer dans la civilisation de l’amour. « La foi nous enseigne à voir que dans chaque homme il y a une bénédiction pour moi, que lalumière du visage de Dieu m’illumine à travers le visage du frère. »8 Certes cela demande notre propre conversion, pour nous laisser façonner par la Parole de vie, mais cette transformation est aussi untémoignage, dans la maturation de l’amour, en d’autres termes, cette transformation est attractive, parceque Dieu rayonne ainsi dans l’amour porté. En accomplissant la volonté de Dieu, nous rayonnons de sa lumière et notre frère laisse transparaître cette lumière lorsque lui-même laisse Dieu à l’œuvre dans savie.

Vivre l’Evangile chaque jour demande de lire la Parole et de la méditer, puis de faire silence pour l’écouter vibrer à l’intérieur de nous et nous envoyer auprès de nos frères pour l’annoncer, et s’en remettre à Dieu en toute chose, jusqu’à parcourir les routes du monde et proclamer que le Sauveur est présent parmi nous. « Au fil de l’histoire du Salut, l’homme découvre que Dieu veut faire participer tous, en tant quefrères, à l’unique bénédiction, qui atteint sa plénitude en Jésus, afin que tous ne fassent qu’un. »9Accompagner le frère dans son humanité, c’est lui laisser découvrir le trésor de sa vocation d’image de Dieu, et l’accompagner sur la route de la foi en partageant avec lui les Ecritures, comme lumière sur laroute, feu dévorant dans le cœur, présence en nous-même. Il nous faut instruire par la Parole, et prévenirpar nos choix de vie afin d’avertir du sens premier de l’amour comme don sincère de soi-même. La Parole de Dieu, vécue dans nos choix de vie, est un avertissement à ceux qui refusent la civilisation de l’amour, que rien n’est possible en dehors, sinon le néant.

0.2 La proximité de l’autre au souffle de l’Esprit

Si l’incarnation du Christ Sauveur nous a permis un déplacement dans
la fraternité, pour comprendre la loi comme lieu de l’amour et le frère appelé au Salut, la vie dans l’Esprit nous donne une connaissance de l’autre en profondeur par une vie intérieure qui nous ouvre aux réalitésextérieures. L’Esprit nous conduit alors avec audace à témoigner de la joie de l’Evangile. Dès lespremières communautés chrétiennes, l’autre est perçu comme un frère, et non un étranger, et il est invitéà partager la joie de la présence de Jésus au milieu de nous. « Le Verbe, “premier-né de toute créature”, devient “l’aîné d’une multitude de frères”10 et il devient ainsi la tête du corps qu’est l’Eglise, laquelle naîtra de la Croix et sera manifestée le jour de la Pentecôte »11 La manifestation des dons de l’Esprit renforce notre fraternité dans la complémentarité de l’action de Dieu dans notre vie. Parce que les dons permettent un partage, et donc une reconnaissance du lien qui existe entre chacun d’entre nous. Ce n’est pas des mots,ni une idée, mais une reconnaissance, grâce aux charismes des richesses de chacun et de sa place au seinmême de la famille des croyants. Cette nouvelle proximité, par grâce de l’Esprit Saint est une reconnaissance de l’œuvre de Dieu en chacun et en même temps l’accueil de l’inattendu de Dieu dansnotre vie, à travers l’autre. Le discernement est justement là pour purifier nos attentes et ajuster nos donsafin de les exercer toujours au service et non en possession, les exercer en gratuité, et non en pouvoir de rétribution. Enfant de Dieu, nous sommes animés par l’Esprit Saint et reconnaissons en chacun l’œuvre de Dieu. Merveilleuse reconnaissance d’une fraternité, où la grâce nous unit dans l’œuvre de l’Esprit Saintet notre vie nouvelle en Dieu est communion avec toute sa création.

Certes nous avons à progresser dans cette reconnaissance de fraternité, et tout n’est pas parfait loin s’en faut. Nos propres limites, et celles des autres, les divergences observées sur des points d’attachequi apparaissent finalement bien vains, montre qu’il nous faut toujours cheminer dans la vérité de l’amour pour accueillir la richesse de l’altérité, non comme un obstacle insurmontable, mais bien une féconditévivifiante qui révèle un dynamisme créatif extraordinaire. Et l’une des approches que nous pouvons avoiren Eglise, c’est par la célébration eucharistique et la communion. « Par l’Eucharistie, les personnes et les communautés, sous l’action du Paraclet-Consolateur, apprennent à découvrir le sens divin de la vie humaine, rappelé par le Concile, sens selon lequel Jésus Christ “révèle pleinement l’homme à l’homme”,

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en suggérant “une certaine ressemblance entre l’union des Personnes divines et celle des fils de Dieu dans la vérité et dans l’amour”12. Une telle union s’exprime et se réalise d’une façon particulière par l’Eucharistie où l’homme, participant au sacrifice de la Croix,…. apprend à «se trouver par le don de lui- même» dans la communion avec Dieu et avec les autres hommes, ses frères. » 13 En effet la vie dans l’Esprit et l’expérience authentique d’une vie fraternelle demandent un certain dépouillement, d’une part, et la confrontation aux réalités de l’autre, d’autre part. Justement la communion avec Jésus nous aide à réajusternotre vie à la volonté de Dieu et nous introduit aux conversions nécessaires. Derrière la croix il y a toujours la résurrection, ne l’oublions pas, c’est-à-dire l’espérance du Salut, qui concrètement se vit dans un relationnel renouvelé avec les autres, lorsque Dieu est présent. Quel en est le signe ? La joie de se retrouveret de prier ensemble, de travailler pour un même projet, chacun selon ses propres talents, d’arriver à toute heure pour travailler à la vigne de Dieu et de recevoir un même accueil pour l’annonce du Royaume. Ilnous faut retrouver cette même joie dans la communauté paroissiale pour nous accueillir pleinement dansnos différences, et en même temps travailler ensemble à l’avènement de la civilisation de l’amour.

Mais dans ces temps de grandes fragilités sociales multi contextuelles, il faut bien comprendre que la réalité fraternelle doit se témoigner auprès de tous dans notre implication à révéler la recherche del’amour, la valeur de ce qui embellit la vie et la dignité humaine et la recherche du meilleur bien pourchacun et pour tous. Car la vraie fraternité n’est ni un égalitarisme dévastateur, ni un individualismepervers ou encore un accaparement du bien des autres. La loi D.A.L.O. et son implication sur lessquatteurs montre les limites d’une telle société, plus sûre de ses droits que de ses devoirs et du respectde la propriété individuelle. La recherche du profond respect de la dignité humaine, demande alors d’êtreattentifs à tous les enjeux, notamment sur la vie afin de témoigner toujours du respect de chacun, et notamment de ceux qui vivent des situations de pauvretés, tant affective que culturelle, familiale, sociale ou économique, et des laissés pour compte. « C’est aussi dans les conditions ordinaires de la société que les chrétiens, témoins de l’authentique dignité de l’homme, par leur obéissance à l’Esprit Saint, contribuent de bien des manières au “renouvellement de la face de la terre”: ils collaborent avec leurs frères pour réaliser et mettre en valeur tout ce qui est bon, noble et beau dans le progrès actuel de la civilisation, de la culture, de la science, de la technique et des autres secteurs de la pensée et de l’activité humaine14. »15 Les Pères fondateurs de l’Europe ont œuvré, au sein de leur foi, pour affirmer la nécessité de mettre en commun pour une vision plus large de fraternité qui éviterait les guerres et les tentations de rivalité. Et, avouons-le, pour les anciens belligérants, cela a plutôt bien marché. Certes il ne s’agit pas de refonder l’Europe à Joinville-le-Pont, mais c’est une invitation dans la vie de la cité, tant au niveaupolitique qu’associatif ou économique, à être des témoins de la présence de Jésus en nous. Cela demanded’être en contradiction avec l’esprit du monde sur certains points, mais aussi de reconnaître, en ce dieuinconnu, l’esquisse d’une connaissance du vrai Dieu en Jésus et d’un changement de regard sur l’autre. Plus qu’un programme d’année, c’est toute notre vie qui doit être au service de la cité
afin de continuer d’annoncer la joie de croire selon les motions de l’Esprit Saint.

1 Le frère est une vocation à la joie

Certes l’affirmation que le frère est une vocation à la joie n’apparaît pas
immédiatement, et pour mieux nous en convaincre, le récit biblique raconte la première relation fraternelle. Cela se retrouve soit dans le couple, sous l’angle du péché, soit dans les enfants, sous l’anglede la jalousie, et dans les deux cas témoigne du refus de l’altérité. Dieu aurait-il mis des frères sur la route pour nous tenter ou pour nous amener à trébucher ? Que nenni. L’appel de Dieu dès la création est un appel au bonheur, à voir ce qui est bon dans la création et, avec Lui, à se réjouir et rendre grâce pour toutes ses merveilles.

Alors il nous faut recentrer notre regard sur l’appel à la joie dans notre frère. Parce que l’amourest don et se vit dans la communion et non dans la fusion. Or pour être en communion il nous faut êtreplus que deux, et cela nous invite dans la richesse des personnalités à déceler l’invitation de Dieu à vivre la civilisation de l’amour sous l’angle du partage et du témoignage. Une même prière dans plusieurs langues, pour dire les bontés du Seigneur, un même bonheur dans la rencontre qui se déroule de plusieurs manières mais rappelle cette joie de la création et de sa fécondité. La joie du frère enrichit ma joie pour

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lui donner une dimension universelle. « Celui qui bénit au dehors en prêchant reçoit au-dedans accroissement de mets succulents ; et en ne cessant d’enivrer ses auditeur du vin de la parole, il est, par une multiplication du don reçu, enivré d’une joie grandissante »16 Le partage de la Parole de Dieu enrichit ma joie aux dimensions du salut. Plus je suis attentif à la joie de mon prochain et à sa diversité, plus jem’enracine dans la joie en Dieu et sa prolixité. La joie amène à toutes les audaces dans les rencontres,parce qu’elle est contagieuse et invite à l’échange. C’est par mon frère que je chemine sur la voie de la sainteté et que je contribue à cette civilisation de l’amour dont je suis citoyen par le baptême. Unengagement à construire une communion d’amour, de justice et de paix, à travers la recherche du meilleur bien, un peu différent de la conception du bien commun, car elle est le parfait ajustement à la Parole de Dieu. Le Christ nous accompagne sur ce chemin de joie et de fécondité dans la relation à l’autre, pourvivre le don sincère de soi-même et vivre notre responsabilité première en lien avec notre vocationd’enfants de Dieu.

La vocation à la joie dans la relation fraternelle est chemin de sainteté, là où se trouve la paix dansl’Esprit et la joie dans le Fils. Il s’agit d’être fidèle à l’appel de Dieu et de percevoir dans le souffle del’Esprit les possibilités d’une meilleure communion pour aider à reconnaître la richesse de Dieu à traversles manières d’expression des uns et des autres, et ainsi prendre conscience de la dignité de chacun. C’estun long chemin de conversion intérieure, de transformation de notre vie, d’écoute et d’accueil afin de nousrendre disponibles aux déplacements que cela nécessite .Oui c’est une joie, mais ce n’est pas une évidence. Les occasions de chute sont nombreuses, ainsi que les possibilités de rejet dans un possible qui peutenfermer. Nous pouvons oublier que notre frère est sujet de la civilisation de l’amour et en faire un objetde production dans une relation d’esclavage et de dépréciation de la relation humaine. Enfin notre frèrelui-même peut se conduire en conquérant sûr de sa violence, en mercenaire, ne cherchant que son intérêt, ou en enfant incapable de prendre ses responsabilités. La vocation à la joie lorsque je regarde mon frèreest d’abord et avant tout une dimension intérieure, vivifiée par ma relation au Christ et enracinée dans lavie de l’Esprit. C’est bien comme enfant d’un même Père que je suis amené à goûter cette joie de la relation fraternelle.

Notre style de vie et notre capacité à vivre la relation avec l’autre feront notre témoignage de la joie et, dans la façon de nous donner sincèrement, invitera à reconnaître la présence de Jésus au milieu denous. Recevoir la grâce de l’Esprit sur le chemin de l’amour demande de brûler de désir pour vivre lacommunion fraternelle et de partager la beauté et la joie de l’Evangile avec tous ceux qui sont assoiffésde sens. Dans certaines histoires que j’entends, je me demande où étions-nous, nous qui sommes témoins du Christ Sauveur ? Pourquoi personne n’a su communiquer à ce frère, à cette sœur, la grâce de larencontre avec Dieu ? Loin de vouloir culpabiliser, ou même de porter un jugement, c’est plutôt un appel à l’ouverture aux autres, sans naïveté, mais toujours dans la vérité du partage. Savons-nous que parfoisceux qui mendient aux portes de nos églises, attendent plus une parole et un regard qu’une pièce demonnaie ? Une rencontre bienveillante où ils se sentent reconnus comme des frères en humanité. La joiede la rencontre nous permet d’appréhender la relation sous un autre angle et de ne pas le voir commesuccès ou échec, dans un comptage vaniteux de nos capacités, mais comme une
recherche à toujours parfaire afin d’amener à Dieu, notre Père prodigue. Oui, la
joie du frère devient la joie de Dieu et il nous faut l’accueillir dans toutes ces
dimensions.

1.1 Pourquoi avons-nous tant de peine à vivre cette joie en tout lieu ?

Un prêtre discutant des dix commandements, médite sur « honore ton père et ta mère » avec ungroupe d’enfant de moins de 8- 10 ans. Apres avoir réfléchi ensemble, il demanda savez-vous s’il y a un commandement pour les frères et sœurs, et l’un des enfants répondit spontanément : « oui, Tu ne tueras pas ». Cette petite anecdote nous montre tout le chemin de conversion que nous avons à vivre d’un interdit à une reconnaissance de l’amour comme don gratuit. Reconnaissons-le, il y a des fermetures en nous-mêmes qui nous empêchent d’accueillir l’autre en vérité. Des mécanismes de notre psychisme qui sontdes lieux d’aliénation. Cela est vrai, mais ne croyons pas que le Démon soit absent dans les crises quenous vivons. L’aspect démoniaque de la jalousie, déjà présent avec Adam et Eve, s’exacerbe en violence lorsqu’il s’agit de Caïn et Abel. Un refus de l’autre et un autocentrement sur soi-même. Or nous sommes

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appelés à passer d’un commandement de protection sociale, tu ne tueras pas, à la voie par excellence de la charité, aime ton prochain comme toi-même qui trouvera en saint Jean une aura particulière : « Aimez- vous les uns les autres, comme je vous ai aimés, à cela on reconnaîtra que vous êtes mes disciples ». Une participation à une vie de communion où nous savons œuvrer pour le meilleur bien ensemble. C’est l’invitation de saint Jean de la Croix : « Te réjouir du bien d’autrui comme du tien propre, […] désirerque les autres te soient préférés en toutes choses, le désirer, dis-je, très sincèrement. De cette façon, tu surmonteras le mal par le bien, tu repousseras le démon loin de toi, tu auras le cœur dans la joie. Et tout cela, tu chercheras à l’exercer envers les personnes qui te reviendront le moins. Sache que si tu n’en viens là, tu n’arriveras pas à la parfaite charité, et que même tu n’en approcheras point »17. La relation fraternelle est aussi le lieu de mon combat spirituel. Tout ne tient pas à une belle science de communicationou à des artifices de présentation. Il y a bien dans la profondeur de l’âme une disponibilité à avoir pour recevoir la joie d’être “un”. « Il y a des moments difficiles, des temps de croix, mais rien ne peut détruirela joie surnaturelle qui « s’adapte et se transforme, et elle demeure toujours au moins comme un rayonde lumière qui naît de la certitude personnelle d’être infiniment aimé, au-delà de tout »18. »19 C’est dansla joie que je peux communier à la vie en Dieu et en témoigner autour de moi dans le partage de la véritéde l’amour. « L’amour fraternel accroît notre capacité de joie, puisqu’il nous rend capables de jouir dubien des autres : « Réjouissez-vous avec qui est dans la joie »20. »21

Cette invitation à retrouver la joie fraternelle demande à chacun de nous une révision de vie, afinde savoir comment nous pouvons vivre autrement la relation à l’autre. Quels sont les espaces de rencontreque je mets à disposition ? Quelles sont les moments de gratuité que je vis avec l’autre ? Qu’est-ce quej’accepte de partager, dans la vérité, de ma vocation d’enfant de Dieu ? Comment je vis la liberté comme lieu de rencontre ?

1.2 L’autisme relationnel

Un vrai questionnement aujourd’hui est la fatuité du monde des écrans qui coupent gravement de la relation. Pire encore, certains, enfermés dans cette fascination de l’écran et l’oubli du temps, se fermentpeu à peu à la relation à l’autre et à soi-même pour rester dans un imaginaire qu’ils veulent sécuritaire, ouen tout cas, pensent-ils maîtrisable, avec une possibilité de retrouver les vies perdues22. On peut parlerd’autisme comme une véritable pathologie d’enfermement et de développement induit par l’éducation et le manque de cadre. Mais ne nous y trompons pas. Tout n’est pas qu’une question d’autorité, mais aussi d’incapacité à faire face à ses désirs et à discerner ce qui est bon pour soi. Un jeune à qui j’avais supprimé ordinateur et téléphone portable au début de la retraite, s’est peu à peu ouvert aux autres et à lacommunication, ce dont il est habituellement incapable du fait de son addiction. Jusqu’à l’extrême, un autre jeune, n’ayant pas eu de cadre à la maison, n’a pas pu se développer et il est reconnu aujourd’huitravailleur COTOREP (pris en charge pour son handicap). Les absurdités liées à l’éducation et à uncontexte socio-familial défavorable, donnent aujourd’hui des situations invraisemblables. La communication et la relation à l’autre se vivent dans la réalité de la rencontre et non par support virtuel. La primauté de la foi rappelle l’importance de la relation et de la vie intérieure, comme lieu de rencontreavec Dieu. Justement, la virtualité des écrans et l’occupation du temps par jeux ou affairisme d’internet, amènent à une superficialité de l’être et un éclatement de la vie, de l’esprit et, par contamination, du corps.On en arrive à parler de société liquide pour designer ce primat de l’événementiel et de la relation, sansla logique de la stabilité de vie socio-cultuelle. « Une société liquide se caractérise par le primat des relations, de la communication, de la logique de réseau, par différence avec une société solide qui privilégie les institutions et la stabilité sociogéographique »23 Et la vie paroissiale en est hélas affectée, les kermesses et autres temps de rencontre peu à peu ont trouvé une rivalité dans la société de loisir, desport, ou même d’écrans interposés. Jusqu’à suivre la messe à la télévision juste par paresse dudéplacement, alors que celle-ci était destinée à ceux qui étaient malades et dans l’impossibilité d’assister à un office religieux dans une certaine proximité.

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Ne nous y trompons pas, il y a une conversion à vivre pour nous aujourd’hui afin d’être disponiblesà chacun et dans la gratuité des activités avec tous. Cela passe par l’aide aux devoirs que nous pourrions mettre en place dans notre paroisse, qui nécessite surtout une vraie présence et une aide pédagogique pour chacun. On peut penser aussi à des groupes de motivation pour retrouver un travail ou aider à l’insertionprofessionnelle des jeunes travailleurs, comme au développement des chantiers-éducation pour aider les parents à échanger sur les repères et les valeurs à donner à leur progéniture. D’autres pourraient proposer une bourse d’échange de savoir (entre le tricotage et allumer un ordinateur, ou savoir repasser contre de la comptabilité etc.) Il y a des choses à vivre, des services à rendre, et un appel à donner sens à notre vieà travers l’échange d’un amour qui se vit dans la vérité de la relation.

1.3 Le service comme lieu de relation

La vie en Eglise demande d’être dans l’exigence du service pour tout baptisé. Or parfois, certains sont mus par l’ambition de se faire reconnaître, la vanité d’une cour à conquérir et la suffisance qui va avec, et d’autres encore par mercantilisme dans une optique de profits matériels. Or c’est bien à la suitedu Christ que nous avons à cheminer et à nous offrir par le témoignage en offrande à Dieu et à nos frères.L’annonce de l’Evangile demande une connaissance de l’Esprit et en même temps un travail de la raisonpour parfaire notre apprentissage. C’est un dialogue entre la foi et la raison qui nous permet de toucher le plus grand nombre et d’être vraiment dans une attitude de service de l’annonce de l’Evangile, en vivantce que nous annonçons, malgré les combats que nous devons mener d’abord contre nous-même, mais aussi pour rétablir la vérité de la Parole dans la vie de nos frères et témoigner de la lumière du Christ autour de nous sans compromission.

Le service diaconal vit de manière radicale et en profondeur le service de l’Eglise. Radical parceque c’est un engagement pour la vie et qui demande la disponibilité de tous les instants, avec la vertu deprudence pour discerner ce que nous avons à vivre selon une hiérarchie des valeurs, en fonction des étatsde vie et des étapes de vie. C’est pourquoi Mgr Santier aime rappeler aux ordinations presbytérales, quele diaconat reçu ne s’arrête pas mais continue d’être un appel pour le prêtre et que, dans l’Eglise, tous lesministères ordonnés ont cette dimension de Service. Le pape Grégoire le Grand, ne s’appelait-il pas le serviteur des serviteurs (repris depuis par tous les papes) ? Si le service de la fraternité avec le ministère institué du diaconat donne une visibilité de la mission première de l’Eglise, celle-ci doit être vécue par tous les baptisés, en étant attentifs à être artisans de paix. Ce discernement du service à travers l’éducationdoit associer deux attitudes : « Il faut donc mêler la douceur à la sévérité, faire de l’une et de l’autre un certain dosage, en sorte que les inférieurs ne soient ni excédés par une sévérité trop grande ni amollispar une excessive bonté… Ta baguette et ton bâton eux-mêmes sont mon réconfort. La baguette frappe,le bâton sert d’appui »24 Tous les pédagogues savent qu’il faut trouver une attitude juste pour aider l’autre à progresser. Reste à définir l’attitude juste, dans le tourbillon du quotidien, et des comportementsexubérants. Néanmoins, la vertu de prudence nous aidera à chercher dans tous les services à accomplir lavolonté de Dieu et la réalité que le frère peut vivre dans l’aujourd’hui, en essayant d’accomplir dans le souffle de l’Esprit un témoignage probant de l’Evangile.

Ce service se vit pour chaque baptisé dans l’écoute de la Parole en la laissant imprégner notrecorps et notre âme afin d’y correspondre le plus attentivement possible selon la réalité du temps et notrehistoire. Ce qui nous appelle à recevoir la Parole dans la prière et dans notre aujourd’hui pour l’actualiserdans nos actes. Savourer cette communion avec Dieu à travers la Parole qui se réalise, et Le reconnaîtreprésent dans la chaleur du cœur : « Tu m’as séduit, Seigneur, et je me suis laissé séduire, tu m’as maîtrisé, tu as été le plus fort »25 Un appel à se laisser façonner par la Parole et à y répondre, chacun selon sa propre vocation. Car tous nous avons une vocation à la sainteté.

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1.4 Le pardon, restauration de la relation fraternelle

Reconnaître l’autre dans toutes ses limites, c’est donc s’engager sur le chemin du pardon pourcontinuer d’avancer ensemble malgré les erreurs de la route. Et le Christ nous témoigne de ce qu’il nousfaut vivre, en servant lui-même d’exemple. « Il est venu non pour condamner, mais pour pardonner, pour faire usage de la miséricorde26. Et la plus grande miséricorde, c’est, pour lui, d’être au milieu de nous et de nous adresser son appel à venir à Lui et à Le reconnaître »27. La relation à l’autre demande toujoursune contemplation de Dieu pour puiser, à la source de la vie, l’attitude la plus juste à vivre avec le frère.Le pardon n’est donc pas un face à face, mais une relation en triangle, où Dieu est présent. C’est le seul moyen, et le véritable, de vivre un pardon en profondeur. Faire confiance en l’œuvre de Dieu malgré leslimites du frère et nos propres limites. S’abandonner avec confiance en l’œuvre du Salut et s’émerveiller de ce qu’Il nous laisse contempler.

Le pardon surgit à l’écoute de la Parole de Dieu et demande un ajustement dans les relations, jusqu’à voir en l’autre une merveille de Dieu. Ce regard bienveillant qui demande en même temps une conversion intérieure pour ne pas laisser nos propres démons parler, mais écouter la voix intérieure de la grâce nous inviter plutôt à réaliser la joie de Dieu. La vie fraternelle, dans sa plus simple réalité entre les personnes, a aussi une dimension communautaire et rayonne du témoignage de la vigueur de l’Evangile.Dans la conversion pastorale nous avons à nous engager « à être véritablement lieu et instrument de communion pour tout le peuple de Dieu, dans la foi et dans l’amour. C’est pourquoi [nous] cultiverons un climat de charité fraternelle, vécue avec une radicalité évangélique, au nom de Jésus et de son amour; [nous] développerons une ambiance de rapports amicaux, de communication, de coresponsabilité, de participation, de conscience missionnaire, d’attention et de service; [nous] serons animées par des attitudes d’estime, d’accueil et de correction mutuelle28, ainsi que de service et de soutien réciproque29, de pardon mutuel30 et d’édification les uns des autres31. »32 La vie de nos communautés paroissiales doits’enraciner dans cette conscience missionnaire, portée par la nouvelle évangélisation, afin de rejoindre chacun dans sa vocation propre. Nous devons revoir nos relations afin d’établir la vérité de l’amour etsavoir nous pardonner afin d’avancer vers une même communion. C’est comme cela que nous pourronstémoigner de la vérité de l’Evangile et de Celui qui habite au milieu de nous. Rendre Jésus
présent demande de notre part une transformation de nos relations, pour savoir vivre la
miséricorde en toute occasion et ne pas nous enfermer dans les dépravations de la vengeance
ou de la discorde, ni dans un besoin insatiable et inajusté de justice : « la miséricorde se rit
du jugement ».

L’apprentissage du pardon se vit d’abord en famille, entre époux, et sert d’exemple
aux enfants pour eux-mêmes : ne pas vouloir se tuer, mais aimer dans la gratuité du don et dans un climatfamilial empli de confiance et d’une certaine sécurité. « Seul un grand esprit de sacrifice permet de sauvegarder et de perfectionner la communion familiale. Elle exige en effet une ouverture généreuse et prompte de tous et de chacun à la compréhension, à la tolérance, au pardon, à la réconciliation »33 Il me paraît difficile de parler de fraternité sans aborder ce chemin de transformation des relations humaines, en langage de l’amour, et donc de reconnaître les balises du pardon afin de nous faire progresser dans uneplus grande communion. Néanmoins la démarche personnelle n’exclut pas l’implication communautaireet, en même temps, l’urgence que nous avons de vivre des relations renouvelées. « Le repentir et le pardon mutuel au sein de la famille chrétienne, si importants dans la vie quotidienne, trouvent leur moment sacramentel spécifique dans la pénitence chrétienne. »34 Chaque sacrement de réconciliation est donc un point d’étape sur la route d’une plus grande fraternité entre nous, car non seulement le sacrement noustransforme mais encore il illumine notre vie de la présence du Christ et sommes appelés à en rendretémoignage par la joie qu’il dégage. Le sacrement de réconciliation devient le sacrement du frère dans la vérité de nos choix de vie et le témoignage que nous voulons transmette. « Les luttes ethniques plus récentes, qui ont à nouveau ensanglanté le continent européen, ont montré elles aussi à tous que la paix est fragile, qu’elle a besoin d’un engagement actif de tous et qu’elle ne peut être garantie qu’en ouvrant de nouvelles perspectives d’échange, de pardon et de réconciliation entre les personnes, entre les peuples et entre les Nations »35La vie chrétienne et paroissiale doit avoir un rayonnement autour de nous, de cetteconcentration de l’amour, et doit se déployer en proposant une nouvelle manière d’être en replaçant la dignité de l’homme dans tous nos choix .Cette dignité du frère qui nous rend responsables en partie de cequi doit être vécu. Nul ne dit que c’est facile, ou que tout est déjà planifié, c’est un travail de recherche et

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d’abandon de certaines certitudes pour se mettre à l’écoute de l’autre et de son histoire, cela demande parfois beaucoup d’abnégation et de service pour approcher l’autre dans ses derniers retranchements, mais quelle grâce lors de la libération de voir les barricades s’écrouler pour se prendre dans les bras et sereconnaître enfant d’un même Père .

Vouloir vivre en frère dans une communauté paroissiale demande toujours de nous recentrer sur notre foi au Christ Sauveur qui nous a aimés jusqu’à se laisser crucifier. C’est dans la foi que nous devons comprendre la relation fraternelle comme une école d’exigence. « Croire signifie s’en remettre à unamour miséricordieux qui accueille toujours, pardonne, soutient et oriente l’existence, et qui se montrepuissant dans sa capacité de redresser les déformations de notre histoire »36 Le pardon vient révéler que personne ne peut être enfermé dans ses actes, parce que l’amour est toujours victorieux. Il est important de rappeler cette radicalité de l’amour qui sait voir en l’autre, quels que soient ses actes, un frère. Sans vivre le pardon, cela est impossible. « La foi affirme aussi la possibilité du pardon, qui bien des foisnécessite du temps, des efforts, de la patience et de l’engagement ; le pardon est possible si on découvreque le bien est toujours plus originaire et plus fort que le mal, que la parole par laquelle Dieu soutient notre vie est plus profonde que toutes nos négations. »37 Et ce qui est vrai pour chacun de nous l’est aussi pour nos frères, et c’est ensemble que nous sommes amenés à conquérir la civilisation de l’amour. C’est bien une lutte entre nos enfermements et l’appel à la gratuité du don et du service.

La réalité du frère nous invite à un recentrement sur nos propres vies, pour y comprendre nospropres blessures et nous ajuster à l’amour de Dieu dans la relation à l’autre. En effet, « Nous savonsaujourd’hui que pour pouvoir pardonner, il nous faut passer par l’expérience libératrice de nouscomprendre et de nous pardonner à nous-mêmes. »38 Une fois que nous avons vécu cette libération intérieure, alors tous les possibles sont ouverts et la relation à l’autre est renouvelée. Vivre le pardon dans la relation fraternelle est une expérience de liberté. « Savoir pardonner et se sentir pardonné constitue une expérience fondamentale dans la vie familiale ».39 « L’art difficile de la réconciliation, qui nécessitele soutien de la grâce, a besoin de la généreuse collaboration de parents et d’amis, et parfois même d’uneaide externe et professionnelle ».40 L’expérience familiale nous aide à comprendre l’importance de la dimension fraternelle et l’impératif de prendre soin les uns des autres, comme nous le rappelait le synode. La Parole de Dieu, la vie de prière et le service de la charité sont autant de voies pour affermir notrecapacité à entrer en relation avec l’autre et de resplendir des œuvres de Dieu. Le don se vit dans la facultéà pardonner et donne la joie de Dieu. D’ailleurs le pardon n’est pas simplement une reconnaissance dufrère, mais aussi et avant tout une connaissance de Dieu et de son alliance avec nous. En effet, Dieu serévèle dans l’amour et dans toutes les composantes de l’amour que sont le don, le pardon et le partage.

Il nous faut rappeler avec force le cœur de l’Evangile pour comprendre que le pardon est l’une desdimensions prophétiques et essentielles de notre vie de foi. « Contentons-nous de rappeler la forte insistance de Jésus sur le pardon à accorder à ceux qui nous doivent41, la sollicitude envers les enfants42et l’attention à porter aux personnes simples43. Suivre Jésus implique tout particulièrement la volonté deservir et non d’être servi. »44 La fraternité est un tout, et la vie en communauté, ne doit pas s’attacher sur un seul axe, mais se laisser conduire dans toutes les dimensions afin d’étoffer notre vie de la présence de l’Esprit Saint. Le rappel d’être attentifs aux plus démunis n’est pas qu’œuvre de charité, mais aussirayonnement de la complémentarité des uns avec les autres et d’une communion en vérité, et non dans lesectarisme parfois gnostique de ceux qui sont dans notre cercle. La sollicitude envers les enfants estl’accompagnement d’une promesse d’avenir que nous sommes appelés à faire grandir et s’affermir dans la foi et la relation à l’autre, dans toutes ses dimensions, c’est-à-dire aussi dans un pardon salvateur.Comme nous le rappelle l’apôtre Paul, « Si les croyants doivent se laisser éclairer et guider de l’intérieur, et si ses exhortations et ses conseils ne peuvent qu’exiger d’eux de ne pas oublier l’amour et le pardon reçus, c’est qu’ils ont fait l’expérience de la miséricorde de Dieu, dans le Christ, qu’ils sont intimementunis au Christ et qu’ils ont reçu son Esprit. »45

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Nous gagnerons à reconnaître les situations de souffrance et à délivrer les pardons nécessaires à une paix intérieure. Parfois nous disons avec sincérité que nous avons pardonné, mais au fond du cœur reste l’amertume de l’histoire. C’est bien dans la prière et à l’écoute de la Parole de Dieu que nouspourrons laisser l’Esprit agir au fond de notre cœur, pour mener le dernier combat spirituel et abattre les murs de Jéricho. C’est un travail de vérité intérieure qu’il nous faut rechercher avec ferveur pour ne passe laisser aller à une forme d’indifférence. L’enjeu de la transformation paroissiale passera par cettecapacité à faire la vérité dans nos relations, d’abord avec nous même, ensuite avec nos frères, et enfintémoigner de cette joie de la communion auprès de la cité afin de donner envie de devenir disciple du Christ. « Le disciple sait offrir sa vie entière et la jouer jusqu’au martyre comme témoignage de Jésus-Christ ; son rêve n’est pas d’avoir beaucoup d’ennemis, mais plutôt que la Parole soit accueillie et manifeste sa puissance libératrice et rénovatrice. »46

2 Le frère, lien d’extériorité de notre intériorité

« Avance en eau profonde et lâchez vos filets »47 Ne restons pas en surface dans nos relations, même si nous avons passé toute la nuit à discuter, mais aller vers les profondeurs c’est laisser descendre les filets de la rencontre pour amener à une reconnaissance de la valeur de chacun aux yeux de Dieu. Nousavons dans la profondeur de l’intime à reconnaître Dieu mais nous avons à l’exprimer dans lebourgeonnement sur Terre de notre relation fraternelle. Il ne s’agit pas de peiner sur les sujets de réflexionet d’essayer de construire ensemble des tours avec des prouesses techniques, mais bien de retrouver le sens en profondeur, par la prière et la méditation des Ecritures, par la reconnaissance de ce qui fait sens dans notre vie et dans nos rencontres, par ce désir de Dieu dont nous voulons témoigner. « Car la Parolede Dieu ne s’oppose pas à l’homme, ne mortifie pas ses désirs authentiques, bien au contraire, elle les illumine, les purifie et les porte à leur accomplissement. »48 Or la dispersion socioculturelle à travers lesnouvelles technologies et l’impératif d’une disponibilité permanente, renforcé notamment par le téléphone portable, ne permettent pas un enracinement durable de notre relation ni de prendre le temps de la maturation. Comme le montrait un dessin humoristique de Facebook, un prêtre seul avec un cercueil et des chaises vides et, à la porte, les deux personnes des pompes funèbres discutant, et pourtant il avait des millions de « j’aime » sur sa page. Rien ne remplacera la relation et le contact, et c’est un des fléaux duprincipe de précaution sanitaire que nous vivons actuellement, refuser le contact, c’est se déshumaniser.Une injonction sur un temps donné ne peut être pertinente dans la durée (reste à connaître l’appréciationde la durée).

C’est vrai que nous sommes saturés de bruits dès que nous sortons et, que ce soit dans les petites ou grandes surfaces, excédés par ce besoin de mettre de la musique avec plus ou moins de pertinence. Nous sommes envahis par le verbiage, laissant la télévision allumée chez nous pour faire de la compagnie et crevant toujours un peu plus de solitude. « La radio baille sur la ville, ses tics d’ennuis, ses tics d’amour,sa solitude à domicile et à crédit mais sans retour »49. L’activisme fait peu de place au silence et à la méditation et n’aide pas au recul, comme l’utilitarisme fait peu de place à la beauté et à la gratuité de lacréation, comme lieu de rencontre et d’espace de liberté.

D’ailleurs est-il utile d’être libre ? Le fait d’être assigné à faire des choses, à être commandé poursuivre les ordres, n’est-ce pas une forme d’aliénation parfois agréable ? C’est ainsi qu’agit le Tentateur,en nous arrachant à la bonté de l’œuvre de Dieu pour le mercantilisme d’une utilisation du corps et de l’esprit. L’esprit étant voué à une forme d’idéologie qui empêche l’amour de la vérité, le corps commedéformé de sa vocation première, comme objet de convoitise, qui va du trafic d’organe à la fabricationmatérialiste et, pour finir, vers une marchandisation de la séduction. Plus besoin de réfléchir, puisqu’on nous dicte la pensée… et on s’affranchit de la raison par la répétition d’actes. On le voit bien dans les attaques de l’Adversaire sur la prière. D’abord sournoisement, il invite à ne pas trop prier car c’est pertede temps et il y a tant de bonnes choses à faire ; puis la prière devient l’espace exigu dans notre vie ; ensuite il attaque la prière communautaire, arrivant en retard à la messe, partant en avance, pour enfin, décider de ne plus venir tous les dimanches mais qu’aux grandes fêtes et finalement arrêter toute pratiquereligieuse. L’atteinte à la liberté est justement le manque de spiritualité et de communion fraternelle. Privés de la liberté, nous manquons de vérité d’être et nous échouons à reconnaître l’amour, nous

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enfermant parfois dans un cynique « c’est comme ça … j’ai été éduqué comme ça… etc. ». Or l’appelintérieur est toujours ce désir de liberté et de retrouver l’amour en vérité dans la relation, quand bien mêmecertains tenteraient de nous en empêcher. C’est vrai qu’il y a une responsabilité extérieure, j’en conviens,mais il y a aussi de notre propre péché et de notre responsabilité intérieure à ne pas opposer de résistance et à nous laisser aller sous les attaques de l’Adversaire. Le combat spirituel est là pour nous affermir dans la foi et nous inviter à dépasser les apparences et goûter la vérité de notre histoire. « Ainsi pour arriver à connaître Dieu et à se connaître soi-même, la vraie voie, c’est la nuit obscure du sens, avec ses sécheresses et ses vides…L’âme retire des sécheresses et du vide de cette nuit de l’appétit l’humilitéspirituelle… de là naît l’amour du prochain »50 En bref la connaissance de Dieu est reconnaissance du frère et de sa dignité propre. Autrement dit, la vérité de Dieu s’authentifie dans l’accueil fraternel et lagratuité de la relation charitable par une disposition appropriée de notre vie.

La question que tout cela pose est celle de réinventer le temps pour nous donner l’espace relationnel suffisant au murissement, à l’accueil et à la méditation. La relation au frère demande d’êtreattentif à son intériorité, pour toujours être capable de se questionner et se réajuster. Le risque est de setourner vers la superficialité et l’inutile des propositions, des achats compulsifs ou des alimentations déraisonnables, une course à la reconnaissance ou la vanité à remplir sa vie du néant. Une forme dedésintégration intérieure par le clivage de nos actions et la fracturation de tout notre être. L’hommeintérieur au contraire travaille dans toute son intégralité à harmoniser sa vie, corps et âme, pour la louange du Créateur, en prenant en compte toutes les dimensions et en mettant chacun des aspects à sa juste place.La théologie du corps est justement cette recherche d’harmonisation et d’intégration de l’homme danstoute sa personne, ainsi que du respect de l’intégrité de sa dignité humaine. Un contre-exemple (parmid’autres) est de parler d’écologie en considérant le monde minéral, végétal et animal et en refusant del’appliquer à l’homme dans l’écologie intégrale, largement développée dans l’encyclique Laudato Si. Onpeut difficilement demander le respect des animaux en promouvant le traficotage d’ADN ou l’instrumentalisation d’enfant par les PMA qui comprennent notamment la GPA. Si l’on veut vraiment parler dans l’intégralité d’une vision écologique, il faudra bien mettre l’homme au centre de la créationcomme responsable et, en même temps, comme acteur de changement. Le refuser est juste clivant et d’uneviolence abjecte dont les spécistes sont un des chantres.

Le travail d’intériorité demande la reconnaissance du frère dans toutes ses dimensions, et larecherche d’harmonisation de tout l’être humain, « qu’il soit moi, qu’il soit toi ». La recherche du travail pour chacun, comme le vivaient les pères du désert, invite à l’harmonie de l’être, en faisant participer soncorps à la vie de Dieu. C’est ainsi que, dans l’extériorité du frère, le travail effectué chaque jour et la possibilité de s’assumer évitent les vices de la paresse et de l’oisiveté. La responsabilité d’aider les pluspauvre nous invite alors à rendre compte de notre vie profonde en Dieu même si le démon de l’acédie, nous le savons, nous entraîne toujours dans les excès. C’est le démon du non-ajustement ou plutôt dudésaxement, de la superficialité, qui demande la désintégration et refuse la profondeur de l’intériorité qui amène à la communion. « Jésus est en nous quand nous sommes non seulement en état de grâce, mais dans la disposition, la ferme volonté de Lui plaire en tout, de ne respirer que pour Lui, de Lui obéir en tout ; quand nous Lui avons remis entièrement notre volonté entière sans en rien garder pour nous, quand enfin nous nous sommes, en subissant les épreuves et les purifications qu’Il nous a imposées, renduscapables avec sa grâce… de Le laisser agir en tout en nous ».51 Ecouter la Parole de Dieu dans notre vie, Lui donner toute son ampleur dans nos actes et simplement Le laisser agir en nous dans le souffle del’Esprit Saint. Si simple à écrire et si difficile à vivre parfois.

Alors, dans les choix de vie que nous avons à mener, il nous faut rechercher comment plaire à Dieu dans la relation fraternelle est être ajustés à ce qu’il nous estdemandé de vivre. La place de la prière, comme lieu de recentrement et de dialogue, nous engage dans la relation fraternelle à vivre la communion selon notre vocation d’enfants de Dieu et à choisir l’amour comme langage afin de vivre la gratuité du don et éprouverla joie du partage.

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2.1 La fraternité intergénérationnelle et interculturelle

Nous pouvons nous reconnaître une fraternité de fait mais vivre avec des histoires parallèles et unminimum d’échanges. Cela est vrai d’un point de vue relationnel, les enfants oubliant que les parents ontvécu eux aussi leur jeunesse (si, si !) et les parents étant parfois dépassés par le comportement inadapté de leurs jeunes, oubliant aussi qu’ils ont eu leurs périodes d’apprentissage. La situation depuis le XIXe siècle de la fracture sociale et le déracinement des personnes ont mis à mal le tissu familial et la vie intergénérationnelle avec les oncles, tantes et cousins, d’une part, et les grands-parents et autres famillesd’autre part. Ce qui n’est pas sans créer une certaine violence incontrôlée. Je ne parlerai pas des parents oubliés dans les maisons de retraite, ni des situations de divorce où certains enfants prennent parti en délaissant tel parent de manière parfois injuste.

La place des jeunes dans notre Eglise est première, parce qu’ils sont appelés à bousculer noshabitudes pour entendre la Parole nous faire vivre un déplacement par leur interrogation. En effet, « Lesjeunes sont dès à présent des membres actifs de l’Église et ils en représentent l’avenir. En eux, nous trouvons souvent une ouverture spontanée à l’écoute de la Parole de Dieu et un désir sincère de connaître Jésus. C’est durant la période de la jeunesse, en effet, qu’émergent de façon irrépressible et sincère lesquestions sur le sens de la vie personnelle et sur l’orientation à donner à sa propre existence »52Néanmoins, ils ne sont pas seuls dépositaire du souffle de l’Esprit et les parents doivent contribuer à la générosité de leur engagement par l’ouverture à l’Esprit Saint dans une vie conduite par sa présence. Il est malheureux que parfois le catéchisme ne soit qu’une occupation pour les jeunes pour donner des valeurs et que les parents ne pratiquent pas de réflexion sur leur propre foi, remettant aux calendes grecques la réflexion sur ce qui les enracine dans la contemplation du Christ Jésus .D’ailleurs, sommes- nous assez attirants par notre témoignage pour amener le plus grand nombre à Le reconnaître présent ? Comme le rappelle l’appel à la fraternité, nous devons revoir nos manières de vivre. « Nous témoignons… de l’importance du réveil du sens religieux et de la nécessité de le raviver dans les cœurs des nouvelles générations, par l’éducation saine et l’adhésion aux valeurs morales et aux justes enseignementsreligieux, pour faire face aux tendances individualistes, égoïstes, conflictuelles, au radicalisme et àl’extrémisme aveugle sous toutes ses formes et ses manifestations. »53 Cela demande aux parents d’êtreattentifs à ce qui est appris à l’école et aux valeurs plus ou moins conformes à la Parole de Dieu et à lavérité de l’Evangile, d’avoir un échange constructif avec les jeunes pour les aider à vivre dans une réalité qui ne soit pas construction idéologique. Cela demande du temps et de l’échange, mais aussi un regardbienveillant pour avancer ensemble vers une meilleure compréhension mutuelle.

L’autre facteur de mise à distance est le facteur culturel. Lorsque je disais mon admiration pour certains chrétiens de notre communauté, pour leur engagement dans la prière et le serviced’évangélisation, d’autres m’ont dit “oui, mais c’est normal, c’est leur mentalité car ils viennent d’un pays ou c’est normal…” Que dire, sinon que le refus de se remettre en question est patent. Or la Toute Puissance de Dieu se manifeste dans son universalité, car l’amour n’a pas de frontière ni d’expression figée, et dans le mystère de la révélation, où Elle se fait reconnaître par tous. « La charité parfaite n’admet entre tousles hommes aucune distinction basée sur les différences de caractères. Elle aime également tous les hommes, les bons à titre d’amis, les méchants à titre d’ennemis, pour leur faire du bien, les supporter, endurer patiemment tout ce qu’on reçoit de leur part. »54 La reconnaissance de fraternité est premièredans la foi, parce qu’elle n’est pas dédiée au seul disciple ni à une culture donnée, mais proposée à touscomme chemin de l’amour. La civilisation de l’amour est justement ce dialogue incessant dans la relationqui reconnaît la dignité de l’autre et dans un dialogue fructueux visant à l’ajustement avec la Parole deDieu jusqu’au dernier jour, où Dieu nous fera connaître le Salut promis dans la civilisation de l’amouréternel.

Je propose que cette année, on soit attentif au lien familial et que nous essayions de rétablir les passerelles du dialogue pour recentrer la relation sur la civilisation de l’amour et l’accueil de la vie. Untravail de disponibilité de chacun pour vivre ensemble des moments de retrouvailles, sans exclure les uns ou les autres des activités, ce qui demande par ailleurs une certaine ingéniosité et la vertu de patience,aujourd’hui tant effacée devant le tourbillon des choix à faire et la course irrationnelle au temps. Essayons

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de regarder parmi nos frères les différentes manières de prier, pour puiser au cœur de notre vie ce dialogue intense avec Dieu. En communauté paroissiale, peut-être serait-il bon d’essayer de faire connaissance avec des personnes que l’on ne connaît pas, ou seulement de visage, afin de relier cette fraternité, d’unepart, et de vivre la vérité de l’Evangile dans le partage d’autre part, et proposer des activités communescomme le partage des Ecritures . Et je partage cette réflexion du pape Benoît XVI « Avec les Pères duSynode, j’exprime le vif désir que fleurisse « une nouvelle saison de plus grand amour pour la Sainte Écriture, de la part de tous les membres du Peuple de Dieu, afin que la lecture orante et fidèle dans letemps leur permette d’approfondir leur relation avec la personne même de Jésus »55.

2.2 La fraternité dans l’œcuménisme

Lors de la visite à Rome des prêtres de notre diocèse, je posai une question sur nos assemblées paroissiales et le peu d’entrain de nos liturgies par rapport à nos frères évangéliques, ainsi que la puissancede louange qui se développait dans leurs prières, attirant beaucoup de personnes. La réponse de l’évêque de la congrégation pour le dialogue œcuménique a été de dire “tant qu’ils sont chrétiens, tout va bien, etnous travaillons tous pour une même réalité : l’avènement du Royaume des Cieux. Qu’importe qu’ils soient chez nous ou chez les autres…” S’il faut être prudent sur la réponse d’un allemand qui parlait anglais, et dont nos français traducteurs rendaient la version assez pauvre, il n’en reste pas moins que le propos est choquant, parce qu’il s’agit d’un refus de transformation pastorale, d’un “circulez, il n’y a rienà voir !” Evidemment que nous devons revoir notre accueil et notre capacité à communiquer cette joie du Royaume. Evidemment nous n’avons pas à copier les liturgies des autres, assez pauvres sur le message biblique et la réflexion apostolique. Mais il nous faut reconnaître le souffle de l’Esprit Saint et discerner ce qu’il nous faut vivre pour attirer au Christ, non dans un esprit de concurrence, mais dans un esprit devérité.

Etre attentif à la façon de parler des autres, moi le premier, j’ai un langage assez dur sur le protestantisme parce que la connaissance immédiate que j’en ai, c’est celle des sectes évangéliques dont, avouons-le, le témoignage n’est pas extraordinaire. Mais la proximité avec l’Eglise luthérienne, peuprésente dans notre pays, est aussi une réalité. De plus, nous pouvons vivre une vraie proximité dans la facilité de prier ensemble. Avec nos frères protestants calvinistes, il peut y avoir des rapprochements, même si leur positionnement sociétal est plus que discutable et blesse gravement la communion. Quant à nos frères évangéliques, il y a des personnes qui cherchent vraiment Dieu, et les excès des petits groupesne peuvent définir l’ensemble. Cela doit m’inviter à ne pas parler dans des termes généraux, ni mêmecibler telle ou telle confession, mais plutôt recadrer des situations anormales et redire la vérité del’Evangile. Il y a des gens bien un peu partout, et des brebis galeuses aussi. A nous de discerner, non en fonction des confessions ni même des personnes, mais des comportements qui posent problème.

Le groupe Ephraïm, le samedi a plus d’un tiers des participants qui viennent d’une autreconfession. Il y a déjà des échanges de prière de fait, par la participation des uns et des autres. D’autrescatholiques participent à des moments de prière dans Paris dans la sphère des églises protestantes du réveil, retrouvant dans les groupes de louange une autre expression de la foi qui les vivifie. Recherchons, dans le tissu associatif ou le travail du bien commun, un même objectif d’évangélisation des peuples, en mettant en commun notre ardeur évangélique afin d’amener le plus grand nombre au Christ notre Sauveur.

3 Le partage, écho de la civilisation de l’amour

Nous devons vivre le partage entre nous en vérité, mais surtout en fonction des devoirs d’Etat.Nous pouvons nous priver de choses pour apporter aux autres le nécessaire, mais cela ne doit jamais être au détriment de notre famille, ni de nos enfants. Nous ne pouvons pas non plus partager en prenant l’argentdes autres, manière détournée de sanctifier le vol.

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S’il nous faut résister, face à l’esprit du monde et à l’adversité d’une culture de mort futile etéphémère, nous devons aussi rester humbles face à la prospérité et non nous gonfler d’orgueil, ce qui demande la vertu de force. Le succès n’est pas automatiquement signe de bénédiction. L’orgueil du succès peut entraîner une rupture grave dans la fraternité, en laissant en marge ceux qui sont dans une spiraled’indigence. L’aumône suit des règles pour être ajustée à la Parole de Dieu et au frère. Cela demande un partage avec tous ceux qui sont dans le besoin, qui commence par ceux de notre communauté et nos frères,mais n’exclut personne. De plus nous ne pouvons faire l’aumône si en même temps nous volons. D’abord, ajuster notre vie dans la vérité de la foi, et ensuite vivre le service de la charité dans toutes ses dimensions pour entrer dans la grande espérance du Salut. Cela demande d’une part de refuser le gaspillage et lavanité de possession de certains objets que l’on utilise une ou deux fois pour les mettre ensuite au rebut. « Quand nous procurons le nécessaire à des indigents, nous leur rendons ce qui est leur bien, nous ne faisons pas largesse du nôtre »56. Dans un monde qui passe, l’avoir devient alors tout relatif et l’attention à l’autre le principe premier de toute notre action, au nom même de la vocation d’images de Dieu créées par un même Père.

Le danger de la richesse est d’oublier Dieu. Or nous sommes appelés d’abord et avant tout à vivrele détachement. « Quiconque aura laissé maisons, frères, sœurs, père, mère, enfants ou champs à causede mon nom recevra bien davantage et aura en héritage la vie éternelle »57. Or avoir de grands biens peut nous rendre contristés et nous éloigner du Christ, alors que nous avons cette volonté de communion avec Dieu, ce désir de transcendance, cette soif de sens. Et en nous détournant de Dieu, nous nous détournons du frère et des réalités qu’il vit. Or pour Dieu, peu importe les deniers à distribuer, ce qui est premier c’estle travail à la vigne. Que l’ouvrier de la onzième heure soit payé comme celui de la première heure paraisse injuste est une vision étriquée face à la bonté de Dieu et à l’amour répandu dans nos cœurs. Enparaphrasant sainte Thérèse de Lisieux, que ce soit un grand verre de la première heure ou un petit verre de la onzième heure58, qu’importe la quantité d’amour tant que le verre est rempli et déborde pour témoigner tout autour de soi de la grâce vivifiante du Sauveur. Ce n’est pas l’utilité de la quantité, mais bien la gratuité de la qualité qui fait la valeur de l’amour. En d’autres termes, l’amour reste toujoursl’amour, qu’il y en ait beaucoup ou peu. Qu’importe la quantité, c’est la beauté de l’amour et la plénitudedes personnes travaillées par l’amour qui fait sens pour Dieu. Ce n’est pas sur la quantité de nos biens quenous serons jugés, mais sur la responsabilité du partage que nous aurons vécu en vérité.

La richesse et la pauvreté sont capables d’accompagner le vice de l’orgueil ou la grâce de l’humilité. Ce n’est pas tant l’avoir qui fait l’être, mais les choix de vie et le positionnement de la personne.Quant à nous, l’impératif de la fraternité nous interpelle afin d’être conscients des enjeux et d’exercer la vertu de prudence pour discerner ce qu’il nous faut vivre en vérité et fuir avec célérité. C’est ainsi quenotre première préoccupation en tant que communauté, c’est de prendre soin de tous. « Il faut donc apporter la consolation à ceux qui cuisent dans la fournaise de la pauvreté, et inspirer de la crainte àceux qu’exalte la consolation de la gloire temporelle »59 Donner un souffle spirituel à notre état de vie, afin de toujours mettre Dieu à la première place et ne point l’y déloger. Il nous faut être vigilants pour être ajustés aux situations et ne pas nous laisser aller à des positionnements idéologiques. Il peut y avoir des pauvres orgueilleux et des riches humbles, tels que le décrit le conte du vieux Joseph de Marie Noël. Mais les événements contemporains nous montrent aussi une suffisance de certains riches, se pensant bien au- dessus des lois avec les milliards qu’ils possèdent. Lorsque vient le temps de la justice, il ne reste pasgrand-chose de la prestance. Vivre notre richesse ou notre pauvreté dans le Seigneur, c’est Lui faireconfiance et avec Lui marcher sur le chemin du Salut. Il ne s’agit pas tant de se satisfaire de ce qu’on a,que de vouloir marcher avec Dieu sur le chemin de la vérité et, selon notre propre responsabilité, en serviteur fiable.

J’ai connu quelqu’un qui élevait seule sa fille et voulait lui donner le meilleur, c’est ainsi qu’elleremplissait deux temps pleins au travail pour avoir l’argent nécessaire pour sa fille. Elle passait peu de temps avec elle, du fait de son boulot, mais avait une certaine aisance matérielle. Sa fille s’est retrouvéejeune, orpheline, la mère morte d’une crise cardiaque pour surmenage. Certes, elle avait une maisoncoquette et de quoi vivre, mais n’avait plus de mère. Je me souviens aussi de ce jeune qui rentrait depensionnat, dont les parents avaient laissé un billet de 100 € pour le week end avec un petit mot, « mon

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chéri, nous sommes partis en week end, mais achète-toi ce que tu veux »… Ce jeune avec pudeur etdésarroi criait sa solitude relationnelle. A quoi bon appeler mon chéri quelqu’un qui, de fait, est devenu étranger ? L’argent est un fléau lorsqu’il conditionne notre relation. Le Christ nous en libère par la gratuité de l’amour.

Aujourd’hui reconnaissons-le, la vraie richesse est d’abord la gratuité de la relation avec l’autre, dans l’échange d’humanité. Faire route avec mon frère et lui prêter mon manteau, afin qu’ensemble nousavancions vers la reconnaissance d’un même Père, dont nous parlons selon nos propres expériences. Soyons attentifs, dans notre communauté, à ne pas nous focaliser sur tel ou tel aspect de la vie des autres, ni à entrer en jugement, mais juste à partager la relation et s’accompagner vers le chemin qui conduit auCiel. Car c’est notre promesse baptismale d’entrer dans la civilisation de l’amour, le Salut promis pour toujours. Vraiment, il faut orienter nos discussions vers ce qui conduit au Ciel et ne pas s’embarrasser des biens matériels, qui n’ont qu’un usage temporel. Qu’est ce qui est le plus important, est-ce de savoir quel est le meilleur placement à faire ou de s’occuper de sa famille et de ses proches ? Qu’est ce qui est premier,de savoir comment bien manger ou de veiller à la communion familiale et passer du temps ensemble ?

Les enjeux pour notre communauté

Comme je le rappelais dans une relecture des joies et des vicissitudes de la vie
d’un prêtre, des questions restent en suspens qui ne concernent pas seulement Joinville,
mais les réalités de notre Eglise diocésaine et en Europe. La tiédeur des communautés
à vivre des temps d’Eglise et à être présentes dans les propositions pastorales. La place
des jeunes et des actifs dans nos assemblées de retraités. La question des jeunes est en
fait surtout la question des familles. Trop souvent les parents inscrivent au catéchisme,
pour vivre avec leurs enfants un minimalisme de la foi. C’est une vraie interrogation
pour nos assemblés… comment rejoindre chacun, là où il en est, et lui permettre
d’avancer en confiance ? Et une des premières choses dans ce domaine, n’est pas d’avoir un regardaccusateur, mais avec bienveillance redire la grande espérance qui nous habite et inviter à la civilisationde l’amour. Il nous faut réfléchir à comment faire prendre conscience du beau cadeau de la foi de la fidélité à la présence de Dieu dans notre vie et du témoignage auprès de nos frères. La participation à la vieparoissiale et aux messes n’est pas recherche identitaire ou de publicité, mais sceau d’unité. « Larecherche de l’unité est une tâche qui incombe à toute la communauté, et que l’on ne peut laisser se créer des divisions au sein des Eglises…Les chrétiens doivent avoir la profonde conviction intérieur que l’unité est essentielle non pas en vue d’un avantage stratégique ou d’un bénéfice politique, mais dans l’intérêt de la prédication de l’Evangile telle que le Christ l’ordonne »60 Le questionnement des fruits que nous portons ne se pose pas du point de vue de l’utilité mais du souffle de l’Esprit et de ce que nous discernons, dans la prière fraternelle et les réalités du quotidien.

Que dire de nos sacrements et du sens du baptême ou du mariage, pour des gens qu’on ne voit pas avant et qu’on ne reverra pas après ? Cela a été étudié dans l’ensemble paroissial, parce que nous avons bien conscience de l’enjeu missionnaire d’être force de proposition pour remettre en route sur le chemindu Salut. Loin de nous sentir démunis ou découragés, nous devons être disponibles au souffle de l’Espritpour que chacun puisse aider les équipes à trouver les chemins de rencontre et parfois être des relais efficaces. Tous ne sont pas invités à s’incorporer dans les équipes de préparation au baptême ou au mariage, mais tous peuvent être des relais efficaces et des accompagnateurs de ceux qui sont dans leurcercle d’amitié, afin d’aider à la rencontre avec le Christ. Pour l’équipe de catéchuménat adulte, reconnaissons-le, cela fonctionne assez bien, mais il nous faut persévérer dans toutes nos propositions pastorales et sacramentelles pour le « service d’après-vente », en maintenant le lien après les sacrementset en proposant une pastorale de la vie de l’Esprit à travers le partage de la Parole et la vie fraternelle. Bâtir sur le roc demande de s’appuyer sur l’Ecriture pour vivre en vérité la relation à l’autre dans l’amourde Dieu.

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Il nous faut réfléchir à l’évangélisation des quartiers populaires, non dans une église souterraine, mais comme témoins visibles et annonciateurs de la foi. Rendre visible la rencontre avec Dieu dans la proximité des besoins. « Ceux qui accueillent avec sincérité la Bonne Nouvelle, par la force de cet accueil et de la foi partagée, se réunissent donc au nom de Jésus pour chercher ensemble le Règne, le construire, le vivre. Ils constituent une communauté qui est à son tour évangélisatrice »61. Aucune évangélisationn’est possible sans une communauté qui vive au cœur de la Parole sa dimension fraternelle. Certes c’estexigeant, et cela demande de revoir parfois nos priorités, mais c’est ce qui fait sens pour ce monde enperte de repères. L’amour est l’engagement premier qui conditionne nos vies. « Quand la vie intérieurese ferme sur ses propres intérêts, il n’y a plus de place pour les autres, les pauvres n’entrent plus, on n’écoute plus la voix de Dieu, on ne jouit plus de la douce joie de son amour, l’enthousiasme de faire lebien ne palpite plus »62 L’importance de la relation fraternelle est de nous rappeler à notre devoir premier de témoigner de l’audace de l’Evangile et de l’annoncer. «Parce que, si quelqu’un a accueilli cet amour qui lui redonne le sens de la vie, comment peut-il retenir le désir de le communiquer aux autres ? »63

Autant de chantiers à ouvrir pour déployer la civilisation de l’amour. Et le questionnement doit nous permettre d’être réceptifs au dynamisme de l’Esprit Saint pour trouver le souffle nécessaire àl’annonce de la Parole. Si nous nous tournons vers nous-mêmes et nos pauvres œuvres, nous nousdécourageons et nous abandonnons ; par contre, en laissant Dieu nous guider selon sa volonté, noustrouvons toute l’ardeur missionnaire pour témoigner de la joie de croire et de l’importance de la fraternité, comme lieu de continuation de la création, comme prévu au commencement. « Que le Christ habite envos cœurs par la foi ; restez enracinés dans l’amour, établis dans l’amour »64

Synthèse

Une chose est d’écrire ou de décrire la fraternité, d’en parler abondamment, une autre est de la vivre dans la réalité du quotidien avec les aspérités et les richesses des frères et sœurs. De plus, suivant que nous sommes en autorité ou dans un même service, le positionnement sera différent mais toujours orienté vers le service de Dieu et le salut du frère. « Les serviteurs doivent toujours avoir présent à l’esprit l’humilité de leur condition, les maîtres, de ne pas oublier que par nature leurs serviteurs et eux sont deségaux… il faut avertir ces derniers de savoir être les serviteurs de leur maitres ; avertir ceux-là qu’ilssont les compagnons de service de leurs serviteurs »65 Une complémentarité bienveillante dans la relationde l’un à l’autre qui ne se discute pas en terme de pouvoir mais bien dans la gratuité du don et de lacommunion. La manière de vivre notre foi est le premier acte évangélisateur. Joindre la prière à la Parole et les vivre dans le quotidien évangélise, alors que les contre-témoignages éloignent et rendent indifférents.

Il nous faut corriger les actes de nos frères, tout en vivant sans cesse une conversion intérieure, et nous laisser transformer chaque jour par la Parole de Dieu. Que chaque matin la Parole nous éveille à uneplus grande proximité avec Dieu dans ce désir de communion pour la civilisation de l’amour. « Il nous faut reprendre en main les inquiets, rassurer les pusillanimes, stimuler les faibles, convaincre les contradicteurs, prendre garde aux semeurs d’embuches, instruire les ignorants, exciter les indolents,calmer les querelleurs, réprimer les orgueilleux, remettre sur pied les désespérés, pacifier les chicaneurs, secourir les pauvres, délivrer les opprimés, approuver les bons, supporter les mauvais, tous, vous aimer »66 C’est bien dans l’amour que nous vivrons la juste relation fraternelle, et non dans la comparaison ou le jugement. L’amour gratuit qui voit le frère comme sujet de la civilisation de l’amour et aimé de Dieu. Une relation qui recherche toujours la communion et travaille pour le même projet, c’est-à-direl’avènement du Royaume des Cieux. Jésus est venu nous sauver ; à nous, par notre vie et notre témoignage, de faire avancer le règne de Dieu. Car la vertu d’espérance se situe justement dans l’attentede la fin du monde, que nous chantons à chaque anamnèse, et du jugement à venir pour que Dieu puisse régner pleinement et définitivement. « Le juste trouvera dans le Seigneur joie et refuge, et tous les hommes au cœur droit, leur louange. »67

Père Greg – Curé Saint-Charles-Borromée – Joinville-le-Pont

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1 &54 Lumen Fidei
2 Lc 12, 35
3 1Th 5, 22
4 &164 Gaudete et exsultate5 Lettre pastorale de l’évêquerentrée 2020

6 Avant propos – texte sur la fraternité du pape François etde l’imam
7 ibid

8 &54 Lumen Fidei
9 &54 Lumen Fidei
10 Rm 8,29
11 &52 Donum et vivificantem12 Const. past. sur l’Eglise dans le monde de ce

temps Gaudium et spes, GS 2413 & 62 Dominum et vivificantem
14 Cf. CONC. CUM. VAT. II, Const. past. sur l’Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes, GS 53-59

15 &60 Dominum et vivificantem
16 &3,25 règle pastorale –Grégoire le Grand
17 &117 Gaudete et Exsultate -Ibid, 13 a (Op. cit., p. 304).
18 Exhort. ap. Evangelii gaudium (24 novembre 2013), n. 6 : AAS 105 (2013), p. 1221.19 &125 Gaudete et exsultate
20 Rm 12, 15
21 &128 Gaudete et exsultate

22 Vies perdues référence aux jeux video
23 Vers une Eglise liquide –Arnaud Join-Lambert Etude Fev 2016

24 &2,6 Règle pastorale –Grégoire le Grand
25 Jr 21,7
26cf.Mt9,13

27 &118 Veritatis Splendor28 cf. Rm 12, 10 ; 15, 7-1429 cf. Ga 5, 13 ; 6, 2
30 cf. Col 3, 13

31 1 Th 5, 11
32 &28 Ecclesia in europa
33 &21 Familiaris consortio
34 &58 Familiaris consortio
35 &112 Ecclesia in europa
36 &2 Lumen Fidei
37 &55 Lumen Fidei
38 &107 Amoris Laetitia
39 Relatio Synodi 2014, n. 44.40 Relatio finalis 2015, n. 81.41 Mt 6, 11.14-15 ; 18, 21-3542 Mc 9, 35-37 ; 10, 13-16
43 Mt 18, 10-14
44 3.1.2.b &47 Bible et morale– Commission biblique pontificale
45 3.3.2 b &55 Bible et morale op cité
46 &24 Evangelii Gaudium
47 Lc 5,4
48 &23 Verbum Domini
49 Chanson « Moi j’ai un soleil plein la tête »

50 La nuit obscure, Livre 1chapitre 12 p 961 œuvrescomplètes – saint Jean de la Croix

51 Voyageurs dans la nuit, notes diverses &154 – p 93 Ed Nouvelle cité
52 &104 Verbum Domini
53 Discours sur la fraternitéd’Abou Dabi du 4 février 201954 Maxime le confesseur citation p 45 (re)vivez del’intérieur de Jean-Guilhem Xerri
55 &72 Verbum domini reprenant la Proposition 9.
56 &3,21 Règle pastorale –Grégoire le Grand
57 Mt 19,29
58 Mt 20,1-16
59 &3,2 Règle pastorale op cité60 Homélie du 26 septembre 20041 Erevan Arménie – JPII citant Nzeses Shnorhali,catholicos de l’Eglisearménienne (1166-1173)
61 &13 Evangelii Nuntiandi
62 &2 Gaudium Evangelii
63 &8 Gaudium Evangelii
64 Eph 3,18
65 &3,5 Règle pastorale –Grégoire le Grand
66 Sermon 340 saint Augustin– Césaire d’Arles (sermon232)
67 Ps 63(62), 11

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