Amnésie

         Dans la cinquantaine, il fit une chute dans l’escalier, puis 90 mn de non communication. Pompier, SAMU, une prise en charge qui se voulait efficace, bien qu’interrogative. Et la suite, batterie de tests à l’hôpital, scanner, IRM et rien. Oui, effectivement plus rien, une absence complète de son histoire et tout ce qui se rapporte à lui. Savoir les saisons ou le sens de l’orientation, tout cela fonctionne. Mais son nom, sa date de naissance, s’il a des parents, s’il a été baptisé, qu’il est chrétien et diacre de l’Eglise catholique. Non, rien, plus rien du tout. L’amnésie. On voit ça dans les films avec une intrigue, ou dans des histoires que l’on raconte. Mais avoir la personne en face de soi, lui parler et l’entendre répondre « oui, on dit que je suis chrétien, donc c’est que cela doit être vrai » fait partie aussi d’une réalité mystérieuse de l’homme.

 

         Certes, il vient à la messe tous les dimanches et se met au premier rang, habituellement vide de l’Eglise, les gens préférant se mettre un peu plus en retrait. Il est là, presque seul, répondant à l’office, mais avec l’ombre de l’absence et ses nuits d’interrogation d’une vie avec Dieu. Une absence de connaissance, et de mémoire de son histoire, ce n’est pas faute de mauvaise volonté, mais d’absence, simplement d’absence d’un savoir semblant irrécouvrable. Certes nous sommes parfois interpellés par l’immédiateté de la mort, cela nous rappelle nos propres limites. Parfois, à travers la maladie, nous connaissons des nuits spirituelles et des combats. Mais là, encore plus qu’ailleurs, devant un cas d’amnésie, nous mesurons notre impuissance et nous essayons de comprendre le sens de ce que nous avons à vivre et de ce que l’autre a à vivre.

 

         Parfois je me demande si nous ne sommes pas nous-mêmes atteints d’amnésie, lorsque nous oublions que le service de la charité est premier et que, pour des mesures dites sanitaires ou sociales, nous abandonnons le poste. D’autre fois, nous ne faisons pas mémoire de notre vie devant le Seigneur, oubliant de prier en temps de pandémie ou de demander au Ciel l’aide nécessaire au réconfort en se reposant sur l’effort humain. Il y a des cas où l’espérance laisse place à la peur et à l’irrationnel des comportements erratiques. « Galates stupides, qui donc vous a ensorcelés ? »[i]. Oui, il nous faut retrouver nos esprits et écouter le souffle de Dieu porter le feu sur la terre. Citoyen de la civilisation de l’amour, nous devons témoigner de notre espérance et non suivre la vanité du moment. Cela demande d’oser entrer en résistance et d’affirmer sa foi. L’Esprit nous appelle à vivre le don de Dieu dans nos vies et ainsi reconnaître la vraie joie, celle du cœur. Car vraiment il nous faut retrouver la mémoire pour nous souvenir que « La joie du Seigneur est notre rempart »[ii],  

 

Père Greg BELLUT

Curé de St Charles Borromée

 

[i]  Ga 3,1

[ii] Ne 8,10