Méditation du 28e dimanche du T.O.

« Voici notre Dieu, en Lui nous espérions, et Il nous a sauvés »

 

« Le Seigneur est mon berger », tout chemin de foi amène à la confiance et au repos. La confiance en Dieu et le repos de l’âme qui sait sur qui elle peut compter. Mais loin de s’encombrer de questionnement, au contraire la foi amène à un certain dépouillement de soi pour aller à la rencontre de l’autre et du Tout-Autre. Ni misérabilisme, ni indigence, mais également ni sophistication, ni contentement de son avoir, la foi amène à recentrer notre vie sur notre vocation de fils de Dieu et l’espérance du Salut. La Parole de Dieu est notre boussole dans la nuit obscure du combat, pour nous mener à la victoire. « Tout salut qui puisse exister pour l’homme touche à cet échange originel entre le Christ, l’Un, et nous, la multitude et c’est l’humilité de la foi d’admettre cela »[i] Or dans le combat justement nous devons retrouver cette simplicité de l’humilité pour accueillir Dieu tel qu’Il est. L’admirable échange dans la relation à Dieu demande la simplicité de la rencontre et la disponibilité à tout recevoir de Lui.

 

1.   La sainteté, une simplicité de vie de l’amour pour la profusion de joie

« Frères, je sais vivre de peu, je sais aussi être dans l’abondance. » l’appel à la simplicité de vie nous touche tous. Elle est une résonnance de l’amour de Dieu et de l’attente du Royaume, rien ne sert de s’attacher aux choses qui passent, « Dieu seul suffit. » Se recentrer en Dieu nous redonne ce goût de liberté où tout devient possible parce que l’amour nous conduit. « Oui, l’amour est «extase», mais extase non pas dans le sens d’un moment d’ivresse, mais extase comme chemin, comme exode permanent allant du “je” enfermé sur lui-même vers sa libération dans le don de soi, et précisément ainsi vers la découverte de soi-même, plus encore vers la découverte de Dieu. »[ii] Le cheminement intérieur est donc une redécouverte de notre vocation de fils de lumière et en même temps un ajustement de tout notre être, en conformité à notre nature d’image de Dieu, appelé à la ressemblance. « Pour arriver à connaître Dieu et à se connaître soi-même, la vraie voie c’est la nuit obscure du sens avec ses sècheresses et ses vides. .. Elle retire de cette nuit de l’appétit l’humilité spirituelle, vertu contraire au premier mauvais penchant de l’homme, c’est-à-dire à l’orgueil spirituel… De là naît l’amour du prochain »[iii] Le dépouillement n’est pas à rechercher pour lui-même, mais en vue d’améliorer nos relations humaines et le rapport aux autres et au Tout-Autre.

 

Effectivement le pauvre en esprit se contente de ce qu’il a. Pas la peine d’avoir le plus grand écran de télévision ou la montre dernier modèle. Nul besoin d’avoir les vêtements à la mode ou l’objet que tout le monde a pour se faire valoir. C’est de Dieu que j’attends tout. La simplicité de vie est l’école de la joie parce que nous restons à l’écoute du souffle de l’Esprit, et nous sommes conduits vers le Père par le Verbe fait chair. Le sens de notre vie est de faire la vérité de l’amour en recherchant l’ajustement à la Parole de Dieu et à la communion fraternelle. « Toute personne expérimente en elle un élan pour aimer de manière authentique : l’amour et la vérité ne l’abandonnent jamais totalement, parce qu’il s’agit là de la vocation déposée par Dieu dans le cœur et dans l’esprit de chaque homme. Jésus Christ purifie et libère de nos pauvretés humaines la recherche de l’amour et de la vérité et Il nous révèle en plénitude l’initiative d’amour ainsi que le projet de la vie vraie que Dieu a préparée pour nous. »[iv] Alors tout prend sens, alors nous choisissons le tout et laissons là le superficiel. La vie de foi est ancrée dans la simplicité du monde qui passe et un rapport à l’argent, au pouvoir et aux plaisirs à leurs justes places, c’est-à-dire comme un moyen et non comme une fin. Nous sommes attendus avec ce témoignage de vie qui redonne sens à ce qui est premier et délaisse les vents illusoires de ce monde, qui porte une mode mais ne s’arrête jamais et fait tourbillonner les têtes en vidant les cœurs.

 

La simplicité de vie ouvre à l’émerveillement de ce qui nous entoure et de l’extraordinaire de Dieu dans l’ordinaire. « Comment pourra-t-il être reconnaissant à Dieu celui qui n’est pas capable de profiter de ses petits cadeaux quotidiens, celui qui ne sait pas s’arrêter devant les choses simples et agréables qu’il rencontre à chaque pas ? »[v] Comment pourra-t-il accueillir les dons de Dieu s’il s’encombre du superficiel et être dans la récrimination avant d’être dans l’accueil ? La simplicité de vie amène à l’accueil des fruits de l’Esprit Saint, dont la joie, et développe l’amour fraternel pour reconnaître en chacun une œuvre de Dieu. Or justement, l’appât du gain, la recherche de plaire et la volonté de commander entraînent violence, clivage, frustration et dénigrement et rompent notre relation avec les autres et avec le Tout-Autre. L’enjeu de l’Evangile est de nous remettre sur le chemin de la vérité, pour découvrir la source de la vie qui est l’amour. Avec l’amour, tout est possible dans l’ordre de la création. « Saint François, qui se sentait frère du soleil, de la mer et du vent, se savait encore davantage uni à ceux qui étaient de sa propre chair. Il a semé la paix partout et côtoyé les pauvres, les abandonnés, les malades, les marginalisés, les derniers »[vi] La simplicité de vie dans la radicalité de la pauvreté ouvre d’autres horizons, où le frère devient chemin du Salut. Ne l’oublions pas.

2.   La Parole de Dieu comme boussole de vie

 

Néanmoins, il serait vain de lire la Parole de Dieu sans y chercher les implications dans notre vie. Le premier point est le rapport à l’argent qui peut s’opposer à la simplicité de vie. On le voit chez certains hommes qui cherchent à posséder la plus luxueuse voiture pour en jeter plein les yeux aux autres, plutôt que pour son confort personnel. C’est vrai aussi pour des femmes recherchant à tout prix les plus beaux vêtements à des prix indécents, juste pour montrer qu’elles ont de l’argent. Un reportage montrait des riches milliardaires, payant des fortunes pour du maquillage et une forme de relookage, mais entraînant l’impossibilité de les embrasser afin de ne pas abîmer ce qu’elles ont payé à prix d’or. Le paradoxe entre l’apparence et l’empêchement du relationnel est saillant.

 

Hélas le culte de l’apparence est intergénérationnel. C’est vrai pour les jeunes voulant porter la marque et recherchant à travers l’argent les moyens d’étancher les plaisirs qui passent ou réclamant à leurs parents de l’argent de poche sans tenir compte des possibilités de la famille. Tout n’est pas question de justice ou d’autonomie, mais d’abord de vie de communion. Or dans les domaines de l’argent, il faut revenir à un principe de réalité. « Le jugement de la conscience est un jugement pratique, un jugement qui intime à l’homme ce qu’il doit faire ou ne pas faire, ou bien qui évalue un acte déjà accompli par lui. C’est un jugement qui applique à une situation concrète la conviction rationnelle que l’on doit aimer, faire le bien et éviter le mal. »[vii]  Les saintes Ecritures nous rappellent la loi de Dieu et le principe de la fraternité, pour mieux respecter notre vocation propre. Sauvés par le Christ, nous sommes invités à vivre de l’Evangile et à faire nôtre, dans nos actes, l’amour de Dieu.

 

C’est pourquoi le travail doit respecter les personnes et c’est en cela que l’esclavage est intrinsèquement mauvais, que ce soit dans les plantations de marijuana en Amérique du Sud ou dans les fermes de GPA en Afrique ou en Asie. Il nous faut rappeler que le travail des enfants est à rejeter, parce qu’il empêche l’éducation et la possibilité d’émancipation. Il est inhumain, parce que l’argent prétend régir la vie et la mort des personnes. Le jugement de conscience nous aide à prendre conscience de la relation fraternelle et du devoir de responsabilité : « qu’as-tu fait de ton frère ? ». Nous avons à nous questionner sans cesse sur le rapport au travail et notre consommation. Nous ne pouvons pas pleurer le chômage du pays et toujours vouloir acheter le moins cher possible pour mieux profiter de la société des loisirs. Comme nous ne pouvons pas proposer des prix prohibitifs afin d’assurer des acquis sociaux qui deviennent des privilèges et une cause d’inégalité.

 

N’oublions pas de tempérer aussi notre recherche de pouvoir. Pour les adultes cela se remarque assez aisément chez ceux qui veulent briller en société, ceux qui recherchent la reconnaissance à travers des postes prestigieux et ceux qui veulent dominer le monde ou le manipuler, au lieu d’accueillir toutes les relations fraternelles et d’avoir un projet commun. Le problème de la franc-maçonnerie est d’ailleurs, à ce niveau-là, le refus de fraternité et une forme de racisme relationnel, car elle impose une initiation aux uns au détriment des autres, qui ne doivent pas savoir. Il est aussi vrai pour les jeunes avec la bande de copains qui excluent ceux qui ne pensent pas comme eux, ou qui rejettent ce qui leur est dissemblable, souvent sans discernement. C’est vrai dans une société qui catégorise ceux qui ont le droit de vivre et les autres. « Au fond, les personnes ne sont plus perçues comme une valeur fondamentale à respecter et à protéger, surtout celles qui sont pauvres ou avec un handicap, si elles “ne servent pas encore” – comme les enfants à naître –, ou “ne servent plus” – comme les personnes âgées. »[viii] Les manifestations contre les PMA et l’implication sociale que cela a, montrent cette lutte des pouvoirs et des désirs désordonnés, amplifiés par la fascination technique sanitaire et l’illusion de toute puissance. Tout va dans un même sens d’absolu du pouvoir et de domination, au détriment de la richesse des personnes et de leur identité, et surtout de l’importance du relationnel. Le pouvoir entraîne l’orgueil et la suffisance, il coupe de la relation fraternelle, de la simplicité de vie, mais l’accueil du quotidien pousse à s’émerveiller de ce qui nous arrive. Il faudrait réfléchir à une éthique économique et aux conséquences d’achat sur des marchés qui posent un certain nombre de problèmes, tant pour la dignité de l’homme que pour la violence que cela engendre, ou même le scandale des déséquilibre que cela opère.

 

S’il y a un biais que nous connaissons dès l’origine, c’est l’esprit de séduction. C’est d’ailleurs par ce biais que la problématique du péché originel se pose. Parce qu’elle voit le fruit beau et séduisant, Eve propose à Adam de croquer dedans. L’illusion des couples aujourd’hui, qui se mettent en période d’essai dans leur histoire pour savoir si cela colle, tout en ne voulant pas s’attacher, est comique dans son injonction paradoxale. La concupiscence de la chair, c’est se laisser séduire et rendre l’autre objet de mon désir. Un monde plein d’apparence qui ne supporte pas la réalité du temps qui passe, comme œuvre de discernement. Le temps nous introduit dans une dimension d’étape de croissance, afin d’entrer pleinement dans la grande espérance du Salut. Or le corps comme objet en est le “handicap”. Ce n’est pas tant la recherche de partenaire dans sa vie, que de vouloir vivre en dehors des cycles, la recherche d’enfant à tout prix, entre dans cette perversion du désir et l’esprit de séduction. Pourquoi l’esprit de séduction et d’une sexualité irresponsable nous pousse à une rupture fraternelle ? Parce qu’elles ne laissent pas à l’autre sa propre liberté et lui imposent un assujettissement irresponsable. Or c’est l’amour de Dieu qui nous rend fils de roi, et notre vocation d’image de Dieu empêche, au plus profond de notre conscience, de restreindre cette dignité propre. Oui, « cette conscience d’avoir reçu ce don, de posséder en Jésus-Christ l’amour de Dieu, fait naître et soutient la réponse responsable d’un amour total envers Dieu et entre les frères »[ix] En effet la force de l’amour se rencontre en Jésus, qui a donné sa vie pour nous. C’est-à-dire que l’amour est d’abord un service dans le don sincère de soi-même, bien loin de l’esprit de séduction et des affres de la possession.

 

 

 

3.   « Je peux tout en celui qui me fortifie »

 

L’appel à la solidarité de saint Paul est justement une recherche de communion fraternelle où tout n’est pas écrit d’avance mais demande l’inventivité relationnelle pour nous retrouver autour d’une même civilisation de l’amour. Si le Seigneur est bien mon berger, il conduit aussi son troupeau c’est-à-dire mes frères et sœurs dans la foi, vers les verts pâturages du Salut. Rien n’est écrit d’avance, mais chaque acte demande une réponse de notre liberté. « Dieu met en cause tous les genres de déterminisme ou de fatalisme qui cherchent à justifier l’indifférence comme la seule réponse possible. Il nous dote, au contraire, de la faculté de créer une culture différente qui nous permet de surmonter les inimitiés et de prendre soin les uns des autres »[x]. La véritable solidarité est bien de prendre soin les uns des autres, en refusant toute logique de peur et de mise à distance. C’est pourquoi tout principe de précaution sanitaire, ou d’évaluation des risques, ne doit pas se faire sans discernement et sans l’apanage de toutes les disciplines, pour en mesurer les effets dans tous les domaines et exercer la vertu de prudence, afin de prendre des décisions responsables.

 

La vie de foi est toujours une pratique de l’amour ancré dans la réalité de la grande espérance du Salut. Se tenir prêt pour l’invitation du roi et y répondre par la disponibilité de notre être, voici la vraie simplicité qui est gratuité de l’amour. Alors nous entendrons le Seigneur nous dire : « Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume préparé pour vous depuis la fondation du monde. » L’espérance du Salut est juste un écho à l’amour de Dieu qui est premier, et en même temps une promesse dans la fidélité de s’attacher à ce qui fait sens. Oui, « je peux tout en celui qui me fortifie ». C’est un cri de foi dans l’espérance et il nous rejoint directement dans notre vie. Avec Dieu, tout est possible, car c’est Lui qui donne la force. Oui l’amour peut émerger avec force, parce que Dieu est présent. Le véritable amour, celui qui est don de Dieu pour l’homme et appelle à la responsabilité de l’homme pour le développer par la vertu. Cet amour reçu et vécu peut être partagé dans la joie de l’Esprit Saint. « Comme Dieu nous a aimés le premier[xi], l’amour n’est plus seulement un commandement, mais il est la réponse au don de l’amour par lequel Dieu vient à notre rencontre. »[xii] Et nous en témoignons dans nos communautés de foi lorsque nous sommes attentifs aux autres et que nous exerçons le service de la charité. En un mot lorsque nous nous montrons solidaires. « L’amour est donc le service que l’Église réalise pour aller constamment au-devant des souffrances et des besoins, même matériels, des hommes. »[xiii] Et cela se réalise notamment par la conférence saint Vincent de Paul dans le service du frère, à travers la collecte d’aliments et de vêtements d’une part, et du dialogue avec tous d’autre part. Le don n’est pas que matériel, mais passe aussi par le dialogue et la gratuité du temps passé.

 

Cette disposition du cœur à faire confiance à Dieu relève de la découverte de son action dans ma vie. « Le Seigneur défend les petits, j’étais faible, Il m’a sauvé.. » Il est à mes côtés et m’invite à la confiance, parce qu’« Il me mène vers les eaux tranquilles et me fait revivre ». Il est là, juste près de moi, et m’assiste dans les choix de la vie pour m’inviter à Le suivre dans la vérité de mon être. Cette force de Dieu me fait « traverser les ravins de la mort » sans craindre « aucun mal » parce qu’Il m’accompagne à chaque instant. Et l’Esprit Saint, me donne la force pour continuer de marcher avec Dieu en tout temps et en tout lieu. Il vient au plus profond de nos désirs pour nous faire redécouvrir la réalité de notre identité spirituelle et le secret de l’amour, pour vivre la communion en vérité et ainsi développer cette civilisation de l’amour si fragile dans sa construction et si forte par son rayonnement. Le témoignage de notre foi demande cette confiance inébranlable dans la volonté de Dieu et la recherche incessante de l’accomplir à chaque instant de notre vie. « Loin de se laisser prendre au piège de sa condition de pécheur, l’homme, s’appuyant sur la voix de sa propre conscience, doit donc “sans cesse combattre pour s’attacher au bien ; et ce n’est qu’au prix de grands efforts, avec la grâce de Dieu, qu’il parvient à réaliser son unité intérieure[xiv]. »[xv] Or c’est justement dans ces moments de faiblesse que nous ressentons le plus la grâce de Dieu et que nous avançons dans la confiance. Cette foi qui déplace les montagnes parce que nous ne comptons pas sur nous-mêmes mais nous laissons Dieu agir avec notre faible participation.

 

Nous ne sommes pas spectateurs de l’action de Dieu, nous devons même y être des participants, tout en nous sachant serviteurs inutiles. Dieu fait mais s’appuie sur notre liberté pour agir. Or notre liberté commence par la prière et ce dialogue amoureux plein de confiance et d’attention. Oui, la faiblesse du péché nous a atteints en plein cœur, mais Jésus est venu pour nous sauver et l’Esprit Saint nous le révèle. En effet, « celui qui, dans le mystère de la création, donne à l’homme et au cosmos la vie sous ses multiples formes visibles et invisibles, la renouvelle encore par le mystère de l’Incarnation. »[xvi] Dans le Christ Jésus nous pouvons être attentifs aux besoins du frère d’une manière renouvelée, car la loi de l’amour transcende toute appartenance à un peuple choisi, afin de vivre l’universalité de la Toute Puissance de Dieu, et son mystérieux déploiement dans le monde. « Chaque génération doit faire siens les luttes et les acquis des générations passées et les conduire à des sommets plus hauts encore. C’est là le chemin. Le bien, comme l’amour également, la justice et la solidarité ne s’obtiennent pas une fois pour toutes ; il faut les conquérir chaque jour. »[xvii] Nous sommes ainsi participants à l’œuvre de Dieu en faisant ce qui est de notre possible et en laissant Dieu faire tout le reste. La vie de l’Eglise est une vie de solidarité ancrée dans la prière et trouvant sa force dans l’eucharistie, sachant se purifier par le sacrement de réconciliation et vivant la fidélité à travers les sacrements de l’engagement que sont le mariage et l’ordination.

 

4.   Vivre la vie en Dieu c’est nous laisser conduire par l’Esprit

Configuré au Christ, chaque chrétien doit resplendir de sa lumière pour annoncer au monde la Bonne Nouvelle du salut. Or l’annonce s’expérimente déjà en communauté. Vivre de la vie de Dieu, dans la vérité de l’amour, demande une réalité qui se vit d’abord en famille et dans la vie ecclésiale. Nous ne pouvons donner au monde que ce que nous expérimentons déjà pour nous-mêmes. « L’amour donne une substance authentique à la relation personnelle avec Dieu et avec le prochain. Il est le principe non seulement des micro-relations : rapports amicaux, familiaux, en petits groupes, mais également des macro-relations : rapports sociaux, économiques, politiques. »[xviii]Nous rejoignons la Parole lorsque nous sommes fidèles dans les petites choses, c’est-à-dire lorsque nous en faisons notre quotidien, dans les choix que nous posons. De plus elle nous rend fidèle pour les grandes orientations de vie. C’est ainsi qu’il en va de l’amour partagé au sein de nos cercles restreints qui rayonne dans toutes nos actions et fait de nous des témoins crédibles. La civilisation chrétienne, dans l’appel à la liberté et l’égale dignité, a permis l’émergence d’une histoire commune riche tant en ingéniosité technique, que sociétale. La paix a été une avancée pour le développement des compétences, et le respect du travail un moteur d’efficacité pour progresser.

 

Certes il faut être attentif pour que le service de la charité ne soit pas de l’assistanat ou une forme d’injustice par rapport à ceux qui effectuent un labeur, mais reste dans la relation normale d’une solidarité ancrée dans notre foi au Christ Sauveur. « Je suis conscient des dévoiements et des pertes de sens qui ont marqué et qui marquent encore la charité, avec le risque conséquent de la comprendre de manière erronée, de l’exclure de la vie morale et, dans tous les cas, d’en empêcher la juste mise en valeur. »[xix] Pire encore est de déléguer ce service de la charité aux sachants ou à ceux qui sont missionnés, pour mieux s’en dédouaner et ainsi délaisser le service du frère. De plus les dysfonctionnements que nous pouvons observer ici ou là ne doivent pas rendre relatif notre appel à vivre l’amour du frère dans les réalités pratiques tant sociales que juridiques ou économiques et à rechercher une juste politique dans un déploiement du partage culturel et une volonté d’équité à travers le bien commun. « La vérité doit être cherchée, découverte et exprimée dans …l’amour, mais l’amour doit être compris, vérifié et pratiqué à la lumière de la vérité. Nous aurons ainsi non seulement rendu service à l’amour, illuminé par la vérité, mais nous aurons aussi contribué à rendre crédible la vérité en en montrant le pouvoir d’authentification et de persuasion dans le concret de la vie sociale. »[xx] Et saint Paul nous dit que nous manifestons Dieu lorsque nous savons vivre l’amour en nous et autour de nous, dans l’attention aux frères. L’annonce de l’Evangile est manifestation de l’amour de Dieu dans notre vie et partage avec nos frères. Tout prend sens dans cette vie en Dieu.

 

La joie en Dieu est découverte d’un amour qu’il nous offre et que nous avons à vivre dans la vérité de toutes nos relations. Cette joie est alors l’expression de notre foi fondée sur la grande espérance du Salut et sa réalisation dans l’amour témoigné. Et le rapport fraternel nous incite à être vigilants pour maintenir le lien malgré l’obscurité du péché des origines. Car si celui-ci nous a éloignés de cette familiarité avec Dieu, il nous a éloignés de cette familiarité humaine. « En réalité, la foi fonde la reconnaissance de l’autre sur des motivations inouïes, car celui qui croit peut parvenir à reconnaître que Dieu aime chaque être humain d’un amour infini et qu’« il lui confère ainsi une dignité infinie »[xxi]. À cela s’ajoute le fait que nous croyons que le Christ a versé son sang pour tous et pour chacun, raison pour laquelle personne ne se trouve hors de son amour universel. »[xxii] Le don de Dieu est pour chacun d’entre nous et pour tous les hommes, c’est pourquoi nous avons l’impératif de l’annonce explicite de notre foi. Certes il nous faut vivre l’amour, oui, nous devons fonder toutes nos actions sur la grande espérance du Salut ; certes, c’est dans la fidélité à Dieu et la confiance en son œuvre que nous agissons. Tout cela est vrai. Mais le témoignage se vit obligatoirement dans l’annonce explicite, et ce n’est pas du prosélytisme mais juste la vérité de ce qui fait notre vie. De cette présence de Dieu, comme un berger qui nous conduit vers le repos et qui nous appelle à faire troupeau afin de nous laisser guider par lui ‘tous les jours de notre vie’. Oui nous avons à porter le salut de Dieu au monde, pour rétablir le sens de notre vocation et retrouver notre dignité de fils de Dieu, de fils de Roi. C’est-à-dire le sens de nos actes et la liberté de l’amour, qui nous fait toujours agir en vérité et, en même temps confrontés à nos limites, vivre le pardon et se sentir encouragés à choisir la belle vie des disciples du Christ. « La nouvelle évangélisation doit impliquer que chaque baptisé soit protagoniste d’une façon nouvelle. Cette conviction se transforme en un appel adressé à chaque chrétien, pour que personne ne renonce à son engagement pour l’évangélisation, car s’il a vraiment fait l’expérience de l’amour de Dieu qui le sauve, il n’a pas besoin de beaucoup de temps de préparation pour aller l’annoncer… Tout chrétien est missionnaire dans la mesure où il a rencontré l’amour de Dieu en Jésus Christ. »[xxiii]

 

Synthèse

La rencontre du Christ se vérifie dans l’amour du frère, comme nous le rappelle saint Paul, cet amour qui se vérifie à travers nos actes de solidarité et l’attention aux autres. Prendre soin les uns des autres, nous disait le synode diocésain, c’est un impératif de la mission pour annoncer avec audace la joie de la vie en Dieu. « La solidarité se manifeste concrètement dans le service qui peut prendre des formes très différentes de s’occuper des autres. Servir, c’est « en grande partie, prendre soin de la fragilité. Servir signifie prendre soin des membres fragiles de nos familles, de notre société, de notre peuple ». »[xxiv] Engageons-nous dans la transformation de notre cœur à être disponible pour vivre notre vocation de fils de Dieu, et sachons être missionnaires par nos façons de vivre et d’être. « C’est lui le Seigneur, en lui nous espérions ; exultons, réjouissons-nous : il nous a sauvés ! »

 

Père Greg BELLUT – Curé de St Charles Borromée – 15 octobre 2020

 

 

[i] Les nouveaux païens – J Ratzinger

[ii] &6 Dieu est amour

[iii] &7 La nuit obscure Livre 1 chapitre 12 saint Jean de la Croix, œuvres complètes p 931

[iv] &1 Caritas in veritate

[v] & 146 Christus vivit

[vi] &2 Fratelli Tutti

[vii] &59 Veritatis splendor

[viii] &18 Fratelli Tutti

[ix] &24 Veritatis splendor

[x] &57 Fratelli Tutti

[xi] cf. 1 Jn 4, 10

[xii] &1 Dieu est amour

[xiii] &19 Dieu est amour

[xiv] Ibid.GS 37

[xv] &44 Dominum et vivificantem

[xvi] &52 Dominum et vivificantem

[xvii] &11 Enc Fratelli Tutti

[xviii] &1 Amour dans la vérité

[xix] &2 Amour dans la vérité

[xx] &ibid

[xxi] St. Jean-Paul II, Message aux personnes porteuses de handicap, Angélus à Osnabrück – Allemagne (16 novembre 1980) : L’Osservatore Romano, éd. en langue italienne (19 novembre 1980), p. 13.

[xxii] &85 Fratelli Tutti

[xxiii] &120 Evangelii Gaudium

[xxiv] &115 Fratelli Tutti