Lettre des Nations

Famille et éducation – L’intelligence de la foi dans la diversité des vocations : télécharger la lettre.

 

« Parce que nous sommes les membres de son corps »

 

            « L’amour rend service » Il paraît difficile d’entendre cela aujourd’hui dans une société à forte dominante individualiste et pourtant, s’il y a un bénéfice de la crise du Covid Wuhan, c’est justement une hiérarchie des valeurs qui redonne sens à l’homme, à la relation humaine et à l’attention envers nos frères dans leurs pauvretés. Or la relation familiale est un apprentissage d’humanité pour nous ouvrir à notre vocation propre. « La famille est en quelque sorte une école d’enrichissement humain. »[i].Un lieu d’éclosion de nos personnalités pour enrichir le monde de nos propres charismes et ainsi contribuer à la civilisation de l’amour.

 

Dans cette perspective, le service dans la rencontre est alors compris comme don de soi et prolongement de la patience dans la relation. Une dynamique de la patience se vit dans le service et l’amour trouve alors comment faire le bien par la réalité de nos actes. « C’est ainsi que le but fondamental de la famille est le service de la vie, la réalisation, tout au long de l’histoire, de la bénédiction de Dieu à l’origine, en transmettant l’image divine d’homme à homme, dans l’acte de la génération. »[ii] La famille annonce et, en même temps, participe à l’avènement du Royaume, en permettant au plus grand nombre d’y accéder. C’est pourquoi la première cellule ecclésiale est la famille. En effet, elle dit le mystère de la vie qui se reçoit comme un appel, une demande, et par la suite se poursuit dans une histoire commune pour être féconde en partageant cette vie reçue. « Cette mission d’être la cellule première et vitale de la société, la famille elle-même l’a reçue de Dieu. Elle la remplira si, par la piété de ses membres et la prière faite à Dieu en commun, elle se présente comme un sanctuaire de l’Église à la maison ; si toute la famille s’insère dans le culte liturgique de l’Église ; si enfin elle pratique une hospitalité active et devient promotrice de la justice et de bons services à l’égard de tous les frères qui sont dans le besoin. »[iii] Le témoignage de notre foi passe par la vie familiale et l’attention à chacun dans la construction de son identité, mais plus encore de sa personnalité. C’est même la vocation propre des laïcs que d’être attentifs au devoir d’état d’éduquer les enfants et de permettre à chacun de trouver sa place dans la relation avec frères, sœurs et parents d’une part, et dans la vie sociale ou, plus tard, la vie de la cité d’autre part.

 

J’éprouve un certain malaise parfois lorsque je visionne certains téléfilms américains, de voir des jeunes en guerre avec leurs parents dans cette sacro-sainte crise d’adolescence, qui apparaît comme la norme de la relation des jeunes et la nécessaire étape de croissance. S’il y a bien un changement de comportement qui fasse passer de l’enfant à l’adulte, c’est certain, les crises d’adolescence telles que parfois décrites dans certains films sont plutôt pathologiques, il faut en être conscient. Dans nos communautés chrétiennes, nous devons témoigner de cette vie de communion entre nous et du devoir de développer un climat de paix afin de permettre à chacun de s’épanouir dans la joie. « L’apostolat des laïcs se trouve là, dans la famille où la religion chrétienne pénètre toute l’organisation de la vie et la transforme chaque jour davantage. Là, les époux trouvent leur vocation propre : être l’un pour l’autre et pour leurs enfants témoins de la foi et de l’amour du Christ. La famille chrétienne proclame hautement à la fois les vertus du Royaume de Dieu et l’espoir de la vie bienheureuse. Ainsi, par son exemple et par son témoignage, elle est la condamnation du monde pécheur et la lumière pour ceux qui cherchent la vérité. »[iv] La vie dans l’Esprit nous conduit à rechercher les vertus qui nous permettent d’agir, pour notre bien et celui de nos frères. « La vertu est une disposition habituelle et ferme à faire le bien. Elle permet à la personne, non seulement d’accomplir des actes bons, mais de donner le meilleur d’elle-même. »[v] Or, justement, l’appel à la sainteté est cette recherche de vie vertueuse qui, dans le dynamisme de l’amour, reçoit la grâce de l’Esprit Saint pour s’accomplir de manière surnaturelle et dévoiler ainsi la présence de Dieu au monde. Non, le péché n’est pas une fin en soi, mais Jésus est venu nous sauver, Il est le Seigneur, notre Dieu. Par l’Esprit Saint, nous entrons dans cette révélation du Fils qui nous mène au Père, créateur de l’univers. Et par cette vision trinitaire, j’entre dans le dynamisme de l’amour du Père pour ses enfants, du Fils qui vient racheter chacun de ses frères, de l’Esprit qui vient consolider le Salut promis à tous, dans une vie de grâce, et révèle ainsi l’amour du Père pour chacun d’entre nous.

1       Le défi de l’Education

 

La vie de famille comporte aussi le développement des charismes de chacun, et notamment l’apprentissage d’une certaine autonomie pour l’enfant, celle-ci passant par un apprentissage extérieur des normes pour les intégrer et en faire des normes intérieures. Or reconnaissons-le, l’éducation des enfants demande un investissement des parents, ce qui n’est pas acquis suivant la maturité de ceux-ci, une certaine cohésion familiale et sociale pour que les oncles, tantes et autres puissent développer la conscience du bien chez l’enfant. Reconnaissons-le, « l’« un des défis fondamentaux auquel doivent faire face les familles d’aujourd’hui est à coup sûr celui de l’éducation, rendue plus exigeante et complexe en raison de la situation culturelle actuelle et de la grande influence des médias ».[vi] « L’Église joue un rôle précieux de soutien aux familles, en partant de l’initiation chrétienne, à travers des communautés accueillantes ».[vii] Mais il me semble très important de rappeler que l’éducation intégrale des enfants est à la fois un « grave devoir » et un « droit primordial »[viii] des parents »[ix] et de toute la famille au sens large. Il nous faut rappeler l’importance des interactions familiales pour la croissance de l’enfant, même si je sais bien qu’actuellement, avec les distances géographiques et le rythme de vie de chacun, cela semble être un vœu pieux.

 

Néanmoins, c’est l’un des enjeux majeurs de notre société et cela ne peut ni être dévolu à l’État, ni même à des structures ou pire encore démissionné à des nounous ou autres assistantes maternelle. La famille, est le lieu premier de l’accueil de la Bonne Nouvelle. Et insiste le pape François « c’est un principe de base : « toutes les autres personnes qui prennent part au processus éducatif ne peuvent agir qu’au nom des parents, avec leur consentement et même, dans une certaine mesure, parce qu’ils en ont été chargés par eux ».[x] Mais « une fracture s’est ouverte entre famille et société, entre famille et école, le pacte éducatif s’est aujourd’hui rompu et ainsi, l’alliance éducative de la société avec la famille est entrée en crise ».[xi] »[xii] l’importance de rappeler que la transmission de la foi n’est pas une annexe de la vie, mais ce qui au contraire fait sens à tout le reste doit être rappelé à chaque instant. Que ce soit les études, les rencontres familiales, le sport, la musique, les loisirs, bref ce qui fait notre quotidien, tout doit partir de notre vocation baptismal de prêtre, prophète et roi, et nous y ramener sans cesse, dans un courant continu d’une vie de l’esprit qui garde la tête au ciel et les pieds sur terre.

 

Certains naufrages de jeunes que j’ai pu observer ont souvent été un manque de vie spirituelle et, du coup, une perte du sens de la vie et de ce qui fait la beauté de l’être. Or l’enfant comme l’adulte, chacun d’entre nous, doit comprendre qu’il est une merveille de Dieu, désiré par Lui pour entrer dans son dessein créateur, et apporter notre contribution au développement des talents que nous devons cultiver et faire germer. C’est le cœur de notre responsabilité d’être toujours offerts dans le don sincère de nous-mêmes[xiii], et c’est ainsi que Dieu nous a voulus pour participer avec Lui à l’œuvre d’amour. Dans le questionnement de la famille, il faut rappeler à chacun que l’important est bien d’être enfant de Dieu et de vivre cette richesse du Salut dans tout ce que nous vivons. Très concrètement, rappeler que nous sommes enfants d’un même Père, et que nous devons œuvrer pour le Royaume dans ce temps qui passe. La personne n’est jamais seule mais doit profiter d’un réseau relationnel qui lui permette de s’épanouir et de se dire en vérité. Lorsque les difficultés arrivent, loin de sombrer dans le désespoir ou des impasses présentées comme des solutions, elle doit avoir les ressources nécessaires pour se laisser saisir et accueillir, afin de passer la Mer Rouge et entrer dans la rencontre toujours plus profonde et plus réelle avec Celui qui est l’au-delà de tout.

 

L’enfant murit dans une histoire familiale, il demande un partage intergénérationnel et inter familial, afin de se reconnaître pleinement au cœur d’une histoire particulière. Ces deux dimensions ne peuvent pas être occultées, notamment celle de la mort. «  La famille est au premier chef comme la mère nourricière de cette éducation : en elle, les enfants, enveloppés d’amour, découvrent plus aisément la hiérarchie des valeurs, tandis que des éléments d’une culture éprouvée s’impriment d’une manière presque inconsciente dans l’esprit des adolescents, au fur et à mesure qu’ils grandissent. »[xiv] Il nous faut rappeler avec force la place des parents comme premiers éducateurs et de la famille parentale comme premier équilibre social, dans la construction de la personnalité du petit d’homme. L’évangile et les Écritures contribueront alors au développement de la conscience droite, lieu intime où chacun se retrouve face à son créateur pour prendre la décision qu’il convient pour la construction de la civilisation de l’amour dans la recherche du bien, du bon et du beau. C’est-à-dire discerner ce qui construit et le poursuivre, même si cela demande des efforts, de la persévérance et une certains ascèse. Nous devons fuir ce qui conduit au péché et à la culture de mort, dans les avancées dites bioéthiques, d’avortement, d’euthanasie, de trifouillage des ADN/ARN, de la théorie du genre, du transhumanisme, bref le panier de tout ce qui amène au désespoir et au non-sens dans l’illusion d’une vie meilleure basée sur l’argent, le rapport de force et la rupture d’égalité.  

 

 

 

 

1.1     Une invitation à la liberté

L’éducation doit être un lieu de découverte de la liberté pour celui qui la reçoit et de construction d’une conscience recherchant la vérité de l’amour. C’est ainsi que nous œuvrons pour le bien de l’enfant dans l’intimité de son être à prendre ses responsabilités et à rendre compte de ses actes. «  L’éducation de la conscience est une tâche de toute la vie. Dès les premières années, elle éveille l’enfant à la connaissance et à la pratique de la loi intérieure reconnue par la conscience morale. Une éducation prudente enseigne la vertu ; elle préserve ou guérit de la peur, de l’égoïsme et de l’orgueil, des ressentiments de la culpabilité et des mouvements de complaisance, nés de la faiblesse et des fautes humaines. L’éducation de la conscience garantit la liberté et engendre la paix du cœur. »[xv] Il est clair que cela demande du temps aux éducateurs afin d’entrer en relation, d’écouter l’enfant parler de sa journée, de ses rencontres, de ses amitiés, et avec lui discerner ce qui est bon et ce qui peut poser question. Avec la culture de mort, les parents chrétiens actuels doivent s’investir d’autant plus sur ce qui est enseigné et remettre d’équerre. Mais c’est toujours dans un dialogue et avec la raison que l’on peut montrer au jeune les inepties enseignées ou l’hypocrisie des prises de positions qui engendrent une forme de tyrannie de l’opinion. « La famille est donc la première école des vertus sociales nécessaires à toute société. Mais c’est surtout dans la famille chrétienne, riche des grâces et des exigences du sacrement de mariage, que dès leur plus jeune âge les enfants doivent, conformément à la foi reçue au baptême, apprendre à découvrir Dieu et à l’honorer ainsi qu’à aimer le prochain ; c’est là qu’ils font la première expérience de l’Église et de l’authentique vie humaine en société ; c’est par la famille qu’ils sont peu à peu introduits dans la communauté des hommes et dans le peuple de Dieu. Que les parents mesurent donc bien l’importance d’une famille vraiment chrétienne dans la vie et le progrès du peuple de Dieu lui-même »[xvi]. Le devoir de piété est premier dans une famille chrétienne, d’où l’importance de prier ensemble dès le plus jeune âge, de savoir réciter le chapelet en famille en n’excluant personne, mais en adaptant aux âges la durée, ou en permettant une animation durant la prière pour aider à l’apprentissage de l’intériorité. Apprendre à des enfants de maternelle le Notre Père mimé, lorsque c’est fait avec sérénité, est aussi une prière, d’autant plus digne qu’elle fait participer le corps à l’âme pour se tourner vers le Créateur, comme se mettre à genoux, ou debout, ou assis, autant de positions du corps qui participent à un temps de prière adapté aux personnes et aux âges. La question ici est de savoir comment en famille nous pouvons développer la vie spirituelle de chacun et participer à la génération de nouveaux saints. Point besoin d’avoir fait de grandes études de théologie mais, comme parents et éducateurs, faire confiance aux fruits de l’Esprit Saint pour donner les réponses adéquates. Parfois rechercher les réponses auprès d’autres personnes, afin de compléter la première formulation, et ainsi continuer de faire travailler son intelligence dans la foi. L’éducation spirituelle des enfants est aujourd’hui dans nos familles catholiques un vrai défi, n’en doutons pas. La foi est AUSSI une aventure communautaire. Elle ne peut être traitée dans le jardin privé de l’intériorité, pour excuser le manque d’extériorité c’est à dire le non-témoignage par l’engagement.

 

L’apprentissage de la liberté demande aussi d’avoir le souci d’éduquer à une conscience droite pour rappeler en vérité ce qui est bien et ce qui est mal. Nommer les choses et amener à une réflexion d’ensemble afin que l’enfant puisse intérioriser l’expérience humaine et œuvrer dans une cité où la dignité de l’homme est respectée du premier jaillissement de la vie au dernier souffle de l’homme. Le travail de la conscience laisse entendre les appels mystérieux que le Seigneur adresse à chacun d’entre nous. « Que les enfants soient éduqués de telle manière qu’une fois adultes, avec une entière conscience de leur responsabilité, ils puissent suivre leur vocation, y compris une vocation religieuse, et choisir leur état de vie, et que, s’ils se marient, ils puissent fonder leur propre famille dans des conditions morales, sociales et économiques favorables. »[xvii] L’exemple de la vertu d’honnêteté ou d’un sain rapport à l’argent entraînera le refus des combines et des abus de biens sociaux. La vertu de justice amènera à vérifier notre relation au frère et le souci de ceux qui nous entourent. Dans la vocation de chacun, la vertu de prudence veillera à discerner les attitudes à adopter et à vérifier que nous sommes en concordance avec un principe de précaution qui prenne en compte toutes les réalités de l’homme.

 

1.2     L’éducation familiale, une proposition à la sainteté

 

L’année de la famille, qu’ouvre le pape avec la fête de saint Joseph le 19 mars prochain, va remettre la place du père dans la cellule familiale, non comme un grand absent, mais comme celui qui avec son épouse donne une complémentarité dans l’éducation des enfants. « Les époux chrétiens s’aident mutuellement à se sanctifier dans la vie conjugale, par l’accueil et l’éducation des enfants ; en leur état de vie et leur ordre, ils ont ainsi dans le peuple de Dieu leurs dons propres[xviii]. De leur union, en effet, procède la famille où naissent des membres nouveaux de la cité des hommes, dont la grâce de l’Esprit Saint fera par le baptême des fils de Dieu pour que le peuple de Dieu se perpétue tout au long des siècles. Il faut que par la parole et par l’exemple, dans cette sorte d’Église qu’est le foyer, les parents soient pour leurs enfants les premiers hérauts de la foi, au service de la vocation propre de chacun et tout spécialement de la vocation sacrée. »[xix] Aujourd’hui dans un esprit de sélection et de pensée contraceptive, l’accueil des enfants devient un défi, certains voyant les familles nombreuses comme une anormalité. Encore faut-il s’entendre sur famille nombreuse, puisqu’on peut en parler à partir de 2 voire 3 enfants. Les autres familles deviennent un phénomène extraterrestre d’avoir 5, 6 enfants voir plus avec toujours l’argument, qui en devient harassant de vide logique, d’économie. De plus, dans une logique centrée sur soi-même et son bien-être des loisirs, l’accueil de la vie et la disponibilité que cela demande imposent des responsabilités et des conséquences à accepter comme un don de Dieu et non une malédiction. L’accueil de la vie n’attend pas la fin des études universitaires ou l’emploi mais doit être sollicité lorsque le couple se sent prêt à accueillir l’enfant dans les réalités qu’ils traversent.

 

Peut-être nous faut-il réfléchir sur le texte du Concile, pour nous rappeler que le baptême des petits enfants entre dans cette logique de la civilisation de l’amour et n’est pas à reporter pour laisser un choix discutable à l’enfant : peut-on proposer un choix en maintenant dans l’ignorance ?. Si nous voulons le bien de l’enfant et vivons pleinement notre foi, le baptême devient une évidence de la transmission de la vie spirituelle, et non un choix parental imposé ou une autorité mal gérée. Mais la demande de baptême et de vie chrétienne exige de chacun de nous un exemple de vie dans les actes que nous menons et les paroles que nous prononçons. Oui, nous devons être dans nos familles des paroles de bénédictions pour ceux qui nous entourent et des exemples à suivre. Nous ferons naître alors des vocations spécifiques suivant la personnalité de chacun et sa richesse intérieure, en montrant l’exemple et en invitant à tendre vers le Christ. La place de la mère est tout à fait particulière dans cette transmission de la foi. «  Je voudrais souligner le ‘‘génie féminin’’… évoquer tant de femmes inconnues ou oubliées qui, chacune à sa manière, ont soutenu et transformé des familles et des communautés par la puissance de leur témoignage. »[xx] La patience de la mère qui saura écouter l’enfant et lui faire entendre les motions intérieures de l’Esprit Saint pour grandir dans la connaissance de Dieu et l’apprentissage de sa Parole. Toutefois l’apprentissage de la sainteté n’est pas à sens unique : les enfants comme les parents contribuent à l’avènement de la civilisation de l’amour par leurs propres dispositions à écouter la voix du Seigneur et dire, à la suite du jeune Samuel, « parle Seigneur ton Serviteur écoute. » Les enfants sont à recevoir comme des cadeaux de Dieu et un regard d’espérance sur le monde de demain et non comme des fardeaux, tel que le véhicule ce monde si moderne qu’il en est exclusif de la vie. « Membres vivants de la famille, les enfants concourent, à leur manière, à la sanctification des parents. Par leur reconnaissance, leur piété filiale et leur confiance, ils répondront assurément aux bienfaits de leurs parents et, en bons fils, ils les assisteront dans les difficultés de l’existence et dans la solitude de la vieillesse. »[xxi] Cela demande toujours un bon équilibre pour qu’il y ait une forme de proportionnalité entre le devoir premier d’autonomie et celui d’assistance dans les difficultés, qui ne peuvent être que passagères et jamais permanentes, ajustée au besoin. En matière d’argent et de partage, il est important d’avoir une vision économique juste, et non une servitude qui paupérise à outrance celui qui partage. Mais cela demande une vraie réflexion que nous mènerons avec le rapport à l’argent.

 

1.3     Le droit à une éducation selon l’Évangile

 

Le relativisme de notre société actuelle et l’indépendance des prises de position avec des lois républicaines de plus en plus normatives, interroge sur le contrat social et l’éducation proposée aux jeunes générations. Aucune position, même avant-gardiste, ne peut aller à l’encontre de la famille, aucune loi ne peut s’opposer à ce que dit la foi et, dans le cas contraire, le chrétien veillera à y désobéir. À propos du délit d’entrave à l’avortement, il nous faut rappeler le mal objectif d’un tel acte et les conséquences humaines qu’il engendre. Il nous faut décourager de tels actes, il en va de notre témoignage. Plus largement sur d’autres sujets, la famille demeure notamment dans le domaine religieux, un havre de communion et de paix dans le souci du développement de la personne humaine pour mener à une écologie intégrale. « Chaque famille, en tant que société jouissant d’un droit propre et primordial, a le droit d’organiser librement sa vie religieuse à la maison, sous la direction des parents. À ceux-ci revient le droit de décider, selon leur propre conviction religieuse, de la formation religieuse à donner à leurs enfants. … En outre, les droits des parents se trouvent violés lorsque les enfants sont contraints de suivre des cours ne répondant pas à la conviction religieuse des parents ou lorsqu’est imposée une forme unique d’éducation d’où toute formation religieuse est exclue. »[xxii] Aller à l’encontre des convictions religieuses, c’est dédire ce qu’enseigne l’Évangile dans le domaine de la foi et de l’agir humain – même si parallèlement il ne faut pas rechercher dans les Écritures une lecture scientifique de la nature. Le domaine de la foi parle de notre interaction avec Dieu, avec nos frères et avec le monde. Dans ces trois domaines, l’éducation des parents ne peut être subordonnée à d’autres lois que celle de Dieu vécue dans la tradition apostolique, une vie de prière et d’intériorité et en artisan de paix à travers un regard bienveillant. Lorsque les lois s’opposent, la Parole de Dieu a toujours la préséance.

 

Toutefois, il nous faut aussi rappeler avec force que, si la famille doit être ouverte sur le monde et témoigner d’une vie vécue à travers les valeurs évangéliques, elle n’est pas isolée du monde et doit être en interaction constante pour annoncer le Royaume. C’est pourquoi « la tâche de dispenser l’éducation qui revient en premier lieu à la famille requiert l’aide de toute la société. »[xxiii] L’altérité ne se vit pas simplement dans la famille, mais aussi dans le monde, afin de confronter la raison et l’intelligence de la foi aux situations et aux contextes que nous traversons. N’ayons pas peur, l’Esprit vient au secours de nos faiblesses pour nous annoncer toute chose nouvelle. L’altérité permet aussi de revoir le cadre et d’avoir un point de discernement afin de distinguer, sous d’autres angles, ce qui construit la civilisation de l’amour et porte l’espérance, de ce qui déconstruit dans l’ère du soupçon et la culture de mort, amenant à une perte de sens et à la désespérance.

2       Les vocations

 

À une mère de famille, lorsqu’elle me racontait l’évolution spirituelle de son enfant, j’avais répondu ça fera un saint prêtre. Aussitôt elle me répond « ah non, je lui dirai d’aller chez les protestants, comme ça il pourra se marier… » Une vision bien étroite de la vocation, comme si elle n’était pas d’abord et avant tout une invitation au bonheur. Trop souvent nous voyons l’engagement consacré dans la vie religieuse ou sacerdotale comme une fermeture à la joie. C’est bien triste, parce que justement l’amour dans le service ouvre à une joie insoupçonnable et une réalisation de soi qui nous met en communion avec Dieu et nos frères, de manière tout à fait spécifique. Cela n’enlève en rien la lourdeur de certains instants, mais n’amoindrit en rien les nombreuses joies que nous pouvons vivre dans nos vies consacrées. « C’est aux parents qu’il incombe, au sein même de la famille, de préparer leurs enfants dès leur jeune âge à découvrir l’amour de Dieu envers tous les hommes ; ils leur apprendront peu à peu – et surtout par leur exemple – à avoir le souci des besoins de leur prochain, tant au plan matériel que spirituel. C’est la famille tout entière, dans sa communauté de vie, qui doit réaliser ainsi le premier apprentissage de l’apostolat. »[xxiv] Concrètement, nous devons avoir un regard bienveillant sur ceux qui se mettent au service, et non les critiquer par tous les moyens. Nous devons aussi avoir une attitude accueillante à tout aspect religieux dans la vie de l’enfant et l’aider à murir par un accompagnement discret mais éducatif, pour l’aider à progresser dans toutes ses interrogations. La vie de foi, notamment dans l’annonce de l’Evangile et le service du frère, est une si belle aventure qu’il serait bien dommage de passer à côté.

 

Mais l’appel à des vocations spécifiques, si elles doivent trouver un terreau fertile dans la famille, se comprend aussi dans une communauté qui interpelle. « Le devoir de cultiver les vocations[xxv] revient à la communauté chrétienne tout entière, qui s’en acquitte avant tout par une vie pleinement chrétienne. Ce sont principalement les familles et les paroisses qui doivent collaborer à cette tâche : les familles, animées par un esprit de foi, de charité et de piété, devenant une sorte de premier séminaire ; les paroisses offrant aux adolescents eux-mêmes une participation à la fécondité de leur vie. »[xxvi] L’appel à la vie fraternelle dans nos paroisses est donc aussi un appel à développer l’audace missionnaire et les ouvriers qu’il faut pour la moisson. En Dieu, rien n’est impossible, alors faisons-le avec l’énergie de la foi pour laisser l’œuvre de l’Esprit émerger à l’écoute du Verbe incarné.  

3       L’intergénérationnel lieu de la mémoire

Le défi aujourd’hui est de réunir tout dans un processus d’opposition et de clivage. La culture publicitaire nous fait entrer dans cette comparaison de produits, avec une volonté de dénigrer ce qui n’est pas soi. Ce qui est vrai pour la publicité l’est aussi dans les partis politique qui excluent si facilement le moindre écart de pensée, au nom d’une homogénéité recherchée, et qui pourtant craquèle de toute part. Plus nous ouvrons notre regard sur notre société, plus nous remarquons ce processus d’opposition, d’un dialogue difficile et d’une radicalité enfermante. Nous retrouvons ce même processus dans l’intergénérationnel et le racisme : même processus d’exclusion au nom d’une race, d’un âge, d’une idée, d’une différence jugée inacceptable. Or, nous devons rappeler cette joie de la foi qui reconnaît en chacun un frère à aimer. La lumière de la vérité nous fait entrer dans cette rencontre particulière de l’amour qui demande une recherche de communion dans la fraternité et une exigence du don sincère de nous-mêmes dans la relation.

 

3.1     Jeunes et vieux

La cellule familiale entre les parents et les enfants doit s’élargir aux dimensions intergénérationnelles, notamment avec la place des grands parents et de nos vieux. Ne les mettons pas trop vite à manger dans la cuisine, et nous dans le salon à cause d’une épidémie. C’est une absurdité intergénérationnelle qui, sous couvert de principe de précaution, fait de l’âgisme. Pour nous chrétiens, il est important de rappeler l’égale dignité des personnes, quel que soit leur âge, et l’importance de nos vieux dans la relation avec les jeunes. « Et que dire de leur rôle au sein de la famille ? Que de grands-parents s’occupent de leurs petits-enfants, transmettant avec grande simplicité aux tout-petits l’expérience de leur vie, les valeurs spirituelles et culturelles d’une communauté et d’un peuple ! Dans les pays qui ont subi une grave persécution religieuse, ce sont les grands-parents qui ont transmis la foi aux nouvelles générations, conduisant les enfants au baptême dans un dur contexte de clandestinité. »[xxvii] Les grands-parents apportent le recul nécessaire à une éducation parentale, en y mettant toute la tendresse qu’ils ont développée à leur époque, et resituant dans le contexte familial les injonctions éducatives et l’autorité de chacun. Ils authentifient ainsi leur propre apprentissage de la liberté à leur enfant, dans le choix qu’ont à faire les petits-enfants, cette liberté qui construit et mène à un apprentissage, d’un regard nouveau et toujours bienveillant. Souvent reconnaissons-le, les grands-parents peuvent apprendre à chacun à savoir regarder les choses sous un autre angle, ou de manière humoristique. Parfois ils nous aident à entrevoir le recul à prendre sur des situations vis-à-vis de l’histoire et la modestie à mettre dans nos projets, pour nous rappeler à un principe de réalité. Ils nous apprennent aussi que le temps passe et qu’il nous faut garder précieusement le temps passé auprès d’eux, comme un trésor, malgré l’insatiable instantanéité qui nous entraîne sur d’autres chemins. « Ainsi la famille, lieu de rencontre de plusieurs générations qui s’aident mutuellement à acquérir une sagesse plus étendue et à harmoniser les droits des personnes avec les autres exigences de la vie sociale, constitue-t-elle le fondement de la société. »[xxviii] Ce que nous vivons en famille rejaillit sur la société et réciproquement mais l’écho n’est pas le même suivant les histoires de vie. Certains mettront les injonctions familiales en premier, alors que d’autres, au contraire pensant se libérer de la famille, voudront suivre les injonctions sociétales. Dans la foi, il nous faut d’abord regarder le Christ et, dans la vérité de notre réalité familiale, rechercher à témoigner de la Bonne Nouvelle dans la cité. L’un et l’autre s’interpellent dans le témoignage de la foi et la vitalité de la Parole de Dieu par la vie de chacun. La civilisation de l’amour est justement l’expression commune d’un amour du Christ, vécu personnellement et qui rejaillit sur tous les actes posés.

 

Il y a un vrai danger d’exclusion en délaissant les personnes âgées dans des institutions pour mieux vivre nos vies de manière individuelle. D’autres veulent éloigner les jeunes des vieux, pour ne pas leur rappeler la vulnérabilité de notre condition humaine. Dans la foi nous devons accueillir ce don de Dieu qu’est l’âge. C’est pourquoi « il est important aussi de favoriser les liens entre générations. L’avenir d’un peuple exige que les jeunes et les anciens se rencontrent : les jeunes sont la vitalité d’un peuple en marche et les anciens renforcent cette vitalité par la mémoire et la sagesse. »[xxix] Le danger serait alors de vouloir marginaliser les uns et les autres, laissant le pouvoir à une forme de gérontocratie, et l’innovation et le dynamisme à une jeunesse en perte de conscience. Il y a une interpellation à travers les âges sur le sens de nos actions ancrées dans l’histoire des hommes pour rappeler les principes vitaux d’une liberté qui se dit dans la vérité de l’amour et attend la justice dans les actes, afin que chacun puisse développer ses responsabilités quant à tous les choix posés. Une des illusions de la jeunesse est de vouloir essayer, sans en porter toutes les conséquences, avec un « on verra plus tard », forme de conséquentialisme immoral. L’autre illusion est une vision fermée d’un « on a toujours fait comme ça » sans que les vieux ne s’interrogent sur ce qui pourrait changer. L’évolution est bien la prise en compte de l’histoire pour avancer avec pugnacité sur le chemin dynamique de l’amour afin de rejoindre avec nos mots d’aujourd’hui la Parole de Dieu.

 

3.2     Problème du racisme et, notamment, de l’antisémitisme

 

La problématique du racisme est assez simple, c’est de ne pas reconnaître l’autre comme notre frère en humanité. C’est un discours bâti sur la haine et le refus de l’autre, l’instrumentalisation de la situation pour chercher un bouc émissaire, et ainsi rejeter notre propre vulnérabilité. Peut-on alors dire que le racisme est ancré dans une peur viscérale de soi ? Certes ce serait un peu réduire, sachant qu’il y a aussi une forme d’instrumentalisation ou plus exactement une forme de dépossession des biens afin de s’enrichir, ce qui a d’ailleurs été le principe de l’esclavage. Le racisme est multi contextuel car il est l’exclusion des plus vulnérables et des plus pauvres, mais aussi de ceux qui sont différents. Un refus de l’altérité dans une particularité recherchée. Ainsi cela commence par des suggestions de malédictions qui ne sont pas sans interroger : les roux dans l’antique Égypte étaient mis à mort, parce qu’ils étaient maudits des dieux, comme les albinos en Afrique noire, sous le même prétexte. C’est toujours un discours d’exclusion, parfois sous couvert religieux. Nous ne devons pas nous taire ni être indifférents. « Il est préoccupant de voir, dans de nombreuses parties du monde, la croissance de l’égoïsme et de l’indifférence, le manque de préoccupation pour les autres et l’attitude qui consiste à dire que la vie est belle tant que tout va bien pour moi et quand quelque chose ne va pas, la colère et la méchanceté se déclenchent. Cela crée un terrain fertile pour les particularismes et les populismes que nous voyons autour de nous, sur lesquels croît rapidement la haine.. »[xxx]

 

De là découlent tous les travers. Il y a le racisme tribal ou ethnique, un refus de communion avec l’autre parce qu’il n’est pas de mon clan. Il y a un racisme sur la couleur de la peau, on parle alors de racisme antiblanc, de racisme contre les noirs, les jaunes… bref, comme si l’humanité n’avait de sens qu’à travers une pigmentation physique. Certains vivent une victimisation dans cette forme de racisme pour mieux développer pour les autres un rejet profond et radical, dans ce paradoxe propre au refus de la fraternité.

 

L’âgisme, autrement dit le racisme de l’âge marginalisant les vieux en sous-citoyens par exemple, interroge très fortement, d’autant plus qu’il y a une forme d’acceptation sociétale qui ne semble pas beaucoup déranger avec cette discrimination criante. La discrimination par l’âge pose des questions, lorsque c’est le seul critère, comme ce maire d’Orient tout content d’avoir renvoyé les professeurs parce qu’ils étaient trop vieux, et non sur leur qualité pédagogique… Le devoir intergénérationnel, dans le christianisme, rappelle le sacré de la relation à travers les ans. Chaque personne a sa dignité humaine en tant qu’image de Dieu.

 

Le racisme qui ne dit pas son nom est le refus du handicap. Lorsqu’on sait que 97 % des personnes atteintes de la trisomie sont avortées, cela donne un chiffre concret d’une culture du rejet et de la mort. D’autres pathologies ont carrément disparu de notre société. Le racisme a toujours sa base dans le refus de reconnaître l’autre comme notre frère pour le traiter comme objet ou tas de cellule. Cela a commencé dans le racisme antique, en prenant comme esclaves les perdants, cela a perduré dans l’esclavage arabo-musulman, en mettant en esclavage ceux qui n’étaient pas fidèles au Coran (du VIe au XIXe siècle…) avec un déploiement dans l’esclavage négrier (du XVIe au XIXe siècle). Toujours la même argumentation : il n’est pas mon frère, il n’est qu’un meuble marchant pouvant m’apporter des bénéfices sur le travail à accomplir demandant de la main d’œuvre…

L’antisémitisme est le racisme contre les Juifs. Il ne faut pas le confondre avec l’antisionisme qui est le refus de la pensée nationaliste, d’une politique de confiscation des terres afin de les redistribuer aux Juifs immigrants au détriment de toute justice pour les propriétaires historiques. Certes dans l’Église, dès les débuts, il y a eu après la persécution des chrétiens un certain ressentiment doublé d’une vision restrictive d’avoir tué le Christ, notre Seigneur. Néanmoins, et le Concile Vatican II dans ses décrets y a beaucoup aidé, l’exigence rappelle qu’ils sont nos aînés dans la foi et toujours le peuple élu porteur de la promesse. Ils ont une place unique dans l’histoire du Salut et l’autorité apostolique nous demande une cohérence de vie fraternelle. Le pape nous le rappelle « Récemment encore, nous avons assisté à des recrudescences barbares de l’antisémitisme. Je condamne une fois de plus fermement toute forme d’antisémitisme. »[xxxi] La fraternité est pour tous les hommes de la Terre. Effectivement elle s’est vécue dans l’histoire de l’Église, avec saint Martin qui a évangélisé la Gaule, avec son secrétaire juif. Mais il y a eu aussi dans l’histoire, notamment européenne, une haine des Juifs et une vision un peu sectaire qui n’a vraiment pas porté témoignage, mais qui n’était pas non plus l’œuvre de grand spirituel. Dire que les Juifs sont nos frères ainés dans la foi n’est plus suffisant aujourd’hui. Il nous faut rechercher un dialogue constant dans la lecture de l’Ancien Testament, car l’éclairage de la tradition juive aide à comprendre beaucoup de nos ouvrages chrétiens, notamment des pères de l’Église. Un exemple concret est de voir en Jésus le sacrifice d’Isaac, alors que ce parallèle existe déjà dans la tradition juive, en faisant du sacrifice d’Isaac une préfiguration du messie. Nombreux sont les exemples qui nous rappellent le devoir de solidarité et de communion entre nous.

 

Des discussions, notamment avec d’autres religions culturellement ancrées dans l’antisémitisme et qui le développent au niveau familial à un degré assez violent, doivent nous rendre vigilants sur notre témoignage. Que notre regard de bienveillance et nos propos, voire nos prises de positions, n’oublient pas que nous sommes tous fils d’un même père. Plus encore avec nos frères juifs, cette fraternité se double d’une fraternité spirituelle, dans la révélation d’un seul et même Dieu, qui nous a donné les commandements avec l’approche chrétienne d’un Sauveur qui nous demande impérativement de vivre la loi dans l’amour, c’est-à-dire l’intériorité et non rester à l’extérieur (ce qui est une approche légaliste – reproche que Jésus fait à certains pharisiens). Cette approche légaliste existe aussi dans le christianisme notamment en morale, en se satisfaisant du minimum syndical. 

 

Retenons donc que l’antisémitisme est une faute double, car il est un refus de fraternité d’image de Dieu et de fraternité spirituelle. L’insistance aujourd’hui de l’Église pour rejeter l’antisémitisme est un appel ferme à nous rendre vigilants et discerner en vérité nos positionnements pour non seulement reconnaître l’autre comme un frère, (ce que je pense dans notre communauté est fait sans problème). Nous devons nous élever contre des propos ou des actes qui promeuvent cette discrimination particulière et nous manifester lorsque les choses ne sont pas dites dans la vérité de l’Évangile et blessent nos frères. Il ne s’agit pas de rappeler que tous les apôtres étaient juifs, comme la famille de Jésus, mais encore de nous rappeler que c’est à partir de nos frères juifs, que nous avons reçu la révélation d’un Dieu d’amour, c’est-à-dire qu’à travers la fidélité du peuple de la promesse nous accédons à la grande espérance du Salut. Il y a aussi un devoir de gratitude et de reconnaissance à avoir dans cette transmission de la foi.

4       Le travail

 

La vie familiale est ancrée dans une société où elle contribue par toutes ses interactions, dont celle du travail. « Non seulement le travail humain procède de la personne, mais il lui est aussi essentiellement ordonné et finalisé. Indépendamment de son contenu objectif, le travail doit être orienté vers le sujet qui l’accomplit, car le but du travail, de n’importe quel travail, demeure toujours l’homme. »[xxxii] Il faut comprendre que le travail est au service de notre humanité, dans la réalisation de projets et notre responsabilité de co-création. En effet, Dieu continue son œuvre à travers le travail que nous effectuons chaque jour sous son regard. C’est là, l’émerveillement de sa grâce qui ne cesse jamais de s’épancher sur notre vie et de nous inonder de sa présence. Mais reconnaissons-le, au sein de la famille, le travail est parfois la maîtresse ou l’amant retenant le conjoint dans son lieu de labeur au détriment de la relation familiale. Nous devons toujours être vigilants et ramener à la juste place chaque tâche que nous devons effectuer. Parallèlement le travail ne doit pas nous affairer à ne rien faire, dans une forme d’administration utilisant l’argent des autres pour la futilité de la vie ou l’apparence d’une utilité qui s’avère être un dérèglement de la vie. Ce qui est vrai pour le travail l’est d’ailleurs pour le rapport à l’argent. Les nombreuses histoires de ceux qui n’ont pas su gérer l’apport massif d’argent, s’enfermant dans la violence, la drogue, ou d’autres addictions, montrent les dégâts d’une distorsion entre ce qui est pour la construction du bien commun et ce qui est une recherche individualiste de faire du profit ou d’abuser de certaines situations. Le travail doit recevoir un salaire juste, mais nous ne devons jamais demander au-delà du nécessaire pour vivre, de crainte d’entrer dans un cercle vicieux d’appétit insatiable de profit.

 

 

 

Néanmoins dans un épanouissement de la vie familiale, le travail permet de vivre une réalisation de soi à travers ce qui est produit. En effet, « par son travail, l’homme assure habituellement sa subsistance et celle de sa famille, s’associe à ses frères et leur rend service, peut pratiquer une vraie charité et coopérer à l’achèvement de la création divine. Bien plus, par l’hommage de son travail à Dieu, nous tenons que l’homme est associé à l’œuvre rédemptrice de Jésus Christ qui a donné au travail une dignité éminente en œuvrant de ses propres mains à Nazareth. »[xxxiii] La recherche du travail peut être un lieu de souffrance pour certains ayant de réelles difficultés à en trouver, d’autres dans des situations de stress ou de perversion de la relation. Des contextes extérieurs peuvent mener à une déstructuration de la personne, c’est là que notre foi nous appelle à vivre le discernement pour exercer la vertu de prudence dans toutes les situations, à nous appuyer sur les frères afin de trouver le bon usage de la relation et d’un sain équilibre. La cellule familiale peut être un appui, mais la communauté paroissiale doit être un lieu de ressource afin de discerner dans le charisme de chacun un accompagnement adéquat et aider à la restauration d’une relation abimée par plusieurs raisons. Mais en tout état de cause, c’est toujours en contemplant Jésus et dans la recherche de communion fraternelle dans l’exécution d’un bien commun que nous devons tendre, en refusant toute idéologie mortifère, et en rappelant la valeur de l’effort et de la patience dans la réalisation de ce qu’il nous est demandé de réaliser.   

 

D’autres aspects du monde du travail méritent d’être interrogés dans notre vie de foi. La dignité de l’homme doit toujours être la base de la relation, pour la recherche du bien commun et la construction d’une civilisation qui, pour les chrétiens, sera la civilisation de l’amour. En remettant l’amour dans toutes nos relations et dans une véritable tension dynamique d’ajustement à la volonté de Dieu, nous ferons alors un monde meilleur, puisque la grâce de Dieu sera à l’origine, tout au long du processus et à la fin. Notre responsabilité sera un signe de notre liberté, qui s’engage à vivre la volonté de Dieu. Peut-être pourrons-nous soulever, dans la crise sanitaire que nous traversons, l’aspect particulier du travail mondialisé et des conséquences économiques qui aboutissent à une distorsion de la justice pour tout homme. « Le travail mondialisé dérive donc lui aussi du fondement anthropologique de la dimension relationnelle intrinsèque du travail. Les aspects négatifs de la mondialisation du travail ne doivent pas mortifier les possibilités qui se sont ouvertes pour tous de donner forme à un humanisme du travail au niveau planétaire, à une solidarité du monde du travail à ce même niveau, afin que, en travaillant dans un tel contexte dilaté et interconnecté, l’homme comprenne toujours plus sa vocation unitaire et solidaire. »[xxxiv] La notion de travail, au cœur de la cellule familiale, doit être une réalisation de chacun pour le bien de tous, au centre de la cité ; elle doit être vécue dans une juste relation à l’autre et une équité par rapport à ce qui est demandé. La question est complexe dans des situations où certains vivent leurs avantages comme un droit alors que d’autres, dans des mêmes postes mais d’autres situations, ne peuvent accéder à ces mêmes arrangements. Aborder le travail sous l’angle de la famille ne doit pas nous faire oublier tout le volet de la justice sociale et de la solidarité. Nous ne devons pas oublier non plus les fins poursuivies par le travail et les questions éthiques que cela peut poser.

 

Il nous faut aujourd’hui regarder notre lien au travail au vu de notre vie familiale, et rechercher l’équilibre satisfaisant et le rapport à l’argent adéquat pour témoigner de l’Évangile en toute occasion. Ai-je mis Dieu au cœur de mon travail ? Est-ce que je Le sollicite dans les difficultés et lui rends grâce dans les joies rencontrées ? Ai-je un bon rapport avec les tâches demandées, le recul nécessaire pour mettre l’humain au cœur de ma rencontre ? Suis-je attentif à ma vie familiale pour vivre une complémentarité entre travail et famille ?

 

5       L’illettrisme

 

L’Illettrisme est un fléau bien contemporain par la venue d’une société des loisirs, des médias divers et du langage approximatif d’internet. Autant l’analphabète n’a jamais appris à lire, et ne connaît pas son alphabet (an devant le mot est un privatif), l’illettrisme concerne des gens qui ont appris à lire, mais peu à peu ont délaissé la lecture, jusqu’à ânonner lorsqu’ils veulent lire, ou s’attachent à certains mots dans la phrase en faisant parfois de splendides contresens, sources d’incompréhension. Nous n’aborderons pas l’illettrisme des réseaux où certains se trouvent exclus d’internet, par manque de connaissance ou d’aisance avec l’outil informatique. Sous le prétexte de la non-connexion au réseau, il y a souvent un rapport à l’écrit qui peut se révéler difficile. L’exclusion des réseaux sociaux est une réalité que l’on rencontre, même chez les jeunes, mais elle est souvent concomitante à un illettrisme basique dans le rapport à l’écrit, et n’est que le signe aggravant d’une situation de détresse sociale. Là, notre communauté paroissiale, dans la disponibilité des uns et des autres, peut apporter une aide efficace.

 

 

 

 

 

5.1     L’illettrisme culturel

L’humiliation de l’illettrisme empêche de poser des questions sur des choses pourtant apprises, et entraîne un enfermement sur soi avec une impossibilité d’avancer plus loin, sans secours extérieur. Il est d’autant moins repérable que les personnes parlent un français courant, savent compter, et reconnaissent les mots très communs et les noms propres. Il y a plusieurs formes d’illettrisme. Celui qui bute sur les mots dans la lecture en ne comprenant pas trop le sens de la phrase, nous le remarquons parfois lors des lectures à haute voix (différent de celui qui lit trop vite et se trompe). Celui qui a du mal à comprendre le paragraphe dans son ensemble, ou celui qui déchiffre difficilement les mots, oubliant virgule et point dans un galimatias pathétique. D’où une forme d’obscurantisme dans l’impossibilité d’accéder à la culture et à toutes les formes de pensée écrite. Cela n’empêche pas la sagesse populaire, ni le bons sens, mais peut introduire à une forme de manipulation. Ainsi la personne est plus encline à écouter les discours et moins réfléchir sur le fond. Je ne peux que m’interroger, lorsque je découvre de l’illettrisme chez des personnes ayant été au lycée… ou vois des élèves de 6e qui ne comprennent pas ce qu’ils lisent.

 

Il est un peu curieux d’en parler dans une lettre pastorale, qui par définition n’est pas de la plus simple lecture, si j’ai bien compris les critiques constructives. Néanmoins, il faut reconnaître la problématique, surtout dans des familles où les parents ne maîtrisent pas bien le français. Il nous faut encourager nos jeunes à lire, notamment à haute voix, dans un premier temps pour vérifier leur compréhension. Joinville et la plupart des villes ont des bibliothèques, il faut y entrer avec vigueur pour délaisser les écrans et l’inutilité des jeux, afin d’éduquer à un apprentissage de la lecture. C’est un enjeu qui devient primordial aujourd’hui. Nous devons être exigeants pour nos enfants, afin de les amener plus tard à une forme de liberté de la connaissance et la possibilité de choisir. C’est un enjeu paroissial pour mettre en place une aide au nom même de la charité, en donnant son temps pour l’édification de la cité.

 

5.2     L’illettrisme spirituel

Oui, nous avons eu connaissance, par la catéchèse de notre enfance, des choses de Dieu, parfois vécu une expérience spirituelle, fait des rencontres… Puis peu à peu, nous nous sommes attiédis, nous éloignant d’une pratique fervente et reprochant à l’Église une liste encyclopédique de griefs avant de comprendre que la foi est une rencontre avec Jésus Sauveur, une vie de charité en Église pour marcher ensemble vers la sainteté, une tradition qui conjugue, à l’ère du temps, l’Évangile toujours actuel. Nous sommes parfois dans un illettrisme spirituel, n’ayant pas entretenu notre connaissance de Dieu, laissant la prière un peu de côté et faisant de la Bible un cale meuble.

 

Autrefois les parents donnaient des vies de saints à lire aux enfants, et c’était un dessin avec un pavé d’écriture. Aujourd’hui, la vie des saints est mise de façon plus ludique, mais ne dispense pas les uns et les autres de les connaître, de les prier et de les imiter. Ce qui est vrai pour les enfants est vrai pour les parents, à commencer par son saint patron. Ne devenons pas des sous-développés de la dimension spirituelle, délaissant la connaissance de Dieu pour les artifices de ce monde qui passe. Nous avons le droit d’écouter à la maison des chants religieux, car ils ne sont pas cantonnés à l’Église ou à la prière. Cela n’empêche pas de reconnaître dans la culture profane parfois une certaine beauté, mais aujourd’hui la disproportion ne peut qu’interroger sur l’indigence culturelle – parfois cultivée – du peuple de Dieu. On ne peut que rester pantois quant à certains qui ont fait jusqu’à des doctorats dans leurs matière et qui sont restés sur une foi de 1re communion ou de profession de foi… ce qui crée un fossé abyssal entre leurs connaissances dans certains domaines et l’inculture parfois crasse dans l’intelligence de la foi.

 

Il y a des remèdes efficaces, comme la lecture quotidienne de la Parole de Dieu en continu, s’adonner à un temps de lecture biblique par jour, voire méditer les textes jusqu’à les apprendre par cœur pour s’en souvenir au moment opportun. Il est important de lire des articles de fond sur la foi ou des livres de spiritualité. Aujourd’hui nous avons des grands maîtres spirituels, que ce soit les apophtegmes des pères du désert, ou sainte Thérèse d’Avila en passant par saint Bernard ou saint François de Sales, sans oublier bien sûr saint Charles Borromée. Mais nous pouvons aussi ouvrir le catéchisme de l’Église catholique pour adultes, afin d’étudier tel ou tel aspect, ou se laisser questionner sur les problématiques qui sont posées. Enfin il est toujours possible de lire des livres de théologie ou d’exégèse, qui sans être forcément pointus, laissent entrevoir d’autres rivages. En fait, nous sommes juste invités à prendre du temps dans nos lectures pour ouvrir notre intelligence spirituelle et accueillir la sagesse de Dieu par la connaissance. Car, si la foi demande la volonté de croire, elle demande aussi l’intelligence pour percevoir la lumière de Dieu en vérité et, l’ayant découverte, en faire mémoire dans sa vie.

 

Évidemment nous devons faire l’expérience personnelle de Jésus vivant dans notre vie. Oui, la foi est d’abord un dialogue avec Dieu, une rencontre personnelle avec le Vivant. Cela ne doit pas faire de nous des assistés de la foi refusant nos propres responsabilités, mais laisser grandir en nous la lumière du Christ et faire l’expérience saisissante de la vie dans l’Esprit. Nous ne devons pas non plus nous reposer sur nos lauriers après une expérience spirituelle, forte, mais toujours combattre l’Ennemi en recherchant à mieux connaître Dieu et à ne pas se laisser endormir par les vapeurs de la torpeur de Dieu, telles que le démon de l’acédie sait déployer non sans grande ruse.

6        Synthèse : être responsable d’un témoignage fidèle à la Parole du Seigneur

            La famille chrétienne est une cellule d’Église qui témoigne de la vie du ressuscité, lorsque la communion se vit naturellement dans la relation et l’envie d’aller vers le bien, en faisant tous les efforts nécessaires pour y parvenir. Dans une société du tout-prêt, la dimension de l’effort doit être déployée comme une force d’âme, afin d’atteindre une excellence dans le compagnonnage avec Jésus. « Leur principal devoir à eux, hommes et femmes, c’est le témoignage du Christ, qu’ils doivent rendre par leur vie et leurs paroles, dans leur famille, dans leur groupe social, dans leur milieu professionnel. Il faut donc qu’apparaisse en eux l’homme nouveau créé selon Dieu dans la justice et la sainteté véritable[xxxv]. Ils doivent exprimer cette nouveauté de vie dans le milieu social et culturel de leur patrie, selon les traditions nationales. Ils doivent connaître cette culture, la purifier, la conserver, la développer selon les situations récentes, enfin lui donner sa perfection dans le Christ, afin que la foi au Christ et la vie de l’Église ne soient plus étrangères à la société dans laquelle ils vivent, mais commencent à la pénétrer et à la transformer. »[xxxvi] C’est un aspect important du Concile de rappeler l’impératif de transformation de la culture. À moins de vouloir faire du racisme spirituel, il faut nous laisser questionner par les autres sur les manières de faire et discerner à la lumière des Écritures notre communion dans une transformation de nos façons de faire et de vivre.

 

6.1     Une culture à évangéliser

La foi ne peut être étrangère aux valeurs de ma famille et des gens de ma cité. Sinon il faut le dénoncer, et s’y opposer comme c’est le cas actuellement pour les lois mortifères, de bioéthique. Je crois qu’il faut insister sur ce point, la culture doit être évangélisée. Eh non ! les coutumes de mon département, de ma région, de ma tribu ne sont pas supérieures aux valeurs de l’Évangile. Nous ne pouvons pas briser la relation fraternelle dans l’argument culturel et l’incompréhension que cela peut engendrer. Il n’est pas possible non plus de dissocier nos façons d’être et de prier de la fraternité, car en toute chose nous devons rechercher l’unité. C’est un débat qui a eu lieu dès l’origine de l’Église entre l’Orient – une liturgie plus spirituelle et en même temps hors du temps (certaines liturgies pouvant durer des heures, mais avec une approche de l’espace-temps différente) – et l’Église latine plus incarnée et plus guindée dans sa manière de prier. Aujourd’hui entre des rites sud-asiatiques, d’Afrique noire, même si là encore il y aurait des différences entre l’Afrique centrale et l’Afrique de l’Ouest, ou entre les anglophones et les francophones, l’Amérique du Sud avec les shows à outrance, et l’Amérique de Nord, nous connaissons un foisonnement d’expression de la liturgie dans une même foi. Et pourtant chaque expression liturgique est passée au crible du discernement ecclésial et au questionnement que cela pose, en encourageant ce qui doit l’être, ou en émettant des doutes sur certains aspects, en proposant d’autres manières lorsque c’est possible, ou en se laissant guider par l’Esprit pour discerner dans le temps.

 

Toute culture doit être à l’heure de l’Évangile interrogée sur son rapport intergénérationnel par exemple, sur son rapport à l’argent et l’attrait d’une prospérité peu évangélique, son rapport à l’autre dans le travail, le développement de l’effort et de l’honnêteté, son rapport à la relation à l’autre et à Dieu. Bref, tout doit être étudié sous le sceau de la fraternité. La transformation de la culture pour bâtir cette civilisation de l’amour ne demande pas une unification de nos manières de faire. En même temps, l’interrogation de ce qui nous fait vivre, des valeurs mises en avant, de la manière de les vivre, doit parfois ouvrir à des conversions et des remises en question. Si tout n’est pas d’un bloc, il n’y a pas de partie indépendante dans la fraternité. L’autonomie se vit dans la complémentarité de la communion. La question que je dois me poser est assez simple : est-ce que je ne me cache pas sous ma culture pour refuser les conversions nécessaires ? Il en va de même d’une victimisation à outrance, qui légitime certaines situations perverses au nom de ce que j’ai subi. Suis-je honnête vis-à-vis de ma faute personnelle, ou est-ce que j’essaye de trouver un espace de relativité pour justifier le péché ?

 

6.2       L’évangélisation dans l’écologie intégrale

            Le témoignage du Christ que nous devons promouvoir dans une écologie intégrale demande une unification de la personne dans le tissu familial et dans la vie de la cité. « C’est un humanisme plénier qu’il faut promouvoir [xxxvii]. Qu’est-ce à dire, sinon le développement intégral de tout l’homme et de tous les hommes ? Un humanisme clos, fermé aux valeurs de l’esprit et à Dieu qui en est la source, pourrait apparemment triompher. Certes l’homme peut organiser la terre sans Dieu, mais “sans Dieu il ne peut en fin de compte que l’organiser contre l’homme. »[xxxviii] La cellule familiale doit replacer Dieu au rythme de ses journées, notamment en priant avant chaque repas, ce qu’on appelle traditionnellement le bénédicité, ou en rendant grâce à la fin du repas. Nous devons prendre le temps de la lecture de la Bible ensemble, en méditant le passage dans un questionnement réciproque sur ce que nous percevons du texte et ce qu’il nous appelle à vivre, pour, dans un échange constructif, entendre les interpellations et avancer sur le chemin de la sainteté, dans un climat de confiance et de bienveillance. La prière du soir dite avec les enfants est un espace de temps où Dieu est présent qui redonne pleinement sens à ce que nous vivons. La ferveur prépare le terrain de notre cœur à recevoir le Seigneur. Les jeunes voyants étaient souvent dans une habitude de prière lorsqu’ils ont vu les apparitions, que ce soit à Lourdes, à Fatima ou à Notre-Dame du Laus. Une même exigence de vie spirituelle, dans le zèle de la prière et le service de la charité propice à l’action de Dieu de manière surnaturelle. La ferveur est lieu de réalisation de la grâce de Dieu. « Souvenez-vous toujours que votre fin approche et que le temps perdu ne revient point. Les vertus ne s’acquièrent qu’avec beaucoup de soins et des efforts constants. Dès que vous commencerez à tomber dans la tiédeur, vous tomberez dans le trouble. Mais si vous persévérez dans la ferveur, vous trouverez une grande paix et vous sentirez votre travail plus léger, à cause de la grâce de Dieu et de l’amour de la vertu. L’homme fervent et zélé est prêt à tout. »[xxxix] La vertu d’espérance prend son essor dans le cocon de la vie familiale comme la joie de la rencontre avec Dieu et le vrai désir de son retour sur la terre, et non l’hystérie médiatique des apocalypses. La seconde venue du Christ sera pour les disciples une vraie joie.

 

6.3       La vocation familiale et le devoir d’État

            La vie de famille a un rythme qui lui est propre dans la symphonie des vocations, et son devoir premier est la communion entre époux et l’éducation des enfants, tout en recherchant les subsistances nécessaires à la vie de tous. « Les laïcs doivent les employer de telle sorte que, remplissant parfaitement les obligations du monde dans les conditions ordinaires de l’existence, ils ne séparent pas l’union du Christ et leur vie, mais grandissent dans cette union en accomplissant leurs travaux selon la volonté de Dieu. De cette manière les laïcs progresseront en sainteté avec ardeur et joie, s’efforçant de surmonter les difficultés inévitables avec prudence et patience[xl]. Ni le soin de leur famille ni les affaires temporelles ne doivent être étrangers à leur spiritualité, selon ce mot de l’Apôtre : « tout ce que vous faites, en paroles ou en œuvres, faites-le au nom du Seigneur Jésus Christ, rendant grâces par lui à Dieu le Père »[xli]. » Ne pas rendre Dieu étranger de la vie de la famille, comme ne pas oublier le devoir premier de soin à la famille et de charge des affaires temporelles, comme lieu de réalisation de la promesse, d’une vocation tournée vers la recherche du bien. La prudence voudra ne pas confondre la vocation de chacun et l’espace de la rencontre nécessaire à l’annonce de l’Évangile. Saint Paul nous le rappelle couramment dans ses lettres apostoliques, se décrivant à la charge de personne pour sa subsistance et trouvant le travail pour gager sa pitance. La charge de l’annonce de l’Évangile demande une disponibilité dans le temps que n’offre pas une vie familiale équilibrée. Il faudra donc veiller à assurer un bon équilibre dans ce domaine, ce qui est surveillé notamment pour les diacres dans l’Église catholique. Mais dans la candeur du ministère de certains pasteurs, remarquons en même temps le naufrage de la vie familiale, et l’impératif de prudence qui n’a pas été respecté. La volonté de Dieu s’exprime dans notre vocation propre, ne l’oublions pas. « Dans les terres déjà chrétiennes, les laïcs coopèrent à l’œuvre de l’évangélisation en développant en eux-mêmes et chez les autres la connaissance et l’amour des missions, en suscitant des vocations dans leur propre famille, dans les associations catholiques et les écoles, en offrant des subsides de toute sorte, afin que le don de la foi qu’ils ont reçu gratuitement puisse être aussi transmis à d’autres. »[xlii] Le partage est la clé de voute de l’évangélisation. L’importance de l’évangélisation dans notre paroisse est aujourd’hui primordiale. Trop peu de joinvillais connaissent le Christ, ou de manière trop lointaine. Il nous faut un renouveau paroissial et que chacun soit acteur d’une annonce explicite. C’est aussi un devoir pour le curé de rappeler l’ardeur nécessaire pour annoncer l’Évangile. « Dans leur charge pastorale, les prêtres stimuleront et entretiendront parmi les fidèles le zèle pour l’évangélisation du monde, en les instruisant par la catéchèse et la prédication de la charge qu’a l’Église d’annoncer le Christ aux nations ; en enseignant aux familles chrétiennes la nécessité et l’honneur de cultiver des vocations missionnaires parmi leurs propres fils et filles ; en encourageant chez les jeunes des écoles et des associations catholiques la ferveur missionnaire, en sorte que de futurs prédicateurs de l’Évangile sortent de ce milieu. »[xliii]

 

6.4     Le défi des avancées scientifiques et le péché social, résultat des péchés personnels

 

Il nous faut être vigilants dans la vie de la cité et vivre comme des enfants de lumière, car si la grâce appelle la grâce, le péché engendre le péché et la multiplication des péchés personnels entraîne des péchés dit sociaux. C’est-à-dire que la société elle-même nous fait pécher, même si c’est de notre responsabilité propre. Un état euthanasique promeut forcément la mort et l’acceptation de celle-ci de manière commune est un fait. Ensuite, que chaque personne s’engage personnellement dans cette démarche demande toujours l’éveil de la conscience, mais lorsque celle-ci est obscurcie par ce qu’on doit penser, c’est problématique. « Il s’agit de péchés tout à fait personnels de la part de ceux qui suscitent ou favorisent l’iniquité, voire l’exploitent; de la part de ceux qui, bien que disposant du pouvoir de faire quelque chose pour éviter, éliminer ou au moins limiter certains maux sociaux, omettent de le faire par incurie, par peur et complaisance devant la loi du silence, par complicité masquée ou par indifférence; de la part de ceux qui cherchent refuge dans la prétendue impossibilité de changer le monde; et aussi de la part de ceux qui veulent s’épargner l’effort ou le sacrifice en prenant prétexte de motifs d’ordre supérieur. »[xliv]. Dans l’éducation familiale, la culture de l’altérité et du souci de l’autre chassent toute forme d’indifférence ; l’apprentissage à reconnaître ses torts et à modifier ses comportements enseigne la responsabilité et aiguise la conscience pour ne pas entrer dans une tiède indifférence ; la force morale et la hiérarchie des valeurs fondées en Dieu chassent toute peur, pour l’amour de la vérité ; enfin l’appel au sacrifice et à l’exemplarité entraînent une volonté de dénoncer ce qui est mal au nom même du principe du bien commun.

 

 

Il est un leurre de croire que la science va supplanter la foi, puisque celle-ci serait en fait une méconnaissance et donc une forme de superstition. L’orgueil des hommes est parfois sans limite. D’ailleurs l’attitude de certains parents mettant la catéchèse après les études et le sport entre dans une hiérarchie des valeurs, où la foi est ce qui est le plus secondaire. Cela n’aide pas au développement spirituel de l’enfant. On le retrouve ensuite dans l’insolence des études qui clament la mort de Dieu en faisant de l’homme un roi qui se transforme vite en tyran. « Les découvertes de la science, en paraissant justifier les prétentions de la raison à une domination suprême sur toutes les réalité d’ici-bas pour en exclure Dieu définitivement en ont fait un péché quasi irrémissible pour la masse des esprits de notre temps. Ce péché social dont les derniers fruits sont l’agnosticisme philosophique, le libéralisme politique et le laïcisme scolaire dont l’atmosphère est saturée, a pénétré dans les milieux les mieux préservés, et s’y traduit par l’habitude de tout citer au tribunal du jugement propre et par la difficulté de se soumettre au simple témoignage de l’autorité » [xlv] Rappeler l’importance de la radicalité de l’amour demande de refuser toute forme de relativité par rapport aux situations et impose un choix clair de ce qu’il convient de faire. Si le jugement moral demande toujours d’être circonstancié, il n’empêche que, dans certains domaines, la clarté des positions aide à un discernement éthique. Ce n’est pas la pensée ambiante qui doit influer ma conscience, mais bien la Parole de Dieu et la vérité des Écritures.

 

Restons attentifs dans notre vie de famille à nous laisser enseigner par la famille de Nazareth, avec un père charpentier qui a enseigné son art à son fils et lui a appris à travailler de ses mains. Le mimétisme familial est une réalité, même dans le domaine de la sainteté. Dans cette recherche de la civilisation de l’amour éternel, cherchons à œuvrer en conformité avec les commandements de Dieu et à nous laisser interroger sur nos choix de vie, pour opérer les conversions nécessaires à une meilleure transformation en fils de lumière et en artisan de paix. « Dans le contexte de ces réflexions, la décision de se mettre en route et de continuer à marcher prend, avant tout, une portée morale que les hommes et les femmes croyants reconnaissent comme requise par la volonté de Dieu, fondement unique et vrai d’une éthique qui s’impose absolument »[xlvi]

 

 

Père Greg – Curé de Saint Charles Borromée

Ensemble Paroissial de Joinville le Pont

 

 

[i] &52-1 Gaudium et Spes

[ii] &28 Familiaris Consortio

[iii] &11 – Décret Apostolicam Actuositatem – Vatican II

[iv] &35 Lumen Gentium

[v] &1803 CEC

[vi] Relatio Synodi 2014, n. 60.

[vii] Idib., 61.

[viii] Code de droit canonique, c. 1136 ; cf. Code des canons des Églises orientales, c. 627.

[ix] &84 Amoris Laetitia

[x] Conseil Pontifical pour la Famille, Vérité et signification de la sexualité humaine (8 décembre 1995), n. 23.

[xi] Catéchèse (20 mai 2015) : L’Osservatore Romano, éd. en langue française, 21 mai 2015, p. 2.

[xii] &85 Amoris Laetitia

[xiii] &24 Gaudium et Spes

[xiv] &61-2 Gaudium et Spes

[xv] &1784 CEC

[xvi] &3 Gravissimum Educationis  note 12 Cf. Conc. Vat. II, Const. dogm. Lumen Gentium, n. 11 et 35

[xvii] &52-1 Gaudium et Spes

[xviii] cf. 1 Co 7, 7 note 21 1 Co 7, 7 : « Chacun reçoit de Dieu son don particulier, l’un celui-ci, l’autre celui-là. » cf. Saint Augustin, De Dono Persev. 14, 37 : PL 45, 1015s. : « Ce n’est pas la continence seule qui est don de Dieu, mais aussi la chasteté des époux.»

[xix] & 11 Lumen Gentium

[xx] &12 Gaudete et Exsultate

[xxi] 48-4 Gaudeium et Spes

[xxii] &5 Dignitatis Humanae

[xxiii] &3 Gravissimum Educationis

[xxiv] &30 Apostolicam Actuositatem

[xxv] Note 3 Parmi les principales peines qui affligent aujourd’hui l’Église, presque partout domine le nombre trop réduit des vocations. – Cf. Pie XII, adhort. apost. Menti Nostrae : « … le nombre des prêtres, dans les régions catholiques comme dans les terres de mission, est insuffisant la plupart du temps pour faire face aux nécessités croissantes »: AAS 42 (1950), p. 682. – Jean XXIII: « Le problème des vocations ecclésiastiques et religieuses est le souci quotidien du pape… il est le cri de sa prière, l’aspiration ardente de son âme » (Alloc. au Congrès international sur les vocations, 16 décembre 1961; L’Osservatore Romano, 17 décembre 1961). 

[xxvi] II -2 Optatem Totus

[xxvii] Discours du pape François sur les grands parents

[xxviii] &52-2 Gaudium et Spes

[xxix] Discours sur les grands parents ibid

[xxx] Discours du pape François à une délégation du Simon Wiesenthal center, 20 janvier 2020

[xxxi] ibid

[xxxii] &272 CDSE

[xxxiii] &67-2 Gaudium et Spes

[xxxiv] &322 CDSE

[xxxv] cf. Ep 4, 24

[xxxvi] &21 Apostolicam Actuositatem

[xxxvii] Cf., par exemple. J. Maritain, l’Humanisme intégral, Paris, Aubier, 1936.

[xxxviii] &42 Populorum Progressio

[xxxix] &I,25/11 Imitation de Jésus Christ

[xl] Note 9 Cf. Conc. Vat. II, Const. dogm. Lumen gentium, n. 32 ; cf. aussi n. 40-41

[xli] Col 3, 17

[xlii] &41 Ad Gentes

[xliii] &39 Ad Gentes

[xliv] &16 Reconciliatio et Penitentiae

[xlv] P 353 Je veux voir Dieu – contemplation et vie mystique – l’humilité – Père Marie-Eugène.

[xlvi] &38 Sollicitudo Rei Socialis