Méditation du 17ème dimanche du T.O.
« Le Seigneur s’est fait connaître :
il a rendu le jugement »[i]
Le songe de Salomon et la promesse de Dieu viennent nous rejoindre au cœur de nos vies, pour nous inviter à marcher en confiance selon sa Parole et répondre à notre vocation propre de fils de Dieu. Une invitation à reconnaître les dons de Dieu à travers le service qu’il nous est demandé de vivre, et se mettre en tenue de service pour manifester l’amour du maître pour nous et nos frères et ainsi montrer le chemin de vie en Christ, lumière dans nos vies. Pour chacun d’entre nous et pour notre communauté, l’appel baptismal nous engage « à donner un témoignage de foi et de vie chrétienne qui soit un service à l’égard de leurs frères et une réponse due à Dieu, se souvenant que ‘la grandeur de leur condition doit être rapportée non à leurs mérites, mais à une grâce spéciale du Christ’ »[ii] Le songe de Gabaon est précurseur de la dimension de serviteur de tout homme dans le dessein de Dieu, cette promesse d’amour qui ne demande qu’à se réaliser grâce à notre oui radical et fait en vérité. En effet notre témoignage ouvre à l’annonce de la civilisation de l’amour où la relation à l’autre est d’abord un espace de communion et de fécondité pour la construction d’un bien commun respectueux de la dignité de l’homme. « Le Royaume doit transformer les rapports entre les hommes et se réalise progressivement, au fur et à mesure qu’ils apprennent à s’aimer, à se pardonner, à se mettre au service les uns des autres. »[iii]. La pandémie nous a rappelé ce que c’est qu’être au service, en donnant de soi-même jusqu’au péril de sa vie au nom même de la fraternité. Le service va jusqu’au don de sa vie dans un acte d’offrande de soi-même. C’est ce que nous révèle l’incarnation du Christ et qui éclaire le mystère de l’homme[iv] : le service est lieu de réalisation de notre humanité. Le dialogue entre Dieu et Salomon rend compte de cet esprit de service qu’exprime ce roi, alors Dieu peut ainsi prodiguer tous les biens possibles, parce qu’Il sait qu’il en fera bon usage, non comme une fin mais comme des moyens.
1 « Demande ce que je dois te donner ».
« Demande ce que je dois te donner. » Dieu vient se révéler don, comme dans l’émerveillement d’un rêve. Il laisse Salomon choisir la grâce nécessaire à sa royauté et à l’exercice de sa vocation propre. Il le fait entrer en prière dans la nuit des sens et l’obscurité du temps afin qu’il puisse choisir en esprit et en vérité. « La prière est une intimité entre notre esprit et Dieu ; quelle stabilité doit donc avoir l’esprit pour se porter, sans retour en arrière, vers son Seigneur et converser avec lui sans aucun intermédiaire »[v] afin de trouver la réponse juste pour faire la volonté du Seigneur c’est-à-dire faire de toute notre vie un acte d’amour intégrant. Avec Jésus, nous sommes toujours dans cette demande d’obtenir pour notre vie les dons de l’Esprit selon la sagesse de Dieu et dans l’accueil de notre propre intelligence et volonté. La prière de demande est un dialogue de confiance en la providence de Dieu et en son amour. « Quand les hommes aiment Dieu, lui-même fait tout contribuer à leur bien, puisqu’ils sont appelés selon le dessein de son amour. ». Dieu se livre dans nos propres demandes et nous appelle à recevoir ce qu’Il nous donne. Lorsque Dieu demande, c’est pour aller à l’essentiel, Il nous invite à un voyage en profondeur, au-dedans de nous-même, pour une fois encore nous émerveiller de sa présence.
Il invite à une nouvelle naissance, pour écouter l’Esprit parler à notre esprit et s’éclairer de la présence du Tout Puissant. Pendant la nuit, cachés aux yeux des hommes, nous parlons à Dieu et nous reconnaissons le souffle de vie qui nous appelle à témoigner de la vie éternelle promise à tous. La civilisation de l’amour est l’autre nom du Royaume que nous pouvons vivre dès ici-bas. « Oui, l’homme a viscéralement besoin d’amour »[vi] sur Terre comme au Ciel et c’est un enfer de ne pas pouvoir le recevoir et le vivre. Image de Dieu, nous accomplissons notre vocation propre en rendant le juste culte au Seigneur. « Demande » nous dit Dieu, avec une invitation à vivre le don pour lui-même, en réponse à ce que nous voulons vraiment dans l’abandon de nos superficialités du jour, ou de nos errements, mais bien dans l’humilité de la nuit d’un repos où, démunis de tout, nous devenons comme des mendiants de Dieu prêts à recevoir de sa providence. « Si tu aspires à prier, ne fais rien de tout ce qui est incompatible avec la prière, afin que Dieu s’approche et fasse route avec toi »[vii] Dieu se propose de nous aider en écoutant nos propres demandes, afin d’y déverser les grâces qu’Il nous a préparées, chacun selon ses besoins et son histoire.
Salomon obéit à l’appel de Dieu et fait sa demande dans la conscience de sa propre vocation de roi d’Israël. « Donne à ton serviteur un cœur attentif pour qu’il sache gouverner ton peuple et discerner le bien et le mal » Cette demande fait écho à la Parole de Dieu au jardin d’Eden : être attentif aux fruits de l’arbre du jardin et en même temps savoir discerner avec prudence sur l’arbre de la connaissance du bien et du mal, qui peut entraîner la mort si l’usage en est mauvais. « Le Seigneur Dieu donna à l’homme cet ordre : « Tu peux manger les fruits de tous les arbres du jardin ; mais l’arbre de la connaissance du bien et du mal, tu n’en mangeras pas ; car, le jour où tu en mangeras, tu mourras. » La prière de Salomon est donc une réponse à la Parole du Seigneur dans l’Eden et une confiance dans le don qu’Il offre. Discerner le bien et le mal n’est pas de l’ordre d’un possible choix ou d’un relativisme de situation, mais d’une démarche de rechercher le bien qui se propose à nous et de refuser le mal. En mangeant le fruit, nos parents des origines n’y ont vu qu’une option, alors qu’il s’agit d’un engagement radical qui fuit le péché qui conduit à la mort, refuse le mal et tout ce qui s’apparente à la culture de mort. Parfois, sous certains aspects séduisants, le mal peut nous attirer vers lui, d’où l’importance d’avoir un cœur attentif, afin de prendre conscience de la situation et du danger qu’elle peut représenter. Non, nous ne pouvons pas penser seulement à partir des conséquences, mais bien en premier selon la loi de Dieu et la norme, qui recherche le bien et fuit le mal. Non, elle n’est pas relative à des situations, mais bien Parole de Dieu, qui doit nous rendre attentifs à ce que nous sommes invités à vivre aujourd’hui. Nous devons réaliser les enjeux, sans plaquer avec rigidité l’amour dans le carcan des certitudes, mais en fonction des personnes trouver la bonne relation pour redire l’amour de Dieu et l’avènement de l’éternelle civilisation de l’amour.
2 Le discernement
Et justement, dans le murissement des consciences, Dieu donne le discernement entre le bien et le mal, ce qui empêche de mourir mais permet au contraire d’exercer la vertu de prudence afin de faire des choix de vie. Il nous faut nous réveiller de nos torpeurs dans cet été particulier où l’accélération de la loi bioéthique propose d’étranges manipulations, comme un mélange entre l’ADN humain et animal pour la recherche d’un être hybride, ce que l’on appelle communément des chimères. Or ce qui se voulait une chimère, c’est-à-dire de l’ordre de l’impossible, devient sous le joug de la médecine l’abomination scientifique de la désolation des normes morales. La conscience doit dire ses haut-le-cœur face à des comportements qui touchent à la dignité de l’homme et à sa capacité d’être pleinement humain. « On peut donc dire que la conscience donne le témoignage de la droiture et de la malice de l’homme à l’homme lui-même, mais en même temps et avant tout, qu’elle est le témoignage de Dieu lui-même, dont la voix et le jugement pénètrent l’intime de l’homme jusqu’aux racines de son âme, en l’appelant » à se fortifier radicalement, avec douceur et bienveillance « à l’obéissance »[viii]. Le cœur attentif à la conscience est donc sans partage et tient son bonheur uniquement de Dieu. Il y trouve l’émerveillement de la Loi qui le conduit sur un chemin de délices, délié de toute forme d’emprisonnement pour faire des choix nouveaux avec Dieu pour fin ultime. « Déchiffrer ta parole illumine et les simples comprennent » car chacun à une conscience qui peut s’éveiller à la présence du Seigneur et rendre le cœur attentif à la Parole. La fécondité de notre vie passe par l’éducation de notre conscience, c’est-à-dire la méditation de la Parole dans notre cœur, et vivre le choix du bonheur qui demande certes des sacrifices mais pour un meilleur bien. Il ne s’agit pas de languir devant des fruits verts, en voulant les posséder, mais en attendant qu’ils soient mûrs afin d’en extraire tout le jus pour notre plus grand bien. « La civilisation de l’amour est conditionnée par la promotion de la vision de la personne faite, depuis les origines, pour le don de soi »[ix]
C’est un enseignement pour nous car le Seigneur nous donne les talents nécessaires, mais nous demande de vivre avec responsabilité ce dialogue avec Lui, afin de pouvoir profiter des biens qu’Il nous a promis. Trop souvent nous sommes centrés sur nous-même et dans ce qui manque, au lieu de nous tourner vers Lui et de voir ce qu’Il nous propose de recevoir. « C’est précisément à cette liberté du don que le péché des origines vient porter atteinte en transformant le regard de chacun. »[x] Or Salomon loin de vouloir pour lui-même se tourne vers Dieu pour lui demander l’aide qu’il lui faut afin de gouverner le peuple de la promesse. La différence de regard n’est pas simplement de la bienveillance, mais un regard de foi. La foi est la confiance dans la prodigalité des dons promis par Dieu, chacun selon ses propres forces, c’est-à-dire ce qui est nécessaire à ses besoins. « Si nous ôtons la foi en Dieu de nos villes, s’affaiblira la confiance entre nous. »[xi] et la fracture civilisationnelle sera source de violence et de division, et propice aux invasions. Salomon en avait conscience, qui demande d’établir une communion avec le peuple, après le putsch raté de son frère ainé. L’unité est très fragile car elle se révèle être un exercice d’équilibrisme, mais en même temps elle permet de traverser des espaces qu’autrement nous n’aurions jamais découverts, d’un point de vue unique et dans un regard d’amour et de contemplation de l’œuvre de Dieu. La liberté ne doit pas être un obstacle à notre fraternité, au contraire, elle doit être cette fécondité du lien spirituel qui nous fait entrer en dialogue et reconnaître comme des merveilles de Dieu.
Salomon cherche à être pleinement au service du Seigneur en prenant soin de son troupeau et il en reçoit une vraie bénédiction pour toute sa vie, car il pourra profiter de toute chose, sachant qu’elles ne sont que des moyens et que la seule fin est Dieu. « Sans un amour digne de confiance, rien ne pourrait tenir les hommes vraiment unis entre eux. ….La foi fait comprendre la structuration des relations humaines, parce qu’elle en perçoit le fondement ultime et le destin définitif en Dieu, dans son amour, et elle éclaire ainsi l’art de l’édification, en devenant un service du bien commun. »[xii] Ne pourrions-nous pas relire la demande de Salomon comme une recherche de faire grandir sa foi ? A travers le discernement, n’y a-t-il pas une recherche d’être chaque jour un peu plus ancré en Dieu ? N’est-ce pas une demande que nous pourrions faire pour nos vies, avant de demander le succès, les papiers, le logement, l’enfant, le mari de jour et fuir le mari de nuit Ne pourrions-nous pas demander à Dieu de faire grandir notre foi et Lui faire pleinement confiance, non dans l’utilité de ce qu’Il peut m’apporter, ou dans une relation d’objet de Dieu, mais bien en tant que sujet de la grâce ?
3 Le principe de réalité
Le principe de réalité nous fait attendre l’action de Dieu dans notre vie. « Sans cela, comment gouverner ton peuple, qui est si important ? » Salomon ne se trompe pas d’objectif, il a conscience de sa mission qui est de gouverner ce peuple béni par Dieu et doté d’une dignité propre dans l’alliance. C’est un peuple spirituel de fils qui ont reconnu qu’ils avaient un seul et même Père. C’est en cela que leur dignité est propre. Cette révélation de Dieu dans le peuple Juif a trouvé son accomplissement lorsque le Verbe s’est fait chair. « Dieu s’est rendu visible : en Jésus nous pouvons voir le Père[xiii]. En fait, Dieu se rend visible de multiples manières. Dans l’histoire d’amour que la Bible nous raconte, Il vient à notre rencontre, Il cherche à nous conquérir. »[xiv] C’est pourquoi au temps de Salomon, l’histoire d’amour se vit dans l’accueil de la paternité de Dieu qui les rend fils et donc aptes au dialogue embrasé de sa présence dans l’alliance. Car Dieu est venu à leur aide et les a libérés de toute aliénation, c’est pourquoi ils montent vers Lui pour Le contempler et se laisser bénir par tous les dons à recevoir en surplus. Affirmons le, Dieu n’est pas avare, il donne à qui demande et se révèle comme le Père prodigue, toujours en attente de l’amour de l’homme afin de lui mettre l’anneau au doigt et les sandales aux pieds, c’est-à-dire le recevoir comme fils libéré du péché et de tout ce qui entrave. L’alliance entre Dieu et l’homme amène irrésistiblement à la contemplation de son œuvre dans nos vies et des réalisations des promesses. Dieu est fidèle et Il fait ce qu’Il dit avec amour et vérité. Comme nous l’avons souligné, l’incarnation du Christ prolonge cette révélation dans le huitième jour de création qu’est la résurrection. « Dans sa mort sur la croix s’accomplit le retournement de Dieu contre lui-même, dans lequel Il se donne pour relever l’homme et le sauver – tel est l’amour dans sa forme la plus radicale. »[xv] Il y a bien une forme de dépossession de soi afin de vivre pleinement la vocation propre à chacun d’être don pour l’autre, c’est-à-dire pour Salomon d’être au service de son peuple. Or le gouvernement est le premier service à accomplir, et cela demande beaucoup de sagesse pour sortir des pièges politiques que les adversaires savent si savamment orchestrer.
Mais le gouvernement du peuple doit se concrétiser à sa première expression qui est le gouvernement de notre vie, et c’est justement là que Salomon prend conscience de l’immensité de la tâche et du besoin de la grâce du discernement afin d’avoir des choix porteurs de vie. « Aucun homme ne peut se dérober aux questions fondamentales : Que dois-je faire ? Comment discerner le bien du mal ? La réponse n’est possible que grâce à la splendeur de la vérité qui éclaire les profondeurs de l’esprit humain. »[xvi] Entrer en profondeur est bien l’aspect le plus important de notre existence afin d’y puiser cette cohérence intérieure et de choisir ce qui nous fera grandir dans tous les aspects de notre vie, c’est-à-dire en conscience ce qui nous paraît juste. « Le détachement de l’âme consiste à faire taire les sens qui nous tournent constamment vers le monde extérieure ; « Rends-toi sourd et aveugle » L’homme peut alors entrer à l’intérieur de lui… une relation nouvelle s’instaure entre l’âme et Dieu »[xvii] Un espace de rencontre comme lieu de bénédiction. Or Salomon a bien compris que ce discernement premier qu’il doit exercer ne vient pas des sciences humaines ni d’une raison qui se justifierait elle-même, mais bien de Dieu auteur de la Création. Nous ne définissons pas la norme, nous la recevons de Dieu, et nous la vivons dans le rapport fraternel. Par extension, ce que nous vivons pour nous-même, nous le vivons pour les autres, dans une recherche du bien commun et de la construction d’une civilisation de l’amour où la dignité de l’homme est respectée car elle obéit à l’appel particulier de chacun et à la réalisation de sa vocation propre, dans la fécondité d’une réalisation pour chanter les louanges de Dieu.
4 L’humilité d’une prière
La prière de Salomon doit nous apprendre à aller à l’essentiel pour demander au Seigneur de construire tout notre être à la louange de sa gloire. C’est un acte d’abandon et une folie d’amour, mais rien n’est possible sans grâce. Alors ne nous fions pas à notre propre sagesse, mais demandons au Seigneur d’éclairer notre vie de sa présence, en tout temps et pour toutes occasions, qu’Il ne soit étranger en rien à ce que nous faisons, dans la réalité de notre humanité. « Tu es béni, Père, Seigneur du ciel et de la terre, Tu as révélé aux tout-petits les mystères du Royaume ! »
« Cette demande de Salomon plut au Seigneur. » Pourquoi le Seigneur a reconnu la prière de Salomon, parce qu’elle a été faite dans un esprit de service, pleine d’humilité et surtout de confiance en Dieu. L’humilité est le sceau du service comme lieu de réalisation de la vérité de l’amour. « L’homme, seule créature sur terre que Dieu a voulue pour elle-même, ne peut pleinement se trouver que par le don désintéressé de lui-même. »[xviii] Le don de soi-même s’offre dans le service et répond donc à notre vocation propre, comme frère créé à l’image de Dieu et appelé à entrer en communion avec Dieu lui-même. Par le don de soi même et la réalisation du service je comprends l’amour comme lieu de partage et de dialogue pour me réaliser pleinement et entrer en relation avec Dieu.et mes frères. Or trois obstacles, nous dit Dieu, sont communs à l’homme : le rêve d’éternité, la volonté de pouvoir et le refus de l’altérité. Tout cela au nom d’une position autocentrée qui empêche un discernement équitable et l’accueil d’une réalité différente de la mienne. Car, en même temps, cette différence pourrait être une richesse.
4.1 La folie de l’éternité
« Non pas de longs jours. » La première recherche de l’homme, nous dit Dieu, c’est de refuser les limites humaines, c’est le péché d’Adam et Eve. Nous serons comme des dieux, dans une forme d’indépendance qui refuse la communion ; l’annonce de la mort par Dieu révèle la limite de l’homme, qui doit se préparer au choix définitif de confiance en Dieu pour recevoir l’amour. « C’est en face de la mort que l’énigme de la condition humaine atteint son sommet. L’homme n’est pas seulement tourmenté par la souffrance et la déchéance progressive de son corps, mais plus encore par la peur d’une destruction définitive. Et c’est par une inspiration juste de son cœur qu’il rejette et refuse cette ruine totale et ce définitif échec de sa personne. Le germe d’éternité qu’il porte en lui, irréductible à la seule matière, s’insurge contre la mort. »[xix] La demande des longs jours veut conjurer le sort promis. C’est un rêve de l’humanité qui se continue aujourd’hui à travers l’illusion de la science et de l’homme amélioré. Le transhumanisme est ce rêve d’avoir un jour éternel et donc de refuser la communion avec Dieu et le salut promis par le Christ en repoussant les limites de la mort. La recherche d’une nouvelle connaissance débarrassée d’un Dieu créateur au lieu d’une connaissance promise à certains au détriment des autres. Car, en voulant l’homme amélioré, il y a un rejet du corps pour une conception spirituelle d’une entité aidée par la mécanique structurelle. Cette transformation de l’homme, par l’artificiel de la matière, entraîne une rupture d’égalité et un refus de fraternité pour l’accaparement par un cercle restreint des besoins de suppléance. « La croyance transhumaniste en la toute-puissance des technosciences est une idéologie qui, en fait, nous parle d’un humain certes augmenté dans certaines fonctionnalités, mais plutôt simplifié, robotisé, et finalement diminué car quelque peu standardisé à partir de fonctions à optimiser. »[xx] Un leurre à visée moderne dans une tyrannie des volontés courant à leur perte de sens.
Ne le nions pas, dans la recherche d’un certain acharnement thérapeutique et du refus de la mort, nous pouvons aussi reculer l’inéluctable avec une volonté sentimentale de fuir la réalité de nos limites humaines qui se révèlent à nous. La recherche des longs jours est une problématique bien contemporaine dans la fuite de la mort et l’artifice de la science, mais elle n’en demeure pas moins une recherche ancienne, propre à notre humanité, de vouloir se passer de Dieu afin de cueillir le moment présent dans la superficialité de nos sens.
En même temps le refus de s’occuper de ses parents, ou de vouloir des enterrements express, pour mettre le chagrin de côté et retourner à la folie d’une vie mondaine, entre dans la même veine de vivre le jour sans passer par la nuit. La place de la mort dans notre société et le rejet des personnes âgées doivent impérativement questionner tout fils de Dieu. « La question de savoir si nous nous comportons comme des serviteurs ou comme des ‘propriétaires de la vie et des vivants’ est d’une prenante actualité. De notre réponse collective dépendra en partie l’accomplissement de l’humanité dans le respect de la nature, de la vie et des vivants. »[xxi] L’humilité devant la grandeur de Dieu et de nos limites humaines invite alors à attendre tout de Lui et à se tenir à son service, toujours orientés vers la grande espérance du Salut et la fidélité à sa Parole de Vie dans la charité que nous prodiguons autour de nous.
4.2 La folie de la richesse en culte de performance et de pouvoir
L’autre recherche de l’homme est d’être comblé au-delà du raisonnable pour s’approprier sans intérêt ce que nous avons. « Ni la richesse » reconnaît le Seigneur à Salomon. Le problème de la richesse est l’autosuffisance matérielle et le non-sens qu’elle produit dans une forme d’oisiveté recherchée. S’affranchir de l’aide des autres pour amasser, jusqu’à ne plus savoir quoi faire de son argent, à tel point que certains milliardaires américains, dans une richesse soudaine, donnent une grande partie de leur argent aux œuvres caritatives. Il y en a qui touchent tellement d’argent par mois qu’ils ne savent pas quoi en faire et font des placements ou investissements en rajoutant l’inquiétude de la rentabilité à celle de l’accaparement. Une spirale de l’attachement où il n’y a jamais assez. La richesse matérielle recherchée pour soi-même va à l’encontre de l’invitation à la pauvreté en esprit que la première béatitude nous appelle à vivre. Le pauvre en esprit, c’est celui qui sait utiliser chaque chose, non en propriétaire mais en serviteur, ne s’attachant à rien pour profiter de tout ce qui peut lui apporter un meilleur bien. « L’amour pour les pauvres est certainement incompatible avec l’amour immodéré des richesses ou leur usage égoïste. »[xxii] Salomon l’avait bien compris, lui qui demande comment honorer le peuple de la promesse. Et il s’agit de tout le peuple et non d’une partie.
Mais ne nous y trompons pas, la richesse est un vice que nous pouvons rechercher même avec peu de moyens, comme une fin en soi au lieu de la voir comme un moyen, elle est une perte de sens où l’autre est considéré comme objet, avant d’être vu comme un sujet de la civilisation de l’amour. Tous nos attachements, et en même temps nos façons de s’écarter de ce qui est juste, de ce qui nous manque mais que nous voulons au-delà du raisonnable, sont autant de questionnements de ce que nous sommes vraiment appelés à vivre. Croire que la bénédiction de Dieu aboutit à la richesse, comme une fin, est un leurre. Rechercher la richesse comme une bénédiction de Dieu revient alors à demander à la suite des apôtres à Jésus « qui a péché entre ses parents et lui pour supporter l’aveuglement de la pauvreté ? » Or la pauvreté matérielle, à ne pas confondre avec l’indigence, est lieu de simplicité de vie et d’invitation à participer à cette fraternité. Concrètement, comment vivre la fraternité si ma porte est fermée, si j’ai deux digicodes pour accéder à l’immeuble et un digicode pour la porte du jardin ? Sans parler de la clé qu’il faut pour entrer dans la maison. On aura beau prétendre vivre la simplicité et être ouvert à tous, les fermetures observées entravent la libre circulation de la gratuité de la relation. La prospérité promise par Dieu n’est pas une question d’avoir mais d’être et d’accomplissement de notre vocation propre. Les martyrs l’ont bien compris : dans le don sincère d’eux-mêmes, ils ont contribué à la vraie prospérité de l’Eglise qu’est l’évangélisation et le témoignage de vie, jusqu’au don de soi pour l’annonce du Royaume.
L’utilisation des biens matériels est un vrai défi pour chacun et pour les communautés ; il ne faut pas être naïf quant à certaines situations, mais toujours garder le principe de précaution et inviter à la prudence. Un exemple précis pour les célibataires et les couples sans enfant. Avoir une machine à laver le linge par appartement pour une utilisation bihebdomadaire paraît bien futile, un partage dans un local d’une laverie par immeuble pourrait être un partage harmonieux et signe d’une simplicité de vie et d’une intelligence d’utilisation des biens. On reviendrait presqu’au principe du lavoir d’antan, lieu de rencontre. Dans les séminaires, des machines à laver sont mises à disposition des séminaristes et, pour 40, deux machines suffisent largement. Néanmoins, aller dans les laveries de ville pour une ou deux heures peut devenir problématique dans une gestion du temps délicate. Même si, là encore, on peut évangéliser au lieu d’avoir peur de rencontres inquiétantes. L’appropriation du matériel peut se révéler ainsi fort douteuse, même dans une communauté, ou chacun essaye d’avoir son bureau d’apostolat dans une bonne intention de service, mais avec une vision restrictive du partage. Il en va de même pour la démultiplication des photocopieuses ou des imprimantes d’ordinateur, au nom d’une fonctionnalité efficace, mais qui questionne parfois sur l’œuvre de simplicité évangélique.
Parallèlement, peut-on laisser à disposition de tous du matériel qui demande une certaine technicité ou une compétence et une utilisation qui tient compte de sa fragilité et de son besoin de maintenance comme par exemple un orgue, ou des instruments de sonorisation. Il faut bien qu’un intendant soit attentif à maintenir le matériel en état et qu’il soit vigilant pour que ceux qui l’utilisent aient la compétence nécessaire au respect de l’objet pour son usage. Il y a bien une prudence à avoir dans ce domaine. Si partage rime avec gaspillage, l’un est une vertu, l’autre un vice. Néanmoins, le refus de laisser conduire une voiture au seul motif que l’on n’est pas communautaire ne peut que questionner. Encore faut-il accepter la relecture. L’interpellation du pape François de communautés religieuses vieillissantes qui vendaient leur bien pour placer en actions en les invitant à en faire des maisons d’accueil pour les personnes en errance, doit demander d’être attentif pour savoir s’il y a les moyens d’un accompagnement pour ne pas devenir une spoliation. De même, la vente des biens pour les pays de mission peut s’avérer tout à fait évangélique, tout ne peut pas être mis sur le même pied et demande de la prudence quant au jugement à porter en conscience pour distinguer le bien du mal.
L’on peut se laisser vite envahir. J’ai souvenir de la cellule d’un moine assez encombrée, d’un étonnement de ma part et de la réponse du moinillon : « tout ce qui est entré ici a reçu la bénédiction du Père Abbé ». L’autorité n’est pas là pour cadenasser, mais pour aider au discernement, ce qui n’empêche pas la conscience de chacun de s’exercer pour valider ce qui est vraiment nécessaire. Nonobstant les excès tout aussi choquants des sœurs de Mère Teresa arrachant la moquette tout fraîchement posée au nom de la radicalité de la pauvreté et, devant l’interrogation que cela a inévitablement posé, qui ont répondu « les pauvres l’ont prise, donc on a bien fait », déniant ainsi le travail des ouvriers et l’argent par là-même jeté par les fenêtres. Rien n’est simple dans la compréhension de notre rapport au matériel et il faut discerner. La communauté de Jérusalem, par rapport à Corinthe, a voulu vivre un partage des biens radical et, en temps de disette, a dû faire appel à la communauté marchande de Corinthe qui avait quelques biens nécessaires au commerce et à l’équilibre des revenus. Même dans l’ancien Testament, le pain qu’ont mangé les soldats du roi David, provenant du Temple, montrait aussi une certaine simplicité du partage au nom même de l’importance de la vie. « Les richesses remplissent leur fonction de service à l’homme quand elles sont destinées à produire des bénéfices pour les autres et pour la société:[xxiii]« Comment pourrions-nous faire du bien au prochain — se demande Clément d’Alexandrie — si tous ne possédaient rien? ».[xxiv] »[xxv] Chacun selon sa vocation doit rendre compte des biens et ajuster sa vie aux choix propres à l’appel particulier.
La faculté qu’ont certains à donner le strict minimum à l’Eglise pour vivre, arguant des éléments fallacieux pour ne pas partager et ainsi mettre en difficulté l’activité missionnaire d’une paroisse, montre aussi la difficulté du partage et l’orientation d’une richesse instrumentalisée pour d’autres activités, sans un fondement paroissial nécessaire à toute autre activité. La richesse devient alors un levier politique en y perdant son aura prophétique. Reconnaître Dieu dans les biens matériels, et se mettre au service, demande alors d’être soucieux du bien de la communauté des croyants, et cela commence toujours en premier en paroisse. La relation à l’argent et la difficulté du partage en vérité sont un révélateur de nos propres emprisonnements dans tous les domaines. L’attitude du croyant puise dans l’Ecriture le sens de toutes ses actions. « La pauvreté s’élève au rang de valeur morale quand elle se manifeste comme une humble disponibilité et comme une ouverture à Dieu, comme une confiance en lui. Ces attitudes rendent l’homme capable de reconnaître la relativité des biens économiques et de les traiter comme des dons divins à administrer et à partager, car la propriété originelle de tous les biens appartient à Dieu. »[xxvi] Le partage se vit en Eglise et pour la vie de la cité dans un ajustement nécessaire.
Ne nous pensons pas étrangers à cette problématique. En vérité, la recherche de la richesse se fait dans l’abus de biens sociaux, c’est-à-dire en utilisant les biens de l’entreprise pour ses propres nécessités, par le vol par omission aussi bien que par action. Le vol par omission étant de trouver quelque chose et se l’approprier, ou ne pas rendre un emprunt effectué. Mais la volonté de frauder les assurances, de ne pas déclarer au fisc, aux impôts ou de se faire payer au noir sont autant d’attitudes qui sont de l’appropriation de richesse qui n’est pas juste. Comme détourner les horaires de travail pour justifier les absences de manière incognito, que ce soit à l’assemblée nationale, ou dans l’entreprise. C’est une forme de prévarication qui entraîne vers un enfermement. La prévarication est une transgression de notre obligation morale à faire le bien avec un manquement grave à notre vocation de fils de Dieu. Cette transgression est une attitude injuste et inadaptée à la Parole. Si l’argent pourrit tout, en faire un moyen est non seulement une forme de cynisme dans la conduite de nos actes, mais une perte de sens. C’est toute la question de ce que nous faisons de cette richesse matérielle. Une famille me fait un cadeau pour me remercier de l’année de catéchisme avec l’enfant, et j’en parle au supérieur de la mission avec joie. Celui-ci m’a gentiment recadré, en rappelant que si les autres enfants ne m’avaient pas fait de cadeau c’est qu’ils étaient trop pauvres, et que je devais garder le même intérêt pour chacun et non privilégier les uns par rapport aux autres, en d’autres termes que le cadeau ne devait pas engendrer des préférences. Ce qui était pour moi une évidence, dit par un autre, m’a interpellé sur l’immixtion d’une rupture de fraternité, si facilement approuvée sans vigilance de ma part, et du regard fraternel. « Le riche, dira saint Grégoire le Grand, n’est qu’un administrateur de ce qu’il possède ; donner le nécessaire à celui qui en a besoin est une œuvre à accomplir avec humilité, car les biens n’appartiennent pas à celui qui les distribue »[xxvii] ni d’ailleurs à celui qui les reçoit, mais à Dieu seul. Soigner nos bienfaiteurs au détriment du peuple des petits n’est pas évangélique, tenons-le nous pour dit. Saint Paul nous le redit, dans les repas tous sont frères, ne laissez pas les plus aisés devant et les pauvres derrière, car c’est un clivage fraternel occasionnant un rejet des uns et des autres.
4.2.1 L’impasse d’une prospérité comme fin en soi
Dans notre compréhension de la Parole de Dieu, nous pouvons, comme le font certains pasteurs protestants, glisser sur une forme d’évangile de la prospérité, où l’action de Dieu se voit par les biens matériels et le nécessaire besoin d’en mettre plein les yeux. Non, l’aisance financière n’est ni un signe de sainteté, ni un sceau de bénédiction de Dieu. Aujourd’hui notamment chez les évangéliques, l’important est de gagner l’argent, jusqu’à faire dire aux gens ‘Jésus a nourri les foules, maintenant c’est les foules qui nourrissent leur pasteur’. Cette vision s’inscrit dans un courant nommé l’évangile du « nomme-le, réclame-le », l’évangile « de la santé et de la richesse », « l’évangile de la prospérité », ou encore « la théologie de la confession positive »[xxviii] et reprenant le discours de Robert Tilton « Je suis convaincu que Dieu veut que chaque chrétien s’enrichisse, non parce que ça a fonctionné pour certains, mais parce que je le vois dans la Bible. Je ne fixe pas mes regards sur les hommes, mais sur Dieu qui permet que je m’enrichisse. »[xxix] C’est une vision un peu simpliste des Ecritures. La doctrine sociale de l’Eglise nous rappelle les deux pendants de l’appréciation des biens matériels. « Dans l’Ancien Testament, on constate une double attitude vis-à-vis des biens économiques et de la richesse. D’un côté, l’appréciation positive pour la disponibilité des biens matériels considérés comme nécessaires pour la vie : parfois l’abondance — mais pas la richesse ni le luxe — est considérée comme une bénédiction de Dieu. »[xxx] Par la suite, la conséquence de la richesse qu’est l’oisiveté est décriée, et que saint Benoît dans sa règle essayera de contrer. Le mauvais usage de la richesse est la rupture de fraternité devant l’homme et la suffisance devant Dieu.
Or, comme nous rappelle tout le psaume de la loi, Ps 118(119), c’est la loi du Seigneur et la méditation de la Parole de Dieu qui sont notre premier enrichissement, ainsi que de se tenir en sa présence, en confiance, comme serviteur, à la suite de Salomon. La richesse est alors pour lui, dans la position qu’il occupe, un témoignage de la prodigalité de Dieu, comme dans la vie des saints tout au long des siècles, dans la fécondité de leurs œuvres, même si cela a rarement été des biens matériels.
Jésus vient nous sauver est le premier cri de la résurrection. Il est vivant, notre Sauveur ! Et le salut est pour nous l’occasion de déployer la vertu d’espérance afin d’annoncer au monde entier l’amour de Dieu promis à tous. Cet amour gratuit qui se partage et se féconde dans la relation fraternelle librement exercée. On comprend bien que la prospérité matérielle n’est pas un objectif du témoignage, mais que la vérité de l’amour demande la confiance en Dieu dans la fidélité à sa Parole, et la providence qu’Il nous octroie avec la responsabilité qui est la nôtre. L’enrichissement que Dieu veut pour chacun d’entre nous est d’ordre spirituel, dans une connaissance de la foi, l’intelligence de notre conscience pour exercer la volonté de Dieu en toute chose et recevoir ses grâces et en faire mémoire. Tout notre corps et notre âme sont invités à louer Dieu et à Le chanter en actions de grâce à cause de la joie de sa rencontre. C’est l’intégralité de notre être qui est invité à louer Dieu sans s’écarter des chemins tortueux de l’avoir.
Tout notre être est tourné vers Dieu, or s’attacher au corps dans une recherche de possession de richesses, de bénédiction pour l’utilité du corps et dans un marchandage tyrannique est plutôt l’œuvre du Malin qui cherche à diviser. C’est une vision spiritualiste, où la connaissance n’est que pour certains, dans une vision sectaire de la foi et le refus d’accueillir l’autre comme un frère, tout aussi démoniaque. De la compréhension du Salut, nous devenons citoyens de la civilisation de l’amour par notre baptême et invités à œuvrer au bien commun par notre témoignage. Le kérygme de la foi est bien l’annonce d’un Christ mort et ressuscité dont nous attendons le retour dans la gloire. En d’autres termes, Dieu vient nous sauver et nous attendons le grand jour où Il sera là avec nous en pleine communion. Et, justement, notre distanciation au matériel se vérifiera par le désir ardent de voir Jésus le plus rapidement possible revenir dans la gloire. Plus nous hésitons dans une telle affirmation, et plus nous sentons l’écart avec les possessions matérielles, affectives et de reconnaissance de soi.
Dans la tradition de l’Eglise et l’hagiographie, aucune canonisation ne s’est faite sur l’argent possédé, la capacité d’en gagner ou encore la prospérité matérielle de l’œuvre. Au contraire, cela a été un élément de défiance. Cela doit nous rendre vigilants et avoir un rapport à l’argent assez distant pour ne pas se laisser cannibaliser par cet ogre vorace. Malheur à qui s’approche de manière imprudente ou naïve. Nous avons à être des intendants fidèles et fiables dans la gestion des biens de ce monde tant matériels que spirituels pour entrer dans la joie du maître.
4.2.2 « Tu te nourriras du travail de tes mains : Heureux es-tu ! A toi, le bonheur ! »[xxxi]
Néanmoins l’indigence est un scandale pour l’humanité et nous devons tout faire pour sortir nos frères de cette situation qui souvent est à l’origine un manque de compassion et de partage. Nul n’est appelé à la misère. Au contraire, en bon intendant de la maison commune, nous avons à développer ce qui est nécessaire à chacun pour le bien de tous. La simplicité de vie n’est pas manquer du vital. D’autre part, l’esprit de pauvreté n’est pas un appel à la paresse, où ce serait à Dieu de tout faire. Tu te nourriras du travail de tes mains nous dit le psalmiste. « Le travail doit être honoré car il est source de richesse ou, du moins, de dignes conditions de vie et, en général, c’est un instrument efficace contre la pauvreté[xxxii], mais il ne faut pas céder à la tentation de l’idolâtrer, car on ne peut pas trouver en lui le sens ultime et définitif de la vie »[xxxiii] C’est pourquoi il nous faut être acteur de notre propre développement, en artisan de paix. C’est d’ailleurs une des impasses de la théologie de la libération, clivant dans une mauvaise compréhension anthropologique les propriétaires et les ouvriers, avec une relecture marxiste mortifère. Nous devons travailler au jardin, pour faire fructifier ce que Dieu a donné, et non enterrer notre talent en terre en attendant le temps qui passe, ni survaloriser le temps du travail au détriment de nos devoirs d’état.
De fait le travail est une participation à l’œuvre créatrice du Seigneur. Si saint Benoît insiste pour que les frères fassent un travail manuel et soient acteurs de la vie de la communauté et dans la répartition des tâches, c’est dans « l’entraînement au bien et par goût des vertus. »[xxxiv] En d’autres termes, c’est pour donner une certaine flexibilité à chacun dans la réception des tâches et travailler ainsi l’esprit d’humilité tout en mettant en exergue l’avertissement de saint Paul « Or, nous apprenons que certains d’entre vous mènent une vie déréglée, affairés sans rien faire. À ceux-là, nous adressons dans le Seigneur Jésus Christ cet ordre et cet appel : qu’ils travaillent dans le calme pour manger le pain qu’ils auront gagné. »[xxxv] La Parole de Dieu doit nous rendre acteur par notre travail. Certes, parfois la mission est tellement exigeante et les demandes de la communauté si importantes qu’il paraît difficile d’exercer un travail en parallèle en parallèle, mais si nous pesons sur la communauté ou que celle-ci est oppressée par une demande de dime qui vire à l’obsessionnel, cela ne va pas sans questionner gravement. La vie du prêtre dans l’Eglise catholique est unique, car par vocation elle est vie de prière et d’enseignement religieux, de culte et de grâce[xxxvi] et non une vie de labeur pouvant détourner de la grâce sacerdotale propre. Il n’y a pas de parallèle possible avec d’autres ministères.
Si l’Eglise catholique, dans sa grande sagesse, a été de tradition constante, sur une grande réserve face aux biens et aux possibilités de l’appât du gain, ce n’est pas sans raison : combien se sont perdus… (et nous avons des noms dans l’histoire des hommes d’Eglise). C’est une mise en garde contre l’oisiveté mère de tous les vices. « L’oisiveté est ennemie de l’âme. Aussi les frères doivent-ils s’adonner à certains moments au travail manuel, et à d’autres heures déterminées à la lecture de la Parole divine. »[xxxvii] Or l’évangile de la prospérité, ou la vision d’une vie bienheureuse sous les biens matériels, invite inéluctablement à une vie d’oisiveté dans la nonchalance qui nous rend sourds au besoin de nos frères et du monde. Ne pas voir l’écueil tient du déni spirituel.
Dès lors on comprendra aisément que les biens matériels, comme les situations de pauvreté dans une simplicité réaliste de ce que nous avons à vivre, ne doivent jamais nous détourner de faire la volonté de Dieu en tout temps et en toute chose. Dans tous les cas, ils ne doivent pas nous détourner de la seule richesse de la relation à Dieu pour l’éphémère loisir d’une occupation sans fécondité. La première attitude est d’accueillir le don de Dieu tel qu’il est, et non tel que je voudrais qu’il soit ou que je pense qu’il doit être. La deuxième attitude est de prospérer dans cette grâce octroyée par le Seigneur et d’en tirer profit pour le salut de notre âme. La troisième attitude est de la partager avec simplicité dans le témoignage comme lieu de rencontre avec le frère et de vérité de notre fidélité au Seigneur. Si dans cette volonté de vouloir toujours plus, je refuse de passer d’une maison à un appartement parce que cela ne va pas dans un accroissement de bien, ce n’est pas sans interroger. Qu’est-ce que j’ai à vivre aujourd’hui ? Il y a des choix à faire. J’en ai bien eu conscience lors de l’achat de mon premier appartement : soit je restais dans la ville de mon boulot et j’avais un petit logement, soit je m’exilais à une demi-heure du bureau et j’avais un logement plus grand. Tout est question de choix et d’accueil de ce que le Seigneur me demande de vivre, dans les réalités qui sont les miennes et le discernement des frères. Comme le disait une paroissienne, ayant vu un pasteur rouler dans une Mercedes dernier cri, elle s’est détournée clairement de l’Eglise évangélique devant l’étalage des richesses. L’enjeu n’est pas tant le détachement par rapport aux biens du monde que le témoignage que l’on offre aussi à nos frères parfois dans le besoin. Parallèlement avoir une voiture qui répond à des questions de confort pour des soucis de santé est aussi une réalité dont il faut également témoigner.
En toute chose, de la prudence, et n’en soyons pas avare dans ce domaine. La bénédiction de Salomon vient justement de son détachement des biens de ce monde, pour ne pas s’enfermer dedans ni pratiquer l’oisiveté et des festivités qui ne rendent pas gloire à l’œuvre créatrice de Dieu. « L’expansion de la richesse, visible à travers la disponibilité de biens et de services, et l’exigence morale d’une diffusion équitable de ces derniers doivent stimuler l’homme et la société dans son ensemble à pratiquer la vertu essentielle de la solidarité.[xxxviii] »[xxxix] Nous aussi, nous devons revoir notre rapport à la richesse, et chacun doit se laisser interroger pour discerner ce qu’il doit vivre aujourd’hui, ici et maintenant, et entrer dans une démarche de conversion pour faire la lumière dans sa vie, éclairée de la vérité de la Parole et de l’amour de Dieu sans entrer dans les excès. La solidarité se fait sur son propre partage et invite à donner ce qui est nôtre. « Dieu veut garantir à l’homme les biens nécessaires à sa croissance, la possibilité de s’exprimer librement, le résultat positif du travail et la richesse de relations entre des êtres semblables. »[xl] C’est l’appel à la fraternité qui s’exprime dans la richesse de la relation.
4.3 Le refus de fraternité dans la mort des ennemis
Le troisième péché de l’homme, pour Dieu, va à la suite des deux premiers, c’est se couper de Lui et se croire auto créateur, propriétaire de richesse. En effet, le troisième péché de l’homme est le refus de fraternité, qui se traduit par « la mort de tes ennemis ». C’est, ni plus ni moins, le refus de vie pour mon frère. Cela se traduit aujourd’hui par les avortements et les formes plus ou moins claires d’euthanasie. La violence politique, qui confisque le débat d’idées au nom d’une tyrannie idéologique assenée à coup de média et d’orientation de l’information. Mais la mort de l’ennemi couvre aussi l’abandon de certains populations comme les veuves et les orphelins, ou le mépris pour les populations les plus pauvres – les sans dents – que l’on assujettit aux minima sociaux sans se préoccuper de leur fournir un travail décent qui leur permette de vivre du travail de leurs mains. Souhaiter la mort est un refus du dialogue et du pardon, c’est donc enfermer son frère dans ce qu’il est au lieu de l’amener à la conversion. Parfois par pure jalousie ou envie, ou par dépit, mais toujours dans une violence tant intérieure qu’extérieure de refus de laisser l’autre trouver sa place.
Refuser la mort des ennemis, c’est retrouver l’authenticité de l’alliance avec Dieu en rappelant à chaque homme que nous n’avons qu’un seul Père. « Il est d’une grande importance que les religions puissent favoriser dans nos sociétés, souvent sécularisées, un regard qui voit en Dieu Tout-Puissant le fondement de tout bien, la source inépuisable de la vie morale, le soutien d’un sens profond de la fraternité universelle. »[xli] C’est ainsi que même mon ennemi devient une source de bénédiction et je dois entrer dans une prière d’intercession pour lui, afin de l’amener à une conversion profonde. L’appel à la sainteté passe par la prière pour ses ennemis et notre propre transformation intérieure à la lumière des Evangiles. Le regard bienveillant sur le frère se vit dans la contemplation du Christ et de sa vie. « En Lui, qui est la Vérité[xlii], l’homme peut comprendre pleinement et vivre parfaitement, par ses actes bons, sa vocation à la liberté dans l’obéissance à la Loi divine, qui se résume dans le commandement de l’amour de Dieu et du prochain. Cela se réalise par le don de l’Esprit Saint, Esprit de vérité, de liberté et d’amour : en Lui, il nous est donné d’intérioriser la Loi, de la percevoir et de la vivre comme le dynamisme de la vraie liberté personnelle. » C’est le Christ qui nous conduit à transformer notre regard pour voir d’abord en l’autre un frère avant de le percevoir comme ennemi. La prière de Salomon dans la recherche du discernement montre bien cette perception pré-évangélique d’être dans le service comme réalisation de l’amour de Dieu pour moi et pour mon prochain. Etre au service c’est, en artisan de paix, rechercher le bien de tous pour une vraie communion. La rencontre de Dieu n’est pas neutre et, pour nous, l’Evangile est force transformante. « L’accueil de la révélation du Dieu de Jésus-Christ fait opérer une révolution dans la manière de se représenter les liens humains et de les habiter »[xliii]
Certes, la mort des ennemis peut se comprendre aussi dans l’attitude de vouloir faire la guerre pour apporter la bonne façon de vivre ou de faire, ou réclamer de façon indécente la peine de mort paradoxalement au nom même de la justice. On n’en est plus à un paradoxe près. La mort des ennemis est toujours un autocentrement sur soi pour éviter la confrontation et un refus de se voir limité dans ses prérogatives. Il y a là encore une forme de tyrannie du pouvoir qui refuse la contestation. Il nous faut revoir sans cesse nos manières de vivre la relation entre nous et de s’inscrire dans une démarche baptismale pour tisser les liens afin de rendre un témoignage authentique de la vie en Dieu par son Fils révélé et au feu de l’Esprit Saint. Je suis enfant de Dieu, cela se vit, se voit, se témoigne. Un appel à rechercher la communion dans la vérité de l’amour et la recherche d’une solidarité fondée sur notre fraternité.
Synthèse
L’humilité de la demande de Salomon lui vaut une bénédiction unique, dans la compréhension de la raison à travers l’intelligence et la raison du discernement par la sagesse. « Puisque tu as demandé le discernement, l’art d’être attentif et de gouverner, je te donne un cœur intelligent et sage. » Cela nous rappelle notre propre interpellation à vivre les dons de l’Esprit. L’intelligence est la lumière de la raison, mais aussi la lumière de la foi qui s’obtient par grâce et nous fait comprendre le dessein de Dieu. La richesse dans la foi est une richesse de relation donc d’être et non d’avoir ou de possession. Qu’importe le matériel, tant que le service de la charité est assuré. Ce qui est premier c’est la joie de Dieu dans notre vie, et si dans les conséquences il y a une bénédiction matérielle, tant mieux, ou tant pis. L’humilité nous invite à comprendre la richesse de la relation fraternelle, et le service dans l’attention à la maison commune comme chemin d’ajustement à la volonté de Dieu dans une meilleure connaissance. La sagesse est la contemplation de cette connaissance de l’amour de Dieu et du désir de Le chercher en chaque chose. Alors, loin d’être autocentré, tournons-nous vers le Seigneur et méditons la Parole de Vie, laissons-nous embraser par le feu de grâce de sa présence et recherchons la communion entre nous comme artisans de paix. « Déchiffrer ta parole illumine et les simples comprennent. »
29 juillet 2020 – Père Greg – Curé
St Charles Borromée – Joinville le pont
[i] Ps 9 , 17
[ii] &11 Redemptoris Missio
[iii] &15 Redemptoris Missio
[iv] GS 22
[v] p 259 Evagre le Pontique – Traité de l’oraison, p 259 in prier à l’école des Saints, Max Huot de Longchamp
[vi] p 116 – art civilisation de l’amour, Yves Semen Ecce corpus 2
[vii] P 260 ibid
[viii] & &58 Splendor Veritatis
[ix] p 128 art civilisation de l’amour, Yves Semen Ecce corpus 2
[x] p 126 ibid
[xi] &55 Lumen Fidei
[xii] &50 Lumen Fidei
[xiii] cf. Jn 14, 9
[xiv] &17 Dieu est amour
[xv] &12 Dieu est amour
[xvi] &2 Veritatis Splendor
[xvii] p 231 Maitre Echkart ou la profondeur de l’intime
[xviii] &24/3 Gaudium et Spes
[xix] &18/1 Gaudium et Spes
[xx] p 77 L’homme Augmenté – Thierry Magnin
[xxi] P 266 ibid
[xxii] Catéchisme de l’Église Catholique, 2445.
[xxiii]Cf. Hermes, Pastor, Liber Tertium, Similitudo: PG 2, 954.
[xxiv] Clément d’Alexandrie, Quis dives salvetur, 13: PG 9, 618.
[xxv] &329 CDSE
[xxvi] &323 CDSE
[xxvii] &329 CDSE
[xxviii] https://evangile21.thegospelcoalition.org/article/5-erreurs-doctrinales-de-levangile-de-la-prosperite/, David W. Jones professeur d’éthique chrétienne,
[xxix] Ibid Robert Tilton
[xxx] &323 CDSE
[xxxi] Ps 127 (128),2
[xxxii] cf. Pr 10, 4
[xxxiii] &257 CDSE
[xxxiv] &7/68 Règle de saint Benoît
[xxxv] 2 Th 3,11
[xxxvi] Compte renu du Cardinal Liénart, suite à l’audience du 5 novembre 1953 avec Pie XII, la croix du 28 mai 2020
[xxxvii] &48/1 Règle de saint Benoît
[xxxviii] Cf. Jean-Paul II, Encycl. Sollicitudo rei socialis, 40: AAS 80 (1988) 568-569.
[xxxix] &334 CDSE
[xl] &428 CDSE
[xli] &117 Verbum Domini
[xlii] cf. Jn 14, 6
[xliii] p 70 Un lien si fort – Etienne Grieu