6e dimanche de Pâques. Le déplacement de l’appel dans l’amour. Année B

 « Quelqu’un peut-il refuser l’eau du baptême à ces gens qui ont reçu l’Esprit Saint tout comme nous ? » La relation entre Jésus qui vient nous sauver par le baptême et la Personne Don, l’Esprit Saint qui se manifeste dans notre vie pour nous révéler l’amour du Père est intimement liée. Le baptême doit se comprendre comme la manifestation de Dieu dans notre vie. Peut-on recevoir le feu de son amour et cette présence purificatrice de l’amour de Dieu sans être sauvé de la mort par l’eau du baptême et répondre ainsi pleinement au souffle de Dieu ? La question de Pierre est un appel au discernement. Oui, Dieu passe au-delà de nos schémas de pensée pour se révéler à tous : « Dieu est impartial ; il accueille, quelle que soit la nation, celui qui le craint et dont les œuvres sont justes. » L’universalité de l’amour de Dieu se révèle dans le mystère de son amour. C’est la Toute-Puissance de Dieu qui se révèle dans l’histoire des hommes et montre le chemin de l’amour dans la vérité de ce que nous sommes ainsi que l’appel à nous ajuster sans cesse à sa grâce. Le baptême est l’expression d’une conversion, car il rappelle la fidélité du Seigneur et le don du Salut pour tous ceux qui acceptent d’être sauvés par Lui et de le reconnaître comme Seigneur et Dieu. Il nous faut revenir à au caractère essentiel des sacrements dans notre vie, et notamment celui du baptême. Le Pape François nous rappelle l’importance de nous souvenir de la date de notre baptême, car c’est celle de notre vraie vie en Dieu. Mais le texte de ce jour nous rappelle aussi l’essentiel ; vivre la manifestation de Dieu dans notre vie en voulant vivre l’amour de Dieu d’une part, et pratiquer cet amour dans le service du prochain d’autre part.

1 L’Esprit Saint, une authentification de notre appel

La première manifestation de l’Esprit Saint dans notre vie est de réunifier tout notre être pour nous tourner vers Dieu. Cette expérience nous fait entrer intégralement dans la joie de Dieu, corps et âme, pour y relire toute notre vie à l’aune de son amour toujours présent. Or, cette révélation de l’amour passe aussi par la recherche de communion fraternelle pour être d’un seul cœur dans le service de la charité et ainsi rendre un témoignage authentique de notre vie en Dieu. La vie de l’Esprit est souffle d’amour tout au long des réalités de notre histoire, un lieu de fécondité à travers l’appel reçu d’une relation à Dieu toujours en communion. Dieu est amour et Il nous invite à aimer aussi à notre tour, pour en être témoins tout autour de nous. « La confiance en l’Esprit Saint qui agit dans la prédication n’est pas purement passive, mais active et créative. Elle implique de s’offrir comme instrument[i], avec toutes ses capacités, pour qu’elles puissent être utilisées par Dieu. »[ii] La victoire de l’amour libère l’homme du péché pour lui redonner le sens de la vie et écouter l’appel de Dieu pour y répondre pleinement.

1.1 Une histoire de déplacement dans la foi.

La foi demande toujours un déplacement pour reconnaître l’œuvre de Dieu dans notre vie. La fidélité en Dieu impose une dynamique de l’amour et d’être attentifs à nous tenir prêts pour la rencontre. Corneille va à la rencontre de Pierre, quittant ainsi son travail journalier et ses diverses occupations afin de se rendre disponible à la présence d’un serviteur de Dieu. Il éteint son portable, débranche son ordinateur, déconnecte sa radio et sa télévision pour vivre un déplacement de tout son être vers Celui qu’il attend. Corneille, « c’était quelqu’un de grande piété qui craignait Dieu, lui et tous les gens de sa maison ; il faisait de larges aumônes au peuple juif et priait Dieu sans cesse. »[iii] Non seulement c’était un homme de prière, mais plus encore il entraînait les gens de sa maison à vivre cette crainte de Dieu, c’est-à-dire cet amour respectueux de son œuvre, et vivait dans un partage sincère par l’aumône. Il savait vivre les déplacements nécessaires pour découvrir le langage spirituel et rechercher le dialogue par la prière et l’amour de Dieu.

 « Vers la neuvième heure du jour, il eut la vision très claire d’un ange de Dieu. » Au moment de la prière du soir au temple et à l’heure du sacrifice, voilà que Corneille a une vision de Dieu et un appel à faire chercher Pierre. Juste une vision, et aussitôt il envoie deux domestiques et un soldat pour inviter Simon Pierre à venir chez lui. Trois personnes pour partir à la rencontre du messager de la foi, c’est une image de la convivialité extérieure et intérieure, et en même temps de la sécurité preuve de discernement dans la foi. Trois personnes comme à Emmaüs, pour aller manifester cette joie de la rencontre de Dieu, et revenir à la Jérusalem sans frontière annoncer les merveilles de Dieu. Trois serviteurs, chacun selon son charisme pour accompagner les autres à travers la sécurité de la route et du regard bienveillant pour amener à une convivialité nécessaire dans la rencontre.

Voici la confiance de Corneille, homme de Dieu qui dans la pratique de la prière et de cette recherche avec Dieu reconnaît l’appel à se laisser enseigner et va à la recherche des signes de Dieu promis. Il ne sait rien de Simon Pierre, sinon que, si le ciel en parle, c’est qu’il est béni de Dieu. Et lui, dans sa quête de Dieu, fait œuvre de disponibilité en envoyant des gens à son service, c’est-à-dire en se privant de certaines choses pour aller quémander l’homme de Dieu. Le déplacement implique une forme de détachement pour rejoindre l’essentiel en profondeur et être réceptif à la présence de Dieu. « Retranchez de la vie les bienfaits qui viennent de Dieu et vous ne pourrez plus dire à quels caractères vous reconnaissez le divin […] ; si l’amour de l’humanité est le signe particulier de la nature divine, vous tenez la raison que vous cherchiez, vous tenez la cause de la présence de Dieu dans l’humanité »[iv] Une recherche de la nature divine par l’annonce d’un serviteur de Dieu, un homme, mon frère et ainsi harmoniser son désir intérieur d’aimer avec plus d’intensité ce Dieu que je veux connaitre davantage afin de rendre grâce pour tous ses bienfaits.

Un autre doit vivre un déplacement, et c’est justement Pierre. Dieu, à travers le songe des aliments impurs, lui révèle l’universalité de l’amour, qui n’a ni frontière, ni limite humaine, mais est le dynamisme de Dieu dans l’œuvre de sa création. Or, même pour l’homme de foi qu’est Pierre, de plus ayant reçu l’Esprit Saint, c’est-à-dire ayant accepté l’œuvre de Dieu dans sa vie et se mettant à son école, cela ne suffit pas pour faire tomber les préjugés : il lui faut une conversion supplémentaire. Oui les Romains sont les colonisateurs impitoyables et honnis du peuple juif, plus encore ils sont impurs devant Dieu, portant la lèpre de la vanité de ce monde et de la perte de sens, et ne sont donc pas fréquentables. Ils sont comme ces animaux impurs dont il faut éviter tout contact. Et pourtant… Dieu veut se manifester à tous, car il rappelle à Pierre l’universalité de sa bénédiction. Le songe de Pierre nous rappelle cet appel à la communion à travers la pluralité de nos personnalités. « La diversité doit toujours être réconciliée avec l’aide de l’Esprit Saint ; lui seul peut susciter la diversité, la pluralité, la multiplicité et, en même temps, réaliser l’unité. »[v] L’annonce de la Bonne Nouvelle est pour tous, parce qu’elle puise dans l’union à Dieu la communion avec le frère. Il est logique, dans l’unité, d’être attentifs aux besoins de chacun dans un déplacement intérieur qui marque la confiance en la Parole et l’espérance du Salut. « Je vous exhorte donc tous à obéir à la parole de justice et à persévérer dans la patience que vous avez vue de vos yeux…persuadés que tous ceux-là n’ont pas couru en vain[vi] mais bien dans la foi et la justice et qu’ils sont dans le lieu qui leur était dû près du Seigneur avec qui ils ont souffert. « Ils n’ont pas aimé le siècle présent »[vii] mais bien celui qui est mort pour nous et que Dieu a ressuscité pour nous »[viii] La vie dans l’Esprit nous apprend la disponibilité au souffle de l’annonce, pour accueillir le dessein de Dieu. Si, par trois fois, le Seigneur insiste dans le rêve de Pierre, c’est pour lui reveler une inclination profonde, celle de l’ouverture de la foi à tous. Le premier songe, on peut l’oublier, le deuxième, on peut douter, la troisième est une certitude de la volonté de Dieu et l’appel à l’obéissance de notre part, pour toujours nous recentrer sur le visage du Christ et son exemple à vivre le royaume de Dieu en toute circonstance.

Dans notre vie spirituelle, nous pouvons faire l’expérience d’une vraie rencontre avec Dieu, un chemin de vie réconciliée pour accueillir l’amour comme don, et toutefois garder certains préjugés. Or Dieu n’est ni dans le jugement ni le préjugé, Il est dans une déclaration d’amour pour sa création et une recherche de Salut pour tous. Si Dieu nous a créés, c’est pour que nous entrions dans le salut éternel. Nul ne peut être déterminé à mourir dans le péché. Tous nous sommes issus de l’amour premier de Dieu dans notre vie. Pierre, comme chacun d’entre nous, est invité à vivre ce déplacement de l’amour pour reconnaître en ses frères un émerveillement de Dieu dans son œuvre. Nous ressentons cette contemplation de Dieu dans toutes nos vies, dès la conception et jusqu’au dernier souffle. La redécouverte de la fraternité dans la vie de l’Esprit Saint n’est pas quelque chose d’évident. Le frère a tellement de défaut, et nous sommes tellement bien… Derrière cette remarque doucement ironique, nous entendons l’appel à la fraternité universelle, qui certes ne se fait pas dans la naïveté ou le sentimentalisme mais demande la vérité des situations, et en même temps ne peut se vivre dans la fermeture du cœur et le refus du partage de la relation. Ce déplacement de la foi est d’abord l’accueil de la dynamique de la grâce. « L’Esprit Saint agit comme il veut, quand il veut et où il veut ; nous nous dépensons sans prétendre, cependant, voir des résultats visibles. Nous savons seulement que notre don de soi est nécessaire. »[ix] Nous devons donc humblement Le recevoir et nous rendre disponibles à ses appels.

1.2 Prosternation et relèvement

Corneille reconnaît Pierre comme homme de Dieu, mais Pierre lui rappelle sa condition d’homme comme lui. Il nous faut reconnaître le Christ comme notre Sauveur mais ne pas nous tromper et le confondre avec le messager. Cela nous demande d’être toujours centrés sur le Christ car c’est Lui qui nous sauve, c’est Lui qui nous relève, c’est Lui qui fait de nous des frères. Parler d’une paternité spirituelle, parce que l’on a juste reconnu le Christ et renouvelé sa vie spirituelle, n’est pas juste car c’est mettre la personne à un niveau de reconnaissance inadaptée. La véritable paternité spirituelle se vit dans le baptême et le don de la vie de la personne pour ses frères, c’est-à-dire dans la vie religieuse ou sacerdotale. Sinon nous risquons de nous asservir à des formes idolâtriques de respect qui ne sont pas justes. Les apôtres, comme saint Pierre dans ce passage, sont vigilants pour que le seul qui soit adoré, c’est le Christ. Car c’est de Lui que vient l’amour du Père, qui se révèle Don par l’Esprit. Le Christ, qui s’est fait serviteur, nous appelle à sa suite pour être au service de nos frères, comme dans l’accomplissement de la Parole de vie. La présence de Dieu se vit dans le témoignage que nous apportons aux frères.

La première chute de l’homme est précisément l’idolâtrie. C’est un désajustement de la relation dans notre nature même, qui nous fait oublier jusqu’à notre vocation d’image de Dieu, pour asservir notre volonté à d’autres formes de relations, étrangement obsédantes. C’est une désynchronisation du temps qui nous fait courir après l’instant sans voir l’ensemble, oubliant par là même que le déplacement n’est pas l’errance. Que ce soit le désir du fruit interdit pour aller plus vite vers l’autonomie, la recherche du veau d’or pour satisfaire la précipitation d’un transcendant, il s’agit toujours d’un désaxement de tout notre être. Or saint Pierre, en demandant à Corneille de se relever, comprend le danger de cette possible rupture de communion, et Corneille saisit aussi la juste attitude à adopter. Ni trop, ni trop peu, mais celle de l’homme libre rendant grâce à Dieu pour la vie merveilleuse de ses serviteurs. La rencontre avec Dieu par les intermédiaires est une joie de l’égale fraternité ouverte sur la communion avec la sainte Trinité. Quels que soient les aspects que nous pouvons comprendre à travers les trois personnes, il s’agit toujours d’un seul et même Dieu. Le risque d’idolâtrie est aussi un risque de confusion sur Dieu dans une vaine recherche de polythéisme. Ce n’est pas tant une mauvaise volonté de notre part, que parfois une naïve forme de piété qui nous détourne du vrai Dieu, comme s’attacher aux voyants et à leur demander des miracles, alors qu’ils ne sont que les messagers de l’apparition. Ceux-ci doivent renvoyer logiquement à la Révélation du Christ Sauveur. Or, le discernement et l’appel de nos frères à rechercher la vérité de Dieu nous redressent et nous affermissent dans la foi pour garder ce principe de prudence et aller de l’avant à la rencontre du Christ. « Je ne suis qu’un homme moi aussi » est une invitation à l’humilité à travers la relation, mais aussi une réalité empreinte de simplicité dans les rapports.

Plus encore, le relèvement est lieu d’une reconnaissance de l’œuvre de Dieu dans notre vie. Oui, nous vivons un rapport libre entre frères, car nous sommes d’un même Père. Cette liberté ouvre à l’accueil de toutes les réalités, pour y percevoir la fécondité du dynamisme de l’amour. Tous d’un même Père, mais tous si différents ! Or, loin de nous exclure, cette liberté de reconnaissance d’une même fraternité nous pousse à un cri de joie et de reconnaissance. Plus d’angoisse ni de peur, car Dieu nous rend libres, et nous donne d’exercer le choix de vivre ce bonheur immense d’être aimés et d’aimer à notre tour, cette joie retrouvée d’un dialogue amoureux et familier avec Celui qui a fait sa demeure dans notre cœur. Nous pouvons alors parler de relèvement comme l’expression d’une liberté retrouvée et d’un nouveau rapport au monde et à nos frères, dans une autre forme de relation qui se conjugue avec la communion. Il nous faut des témoins de ces relèvements, afin de répandre cette espérance du Salut et ne pas s’affliger du monde qui passe, mais prendre patience et entrer dans le cycle du temps pour vivre le moment présent dans la grâce de l’Esprit, et de ce qui nous est donné. Une manière de vivre notre vocation spirituelle afin d’être présents à ce que nous sommes et à ce que nous vivons, pour donner l’intensité de la relation de l’amour dans l’investissement de tout notre être. Ainsi d’être déconnectés de ce qui nous encombre, pour nous relever à la lumière de la Parole et entendre le Seigneur nous appeler une fois de plus à sa rencontre dans la confiance et nous lever à sa suite.

1.3 L’impartialité de Dieu, révélation de son universalité

Lorsque Pierre parle de l’impartialité de Dieu, il prend conscience de l’universalité de l’appel, qui va de toutes les nations faire des disciples, mais pas seulement de ceux issus de la diversité juive. Tous nous sommes appelés à reconnaître l’unique fraternité à travers le Christ et la véritable paternité d’un seul et même Père, à travers l’expression d’un unique Don de l’Esprit dans la diversité de nos relations.

La découverte de l’universalité du don de Dieu, par quelqu’un qui a reçu l’Esprit Saint au cours de la Pentecôte, nous aide à comprendre que, par la communion en Dieu, nous progressons dans l’intelligence de la foi. Dieu nous invite à dépasser nos logiques purement humaines et réduites à des schémas de pensée primaires, pour nous ouvrir à la générosité de l’amour pour toute la création. La vie dans l’Esprit nous bouscule, pour nous pousser hors de nos retranchements afin que nous puissions être libérés de nos étroitesses de pensée et accueillir notre vocation missionnaire dans la libre action de Dieu pour tous nos frères. Oui, Dieu se manifeste dans notre histoire à travers son universalité, car l’amour n’a pas de frontière : il a un visage, une voix, c’est une rencontre, une relation, et pour finir une invitation à la promesse de communion éternelle en acceptant de prendre la route avec Lui. Nous ne comprenons pas toujours, car cela peut nous paraître bien mystérieux, mais l’amour de Dieu est universel et demande à chacun de l’accueillir tel qu’il est, avec ses mots, sa culture, son environnement. C’est le mystère d’une action de Dieu déployée dans la vie de chacun comme une invitation au bonheur de la rencontre. Nous ne saisissons pas toujours le pourquoi du comment, dans le déroulement des histoires parfois si étranges, et pourtant Dieu se révèle en final présent, même si bien d’autres chemins auraient pu être empruntés. Dieu est là et je ne le savais pas nous dit Jacob, et nous le répétons à l’envi dans l’histoire des hommes. Le mystère d’une manifestation de sa présence, que l’on pensait impensable et qui fut pourtant indispensable à la réalisation du Salut.

2 Le baptême, lieu de la révélation trinitaire

La réalisation du baptême est l’acquisition de la promesse du Christ, du Salut, en devenant enfants de Dieu engagés dans une transformation intérieure pour marquer notre attachement avec persévérance. Or, le Salut est accordé par l’amour du Père qui nous a donné son Fils pour que nous soyons sauvés, et envoyé l’Esprit Saint pour renouveler cet esprit filial chaque jour. Or le baptême, pour nous sauver du péché, est en concomitance avec la réception de l’Esprit Saint. D’ailleurs Pierre l’a bien reçu, ayant vu la manifestation de Dieu il ne peut que s’exécuter et laver les péchés par le baptême, et ainsi intégrer dans l’Église tous ceux que Dieu appelle dans l’universalité de son amour. Ne pourrions-nous pas rapprocher l’événement de Corneille avec la Transfiguration ? En effet, saint Pierre voit l’effet de l’Esprit Saint comme une lumière qui jaillit dans la vie de ceux qu’Il enseigne et il se rend à l’évidence de la présence de Dieu pour demander avec autorité de les baptiser et de planter la tente de la foi pour qu’ils puissent s’y ressourcer et recevoir la promesse de la vie éternelle. Cette transfiguration opérait sur les premiers chrétiens, qui avaient des signes tangibles pour les amener à croire, parce qu’il fallait bien vérifier l’action de Dieu. Aujourd’hui, nous devons dans la foi continuer cette vénérable tradition de baptiser pour transformer ce monde en civilisation de l’amour.

Cette nouvelle Pentecôte, vécue par Corneille et les gens de sa maison, nous rappelle l’impératif d’être disponibles à l’action de Dieu dans notre vie au moment opportun et de nous tenir prêts pour sa manifestation dans nos vies. L’appel à l’Esprit Saint doit se faire à chaque instant pour demander de nous insuffler les bons agissements et de mettre nos pas en fidélité à la Parole de vie. L’Esprit continue de nous interroger sur notre docilité en nous octroyant sa grâce et en nous rendant responsables de nos propres choix afin de Lui obéir. Plus nous prions l’Esprit, plus nous sommes en communion avec le Père et le Fils, plus notre prière devient trinitaire, parce que nous comprenons que dans l’amour tout est intimement imbriqué. Les mots et les notions des hommes ne dévoilent que faiblement la réalité de Dieu Un et Trine. A travers la méditation des Ecritures et le dialogue de la prière, nous découvrons chaque jour un peu plus l’immensité du mystère de l’amour par la communion et le don. Mais qui peut prétendre parler d’amour sans communion, et d’oublier le don comme lieu de réalisation de cet amour ?

Le baptême nous fait découvrir l’amour du Père et devenir enfants de Dieu, créés comme des merveilles et appelés à resplendir de la joie de Dieu. Le salut du Fils nous appelle à laisser notre vie se transformer en sa présence pour être fidèles à la Parole, assidus à la fraction du pain et vigilants au service du frère. Enfin, la vie baptismale, dans le témoignage, nous révèle la place de l’Esprit comme don offert à tous, que nous accueillons, vivons et partageons autour de nous, comme une authentification de la vie en Dieu. « Ce Jésus, Dieu l’a ressuscité ; nous tous, nous en sommes témoins. Élevé par la droite de Dieu, il a reçu du Père l’Esprit Saint qui était promis, et il l’a répandu sur nous, ainsi que vous le voyez et l’entendez. »[x] Le baptême est donc la présence de Dieu que nous accueillons dans notre vie et dont le vêtement blanc signifie la nouvelle création. Régénérés continuellement dans le Christ, nous sommes amenés à resplendir de la lumière de l’amour de manière très pratique. « Mon commandement, le voici : Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. » Le fait de retrouver la vraie vie en Dieu nous amène à donner notre vie pour Dieu. Cela entre dans le dynamisme de l’amour qui est toujours une perception illuminative de l’amour du Père pour chacun d’entre nous et qui nous transforme, car nous comprenons que Dieu nous aime et nous le ressentons vraiment dans une expérience personnelle, une relation authentique, un temps de vérité avec Dieu et avec nous-mêmes. Nous accueillons Dieu dans notre vie, en suivant le Verbe incarné et l’appel à l’amour, en faisant la volonté du Père comme le Fils nous l’a appris, et enfin en vivant le don de l’amour dans l’Esprit et le partageant autour de nous comme la joie d’une expérience promise à tous, vraiment trop belle pour ne pas en faire profiter le plus grand nombre. Ce dynamisme baptismal nous rappelle aussi que l’amour est toujours en mouvement. Le baptême se fait avec une eau vive et non une eau stagnante. Ce n’est pas qu’un symbole, c’est aussi pour nous rappeler que l’expérience baptismale est le début d’un renouvellement dans le Christ qui demande un engagement de notre part chaque jour pour approfondir la foi et laisser ainsi plus de place à sa venue dans nos vies. La grâce de Dieu ne s’emmagasine pas mais, comme la manne du désert, doit toujours être renouvelée pour grandir en grâce et en sagesse. Recevoir un talent exige de nous un dépassement pour contribuer à la croissance de l’amour par notre adhésion quotidienne aux promesses baptismales.

Rappelons aussi qu’en lisant le récit des Actes nous comprenons que la réception du baptême nous fait entrer dans la louange à Dieu. En effet, rachetés par le sang du Christ et baignés dans l’onction de l’Esprit nous ne pouvons que chanter les louanges de l’amour du Père, qui se révèle Dieu un et trine. Il ne s’agit pas simplement d’être agrégés à l’Église de Dieu à travers le rite de l’eau et du saint chrême, mais d’entrer dans cette espace de louange, où notre âme vibre en la présence de son Maître et Seigneur. Par la résurrection nous entrons dans la vie en Dieu et à travers l’expérience de l’Esprit nous en apprenons le langage, pour nous tourner résolument vers le Père, et reconnaître dans ces trois personnes un seul et même Dieu.

3 L’Esprit Saint, manifestation de Dieu pour un discernement éthique

Tous « furent stupéfaits de voir que, même sur les nations, le don de l’Esprit Saint avait été répandu. » Dieu n’attend pas, Il agit lorsque le cœur de l’homme est disponible. Il reste aux témoins ensuite de s’accorder à l’action de Dieu en reconnaissant l’œuvre qu’Il produit. C’est la conclusion que nous pourrions tirer de la séquence de conversion de Corneille et de cette vie dans l’Esprit Saint qui se manifeste par le don en langue et le chant de louange à la grandeur de Dieu. Il ne reste plus à Pierre qu’à accueillir cette manifestation comme l’action du Dieu vivant. Comme nous le dit saint Paul « Et c’est à nous que Dieu, par l’Esprit, a révélé cette sagesse. Car l’Esprit voit le fond de toutes choses, et même les profondeurs de Dieu »[xi]. Il agit en profondeur pour orienter notre désir vers la communion avec Lui et, concrètement, à travers le service de la charité envers le frère. L’Esprit Saint authentifie aux yeux de saint Pierre son action de vie parmi toutes les nations, en commençant par un centurion de l’armée romaine. « Et saint Jean Chrysostome, … invite à goûter toute la beauté de ce « dessein bienveillant » de Dieu révélé dans le Christ, par ces mots : « Qu’est-ce qui te manque ? Tu es devenu immortel, tu es devenu libre, tu es devenu fils, tu es devenu juste, tu es devenu frère, tu es devenu cohéritier, tu règnes avec le Christ, tu es glorifié avec le Christ. Tout nous a été donné et — comme il est écrit — “comment pourrait-il avec lui ne pas nous donner tout ?” »[xii]. La liberté de Dieu s’exprime dans la gratuité de son amour pour tous et la manifestation de sa présence, là où Il est accueilli avec confiance et justice. Mais plus que recevoir l’Esprit Saint, Corneille demande aux apôtres de rester quelques jours pour approfondir cette expérience spirituelle, c’est-à-dire la vivifier dans la prière et la méditation de la Parole, l’approfondir par la fraction du pain et la communion fraternelle et la vivre au service de la charité et du partage de manière plus équitable.

Le discernement éthique en Dieu se vit par la présence manifeste de l’Esprit Saint. Plus simple que le discernement de l’acte humain où nous devons être vigilants sur les trois axes fondant la décision (l’objet de l’acte pris en lui-même, la circonstance où l’acte est posé et la fin poursuivie par cet acte. )[xiii] Le discernement éthique auquel se livre Pierre se fonde sur deux aspects. La vision qu’il a eue pour préparer la rencontre avec Corneille et, par la suite, l’expérience de l’Esprit Saint qu’il observe chez ceux qui l’ont invité. La conclusion s’impose par une logique de l’absurde : qui peut refuser le baptême alors que Dieu s’est déjà manifesté par son Esprit ? Il accueille cette réalité et rend grâce à Dieu pour ce qu’Il fait dans l’Église en les accueillant par l’acte positif du baptême au nom de Jésus Christ.

Pourtant, c’est une belle leçon de discernement que nous devons méditer dans nos vies. L’Esprit Saint est-il agissant dans ce que nous prévoyons de faire ? Nous laissons-nous guider par sa présence afin d’accueillir l’inattendu de Dieu et répondre présents à l’audace de son amour ? Certes, cela ne correspond pas toujours à ce que nous attendons, et pourtant l’œuvre de Dieu se produit, il nous revient de l’accueillir comme telle et non de commencer à murmurer et à rejeter la promesse du Salut. L’Esprit Saint doit toujours nous guider dans les décisions, afin que nous puissions entrevoir l’œuvre de Dieu se manifester dans notre aujourd’hui. « Le « dessein bienveillant » de Dieu, qui est qualifié par l’apôtre également de « dessein d’amour »[xiv] est défini comme le « mystère » de la volonté divine[xv], caché et à présent manifesté dans la Personne et dans l’œuvre du Christ. L’initiative divine précède toute réponse humaine : c’est un don gratuit de son amour qui nous enveloppe et nous transforme. »[xvi] Nous vivons cette transformation dans l’accueil de l’Esprit Saint, qui nous prépare à recevoir le véritable amour de Dieu dans l’obéissance de la foi. Une attitude de serviteur fiable pour entrer dans la joie de Dieu et accueillir ainsi la promesse du Salut. Il nous faut sans cesse discerner la venue de Dieu dans notre vie à l’aune de la présence de l’Esprit Saint. Comme saint Pierre, nous devons être vigilants aux manifestations de Dieu et y répondre à travers la disponibilité de notre temps afin d’accomplir les merveilles de Dieu. Vivre une expérience de vie dans l’Esprit produit en nous l’émerveillement de la grâce qui se manifeste. À nous ensuite de continuer ce développement de la foi dans l’accueil du don et des charismes, pour répondre de l’amour de Dieu autour de nous et répandre cet amour comme une action de grâce.

4 Méditation de la Parole et présence de l’Esprit.

« Pierre parlait encore quand l’Esprit Saint descendit sur tous ceux qui écoutaient la Parole. » Le témoignage de vie et la méditation de la Parole de Dieu dans la vie des hommes sont l’occasion pour l’Esprit Saint de se manifester pleinement. C’est dans le témoignage que l’Esprit Saint peut se faire brûlant dans les cœurs et révéler le feu de l’amour dans le cœur des croyants moyennant une disponibilité de cœur où l’Esprit Saint se manifeste parce qu’Il se sait accueilli. En recevant le don du témoignage, Il partage le don de la foi. Nous devons être disponibles et à l’écoute. « Quand une communauté accueille l’annonce du salut, l’Esprit Saint féconde sa culture avec la force transformante de l’évangile. »[xvii] Il y a bien un changement du cœur qui opère un changement de vie et transforme tous nos actes dans l’optique de l’amour afin de demeurer fidèles au Seigneur et ainsi marcher sur la voie de la justice. La communion à Dieu, par la vie dans l’Esprit et l’intelligence des Écritures, nous guide sur le chemin de vie en faisant la vérité dans tous nos actes et en recherchant sans cesse à nous ajuster à la volonté de Dieu, afin de répondre au mieux à une vie réconciliée. « Le désir de Dieu est inscrit dans le cœur de l’homme, car l’homme est créé par Dieu et pour Dieu ; Dieu ne cesse d’attirer l’homme vers Lui, et ce n’est qu’en Dieu que l’homme trouvera la vérité et le bonheur qu’il ne cesse de chercher. »[xviii] La Parole nous conduit sur ce chemin des retrouvailles, où notre cœur bondit de joie en sa présence enfin retrouvée. Comme une évidence devenue le sens de notre vie, Dieu est présent aujourd’hui et nous voulons continuer de l’aimer chaque jour. L’Esprit est là pour nous conduire à travers la méditation de la Parole et poursuivre le chemin. « La réponse à la question sur le sens de l’expérience de l’amour passe donc à travers la purification et la guérison de la volonté, exigée par le bien même que l’on veut à l’autre. »[xix] La méditation de la Parole nous ouvre à un désir plus grand de Dieu et forme notre volonté vers la recherche de l’ajustement de notre vie à l’appel premier de Dieu.

Notre vocation de fils de Dieu exige de marcher dans la fidélité à sa Parole et de rechercher cette justice, qui entretient des relations fiables dans l’obéissance aux commandements et nous rend ainsi disponibles à l’accomplissement de l’alliance dans nos vies. L’Esprit Saint fluidifie notre volonté d’aimer afin de nous faire épouser toutes les formes de la Parole et d’être pleinement orientés vers la joie de Dieu. « Une fois perdue l’orientation fondamentale qui donne unité à son existence, l’homme se disperse dans la multiplicité de ses désirs. Se refusant à attendre le temps de la promesse, il se désintègre dans les mille instants de son histoire. »[xx] La Parole nous réintègre dans ce sens de Dieu et l’Esprit Saint ouvre nos sens à la rencontre de sa présence, nous laissant cette liberté de dire oui à son amour prévenant. Plus nous lisons la Parole de Dieu, plus nous comprenons qu’elle nous concerne, et plus nous découvrons Dieu à l’œuvre dans notre vie, présent à nos côtés, n’attendant qu’une disponibilité de notre part pour Se manifester en temps voulu. Sans confiance en notre créateur, nous ne pouvons pas y reconnaître l’amour, mais la Parole décille nos yeux pour comprendre ce désir de Dieu de vivre en communion avec nous. Par l’Esprit Saint, nous accueillons cette ardeur pour développer la piété nécessaire à l’abandon à sa sainte volonté. « À partir de Celui qui est Lumière née de la Lumière, le Fils unique du Père, nous connaissons Dieu nous aussi et nous pouvons enflammer en d’autres le désir de s’approcher de Lui. »[xxi] La venue de l’Esprit Saint ouvre nos cœurs pour contempler le Fils et comprendre le chemin de vie que nous devons suivre pour aller vers le Père. Il y a une progression de la foi, toujours féconde et dynamique, qui ne fait pas provision d’une expérience spirituelle mais au contraire, sans cesse, va d’aventure spirituelle en aventure spirituelle, afin de progresser dans la liberté de relation avec Dieu et de vivre toujours plus fort la communion dans l’acceptation du don. Nous la vivons dans nos relations humaines car celles-ci nous révèlent ce que nous sommes appelés à vivre dans une autre dimension, celle de la foi. « L’expérience humaine de l’amour porte en soi un dynamisme qui renvoie au-delà de soi-même, c’est l’expérience d’un bien qui conduit à sortir de soi et à se retrouver face au mystère qui entoure l’existence tout entière. »[xxii] Cette expérience de l’amour se relit dans l’histoire des hommes à travers la Parole de Dieu et nous invite à ouvrir notre intelligence à sa venue, parmi nous et dans notre cœur. Aujourd’hui, comme hier, Dieu continue de se révéler amour pour chacun d’entre nous, et l’Esprit Saint nous conduit à accueillir cet amour sauveur du Fils pour communier à la vie éternelle.

Mais peut être éclairons la situation entre le témoignage et la présence de l’Esprit. « Les œuvres d’amour envers le prochain sont la manifestation extérieure la plus parfaite de la grâce intérieure de l’Esprit : « L’élément principal de la loi nouvelle c’est la grâce de l’Esprit Saint, grâce qui s’exprime dans la foi agissant par la charité ».[xxiii] Par là il affirme que, quant à l’agir extérieur, la miséricorde est la plus grande de toutes les vertus. »[xxiv] C’est celle-ci à laquelle Pierre a répondu en se rendant disponible à l’appel de Corneille, puis ensuite en ordonnant qu’ils soient tous baptisés. Il faut une ouverture de soi pour laisser l’Esprit Saint s’exprimer dans notre vie. Peut-être est-ce le moment pour nous d’en prendre simplement conscience. La vie de l’Esprit est une joie reçue dans la fidélité à la Parole et par l’audace du témoignage. « Un regard de foi sur la réalité ne peut oublier de reconnaître ce que sème l’Esprit Saint. »[xxv] Ce qui demande d’être attentifs à l’œuvre de Dieu dans notre vie et à la réalité que nous devons vivre dans le souffle de l’Esprit. Nous devons accueillir l’œuvre de Dieu là où nous en sommes, et non pas où l’on pense être. C’est parfois, comme pour saint Pierre, l’émerveillement de la présence de Dieu dans notre vie ou, d’autres fois, le passage au désert qui nécessite la persévérance. Néanmoins il nous faut attendre cette vie dans l’Esprit et vivre sa présence dans le prolongement de cette expérience de l’effusion reçue.

La place de la Parole de Dieu est primordiale dans notre vie de foi. Faut-il encore le répéter ? Concrètement la lecture de la Parole doit être notre préoccupation quotidienne, nous ne devons pas passer une seule journée sans ouvrir gratuitement les Écritures et entendre le Seigneur nous parler et nous appeler à une transformation de vie par la Bonne Nouvelle. « L’Esprit Saint, qui a inspiré la Parole, est celui qui « aujourd’hui comme aux débuts de l’Église, agit en chaque évangélisateur qui se laisse posséder et conduire par lui, et met dans sa bouche les mots que seul il ne pourrait trouver ».[xxvi] Non seulement il nous faut vivre notre foi, mais encore la partager. La lèpre du laïcisme nous écarte de la fraternité pour nous empêcher d’annoncer notre joie de croire. Il nous faut combattre cette lèpre exclusive, qui marginalise nos actions au nom d’une inclusion qui se révèle tyrannique et finalement sectaire. Il y a bien un laïcisme positif (tel que vécu aux USA), où chacun est libre de parler de sa religion et de l’afficher, sans pour autant contraindre l’autre à croire ou porter atteinte à sa liberté de pensée. Mais aujourd’hui, rien de tel en France, où l’on interdit même les publicités religieuses chrétiennes et on voudrait chasser de l’espace public ce qui fait l’expression de notre expérience en Dieu. Relire la Parole de Dieu et la méditer, être dans le souffle de l’Esprit nous appellent à prendre le risque de l’annonce et à aller à la rencontre des frères pour être témoins de son amour. « Il ne s’agit donc pas d’étouffer le désir qui est dans le cœur de l’homme, mais de le libérer, afin qu’il puisse atteindre sa vraie hauteur. Lorsque, dans le désir, s’ouvre la fenêtre vers Dieu, cela est déjà le signe de la présence de la foi dans l’esprit, une foi qui est une grâce de Dieu. »[xxvii] Le témoin parle de ce désir de Dieu qu’il a rencontré car Dieu réoriente notre vie, et l’expérience de l’Esprit Saint chaque jour nous fait progresser dans la connaissance de Dieu et la méditation des Écritures. Plus nous méditons les Écritures, plus nous allons en profondeur dans la révélation de Dieu et plus Il se rend présent dans notre histoire, puisque nous L’accueillons tel qu’Il est et non tel que nous voudrions qu’Il soit. Il se révèle l’amour dans la création, le Salut et le Don.

5 La présence purificatrice de l’amour

« Demeurez dans mon amour. » L’amour dans la révélation biblique n’est pas de l’ordre d’un désir ou d’un devoir, mais d’une vocation pour tous les croyants à redécouvrir l’œuvre de la création et la faire nôtre. C’est un amour débordant toutes les frontières, sur soi, sur Dieu ou sur nos frères, pour rappeler l’impératif d’être en relation et agir dans la vérité de cette vocation propre d’images de Dieu. Rappeler que Dieu est amour, c’est faire mémoire de celui qui nous a créés et de la beauté de notre création, et en même temps partager cet amour autour de nous parce que nous l’avons reçu en premier de Dieu et que nous l’avons intégré dans notre vie comme un mode de relation par excellence qui nous ouvre à toutes les dimensions du don. Tout passe, seul l’amour demeure.

 « Celui qui aime est né de Dieu et connaît Dieu. » Dieu est amour, c’est même son essence même d’être amour. Lorsque nous aimons, nous expérimentons cette dimension divine et nous entrons dans la logique du don et du service pour nos frères ; alors, nous connaissons Dieu. C’est la logique implacable d’un amour, qui se reçoit comme l’expression de Dieu et dont nous devons témoigner autour de nous dans la vie de l’Esprit. L’incarnation du Fils nous apporte le Salut et nous fait entrer dans la liberté de fils d’un même Père. L’amour est donc l’expression d’une relation restaurée à travers le sacrifice. À travers l’Esprit Saint, l’amour se donne dans la multiplicité de ses facettes, et non la duplication d’un même don, ce qui demande une certaine plasticité pour recevoir la diversité, non comme élément perturbateur, mais comme fruit de croissance et de bousculement pour continuer de s’ajuster à une prolixité de l’amour qui n’a pas de limite. Seul le mal a une limite, le néant ; l’amour est sans limite, car il est éternel.

5.1 La crainte de Dieu

            « Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés. » L’amour est un écho à l’amour de Dieu, car Dieu lui-même nous a aimés le premier. Mais il est aussi un exemple, parce qu’il nous faut imiter l’amour du Père et du Fils, et du Fils avec l’humanité. L’amour est toujours un lieu de rencontre et de communion, mais avant tout d’intégration. On peut vivre sans beaucoup de moyens, de reconnaissance ou de fécondité apparente, mais nul ne peut se passer d’être aimé, ni prendre l’habitude du délaissement. La vérité de notre être, c’est l’amour, et l’éclosion de notre personnalité et de sa droiture se vit dans l’amour. L’amour du Père pour le Fils a servi de curseur pour le Fils afin de nous aimer de même. C’est pourquoi il nous faut demeurer dans l’amour, parce que nous l’avons reçu comme un don de Dieu, une présence à nous-mêmes.

            La demeure de l’amour, c’est accueillir la richesse de la présence de Dieu dans nos vies. Cela impacte nos manières d’agir et Dieu nous donne des commandements pour nous permettre de trouver la loi de liberté. Or, garder les commandements du Seigneur, c’est demeurer dans l’amour de Dieu et découvrir alors la vraie joie, celle de l’extase. La joie du disciple est de vivre les commandements que Dieu nous donne, qui se résument en deux axes : aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme et de toute son intelligence, et aimer son prochain comme soi-même. Nous tourner entièrement vers Dieu c’est aller à la source de l’amour pour nous abreuver de sa présence, et par la suite en témoigner autour de nous.

5.2 L’amour du frère

Le principe de réalité de l’amour de Dieu c’est le frère, en quelque sorte une pratique de l’amour dans la vérité de nos relations. Cela n’a rien d’évident, c’est sûr : Dieu est parfait, bon et tout amour, alors que notre frère, avec ses limites, ce qu’il est, ce qu’il laisse apparaître dans ses pauvretés et ses richesses, reste grandement perfectible. Quant à nous-mêmes, entre ceux qui se pensent supérieurs aux autres et ceux qui ne savent même pas s’ils peuvent être aimés, c’est tout le panel des relations qui s’étale autour de nous et en nous. Nous saisissons la complexité des rapports et les difficultés que nous pouvons éprouver, avec cette envie de fuir. Mais Dieu nous rappelle que si nous voulons vivre de son amour, cela demande de nous ouvrir à l’amour du frère et de le rejoindre là où il en est, et non là où nous voudrions qu’il soit. Là encore c’est un déplacement à vivre pour reconnaître Dieu agissant à travers cette humanité parfois percluse par le péché et ne sachant comment se libérer. Oui, il faut des témoins rappelant la vérité de l’amour dans la liberté de la relation gratuite, comme un don de fraternité pour opérer les conversions nécessaires à de nouveaux rapports.

L’amour du frère est un vrai défi aujourd’hui dans la vérité de nos relations. Car il y a parfois des confusions nées du sentimentalisme, qui en oublie la justice, ou d’une approche victimaire, qui oublie la responsabilité de chacun dans ses choix de vie. Bref, l’amour du frère peut s’avérer difficile à travers l’instrumentalisation de la relation. Ajouter à cela les difficultés émotionnelles résultant d’un enfermement sur soi, notamment à cause des réseaux sociaux, n’ayant pas permis l’établissement d’un cercle de relation sain dans le monde réel, nous concevons bien l’ampleur des difficultés à vivre ce commandement de l’amour. Néanmoins, le premier devoir de l’amour fraternel, est déjà de commencer autour de nous par les plus familiers, ceux que nous rencontrons tous les jours. C’est là que nous commencerons notre école de vie à travers la reconnaissance du commandement de Dieu pour chacun dans la logique de l’amour.

Synthèse

L’amour de Dieu est lieu de réalisation de notre vocation humaine d’images de Dieu créées pour répondre librement et en vérité à cet amour premier. « Confesser que l’Esprit Saint agit en tous implique de reconnaître qu’il cherche à pénétrer dans chaque situation humaine et dans tous les liens sociaux : « L’Esprit Saint possède une imagination infinie, précisément de l’Esprit divin, qui sait dénouer les nœuds même les plus complexes et les plus inextricables de l’histoire humaine ».[xxviii] »[xxix] L’accueil de Dieu dans notre histoire ouvre la porte de l’espérance pour nous montrer que tout ne se détermine pas par nos actes, mais bien dans la vocation de notre personne appelée à ressembler à Dieu dans nos choix de vie. Et il nous faut sans cesse mûrir cet engagement en approfondissant la méditation des Écritures, en étant fidèles et justes dans nos actions, et en recherchant sans cesse à être au service du frère.

Le meilleur exemple d’une vie en vérité dans l’Esprit Saint est la bienheureuse vierge Marie. « Avec l’Esprit Saint, il y a toujours Marie au milieu du peuple. Elle était avec les disciples pour l’invoquer[xxx], et elle a ainsi rendu possible l’explosion missionnaire advenue à la Pentecôte. Elle est la mère de l’Église évangélisatrice et sans elle nous n’arrivons pas à comprendre pleinement l’esprit de la nouvelle évangélisation. »[xxxi] Comme Pierre, nous devons tous être missionnaires pour annoncer les merveilles de Dieu, chacun selon son état de vie et son charisme. Il nous faut être attentifs dans la vie de prière à entendre le Seigneur nous envoyer sur les chemins du monde de ce temps pour redire l’amour comme lieu d’une relation structurante. Enfin il nous faut accueillir l’œuvre de Dieu à travers la vie de nos frères et reconnaître que Dieu agit sans cesse, selon son dessein d’amour.

9 mai 2021 – Père Greg BELLUT– Curé, Saint Charles Borromée – Joinville-le-Pont

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Sources

  • [i] cf. Rm 12, 1
  • [ii] &145 Evangelii Gaudium – François
  • [iii] Ac 10,2
  • [iv] &14 Catéchèse de la foi – Grégoire de Nysse p 53 cité p 161 in Corps, âme, Esprit de  Vallerry D.A. Wilson
  • [v] &131 Evangelii Gaudium
  • [vi] Ga 1,2 Ph 2,16
  • [vii] Cf 2 Tm 4,10
  • [viii] Polycarpe aux philippiens IX, p 233 Les écrits des pères apostoliques
  • [ix] &279 Evangelii Gaudium
  • [x] Ac2,32-33
  • [xi] 1 Co 2, 9-10
  • [xii] catéchèse du 5 décembre 2012 – Benoit XVI – 8 – année de la foi – Dieu révèle son dessein bienveillant
  • [xiii] Lettre de carême 2018 2/2 l’homme est appelé à une plénitude de vie  – Petit précis de théologie morale
  • [xiv] Ep 1, 5
  • [xv] v. 9
  • [xvi] catéchèse du 5 décembre 2012 – Benoit XVI – 8 – année de la foi – Dieu révèle son dessein bienveillant
  • [xvii] &116 Evangelii Gaudium
  • [xviii] &27 CEC
  • [xix] catéchèse du 7 novembre 2012 – Benoit XVI – 4 – année de la foi – le Désir de Dieu
  • [xx] &13 Lumen Fidei – François
  • [xxi] &46 Lumen Fidei
  • [xxii] catéchèse du 7 novembre 2012 – Benoit XVI
  • [xxiii] S. Th. I-II, q. 108, a. 1.
  • [xxiv] &37 Evangelii Gaudium
  • [xxv] &68 Evangelii Gaudium
  • [xxvi] &75 Evangelii Nuntiandi Paul VI.
  • [xxvii] catéchèse du 7 novembre 2012 – Benoit XVI
  • [xxviii] Jean-Paul II, Catéchèse (24 avril 1991) : Insegnamenti 14/1 (1991), 856.
  • [xxix] &178 Evangelii Gaudium
  • [xxx] cf. Ac 1, 14
  • [xxxi] &284 Evangelii Gaudium

Source de l’illustration :

Renier de Huy, XIIe siècle. Baptême de Corneille. Fonts baptismaux de Notre-Dame de la collégiale Saint-Barthélemy à Liège