2021. Lettre de Carême, 2. L’argent

« Il reçut l’or de leurs mains, le façonna au burin et en fit un veau en métal fondu. »

J’ai parlé plusieurs fois du rapport de l’argent et de la nécessité du partage en communauté ecclésiale. Dans cette lettre, je parlerai de notre rapport à l’argent dans nos relations humaines, dans un contexte de discernement ecclésial et en lien à la lumière des Ecritures et une parole de vérité. Il s’agit ici de la gestion de l’argent au niveau personnel, chacun devant en conscience prendre les bonnes décisions dans la vérité de l’évangile, la justice de la situation et l’amour du prochain. Néanmoins, un jour il nous faudra aborder la question au niveau de la société, parce que le disciple du Christ, pour bâtir la civilisation de l’amour, doit être acteur des changements à opérer dans l’approche économique. Une transformation des cœurs doit opérer un changement de politique plus proche de l’équité, dans la liberté de notre vocation propre et l’attention aux frères, surtout ceux qui sont en situation d’exclusion. « Vous ne pouvez servir à la fois Dieu et l’argent. » Nous devons nous interroger sur la financiarisation à outrance, le lien avec la mondialisation et les conséquences que cela a concrètement créées sur nos manières de vivre et d’agir. C’est un sujet délicat à traiter qui demande une réflexion particulière, certes un peu esquissée au long de cette lettre, mais pas vraiment traitée. La question posée est notre relation personnelle avec l’argent dans notre vie familiale, dans le couple à propos des temps particuliers, et un excursus dans les groupes de prière. Y a-t-il une manière chrétienne de vivre l’argent, dit sans odeur ? La Bible et le Christ nous rappellent que nous n’avons qu’un seul Dieu et que nous pouvons nous dévoyer dans l’idolâtrie si nous ne sommes pas vigilants sur nos choix de vie et ce qui est premier.

0.1   L’argent comme monnaie du travail

La relation à l’argent est intimement liée au travail comme nous le montre le récit des origines. « Je vous donne toute plante qui porte sa semence sur toute la surface de la terre, et tout arbre dont le fruit porte sa semence : telle sera votre nourriture. » Par un travail patient nous gagnons notre subsistance en surabondance –au moins aux origines. L’argent est un substitut d’échange pour faciliter le troc dans une relation qui se voudrait équilibrée. Le travail, comme l’argent reçu à la sueur de nos fronts, conditionnent notre vocation première de nous nourrir du travail de nos mains. « Que le travail soit une partie fondamentale de la dignité de la vie humaine se déduit des premières pages de la Bible, lorsqu’il est déclaré que « l’homme a été établi dans le jardin d’Eden pour le cultiver et le garder »[i]. C’est l’image du travailleur qui transforme la matière et tire profit des énergies de la création, produisant « le pain des douleurs »[ii], tout en se cultivant lui-même. »[iii] L’inversion des valeurs, en faisant de l’argent une fin en soi, et la volonté de créer un capital, au détriment de la valeur du bien, crée des distorsions. L’on peut voir celles-ci notamment dans l’agriculture, en achetant au moins-disant le lait au-dessous de la valeur du travail, ou dans certaines agences immobilières demandant un taux de rémunération au-dessus du travail effectué et des besoins de la famille. La loi du marché, comme seul régulateur de l’économie d’un pays, ne prend pas en compte l’idéologie, le favoritisme ni les autres délinquances financières. Le rapport à l’avoir, en amassant le grain pour s’enrichir dans le récit biblique, ou la valorisation du capital, dans une course au mondialisme afin de trouver les failles nécessaires pour échapper à des contrôles faits par les États, interrogent grandement. Le désamiantage du bateau Charles de Gaulle dans un pays du tiers monde, moins scrupuleux dans la règlementation, en est un exemple concret. Je ne parlerai pas des produits made in China souvent suspects dans leur finition et le respect de la sécurité. Mais pour nous personnellement, il nous faut poser la question de notre relation à l’argent. En cela, les jeux d’argent sont idolâtriques, parce qu’ils séparent la réalité du travail de la rémunération qu’est l’argent. Faire de l’argent une fin en soi, dans une recherche insatiable de profit, ouvre à la perdition surtout lorsque cela commence par l’espoir de se reposer dans des biens matériels, pour devenir ensuite un désir compulsif de possession, en dehors de toute raison. Il en va de même dans cette vaine recherche de faire toujours plus de profit, ou pire encore de mettre en état de faiblesse totale une personne pour augmenter sa marge de bénéfice. Le travail doit être rémunéré justement pour permettre à chacun de vivre dignement et à tous de profiter du fruit de nos labeurs.

0.2   Entre la soif d’avoir et la relation d’être, quelle est la bonne distance ?

C’est par notre travail et la disposition de notre cœur que nous pouvons approcher du Seigneur. Saint Benoît demandait à ses frères de travailler la terre, pour entrer dans une pleine louange avec leur créateur. On peut émettre des doutes sur des postulants qui, regardant les religieux travailler, refusent d’entrer dans la congrégation parce que le travail serait trop pénible. Comme on peut émettre des doutes sur une vision de la communauté où chacun garde son argent personnellement, et participe le moins possible aux besoins de la vie commune. Si la vie spirituelle n’est pas un éloge de la paresse, la vie matérielle n’est pas non plus un éloge de l’activisme. Il nous faut rechercher, non ce qui est utile, mais ce qui fait sens, là où se trouve le témoignage de notre foi, la grandeur de notre espérance et la vérité de notre charité. Ce n’est pas tant le déploiement de dévotions que le Seigneur nous demande, que d’œuvrer avec lui dans le déploiement de la création, selon notre responsabilité propre, et dans le dynamisme de la relation au service de la charité. Être dans le monde demande d’œuvrer pour le monde. Retirés du monde, nous sommes appelés à d’autres hiérarchies des valeurs, notamment dans la radicalité de la simplicité. Les prières pour avoir de l’argent, un gros salaire ou une position enviable n’ont rien à voir avec le développement de la dignité de l’homme et la réalisation de sa vocation propre. « La différence entre progrès et développement … Le vrai développement ne peut se limiter à la multiplication des biens et des services, à ce qu’on possède, mais il doit favoriser la plénitude de l’“être” humain. »[iv] Dans tout notre parcours spirituel, il nous faut rechercher comment ressembler à Dieu et le vivre à travers les actes de la vie ordinaire, dans cette sanctification de notre histoire que nous devons vivre à chaque instant. D’ailleurs, avec un impératif, Jésus nous demande : « Cherchez d’abord le Royaume de Dieu, et sa justice, et tout le reste vous sera donné par surcroît ». D’abord le Royaume, Dieu s’occupe du reste et, comme à son habitude, Il donne par surcroît.

0.3   La dimension morale de l’économie et le devoir de solidarité

Ainsi notre façon de vivre interroge même notre foi. « La dimension morale de l’économie permet de saisir comme des finalités inséparables, et non pas séparées ou alternatives, l’efficacité économique et la promotion d’un développement solidaire de l’humanité. Constitutive de la vie économique, la morale ne s’y oppose pas, et elle n’est pas neutre si elle s’inspire de la justice et de la solidarité. »[v] Plus qu’ailleurs, lorsque nous parlons d’argent, la vertu de prudence doit être fortement mobilisée pour ne pas entrer dans les pièges du Séducteur et nous laisser happer dans une dissymétrie de la relation. Lorsque nous mettons la charité comme lieu de réalisation de toutes nos actions, nous sommes assurés d’une relation ajustée, parce que l’amour est d’abord, et avant tout, don. L’argent apparaît alors comme un moyen de justice et de vérité du travail effectué. Il n’est pas vu comme une fin, mais un moyen de vivre dignement, selon les besoins nécessaires à une vie juste et fidèle à la Parole de Dieu. La solidarité prend en compte la réalité de notre fraternité et notre appel à la civilisation de l’amour. Le refus de partage est une négation de Dieu à travers l’indifférence au frère.

1     Le problème de l’argent en famille et des servitudes

Il y a un vrai scandale parfois à voir comment vivent certains chrétiens dans leurs rapports à l’argent, et cela concerne tout le monde. Les scandales financiers au Vatican, souvent pour des intérêts spéculatifs, parfois avec la bonne intention d’aider les pauvres, mais au détriment de la justice (fraternelle) et de la vérité, montrent bien que la fin ne justifie pas les moyens. Mais cela concerne tous les rapports d’argent dans l’Église, et aussi dans les familles. Il faut le rappeler, l’argent n’est qu’un moyen et ne peut être vu comme une fin. Il est très clair qu’avec de l’argent on peut faire des actions d’ampleur, alors qu’avec les moyens du bord on se cantonne à du bricolage. Néanmoins le rapport à l’argent doit être vu dans son ensemble. « Les enfants doivent grandir dans une juste liberté devant les biens matériels, en adoptant un style de vie simple et austère, bien convaincus que « l’homme vaut plus par ce qu’il est que par ce qu’il a »[vi]. » C’est un appel pour chacun d’entre nous à vivre dans la simplicité, tout en ayant le souci de la solidarité, pour aider à l’avènement de la civilisation de l’amour.

1.1     La servitude du pays

Lorsque certains arrivent en France, c’est pour aider économiquement la famille, au sens parfois très large, restée au pays. C’est une sorte d’investissement sur l’avenir, comme si les relations humaines devaient se quantifier en argent sonnant et trébuchant ! Sous prétexte de solidarité, on en arrive à des pratiques spoliatrices de trois ordres :

  • Pour la personne, la mettant dans une tourmente financière du fait d’un trop gros prélèvement ou des demandes irrationnelles mettant la personne dans des réelles difficultés, voire des interdits bancaires. La pression mise peut être tellement forte que la personne se retrouve incapable de refuser au détriment d’une logique de réussite, pour rendre âpre au gain, et obligée de ramper de manière insensée vers une relation idolâtrique du veau d’or (faisant des horaires au-delà du raisonnable et s’investissant parfois jusqu’au burn out). Il ne s’agit plus de travailler pour la juste suffisance de notre besoin, mais de trouver ce qu’il y a de plus rémunérateur et facile, sans aucun cœur à l’ouvrage et parfois dans un dénigrement même de ce qui est effectué.
  • Pour la famille, envoyer de l’argent au pays, sans se soucier du train de vie de la famille et des impératifs éducatifs, notamment des frais pour payer la scolarité, en comptant sur la générosité de l’entourage est irresponsable. Il en va de même avec l’impossibilité d’acheter dans du neuf, et l’obligation de louer toujours les logements, parce qu’incapable de mettre de côté pour l’avenir des enfants. Une préemption du passé, au détriment de l’avenir qui n’est pas sans interroger et ne peut en aucun cas se justifier par un artifice culturel. La spoliation de l’héritage destiné aux enfants doit interroger les parents et leurs responsabilités par rapport à leur entourage et remettre le bon sens pour l’avenir.
  • Pour la vie de la collectivité. Faire partir l’argent au pays, sans participer aux besoins de la vie de la cité, surtout avec comme argument fallacieux “là-bas ils sont plus pauvres et ont plus besoin”, à part le fait que cela entre dans une logique de l’assistanat, questionne aussi sur le principe de réalité et de proximité qui n’est pas respecté. Rien ne sert de construire un château en Espagne si c’est pour vivre dans un taudis chez soi. Nous sommes responsables de la richesse locale et de son développement. Il en va de même pour la vie ecclésiale. À force d’envoyer l’argent ailleurs, cela empêche le développement de l’apostolat sur place et mine les efforts de propagation de l’évangile grâce à des moyens utiles et nécessaires. L’Esprit Saint demande notre responsabilité pour prendre notre joug et participer à la fécondité de l’œuvre spirituelle à travers un partage qui demande discernement et attention.

Avoir une mentalité de servitude c’est oublier la réalité du frère qui m’est proche, pour une générosité à géométrie variable. La crise des gilets jaunes a été un élément percutant sur la réalité de l’argent, certains disant clairement, “qu’ont-ils à se plaindre, ils vivraient dans la condition de nos familles, ils se tairaient (et doivent se terrer dans leur misère). L’État et les aides sociales en France sont largement suffisants pour vivre dignement.” De tels propos, relativisant la misère de certains, ne peuvent qu’interroger, de même ce climat de pauvreté entretenue par des aides tous azimuts et le désert économique social et humain que subissent certaines personnes. Les misères ne s’opposent pas, je le répète souvent, mais là encore, il nous faut œuvrer pour la dignité de la personne humaine, en commençant par ceux qui nous sont proches et que nous rencontrons chaque jour. Ce qui est vrai pour une famille l’est tout aussi pour les consacrés, avec l’attention qu’ils doivent porter sur leurs biens, le partage dans la communauté locale et le bien de l’Église locale, toujours ouverte sur l’universalité de sa mission. S’il nous faut être attentifs au partage, surtout dans la famille qui connaît une certaine misère, encore faut-il s’ajuster à la réalité des moyens et de ce qui est nécessaire à chacun.

1.2     Les questions d’héritage

On reconnaît ses frères et sœurs au moment de l’héritage nous dit l’adage. Les faits divers, dans les journaux, sur les questions d’héritage interrogent vraiment. Comme cette fille, scandalisée qu’on ne laisse pas sa mère mourir afin qu’elle puisse enfin toucher son héritage… Parfois c’est aussi cynique que cela… Je ne parle pas des personnes s’autoproclamant aide à domicile et spoliant des personnes ayant des moyens, ni de ceux qui cherchent par le mariage à s’accaparer des biens de personnes de plus en plus désorientées, mais avec un réel besoin d’affection. Néanmoins il faudra faire le tri de ce qui est le plus important, entre la relation fraternelle et les biens sur terre, dans une recherche de justice. Cependant une grande prudence s’impose dans ce domaine, pour toujours rechercher comment témoigner du Christ à travers ce que nous vivons. Je rappelle aussi l’importance de la communion, de la fratrie et de nos relations, avant de rechercher les biens qui n’ont qu’un temps.

Les parents auront avantage à dire, de leur vivant, ce qu’ils souhaitent, selon une logique de justice pour chacun. Ensuite, il revient aux uns et aux autres de voir l’argent comme un moyen et non comme une fin. Une de mes histoires familiales raconte qu’un grand-oncle avait deux fermes, qui rapportaient un peu, et un appartement à Paris, et qu’au moment de l’héritage chaque garçon a reçu une ferme, et la fille l’appartement. Quelques décennies plus tard avec l’effondrement du monde agricole, et la plus-value de la région parisienne, il y a eu une inversion de valeur marchande. Il y a toujours une part d’imprévu dans les biens de ce monde. Voyons donc l’héritage comme un supplément et non l’attente d’un bien nécessaire, ce sera le plus sûr moyen de vivre les choses posément. J’esquive toute la valeur affective de cette partie, parce que cela fait partie d’un processus de conversion et d’apprentissage du détachement. Il nous faut questionner notre vie à la lumière de la foi dans ces situations pour ne pas nous laisser avaler par l’appât du gain.

Il est un fait que lorsqu’il n’y a pas d’argent, le partage devient beaucoup plus simple, et les relations fraternelles peu impactées… quoique… le bien affectif remplaçant la valeur marchande, certains s’obstinent sur des objets qui ont un fort impact dans leur histoire personnelle, mais sans valeur marchande. Toutefois le partage du vivant des parents aide à vivre cette solidarité fraternelle de manière renouvelée, dans un détachement à travers la simplicité de vie et la capacité de rechercher la communion entre nous de manière renouvelée. Souvent nous manquons de cette recherche d’unité entre nous, et c’est tellement vrai dans le monde que cela l’est aussi en Église. Plus nous aurons été éduqués dans une certaine simplicité de vie et un rapport distant à l’argent, n’en faisant qu’un moyen, plus nous serons ajustés aux questions épineuses que cela peut poser dans la réalité quotidienne. Il faut revenir sur ce qui fait sens, et la vertu d’espérance dans les fins dernières, pour remettre chaque chose à sa place et discerner ce qui est premier de ce qui est de l’ordre de l’immédiateté mais pas forcément nécessaire.

1.3     La jalousie dans la rivalité mimétique

On ne peut aborder le problème financier sans aborder la rivalité mimétique, c’est-à-dire, celle de l’autre moi-même. La première rivalité mimétique dans la Bible est dans le récit de Caïn et Abel. Caïn est jaloux et tue son frère à cause d’une bénédiction qui a préféré l’humilité à l’orgueil.

La question de l’argent, par rapport à autrui, ne doit pas se situer en termes de jalousie, mais de justice et de besoin. Serait-il vraiment inconséquent de payer plus un père de famille nombreuse qu’un célibataire pour une même tâche ? Certes une forme de justice sociale par l’APL les subsides de la CAF et autres aident à égaliser la situation des familles, même si les aides tendent à se réduire comme peau de chagrin. Néanmoins, jalousie et envie entraînent souvent des comportements pervers qu’il nous faut chasser de notre esprit. Comme, par exemple, tout faire pour que la personne échoue dans son projet personnel, rappelons-le c’est de l’ordre du péché grave ! Plus les gens réussissent, plus ils construisent une société où chacun a sa place si la solidarité garde toute sa valeur. Il est vrai que l’argent créé toujours un recentrement sur soi et qu’il nous faut être vigilants et garder la nécessaire solidarité plutôt que des murailles de séparation pour se protéger les uns des autres. On a toujours besoin d’un plus petit que soi pour le développement de la civilisation de l’amour et la recherche du bien commun dans le don sincère. Nous devons surtout ne pas nous faire instrumentaliser pour renvoyer chacun à sa responsabilité.

Enfin, les conséquences de la jalousie et de l’envie sont la corruption et le déséquilibre de la justice. L’intégrité empêche la jalousie et la rivalité mimétique dans la satisfaction d’une situation juste pour soi. Le fléau de la corruption vient d’une misère savamment orchestrée, ou sauvagement imposée dans un repli sur ses propres avoirs. L’un des plus riches pays au monde, en termes de minéraux et de matières premières, est l’un des quatre plus pauvres en termes économiques. La déliquescence de la situation est attribuée aux affres de la colonisation ou à l’ingérence d’autres pays dans la gestion de la cité, manière subtile de ne pas se remettre en cause, ni d’opérer de changement de comportement. La corruption est un fléau qui touche toutes les couches et demande une prise de conscience de l’ensemble pour retrouver le sens du bien commun. Or, la rivalité mimétique favorise la corruption pour être l’égal de l’autre, par des voies détournées. La franc-maçonnerie peut être vue comme une corruption de la fraternité, dans l’arrangement entre « frères » au détriment du reste. Lorsque le carnet d’adresse empêche tout un chacun d’accéder à un travail, pour privilégier les uns et satelliser les autres, c’est problématique et source de violence et de déséquilibre social.

L’État, quel que soit le pays, a sa part de responsabilité, et la société civile aussi. Néanmoins l’engagement personnel et le témoignage de notre foi doivent être premiers. Trop souvent nous nous laissons aller à notre culture, sans l’interroger ni poser la question de la vérité de l’évangile. Rien n’est acquis, et cela demande à chacun de nous un travail personnel. Cela nécessite de revoir notre rapport à l’argent et de le discerner entre frères et en communauté pour l’accomplissement du règne de Dieu et non de notre propre gloire. Un travail pastoral par l’exemple doit être mis en place afin de déployer une éducation au travail et à la générosité, ainsi qu’à la gratuité du temps, et de l’importance de la relation disponible sans retour, juste au nom de la fraternité.

1.4     Les addictions et les enjeux

La relation à l’argent doit toujours être reliée à un travail, comme moyen de financement d’une juste vie. C’est pourquoi il nous faut entrer dans une économie chrétienne, c’est-à-dire ajustée à la valeur de ce que nous faisons, et non à la possibilité de l’autre de payer plus. Si nous ne comprenons pas cela, nous instrumentalisons l’argent comme une fin en soi. En clair, nous devons vendre notre travail pour les justes besoins de notre vie familiale, et non pour gagner toujours plus. Clairement cela va à l’encontre du système capitaliste mis en place dans notre société dite libérale d’aujourd’hui, mais qui s’avère tyrannique, notamment sur les prix et l’appât du gain, particulièrement remarqué dans le monde agricole, laissant les producteurs dans la misère à cause d’un rendement des intermédiaires pouvant se révéler scandaleux.

En économie, tout n’est pas simple, mais nous devons vivre notre relation à Dieu en rendant à César ce qui est à César. Or certaines addictions telles que les jeux de hasard (à part la Bourse, ils ont tous un rapport financier négatif), les lotos et autres jeux hippiques se révèlent un désastre pour certaines familles. Quand bien même la société essaye de mettre des interdits de jouer sur certaines personnes addictes, les contours sont tels que cela devient problématique.

Il y a là un aspect spirituel, social et psychologique. L’aspect psychologique, facile à saisir, est l’irrationalité du comportement, la jouissance de l’impression de gagner, de posséder ou de franchir un mirage, l’impression de toute-puissance et d’affranchissement de la médiocrité pour une vaine gloire dans un rapport de force que l’on retrouve d’ailleurs en parallèle dans certaines prédispositions au suicide, et l’impossibilité de garder raison, de contrôler et de prendre de la distance. Dans un cercle de plus en plus restreint de joueurs, se fait jour une désocialisation, une pauvreté et enfin une déchéance vers des produits de substitution qui font passer l’être pour l’ombre de lui-même. On peut s’interroger si certains braquages de banque, ou vols dans les propriétés, ne sont pas aussi une violence de l’argent et de l’accumulation de richesses qui demandent un certain contrôle de soi. L’addiction de prendre ce qui n’est pas à soi, pour une vie de débauche, demande une conversion du cœur pour revenir vers le Père prodigue.

Il reste l’aspect spirituel, plus insidieux, parce que parfois pavé de bonnes intentions. Si je gagne je partagerai l’argent. Le problème de fond est la déconnection de l’argent avec le travail, pour en faire un produit de rapport disjoint du réel. Avec cette soif de capital, pour engranger et assurer son avenir, alors qu’il nous faut le comprendre comme la grande espérance du Salut, nous cherchons une protection chimérique dans les biens matériels. Chercher l’argent pour lui-même est un dévoiement de la structure d’échange qui entraîne forcément un esprit de domination. Ce n’est pas tant la somme en elle-même que l’esprit de possession et le fait de regarder l’argent comme une fin en soi. Or, l’autre travers que l’on peut éprouver est la pure indigence qui nous rend toujours tributaires de l’autre sans regarder notre part de responsabilité, phénomène que l’on retrouve dans certaines cultures mendiantes se jugeant irresponsables de leurs propres causes. Il nous faut être clairs pour discerner ensemble ce qui nous est nécessaire et laisser tomber le superficiel. Doit-on offrir à sa future femme une bague de diamant à plusieurs milliers d’euros ou une pierre précieuse moins coûteuse, mais disant aussi bien l’amour sans être dans l’irrationnel des dépenses ? Est-il nécessaire de porter des vêtements de marque, alors que d’autres habits, locaux ou plus simples, sont tout aussi adéquats, sans tomber dans du « made in taiwan» si éphémère… ? Ne recherchons pas le clinquant, mais ce qui a du sens, tel est la devise de la foi.

1.5     L’éducation des jeunes à l’argent

Les jeunes doivent avoir une relation saine avec l’argent et en reconnaître les perversions possibles pour exercer leur discernement au bon moment. Les principes d’honnêteté, de solidarité et de partage seront à mettre en exergue. Il faut avoir la bonne distance pour reconnaître la valeur économique du travail, sans en faire une fin en soi. Dans certaines cultures, on donne à l’enfant dès son plus jeune âge un terrain à cultiver qui, à 4 ou 5 ans fait à peine 1 m², mais tout au long de son éducation ne cessera de grandir, pour lui apprendre le commerce et la valeur du travail. Il en va de même pour l’argent de poche, que l’on doit remettre à partir d’un certain âge et de manière responsable, en incitant le jeune à trouver aussi les petits boulots afin de l’aider à se prendre en charge et à lui apprendre la réalité du monde du travail. Néanmoins cela nécessite aussi une grande vigilance, pour ne pas faire de tous ces temps libres une occasion de commercer, oubliant la disponibilité nécessaire au service. Très concrètement, refuser d’encadrer des jeunes de mouvements et préférer des centres qui payent les animateurs, afin d’acheter le dernier téléphone portable en pointe, ne peut qu’interroger. J’ai connu un jeune, qui avait une vraie vie de foi et, après sa confirmation, tenait à participer à la célébration eucharistique et puis, un jour a disparu. En interrogeant sa mère, j’ai appris que le père lui avait proposé de faire le marché avec lui le dimanche afin de gagner de l’argent de poche… et, ensuite, on viendra me dire que la transmission de la foi ne s’est pas faite et que c’est trop injuste… La famille, premier lieu d’éducation, porte une grave responsabilité lorsqu’il y a une inversion des valeurs, dans une pensées ou ‘les valeurs de l’Église, sont bonnes, mais domine la réalité de ce monde et la possible tyrannie de se faire du gain’…«. La tâche des parents inclut une éducation de la volonté et un développement de bonnes habitudes et de tendances affectives au bien. Cela implique qu’elles soient présentées comme des comportements désirables à apprendre et des tendances à développer. Mais il s’agit toujours d’un processus qui part de ce qui est imparfait vers ce qui est plus accompli. »[vii] Il faut savoir éduquer les désirs pour qu’ils ne soient pas compulsifs mais à la recherche d’un bien meilleur dans une construction harmonieuse de la personne ; cela demande aux éducateurs une cohérence de vie afin d’être pleinement modélisants.

L’exemplarité des parents dans leur propre rapport à l’argent aidera (ou pas) le jeune à faire la part des choses. Dans un couple chrétien, la liberté face aux biens de ce monde permettra au jeune de comprendre que ce qui fait sens n’est pas l’immédiateté du désir, mais ce qui correspond à des valeurs « Bien qu’affrontés aux difficultés, souvent plus grandes aujourd’hui, de leur tâche d’éducateurs, les parents doivent, avec confiance et courage, former leurs enfants au sens des valeurs essentielles de la vie humaine.»[viii] C’est un travail de tous les jours qu’il faut patiemment aiguiller pour permettre à l’enfant de grandir dans une juste autonomie qui le rend libre de l’avoir et soucieux du développement de sa personne et de son prochain. « Dans une société ébranlée et désagrégée par des tensions et des conflits en raison du violent affrontement entre les individualismes et les égoïsmes de toute sorte, les enfants doivent acquérir le sens de la justice véritable – qui seule conduit au respect de la dignité personnelle de chacun – et davantage encore le sens de l’amour authentique, qui est fait d’attention sincère et de service désintéressé à l’égard des autres, en particulier des plus pauvres et des plus nécessiteux. »[ix] L’enjeu éducatif est primordial, même s’il est brouillé par d’autres courants véhiculés par la société des écrans et les idéologies politiques. Il importe de donner aux jeunes les critères de discernement. « Le renforcement de la volonté et la répétition d’actions déterminées construisent la conduite morale, et sans la répétition consciente, libre et valorisée de certains bons comportements, l’éducation à cette conduite n’est pas achevée. »[x] Cela n’est donc pas de l’ordre du dire mais de l’exemplarité, et notamment dans une vie familiale harmonieuse où chacun trouve sa place dans la répartition des tâches. « La communion et la participation vécues chaque jour au foyer, dans les moments de joie ou de difficulté, représentent la pédagogie la plus concrète et la plus efficace en vue de l’insertion active, responsable et féconde des enfants dans le cadre plus large de la société. »[xi] L’approche des biens matériels pourra alors s’entrevoir dans une vision chrétienne de l’appel à la simplicité et au détachement, pour valoriser la relation et rechercher un bien meilleur. « La vie vertueuse, par conséquent, construit la liberté, la fortifie et l’éduque, en évitant que la personne devienne esclave de tendances compulsives déshumanisantes et antisociales. »[xii]

Le rôle éducatif sur la relation à l’argent est de la première responsabilité des parents, mais la communauté chrétienne doit en témoigner aussi d’une manière active, pour aider les parents dans l’éducation de leurs enfants. En effet, « les communautés chrétiennes sont appelées à offrir leur soutien à la mission éducative des familles »,[xiii] surtout à travers la catéchèse de l’initiation. Afin de favoriser une éducation intégrale, il nous faut « raviver l’alliance entre la famille et la communauté chrétienne ».[xiv] Le partage des bons moments et les invitations à se rencontrer sont autant d’expériences fortes d’une vie éclairée par l’évangile

2     Le rapport à l’argent et les temps forts de la vie

Aujourd’hui il nous faut nous questionner à nouveau sur le rapport à l’argent dans la prise en compte des sacrements. La hiérarchie des valeurs en ce domaine est souvent déficitaire pour le spirituel, mettant en avant le matériel au détriment de la joie du sacrement et la familiarité nouvelle avec Dieu. Au nom d’un détournement de l’urgence, l’aspect matériel devient le premier aspect pour la prise de décision, avant d’accueillir l’amour dans le temps présent et de vivre dans la réalité de ce qui fait notre aujourd’hui. Imaginons-nous retarder l’ordination d’un diacre, d’un prêtre ou d’un évêque, parce qu’il n’a pas assez d’argent pour faire la fête, qu’il ne trouve pas les bons musiciens ou la bonne salle ? Cela nous paraît absurde, alors que nous avons cette attitude pour d’autres sacrements, au détriment de ce qui est fondamental, et nous égarons dans la superficialité des moyens. La vie sacramentelle doit être première, cela commence par mettre la messe du dimanche au cœur de notre semaine et continue tout au long de notre vie, en rappelant l’importance de la rencontre avec Dieu, plutôt que nos désirs de fêtes parfois disproportionnés.

2.1     Le mariage et la célébration de l’éphémère

Pourquoi nous marions nous ? Pour faire la fête et en mettre plein la vue aux invités, ou pour nous mettre sous le regard de Dieu et y chercher une parole de bénédiction pour toute notre vie ? Il est scandaleux, pour un couple chrétien, de retarder le mariage durant 5, 10 ou 20 ans, pour le faire un jour au pays, même si effectivement il est pratiqué au bout du compte. Comment peut-on vivre sa foi dans une pratique indolente des commandements ? Au contraire, suivre le Christ devrait mettre le feu à notre vie, à l’écoute de l’Esprit Saint pour suivre ses motions intérieures et enraciner notre vie de couple dans une vie de communion. C’est déjà assez difficile à mettre en place, pour se croire capable de dispense pour les sacrements. D’ailleurs de guerre lasse, plusieurs années après, cela se termine parfois avec les mariés et deux témoins comme seuls participants de la célébration. À voir trop grand, on finit par se contenter du minimum requis. D’autres attendent de gagner au loto, ou mettent beaucoup d’argent de côté afin de faire un beau mariage, jusqu’à endetter le couple pour quelques mois ou années. Le sacrement du mariage est le début d’une vie de partage sous le regard de Dieu, et non pas une fin en soi. Il est inconséquent de commettre un tel gaspillage de biens pour une fête, alors que le quotidien s’avèrera rugueux. Cette frivolité de la fête face au sacrement doit nous questionner. Enfin, la liste des invités doit se faire selon les moyens et non selon les susceptibilités. Je me souviens d’un séminariste qui a fait son repas d’ordination avec une quinzaine de personnes, car son père venait d’être mis au chômage et qu’il n’y avait pas d’argent à la maison. Ils ont fait simple, avec raison. À nous de l’être aussi pour les mariages, en refusant une démarche trop légère de la foi, pour un engagement qui implique une responsabilité.

Le mariage se vit dans les quatre réalités principales. La liberté, comme lieu d’expression d’une volonté responsable, demande un engagement intérieur complet. Concrètement cela demande aussi une autonomie financière pour le couple et un hébergement qui leur est propre. La fidélité, pour bâtir en toute confiance la relation, en sachant qu’ensemble dans la même direction nous avançons avec sérénité. Le lien de confiance et d’attachement se vit dans le temps et la persévérance vis-à-vis de l’engagement pris. C’est aussi exercer son énergie dans une seule direction, et non girouetter d’une manière malavisée et téméraire. L’indissolubilité, qui aide à franchir toutes les épreuves, en sachant que nous serons toujours épaulés par l’autre. Enfin, la fécondité afin de permettre, au sein de l’amour, d’entrer dans le dynamisme d’un partage toujours plus important, consolidant notre vocation de serviteur de manière très concrète dans l’éducation. Une fois que tout cela est acquis, il est absurde, malavisé et illogique de sursoir à la célébration.

Dieu traversant les frontières, ne vivons pas de manière écervelée en attendant un mariage dans le pays d’origine dans quelques décennies. Le nombre d’invités se fait par affinité, mais il vaut mieux dire la vérité et faire comprendre qu’on ne peut pas inviter tout le monde, plutôt que d’essayer un jour d’épater la galerie. Enfin la dépense du mariage ne doit pas entraîner un emprunt, ni grever les finances du couple sur plus de trois mois.

N’oublions pas que le sacrement du mariage est d’abord une grâce avant d’y voir l’utilité sociale et l’occasion de la fête. Il est possible de se marier à un nombre restreint, ce qu’on appelle communément le mariage à quatre (le couple et les deux témoins), ou à un groupe d’amis sans en faire une publicité monstrueuse entraînant rancœur et jalousie. L’argent ne peut jamais être un critère pour sursoir à la célébration, jamais !

Je reste circonspect sur ceux qui font de l’argent un critère important de jugement. Ce sont les mêmes qui ne veulent pas beaucoup d’enfants, car cela revient cher et qu’il faut payer les études, et réduisent le partage avec d’autres pour des prétextes parfois très discutables.

Je n’aborde pas la question de la dot dans certaines cultures qui posent question quant à la dimension religieuse : faire des sacrifices au culte des ancêtres peut se révéler très douteux, quand ce n’est pas carrément l’idolâtrie des esprits invoqués ou des protections païennes. Chaque enfant doit discuter avec sa propre famille pour rappeler le principe évangélique et rappeler la gratuité de la relation. Sur les questions pécuniaires, la simplicité des demandes doit rappeler la fluidité des échanges et de l’accueil des uns et des autres, qui ne peut se faire dans les domaines de l’utilité et de l’avoir, mais du partage de l’être et d’une histoire commune à partir du mariage.

2.2     L’enterrement et la complicité de l’événementiel

Que dire des enterrements qui dans certaines cultures prennent des proportions inconsidérées ? D’abord, tout d’un coup on se souvient d’un défunt qu’on a laissé dans une forme d’abandon relationnel, social, et parfois financier. Que peut bien signifier la fête du deuil, qui suit et interroge sur notre rapport à l’argent. Lors d’une cérémonie de messe de souvenir de deuil, l’église Saint-Charles étaient pleine, au bas mot 350 / 400 personnes et 50 / 70 à l’extérieur, bref, une très belle assemblée. Je vois le camion de victuailles avec entre 7.000 et 10.000 € de victuailles. Lorsque j’ai interrogé sur l’investissement, la première réponse de défense : « mais on a des prix, on a été à Rungis ». Seulement, j’étais directeur d’établissement, et les prix je connaissais aussi ceux du marché de Rungis… La messe de deuil m’a très fortement questionné, comme il faut questionner l’investissement des personnes, même si c’est pour exorciser la mort. Nous devons vivre dans la grande espérance du Salut, avec simplicité et vérité. Pour l’anecdote, la quête de cette messe a été de 40 €. Si, je vous l’affirme, c’est possible, en pièces de 1 et 2 centimes… Heureusement, il y avait un billet de 20 € et quelques pièces de 1 et 2 €… L’argent ne doit jamais être décorrélé du partage, sans être dans la spoliation des biens des autres. Car ne pas partager à sa juste valeur devient de la spoliation. Ce qui est vrai pour le partage en Église, l’est tout autant pour la juste rétribution du travail en entreprise ou dans la société, afin de permettre à chacun de subvenir dignement à ses besoins. Les économies pour rentabiliser les investissements selon un taux devenu idéologique, deviennent une autre forme de spoliation, comme ne pas prévoir un fond d’investissement, gaspillant l’argent au fur et à mesure des rentrées, ne dure pas longtemps et s’avère désastreux économiquement.

Autant dans les sociétés occidentales on a évacué le deuil de notre vie, autant les cérémonies de deuil qui durent plus d’un mois posent aussi des questions. Oui, la culture doit être évangélisée, quelle qu’elle soit. Nous avons à réfléchir à notre rapport aux morts : saint Augustin sermonna sa mère qui voulait manger sur la tombe de son défunt mari, car il trouvait la coutume idolâtrique alors qu’elle le voyait comme une communion des vivants et des morts et une habitude culturelle qui correspondait à sa foi. Il nous faut discerner en Église ce qu’il faut vivre, mais en tout cas, les disproportions doivent être clairement dénoncées, et la participation à ces agapes saugrenues refusée.

2.3   1re communion – Profession de foi – Confirmation

Il nous faudra être attentifs aux sacrements de l’initiation (confirmation et eucharistie) et à la profession de foi, à investir dans sa dimension spirituelle et non mercantile. En clair les cadeaux doivent avoir un lien explicite avec la foi. Offrir un appareil photo est certes très sympathique, mais n’a pas grand-chose à voir avec la foi, alors qu’un chapelet, une Bible, une encyclopédie de la Bible, une icône etc. sont autant d’articles pour développer la vie spirituelle et rappeler l’importance de la dimension transcendantale. Jésus est une personne à qui l’on parle et avec qui on entre en dialogue. La vie des saints et l’éducation des parents et des parrains marraines sont primordiales. La notion d’argent ne doit pas correspondre à la frivolité du monde qui passe, mais à l’invitation de la civilisation de l’amour que nous avons à bâtir ensemble.

3     La question de l’argent dans le couple

L’argent dans le couple est souvent un sujet de tension lorsqu’il n’est pas mis une certaine transparence dans les rapports ou que d’autres enjeux sont présents.

3.1   Compte commun et compte séparé, quels sont les critères ?

La norme est d’avoir un compte commun pour gérer ensemble les comptes, et non l’un qui se spécialise dans les comptes, et l’autre qui délègue sans responsabilité. Avoir une transparence dans les comptes de la famille, c’est partager ensemble les conditions financières et voir les situations à venir, afin d’établir des projets viables.

Les exceptions au compte commun sont nombreuses et ne signifient pas une défiance, mais justement un discernement de ce qui doit être vécu. Ainsi lorsqu’un des deux époux est indépendant ou chef d’entreprise, il doit y avoir des comptes séparés, afin qu’en cas de faillite, ou de saisie, les biens du conjoint ne soient pas saisissables (donc en séparation de bien). En dehors de la situation d’un couple de salariés, il faut au cas par cas vérifier auprès d’un expert-comptable ce qu’il convient de faire pour le bien du couple, les conseils d’un notaire peuvent aider à la prise de décision.

Enfin, même si c’est l’évidence de le rappeler, en cas d’addiction ou de situation spoliatrice, la séparation des biens est une urgence à mettre en place. Cela ne signifie pas la séparation de corps mais une prudence pour l’avenir.

3.2   Les richesses personnelles

Si le compte commun est important lors de la vie du couple, il se peut qu’il y ait une très grande disparité d’apport lors du mariage. Là encore la vertu de prudence voudra que chacun laisse de côté son propre apport, non dans une vision égoïste de préservation du capital, mais dans un principe de réalité qui est de gérer au mieux l’argent familial, ou dû à un travail particulier dans sa vie de célibataire. Une vision naïve serait de tout mettre en commun parce « qu’on s’aime ». L’amour ne porte pas sur des biens, mais sur des personnes. Distinguer les deux est toujours salutaire. Une histoire qui a défrayé la chronique mondaine : une jeune femme de 20 ans épousant un multimilliardaire américain de 75 ans a interrogé l’entourage et les médias, et à la question des journalistes voyant le mercantilisme du mariage, elle répondait “je l’ai épousé, car je l’aime bien avec sa canne, il a fière allure”. Quelque temps après, l’homme meurt laissant à ses enfants du premier mariage toute sa fortune et à sa énième femme, la fameuse canne qu’elle aimait bien. Derrière cette tragi-comédie, on peut voir la vertu de prudence. On ne dilapide pas l’argent des enfants (dans des seconds ou énièmes mariages), et on reste prudent sur la vie commune, qu’elle soit bien le fait des personnes et non de l’utilité, que ce soit l’argent d’ailleurs ou les papiers de nationalité ou tout autre motif très discutable.

            Il reste que les biens indiqués sont acquis mais, par exemple, un appartement ou une maison en cours d’acquisition doit être au profit du couple puisque l’argent est le partage de la vie à deux (ce que dira le droit français, il verra l’apport de capital au départ, et ensuite délimitera pour chacun l’investissement). Mais plus que le droit français ou la vertu de prudence, c’est dans la prière, et les motions de l’Esprit Saint que nous devons nous laisser guider afin de reconnaître ce que le Seigneur veut pour le couple et, dans une conscience droite, de faire les choix qui s’imposent. Néanmoins le discernement d’une tierce personne de confiance pourra aider à y voir plus clair, et comme dans le domaine médical, il faut au moins deux avis pour cerner la pleine réalité de la chose. Pour clore le sujet, lorsqu’un religieux entre dans une congrégation et qu’il veut lui donner son héritage, celui-ci est gardé jusqu’à la mort de la personne avant d’être intégré dans le bien commun. L’Église a eu ce bon sens de prudence afin de garder la liberté de la personne tout en recevant sa générosité.

3.3   Vivre l’argent de manière apaisée

Si l’histoire des comptes est à peu près réglée, celle de vivre l’argent de manière apaisée demande un certain discernement parce qu’elle touche à l’intime de nous-mêmes, comme à une relation dès notre enfance un rapport pas toujours très clair. À tel point que parfois certains parleront plus facilement de sexualité que d’argent. Cela montre l’impact affectif, d’une part, et la reconnaissance que l’on peut y éprouver d’autre part. Une construction en quinconce du rapport financier dans notre histoire familiale, les situations économiques vécues, les frustrations et les joies par rapport à ce que nous avons possédé, même si paradoxalement l’argent ne doit pas nous posséder orientent nos prises de décisions. « Notre époque requiert une intense activité éducative [xv] et un engagement de la part de tous, afin que la recherche de la vérité, qui ne se réduit pas à l’ensemble ou à une seule des diverses opinions, soit promue dans chaque milieu et prévale sur toute tentative d’en relativiser les exigences ou de lui porter atteinte.[xvi] » L’éducation à la gestion et au rapport à l’argent doit se faire dès le plus jeune âge, mais appelle à une vigilance de tous les instants, notamment dans son aspect addictif. Plus on a de l’argent, plus le besoin s’en ressent, orientant nos choix de vie et en même temps une gestion hasardeuse dans les loisirs à opérer, ou d’autres désirs pas toujours très équilibrants. « C’est une question qui touche en particulier le monde de la communication publique et celui de l’économie, dans lesquels l’usage sans scrupules de l’argent fait naître des interrogations toujours plus pressantes, qui renvoient nécessairement à un besoin de transparence et d’honnêteté dans l’action personnelle et sociale. »[xvii] Une éducation de la conscience droite par un discernement à opérer selon les valeurs de l’évangile et par l’accompagnement spirituel. L’honnêteté et la vérité sont les meilleurs pistes pour une vie ne s’attachant pas au superflu mais désirant l’essentiel dans la recherche de sens et des valeurs à mettre en premier. On pourrait s’interroger sur le fait que beaucoup de terroristes ou d’extrémistes soient de milieux de classe moyenne supérieure. A travers la violence faite à la société, quels véritables refus veulent-ils manifester ? En dénigrant le style de vie des parents, ou en utilisant l’argent à des fins idéologiques, quelle question anthropologique (de l’homme) cela pose-t-il ?

De même, il nous faut aussi réfléchir sur ce rapport lors de l’attente généreuse de la vie des enfants. Car nous pouvons nous limiter à une culture de l’entre-soi qui manque de générosité ou qui, dans une valeur exponentielle de bien être, s’interdit la possibilité de vivre autrement. Ils sont « encore, emprisonnés dans une mentalité de consommation et ayant l’unique préoccupation d’accroître continuellement les biens matériels, finissent par ne plus comprendre et donc par refuser la richesse spirituelle d’une nouvelle vie humaine. »[xviii] Ils peuvent aussi attendre la fin de l’évolution professionnelle pour s’ouvrir à la vie, oubliant parfois la réalité des cycles de fécondité et leur inscription dans le temps. Il en va de même pour ceux qui décident d’émigrer, laissant au pays mari ou femme, et les enfants parfois à la charge des grands parents. La vie meilleure demande -t-elle une pareille déconnection avec la réalité familiale ? Un des enfants abandonnés me confia sa misère éducative et sa rancœur, même une fois adulte et mère, contre ses propres parents.

La question de l’argent, face à l’évangile de la prospérité, voyant les biens comme une nécessaire bénédiction de Dieu est fortement réductrice de la révélation. « Dans l’Ancien Testament, on constate une double attitude vis-à-vis des biens économiques et de la richesse. D’un côté, l’appréciation positive pour la disponibilité des biens matériels considérés comme nécessaires pour la vie : parfois l’abondance [est] …. considérée comme une bénédiction de Dieu. Dans la littérature sapientielle, la pauvreté est décrite comme une conséquence négative de l’oisiveté et du manque de diligence ….D’un autre côté, les biens économiques et la richesse ne sont pas condamnés pour eux-mêmes, mais pour leur mauvais usage. La tradition prophétique … bien que considérant la pauvreté des opprimés, des faibles, des indigents comme un mal, voit aussi en elle un symbole de la situation de l’homme devant Dieu; c’est de Lui que provient tout bien, comme un don à administrer et à partager. »[xix] La notion des biens de ce monde demande un discernement éclairé par notre vocation propre. L’appel à la simplicité de vie de st François d’Assise allait à l’encontre de son temps englué dans une spiritualité de privilégié déconnecté de la vie du peuple environnant. L’argent ne peut être promu comme progrès spirituel, dans une logique d’entassement et de spéculation, mais au contraire dans l’Église doit se vivre comme lieu de partage et de solidarité, sous peine d’être déconnecté, et d’avoir une attitude de prévarication[xx] abandonnant le prochain à son propre sort. L’autre écueil et de ne pas vouloir accueillir le frère pour préserver les biens. « Le Règne inauguré par le Christ perfectionne la bonté originelle de la création et de l’activité humaine, compromise par le péché. Libéré du mal et réintroduit dans la communion avec Dieu, tout homme peut poursuivre l’œuvre de Jésus, avec l’aide de son Esprit: rendre justice aux pauvres, affranchir les opprimés, consoler les affligés, rechercher activement un nouvel ordre social qui offre des solutions appropriées à la pauvreté matérielle et qui puisse endiguer plus efficacement les forces qui entravent les tentatives des plus faibles à sortir d’une condition de misère et d’esclavage. »[xxi] Nous devons sortir nos frères de la misère, et de l’indigence qui n’ont rien d’évangélique. Nous avons à redonner la liberté à chacun de faire des choix de vie conforme à leur vocation d’image de Dieu, et en même temps rappeler que l’important n’est pas dans le matériel, mais bien le relationnel. Les plus pauvres nous le rappellent souvent en se mettant en quatre pour accueillir ceux qui viennent à leur rencontre. De plus lorsque la pauvreté vient d’une injustice sociale généré par ceux qui sont aux pouvoirs et ceux qui s’enrichissent de manière inique au détriment des autres, il nous faut réaffirmer notre égale dignité dans cet appel à la fraternité universelle. Mais la recherche de justice est pour une vérité de la fraternité, et non une lutte des classes qui fracture la société et entraine une violence irrationnelle et nous amène la culture de mort. Un partage équitable et parcimonieux, chacun selon ses véritables besoins aiderons les plus faibles à une certaine liberté de vie et parallèlement octroiera un choix de vie selon ses propres désirs dans la recherche du bien.

Aujourd’hui, reconnaissons-le, mon rapport au travail, est souvent conditionné par le salaire, avant la fierté d’accomplir sa tâche. Souvent je disais aux salariés d’une association, vous êtes là pour les valeurs de l’association, et non en premier pour le salaire, sinon allez dans le commercial pour le salaire, et le public pour la sécurité, mais surtout ne soyez pas dans l’associatif. Il en va de même sur le choix du travail et la concordance avec mes valeurs. Est-il ma nouvelle maitresse ou mon nouvel amant, c’est-à-dire, suis-je capable de prendre du temps en famille, ou le travail est une échappatoire (une idole parce que cela entraine une relation addictive) ? D’autres questions sur ma façon de dépenser l’argent, et d’en parler avec mon conjoint doivent se poser, afin d’être sur une même ligne de conduite, chacun selon sa personnalité, mais surtout par sur des routes parallèles. Il y aura aussi la question de l’argent de poche pour les enfants, et la question de valoriser l’utile à la marque pour les vêtements par exemple, dans une recherche de simplicité. La publicité est là pour survendre des produits, quant à nous, dans la foi, nous avons à acheter ce qui nous est utile et profitable, car l’argent, je le répète est un moyen et non une fin. des questions qu’il faut aborder en couple, et essayer de débattre à la lueur de l’évangile. Une réflexion sur notre manière de partager et de discerner comment vivre la solidarité. Retenons que la confiance du conjoint ne me dispense pas du devoir de communiquer, et de rendre compte ou de demander des comptes. Car c’est à deux que nous menons ce projet d’alliance.

4     Le rapport à la religion et le devoir premier

Le groupe de prière doit toujours ouvrir au service de la charité fraternelle et à une vie à l’heure de l’évangile. Tous sont d’accord sur le principe, mais l’application peut se révéler laborieuse. Il ne faut pas détourner non plus la vocation première du groupe qui est justement de prier. Néanmoins il ne peut pas non plus se désintéresser de la vie des frères, et doit aider à trouver des solutions, chacun selon ses disponibilités et ses moyens. Mais le lien fraternel se fait par la prière et la relation en vérité à l’autre dans les moyens dont nous disposons et la réalité de la situation.

La simplicité des groupes de prière issus du renouveau charismatique à sa base, était la candeur d’une foi à transmettre dans la réalité des moyens, certes pauvres, mais qui en même temps redonnait sens à la relation fraternelle. Dieu en premier, et l’esprit du monde ou l’appât du gain comme une détestation, pour retrouver les valeurs fondatrices de notre vocation première de fils de Dieu. « Les mains de la foi s’élèvent vers le ciel mais en même temps, dans la charité, elles édifient une cité, sur la base de rapports dont l’amour de Dieu est le fondement. »[xxii] Il y a eu une forme de professionnalisation de la prière, en payant des gens pour un service. Nous le voyons dans l’Église, en payant les organistes et parfois les sacristains. Ce qui était basé pour la plupart des paroisses sur du bénévolat, est devenu marchand. (Dans les grandes villes, et pour la production de la musique sacrée, il y a toujours eu du personnel rémunéré, mais dans un environnement particulier). Aujourd’hui dans les groupes de prières, la venue de professionnels avec des moyens techniques rend nécessaire une solidarité de partage des moyens. Reste à interroger sur ce qui est premier, soit l’essence même du témoignage. « Car la racine de tous les maux, c’est l’amour de l’argent. Pour s’y être livrés, certains se sont égarés loin de la foi »[xxiii]. Les Pères de l’Église insistent sur la nécessité de la conversion et de la transformation des consciences des croyants, plus que sur les exigences de changement des structures sociales et politiques de leur époque, en pressant ceux qui s’adonnent à une activité économique et possèdent des biens de se considérer comme des administrateurs de ce que Dieu leur a confié. »[xxiv] Être au service évite une attitude fils ainé, indigné du partage fraternel, au nom d’une justice extérieure. Chaque professionnel, comme chaque participant, est d’abord serviteur du Dieu vivant et, en vérité, tous doivent reconnaître l’esprit de service dans la disponibilité et non l’accaparement.

Le détournement de nos ressources est un vrai problème spirituel, et pas seulement matériel, car il y a un enjeu dans la responsabilité de ce que nous devons vivre ensemble. C’est d’ailleurs ce que condamne le Christ envers les pharisiens et les scribes, c’est-à-dire les observants de la loi et ceux qui écrivent les prescriptions. « Les ressources qui m’auraient permis de t’aider sont korbane, c’est-à-dire don réservé à Dieu”, alors vous ne l’autorisez plus à faire quoi que ce soit pour son père ou sa mère ; vous annulez ainsi la parole de Dieu. »[xxv] Très concrètement pour nous c’est confisquer l’argent de proximité pour des projets qui sont peut-être en dehors de la volonté de Dieu (tout en croyant naïvement le servir).

4.1   Les groupes de prière et la dîme

Des groupes de prière, notamment du renouveau charismatique ont voulu vivre une certaine proximité avec les Actes des apôtres notamment dans le partage des biens. Toutefois il faut remarquer un phénomène nouveau, dans certains groupes, de faire des quêtes durant leurs assemblées. Cela est dû en partie aussi à l’appel d’intervenants ou de professionnels pour conduire la prière ce qui n’est pas sans interroger sur la nécessité de telles approches, et les questionnements posés quant aux flux, notamment des billets d’avion. D’autre part, ces aspects de dîme et de reversement de salaire, pour le bien de la communauté, ne se font pas sans discerner l’appel et le sens en toute transparence et surtout suivant les possibilités de chacun.

Le partage d’argent demande toujours une transparence dans ce qui est fait, c’est-à-dire un conseil économique, qui doit rendre des comptes sur l’usage des biens qui a été fait. Ensuite il doit se faire dans la liberté pour chacun et l’éducation d’une conscience éclairée par la recherche du bien, d’autre part. Toute histoire de contrainte doit donc être dénoncée clairement. « Rappelez-vous le proverbe : “À semer trop peu, on récolte trop peu ; à semer largement, on récolte largement”. Que chacun donne comme il a décidé dans son cœur, sans regret et sans contrainte, car Dieu aime celui qui donne joyeusement. »[xxvi] La joie bannit la peur et invite à l’écoute des motions de l’Esprit pour être juste dans le partage et en vérité avec les moyens.

Une fois que tout cela est dit, la notion de dîme dans la Bible, que nous avons renommée denier dans l’Église, a été très fluctuante. Néanmoins, dès le Moyen Âge, la dîme était comprise comme 10 % des biens. Aujourd’hui, pour le denier dans l’Église catholique, on regarde ce qui se fait et on parle de 2 à 3 % des revenus… « Je rappelle que le fisc français autorise la déduction des dons effectués dans la limite de 20% du revenu imposable… Pas mal pour un pays où règne l’individualisme ! »[xxvii] C’est une certaine marge, et peut-on abaisser le taux par la pratique, ou devons-nous aider la pratique à rechercher une juste répartition ? Dans tous les cas, il nous faut être clairs : le groupe n’est pas autocéphale, car il vit dans l’Église. Ainsi, il faut impérativement qu’il y ait un partage avec la communauté paroissiale ou diocésaine locale d’une part. D’autre part, quel que soit l’objet du groupe de prière ou de la communauté, une part est due pour le service des plus pauvres présents, dans une pratique de réalité, c’est-à-dire avec ceux que nous rencontrons, avant de vouloir faire partir l’argent ailleurs.

4.2   Aider les Églises sœurs – entre la perfusion et la solidarité, le juste équilibre

Pour qu’une mission devienne paroisse, il fallait une certaine autonomie financière. Ensuite des événements, comme la guerre au Moyen Orient, obligent à une certaine vigilance pour assurer la solidarité dans ce berceau de la foi judéo-chrétienne. D’autre part des événements circonstanciels, tel le climat, la sismique ou tout autre souci, invitent à aider nos frères dans la foi de manière très concrète et à discerner les biens à partager. Néanmoins ce ne saurait être une perfusion continue d’une communauté, déconnectée des réalités de terrain. « L’accumulation des biens par certains peut conduire à une soustraction des biens à d’autres »[xxviii] et la relativisation des situations peut interroger sur la vérité des réalités, autrement dit une forme d’instrumentalisation dans le partage d’un puits sans fond. Il nous faut être clair, l’aide de ce qui paraît être l’œuvre de Dieu demande du discernement, et notamment dans le témoignage de vie, la Parole annoncée et la communion fraternelle. Ce n’est pas tant l’offrande qui importe, que l’engagement à suivre le Seigneur et à mettre notre vie à son service dans l’état vocationnel qui est le nôtre. Il importe donc de vérifier la destination des fonds et d’avoir des comptes rendus exhaustifs des dépenses et des recettes. Il faut aussi assurer une bonne gouvernance et une saine gestion économique pour assumer la responsabilité du bien que l’on partage. Concrètement, nous ne pouvons pas aider un presbytère de brousse à avoir de l’électricité si tout le village n’en possède pas. La disproportion de la réalité ne peut qu’interroger. D’autant plus qu’il faudra ensuite trouver les moyens pour payer cette électricité. Aider doit se faire dans une symbiose pastorale avec le peuple de Dieu. Cela dit, les abbayes par le travail de la terre et les multiples inventions ont engendré des ressources permettant à des personnes d’en vivre et de créer ainsi des villages. Mais c’est bien dans un effort de développement régional et dans l’optique de promouvoir l’œuvre de Dieu.

L’évangélisation n’a pas de prix, certes, mais elle n’est pas affaire économique. Seul compte le souffle l’Esprit Saint pour nous inviter au témoignage et à l’annonce à toutes les nations et ainsi le réveiller de ses torpeurs. Si Dieu appelle, et nous envoie, Il nous donnera les moyens, et les personnes nécessaires pour subvenir à cette mission. Dans cette réalité de l’Esprit, le partage est alors la puissance de son action parmi nos frères, mais en aucun cas un levier nécessaire et indispensable. Ce qui est premier est d’annoncer le Salut par Jésus et de vivre une conversion sincère ; ensuite, d’être fidèle à la Parole et d’écouter les motions intérieures pour vivre le partage comme un prolongement de l’évangile dans une conscience éclairée. L’argent mis dans certaines formes d’évangélisation doit être impérativement interrogé et revu pour laisser la spontanéité de la rencontre et la simplicité du don s’opérer en toute humilité, et non d’un point de vue carriériste. Tout cela demande une position personnelle forte pour discerner comment vivre le partage, et s’atteler à être responsables de la générosité dont nous faisons preuve. Cela doit être puisé dans la prière, pour laisser l’Esprit nous appeler à vivre une simplicité de vie en toute chose.

Il en va de même pour les groupes de prière, qui doivent aider la communauté locale avant de vouloir faire un partage généreux avec d’autres groupes. La réalité du partage demande la simplicité et le juste rapport. Rien ne sert de faire une grosse enveloppe de 10 billets de 10 € alors que deux billets de 50 suffisent juste pour montrer que l’on donne beaucoup. Les finances doivent être abordées en vérité, dans le groupe, et demandent un discernement qui doit différencier l’autorité du gestionnaire. En d’autres termes le responsable du groupe de prière ne peut pas être le trésorier, et le trésorier doit obéir au conseil de communauté pour débloquer les fonds dans le cadre de la mission pastorale du groupe et du bien des personnes, avec le souci du témoignage ecclésial. Aucune quête dans une église ne peut priver la communauté paroissiale de ses gains, quand bien même la célébration eucharistique serait présidée par un prêtre étranger et pour une de ses missions. Tout doit se faire en concertation avec le curé et en communion avec l’évêque.

5     L’argent au cœur de la cité

Il ne faut pas être pusillanime, mais au contraire avoir l’audace de l’honnêteté, la fidélité dans la constance, la probité et la rectitude, en refusant toute compromission dans la corruption. « Évitons le silence complice. Je nous le redis : quittons la peur, il vaut mieux mourir martyr que de se laisser corrompre. »[xxix] Nous avons un témoignage à rendre auprès de ceux qui nous observent. « Il vaut mieux mourir martyr que de laisser Dieu se faire insulter »[xxx], c’est dire l’importance du témoignage dans notre rapport personnel à l’argent par l’approche que nous développons dans la vie de la cité.

Il y a un problème dans le partage de l’argent qui questionne autant la cité que l’Église : c’est celui du bien commun. L’argent véhiculé dans un pays contribue à la richesse et fait fonctionner l’économie du pays. Un travailleur achètera son pain et contribuera au fonctionnement de la boulangerie, ira au supermarché, prendra de la viande chez le boucher, utilisera le service d’un électricien, etc. tous ces emplois contribuant au fonctionnement du pays. Une fois que l’argent sort du pays, il appauvrit par définition le pays. C’est d’ailleurs l’argumentaire des pensions d’ancien combattant de personnes repartant dans leur pays d’origine. Le niveau de vie n’est pas le même et, par justice sociale, il est donné un solde moins important ; l’autre critère est la sortie économique déficitaire. On oppose aujourd’hui au principe d’équité, le principe d’égalité et de justice vis-à-vis de tous à revenus identiques, un simplisme intellectuel qui n’est pas, là encore, sans poser question.

Néanmoins des paroissiens qui envoient leur argent au pays, sans faire vivre la communauté locale, me questionne sur le rapport de l’argent et le principe de réalité. Il ne faut pas compter sur les autres ou opposer les misères, en déclarant que les autres en ont plus besoin, car tout est relatif à l’angle d’attaque de la problématique. Que l’argent parte d’abord en Pologne, au Portugal, en Afrique en Asie ou ailleurs, n’est pas sans répercussion sur le devoir premier de pourvoir au besoin de l’Église locale. C’est à l’Église locale ensuite dans un discernement communautaire de vivre un partage, comme cela se fait dans les quêtes impérées, notamment pour la custodie de Jérusalem et pour d’autres causes de solidarité internationale.

Synthèse « L’argent doit servir et non pas gouverner ! »[xxxi]

La question est de savoir ce qui est premier. Or, parfois la victoire en Jésus demande l’accroissement financier, comme si l’un et l’autre étaient liés. La première prospérité à demander est le développement de notre vie spirituelle, c’est-à-dire l’approfondissement de notre communion avec Dieu, pour Le reconnaître de l’intérieur et Le faire entrer lorsqu’Il frappe à notre porte. Passer de la Parole que nous entendons à une lumière intérieure qui nous fait agir demande beaucoup de combats, pour ne pas se laisser séduire par la vanité, beaucoup d’épreuves pour refuser l’orgueil de la possession et vaincre les tentations, pour avoir une relation vraie dans l’amour. Les crises de sens que nous traversons puisent dans ces veaux d’or que nous érigeons dans la société marchande, et notamment notre rapport à l’argent. Les problématiques que nous rencontrons, même dans la crise sanitaire actuelle, s’enracinent dans « une crise anthropologique profonde : la négation du primat de l’être humain ! Nous avons créé de nouvelles idoles. … une nouvelle et impitoyable version dans le fétichisme de l’argent et dans la dictature de l’économie sans visage et sans un but véritablement humain… l’absence grave d’une orientation anthropologique qui réduit l’être humain à un seul de ses besoins : la consommation. »[xxxii] La simplicité de vie est une juste utilisation de ce que Dieu nous demande, et non une forme de domination des biens pour une destruction de l’être. Reconnaître que Jésus nous sauve est ce qui est premier. Cela se conjugue dans notre vie à travers les choix que nous devons opérer à la lumière de sa Parole, et rien d’autre n’a d’importance. Dans le Salut et la grande espérance de la vie éternelle, nous orientons nos choix pour correspondre à notre vocation de fils de lumière.

Nous ne prêchons pas un christianisme de bien être, dans une vision utilitariste de la grâce et une volonté de voir la bénédiction de Dieu comme augmentation de nos troupeaux de bœufs et de brebis… Comme nous l’avons vu, dans la Bible, l’argent est une bénédiction, lorsqu’il est au service d’un bien meilleur, et une malédiction lorsqu’il est une recherche pour lui-même, quand bien même les bonnes intentions sont présentes. L’important dans la conversion que nous devons opérer est de rester fidèle au Dieu unique, Père source de vie et don de l’amour, révélé en Jésus Christ, que l’Esprit Saint continue de nous faire connaître.

Il nous faut revoir notre rapport à Dieu face à l’argent, et notamment bien voir la fin ultime de l’alliance en Dieu qui est promesse du Salut, alors que l’argent n’est qu’un moyen pour vivre. Nous devons rendre gloire à Dieu, c’est-à-dire manifester son œuvre, qu’on en ait beaucoup ou pas… « L’histoire montre la dévastation qui se produit dans les cœurs lorsque l’homme n’est pas capable de reconnaître une autre valeur et une autre réalité effective que celles des biens matériels dont la recherche obsessionnelle étouffe et entrave sa capacité à se donner. »[xxxiii] En cela nous devons nous écarter fermement d’une vision protestante de l’évangile de la prospérité, pour rappeler que la Bonne Nouvelle est d’abord de recevoir l’amour du Père et de le vivre entre frères dans la vérité de nos actes. La recherche d’une prospérité matérielle est idolâtrique lorsqu’elle est une fin en soi. Or, la première prospérité que nous avons à vivre est le service fraternel et la relation de charité, pour être à l’œuvre auprès des pauvretés que nous pouvons rencontrer, qui ne sont d’ailleurs pas seulement matérielles mais relationnelles. « J’aurais beau distribuer toute ma fortune aux affamés, j’aurais beau me faire brûler vif, s’il me manque l’amour, cela ne me sert à rien. »[xxxiv]

Père Greg – Curé St Charles Borromée

Ensemble paroissial – Joinville le Pont

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Sources

  • [i] Gn 2, 15
  • [ii] Ps 127, 2
  • [iii] &22 Amoris Laetitia
  • [iv] &102 CDSE
  • [v] &332 CDSE
  • [vi] & 37 Familiaris consortio et citation du Concile Œcum. Vat. II, const. pastorale sur l’Église dans le monde de ce temps Gaudium et Spes, 35.
  • [vii] &263 Amoris Laetitia
  • [viii] &37 Familiaris Consortio
  • [ix] &37 Familiaris Consortio
  • [x] &266 Amoris Laetitia
  • [xi] &37 Familiaris Consortio
  • [xii] &267 Amoris Laetitia
  • [xiii] Catéchèse (20 mai 2015) : L’Osservatore Romano, éd. en langue française, 21 mai 2015, p. 2.
  • [xiv] Catéchèse (9 septembre 2015) : L’Osservatore Romano, éd. en langue française, 10 septembre 2015, p. 2.
  • [xv] Cf. Concile Œcuménique Vatican II, Const. past. Gaudium et Spes, 61: AAS 58 (1966) 1081-1082; Paul VI, Encycl. Populorum Progressio, 35, 40: AAS 59 (1967) 274- 275, 277; Jean-Paul II, Encycl. Sollicitudo Rei Socialis, 44: AAS 80 (1988) 575-577. Pour la réforme de la société « la tâche prioritaire, qui conditionne la réussite de toutes les autres, est d’ordre éducatif »: Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Instr. Libertatis Conscientia, 99: AAS 79 (1987) 599.
  • [xvi] Cf. Concile Œcuménique Vatican II, Const. past. Gaudium et Spes, 16: AAS 58 (1966) 1037; Catéchisme de l’Église Catholique, 2464-2487.
  • [xvii] &198 CDSE
  • [xviii] &30 Familiaris Consortio
  • [xix] &323 CDSE
  • [xx] Action de prévariquer, de s’écarter de la justice, de manquer à ses obligations.
  • [xxi] &325 CDSE
  • [xxii] &51 Lumen Fidei
  • [xxiii] 1 Tm 6, 10
  • [xxiv] &329 CDSE
  • [xxv] Mc 7,13
  • [xxvi] 2 Co 9,7
  • [xxvii] Commentaire d’un paroissien
  • [xxviii] &258 CDSE
  • [xxix] Conférence épiscopale du Gabon 4 octobre 2020 Mgr Jean Vincent Ondo Eyene
  • [xxx] Conférence du 4 octobre 2020 op cité
  • [xxxi] &27 Evangelii Gaudium
  • [xxxii] &55 Evangelii Gaudium
  • [xxxiii] &581 CDSE
  • [xxxiv] 1 Co 13,3