Carême 2021 : lettre du 4ième dimanche

Télécharger la lettre

« Dieu est riche en miséricorde » Rien ne se comprend dans le dessein de Dieu sans la miséricorde, autre nom de la patience, de l’amour et de la fidélité du Seigneur qui va jusqu’au pardon. Le sens de toute notre histoire est d’abord une histoire d’amour de Dieu avec nous et de liberté de notre part pour répondre à son amour et ainsi vivre l’alliance qu’Il nous propose pour Lui ressembler dans le don sincère de nous-mêmes. « Nous devons constater que le Christ, en révélant l’amour-miséricorde de Dieu, exigeait en même temps des hommes qu’ils se laissent aussi guider dans leur vie par l’amour et la miséricorde. Cette exigence fait partie de l’essence même du message messianique. »[i] La miséricorde de Dieu est liée à la fidélité de l’homme, même si le pardon va au-delà des limites humaines pour signifier cette promesse du Salut. La miséricorde est l’espace de la rencontre de Dieu avec nous, malgré notre misère, et cette gratuité de l’amour en tout temps. Le cœur de Dieu est saisi par la misère du cœur de l’homme et continue de le réconforter par le pardon, c’est-à-dire dans la restauration de la relation. Un attachement de tout son être, parce qu’Il est le Créateur et qu’Il nous a créé pour l’amour dans la vérité de la relation par le don, et non l’orgueil ni le refus du service.

 

1     La miséricorde, une conjugaison de l’amour

            La miséricorde de Dieu est un prolongement de l’amour et non le commencement de sa relation avec l’homme. Dieu est amour et Il se manifeste par les signes qu’Il nous donne de voir. La miséricorde doit alors se comprendre comme la manifestation de son amour par dons inépuisables. La première alliance a créé l’homme par amour, comme image de Dieu appelée à l’espérance de la ressemblance. C’est une grande différence avec l’islam, qui parle de Dieu comme le miséricordieux, et du coup voit l’homme comme fondamentalement mauvais et ayant besoin de pardon. Dans le judéo-christianisme, l’homme a été créé bon et a connu le péché originel. Une autre différence, cette fois ci avec les églises protestantes (Luther – Calvin), rappelle que la nature de l’homme est bonne, mais a une inclination au péché (du fait du péché originel) dans la version catholique, alors que sa nature a été changée par le péché dans la version réformée. Or même le Diable ne peut toucher à l’œuvre originelle de Dieu disons-nous dans la foi de l’Église catholique. Si nous professons tous à peu près la même chose sur Dieu, l’approche a une très forte implication pour l’anthropologie et ses conséquences. Si l’homme est fondamentalement mauvais, la conversion éventuelle par la force est compréhensible. Son salut dépend alors de la clémence de Dieu, et en rien de ses œuvres, même si la prière est l’espace d’une relation avec Celui qui est l’au-delà de tout. Par contre, si la nature de l’homme est bonne, la transformation intérieure s’obtient par le dialogue de l’amour et l’accueil de la grâce de Dieu, déjà reçue dès sa conception, mais peu à peu estompée par le péché. Or, aveuglés par le péché, nous pouvons penser que Dieu ne nous aime plus, ou que nous sommes maudits par Dieu. Les prophètes nous rappellent sans cesse qu’Il est miséricorde, c’est-à-dire fidèle à son amour et offrant le pardon à qui le lui demande. La miséricorde de Dieu est la fidélité de son amour et la promesse du Salut éternel promis à tous ceux qui acceptent sa présence dans leur vie – à la suite d’Abraham le père des croyants et de Marie la nouvelle Eve -, de dire oui et de faire confiance. « Révélée dans le Christ, la vérité au sujet de Dieu « Père des miséricordes » [ii]nous permet de le « voir » particulièrement proche de l’homme, surtout quand il souffre, quand il est menacé dans le fondement même de son existence et de sa dignité. »[iii] Dieu continue d’être proche de nous, même dans l’épreuve. En effet, chacun de nous a du prix à ses yeux, car Il nous aime d’un amour inconditionnel qui se prolonge jusqu’au pardon. Jésus, dans toute sa vie, personnifie cette miséricorde de Dieu pour toute l’humanité et nous appelle à revenir vers Lui, de tout notre être, afin que nous soyons transformés par le don de sa grâce.

2     Le mystère de l’homme et la fidélité du Seigneur dans sa promesse du Salut

La lumière du Christ vient éclairer le mystère de l’homme[iv] et, dans un principe de réalité du quotidien, l’exhorte à entrer dans cet espace éternel de louange avec Dieu. Cela consiste, grâce à la première alliance de la création de l’homme, à lui faire retrouver sa vocation d’image de Dieu à travers toute son histoire, lui rappeler sa promesse de bénédiction et l’aider à l’accepter au quotidien, en faisant confiance à l’œuvre de Dieu. La confiance est un chemin de fidélité à la manifestation du Seigneur dans ma vie et l’acceptation d’une vie de l’Esprit qui nous propulse par pure grâce au cœur de Dieu. « Par le don de l’Esprit, l’homme parvient, dans la foi, à contempler et à goûter le mystère de la volonté divine. »[v] Point de révolte, ni d’instance de jugement pour rendre compte, mais juste cette douce disponibilité à faire l’œuvre de Dieu et à y déployer toute la liberté de son être afin d’être fécond. La vie dans l’Esprit est lieu d’exultation.

 

Dès lors, nous pouvons chanter que Dieu est fidèle, parce qu’Il se révèle à tout instant dans notre vie, pour continuer la relation, malgré nos errances et le poids de nos fautes. Cette fidélité de Dieu, dont nous prenons peu à peu conscience,. Une vocation perçue pour nous fait agir par amour en supportant tout, parce que nous faisons confiance, et en reconnaissant la main de Dieu qui nous conduit. Nous ne sommes pas seuls. « Tout le bien que le peuple de Dieu, au temps de son pèlerinage terrestre, peut procurer à la famille humaine, découle de cette réalité que l’Église est « le sacrement universel du salut »[vi] manifestant et actualisant tout à la fois le mystère de l’amour de Dieu pour l’homme. »[vii] D’où l’importance pour chacun d’entre nous, de faire cette expérience du Dieu vivant, et ensuite de la partager pour réveiller le monde de sa torpeur. Le témoignage de notre foi demande la pratique des œuvres, pour montrer l’amour de Dieu à nos frères. La communauté chrétienne évangélisera, par la pratique de l’amour en vérité dans toutes ses œuvres et la capacité de vivre en communion les uns avec les autres, dans cette prière d’adoration du Christ qui nous régénère. « L’appel à la miséricorde… est une des composantes essentielles de la morale de l’évangile. Il ne s’agit pas seulement ici d’accomplir un commandement ou une exigence de nature éthique, mais de remplir une condition d’importance capitale pour que Dieu puisse se révéler dans sa miséricorde envers l’homme. »[viii] Non seulement dans la prière fervente mais dans nos actes, nous devons manifester cet attachement au Seigneur pour qu’Il puisse pleinement se révéler, au nom même de notre liberté. Dieu n’a pas fait semblant de nous créer libres, mais dans la gratuité de son amour Il a permis à chacun d’être responsable de ses choix. Lorsque nous nous tournons vers lui pour puiser à la source de l’amour, Il se révèle pardon et toujours fidèle à lui-même dans la miséricorde. En conséquence, on pourrait dire que la miséricorde est la promesse de Dieu qui continue de se révéler dans le monde de ce temps et à travers la libéralité de son amour. Il n’a pas à rendre compte de sa miséricorde, Il partage son amour dans l’accomplissement de la promesse et la fidélité à sa Parole de vie. « La miséricorde signifie une puissance particulière de l’amour, qui est plus fort que le péché et l’infidélité du peuple élu. »[ix] Dieu y révèle sa toute-puissance, dans le mystère de son action, quelles que soient les circonstances, mais toujours dans la gratuité de son amour et l’universalité de sa présence pour tous les hommes.

 

            En revanche, Dieu constate, non sans peine, l’infidélité de son peuple, préférant imiter les nations païennes et profaner sa maison. À force de vouloir être dans le monde, nous nous noyons dans une réalité peccamineuse. Une forme de relativisme de la foi pour mieux nous intégrer, aujourd’hui on dirait pour mieux être républicain. Une vision de la foi qui ne fait pas de vague dans la société et reste cachée, comme le sel de la terre afin de ne pas se faire remarquer, avec l’idée sous-jacente de ne pas créer de scandale à propos de notre foi. A contrario, d’autres disent clairement le scandale de la croix et la nécessité de se retirer du monde, au risque de ne plus porter témoignage, c’est-à-dire d’en perdre la fécondité. C’est une vraie tension aujourd’hui. Par ailleurs, une vision légaliste de la foi entraîne un durcissement du cœur. La confusion de la vie de la cité avec les valeurs de la foi aboutit à une errance des valeurs. Il faut comme Moïse savoir, dans la révélation, quitter le pays de l’idolâtrie pour gagner la terre promise du Salut, c’est-à-dire se retirer de certaines propositions de la cité, pour en occuper d’autres. Concrètement, dans une société de loisirs, nous devons rappeler la place primordiale de la prière, dans la valse des plannings et des cycles sportifs, et interpeller sur la régularité de la pratique dominicale. Nous devons refuser d’entrer dans la sphère des musiques sataniques, même si certains disent que c’est de l’art, fuir les jeux de violence, comme lieux de dépendance, ne pas accepter des films induisant un climat malsain ou contraire à la foi, au prétexte de se tenir au courant. La culture de mort est insidieuse, mais n’est pas la civilisation de l’amour et doit être démasquée, dénoncée et boycottée, quand bien même un grand nombre de personnes s’y retrouvent. Notre liberté est justement de s’affranchir de la désespérance qui en découle et de la perte de sens. La Parole de Dieu est une parole de rupture car elle demande toujours la conversion, et non l’accommodement des Écritures à notre vie. La tension entre notre vie de foi et notre vie dans la cité se résout dans le partage d’un bien commun, où nous mettons les valeurs de l’évangile comme principe de relation entre nous, et dans le respect de l’engagement de chacun, dans la vérité de l’amour et la liberté d’expression témoignant de notre union à Dieu. C’est ainsi que nous parlons de civilisation de l’amour. Plus les chrétiens seront présents, plus ils transformeront cette société en un lieu où Dieu est présent et la dignité de l’homme pleinement respectée.

3     Miséricorde dans la vie de la cité

            Cependant, il nous faut reconnaître aussi la difficulté d’être le petit reste dans une société qui a exclu Dieu et la norme morale de la justesse de ses lois. On essaye alors de rappeler l’impératif de l’obéissance aux autorités civiles comme source de Salut. Comme s’il pouvait y avoir une confusion entre le Royaume de Dieu et la vie politique d’un pays ! La foi est d’un autre ordre, et ne pas s’en apercevoir, c’est alors se fourvoyer dans le relativisme et ne plus être fidèle à la Parole du Seigneur. « Rendez à César ce qui est à César » ! Et pourtant le Seigneur a envoyé des prophètes pour rappeler ses commandements, il a donné des signes pour amener à la pénitence et à la transformation de tous nos êtres. Souvenons-nous, ce n’est pas la mort du pécheur que recherche Dieu mais sa conversion, pour avoir plus de personnes sauvées par pure grâce dans l’expression de notre liberté. Nous sommes responsables du choix de nos errances, nous avons toujours une part de responsabilité, ne rejetons pas sur Dieu nos propres manquements car cela nous empêche d’écouter la Parole et de nous laisser saisir par elle, et ainsi de porter du fruit. Toutefois la vie de la cité n’est pas éloignée de notre aventure spirituelle. La déportation à Babylone est une épreuve salutaire, malgré les apparences épouvantables, car elle permettra de revenir au Temple dans la joie et de refonder notre vie dans l’alliance avec Dieu.

 

Ce qui est vrai pour le peuple d’Israël l’est pour nous aujourd’hui. L’épreuve peut être le lieu de nos retrouvailles parce que nous prenons conscience que Dieu est toujours à nos côtés, mais que c’est nous qui nous sommes égarés. Un éveil de la conscience, pour reconnaître la lumière de la vérité dans notre vie à travers la présence du Seigneur. « « La miséricorde apparaît en corrélation avec l’expérience intérieure de chacun de ceux qui se trouvent en état de péché, qui sont en proie à la souffrance ou au malheur. Le mal physique aussi bien que le mal moral ou péché sont cause que les fils et les filles d’Israël s’adressent au Seigneur en faisant appel à sa miséricorde »[x] Notre montée vers Jérusalem est ce développement de notre vie de prière, pour gagner en intériorité. C’est tout le chemin que nous vivons de manière très spécifique durant le carême, mais que nous continuons dans le temps de la résurrection par l’annonce explicite de notre foi et la joie d’être sauvés. Toute cette progression de conversion se vit dans la pénitence, la transformation de notre vie et le témoignage de ce qui nous fait vivre, par cette relation particulière avec le Sauveur dans un dialogue retrouvé. “Oui Dieu est fidèle, car Il s’est fait proche de moi, et je peux vous en parler”,. tel est le témoignage du croyant, parlant à ses frères de l’Invisible qui s’est fait reconnaître à la fraction du pain. Une compassion de Dieu qui s’exerce jusqu’à nous alimenter de sa vie afin de pouvoir faire jaillir la grâce par un acte positif de notre part, en nous approchant d’un cœur purifié de la table du Seigneur. En outre, la conscience de Dieu dans notre vie et de sa présence à nos côtés nous fait opérer des choix individuels, qui portent d’autres valeurs et interpellent le monde dans sa hiérarchie des priorités. Au lieu du profit, le repos du sabbat rappelle la vocation de l’homme à louer son créateur. A la place de la violence, la paix est le lieu de construction de la civilisation de l’amour et d’une véritable croissance. La miséricorde est donc le principe de réalité de l’amour humain avec ses limites et son histoire, mais qui interpelle sur ce qui est premier, la dignité de l’homme et ce qu’il est, plutôt que son histoire et ce qu’il a fait. Le pardon est de cet ordre-là, un rétablissement des priorités rappelant à chacun qu’il est une merveille de Dieu et, en même temps, le libérant du joug de la revanche ou de l’écrasante culpabilité. Le regard de bienveillance n’est pas de la naïveté, bien au contraire, c’est un regard qui voit la réalité première de Dieu à l’œuvre dans l’histoire des hommes.

4     La disponibilité comme lieu de la gratuité de l’amour

Parfois, nous tâtons nos propres limites et nos indisponibilités à la grâce. Ce n’est pas vraiment un refus mais une remise à plus tard, comprenant le temps comme un gaspillage d’instant. Or, avec le Christ, nous sommes réunifiés dans l’amour pour vivre ce service en toute occasion et annoncer à tous le Salut de Dieu. « Nouvel Adam, le Christ, dans la révélation même du mystère du Père et de son amour, manifeste pleinement l’homme à lui-même et lui découvre la sublimité de sa vocation. »[xi] Oui, la compassion est lieu du Salut exercé de manière gratuite parce qu’Il est notre Père. Malgré les méandres de nos péchés, Il vient nous donner son Fils pour nous sortir de là et réentendre notre vocation à la communion. À la question de Dieu à l’homme “où es-tu ?”, l’incarnation du Christ nous permet de répondre “je suis là, je viens faire tes volontés”. « Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle. » Venir adorer le Christ c’est entrer dans le mystère trinitaire, afin de vivifier notre existence par la présence d’un seul et même Dieu en trois personnes, d’un amour qui engendre la vie, vient nous sauver des ténèbres du péché et est l’expression même du don en surabondance.

 

Lorsque nous prenons conscience de l’amour de Dieu, premier dans notre vie, alors la compassion de Dieu se déverse dans notre histoire pour nous révéler la grande espérance du Salut que nous devons déjà vivre dans la civilisation de l’amour. « Les chrétiens, en marche vers la cité céleste, doivent rechercher et goûter les choses d’en haut[xii], mais cela pourtant, loin de la diminuer, accroît plutôt la gravité de l’obligation qui est la leur de travailler avec tous les hommes à la construction d’un monde plus humain. Et, de fait, le mystère de la foi chrétienne … leur permet de s’adonner avec plus d’élan à cette tâche et surtout de découvrir l’entière signification des activités capables de donner à la culture sa place éminente dans la vocation intégrale de l’homme. »[xiii]  La civilisation de l’amour est cette marche vers la cité céleste que nous réalisons déjà ici-bas, qui est le prolongement de l’expérience de la compassion de Dieu pour nous, que nous partageons avec nos frères. La miséricorde du Seigneur vient nous saisir dans l’humilité de notre condition humaine, pour nous élever dans notre liberté humaine afin de participer à l’œuvre du Salut. À la lumière de la foi, nous comprenons que l’amour demande la fidélité pour être vécu dans le temps comme lieu de communion. C’est une promesse de la vie éternelle, à travers le jugement de l’amour et dans la vérité de nos actes. C’est ce qu’il nous faut redécouvrir chaque jour dans cette marche de l’écologie intégrale ou nous ré-harmonisons notre nature avec notre vocation originelle. Nous ajustons nos pas à la Parole de Dieu, lumière de notre route, chemin de croissance et d’unification. Tout notre être est invité à cette communion avec Dieu en se restructurant par la miséricorde.

 

Dès maintenant nous sommes appelés au bonheur, même si nous en connaîtrons la plénitude au Ciel, et nous devons vivre notre foi dans l’exercice de nos responsabilités. « Celui qui fait le mal déteste la lumière, :….de peur que ses œuvres ne soient dénoncées ; mais celui qui fait la vérité vient à la lumière, pour qu’il soit manifeste que ses œuvres ont été accomplies en union avec Dieu. » La compassion de Dieu se vit dans la fidélité à son amour, et nous devons aussi l’exercer sur nos frères avec la vertu d’espérance prolongée par la vertu de patience. La richesse de l’amour vient de cette surabondance du pardon pour rétablir la fidélité dans la relation. Une compassion de tout notre être, jusqu’aux entrailles, parce que cela nous touche personnellement et intérieurement, et produit une inventivité dans la relation avec l’autre. La miséricorde permet à l’autre de s’ouvrir à tous les possibles. Nous l’expérimentons pour nous-mêmes par pure grâce, avec Dieu, et nous devons  en témoigner auprès de nos frères, dans cette exigence de la grande espérance du Salut. Nous ne sommes plus sur une terre étrangère, à suspendre nos harpes pour pleurer sur la relation familière perdue du jardin d’Eden, mais nous entendons la voix du bien-aimé qui nous appelle à revenir dans le jardin car la vigne en fleur exhale le parfum du bonheur. La conversion du cœur nous fait passer de l’hiver de l’absence au printemps de la renaissance. « Il nous a créés dans le Christ Jésus, en vue de la réalisation d’œuvres bonnes » et nous retrouvons le chemin de notre vocation dans le service du Père, qui s’authentifie auprès du frère et nous fait entrer dans la joie du don sincère de nous-mêmes.

5     La richesse du pardon comme lieu de communion

La richesse de la miséricorde va jusqu’au pardon, cette lueur d’espoir qui rétablit la relation pour avancer ensemble sur le chemin du Salut. Lors de la déportation à Babylone est redonnée la relation, pardonnant les sabbats profanés, pour rétablir le don de la grâce de Dieu, c’est-à-dire de sa présence qui se manifeste au milieu de son peuple. « La miséricorde se situe, en un certain sens, à l’opposé de la justice divine, et elle se révèle en bien des cas non seulement plus puissante, mais encore plus fondamentale qu’elle. »[xiv] C’est l’essence même du pardon qui dépasse les apparences pour aller en profondeur, dans la restauration d’une relation blessée et la gratuité de l’amour offert. En effet, le pardon est une gratuité de l’amour qui est une démarche intérieure que rien ne justifie, mais qui révèle l’amour de Dieu, premier dans la vie des hommes, dont nous témoignons auprès de nos frères. « Il apparaît clairement que l’amour se transforme en miséricorde lorsqu’il faut dépasser la norme précise de la justice, précise et souvent trop stricte. »[xv] La fidélité à l’amour de Dieu nous demande de vivre le pardon comme un prolongement de cet amour autant de fois que nécessaire, car nous avons reçu l’amour de Dieu incomparablement plus grand et plus fécond. Nous sommes invités, à notre échelle, à donner ce pardon à nos frères, certes limité mais qui doit garder ce goût d’infini, même si c’est soixante-dix fois sept fois. « Nos préjugés au sujet de la miséricorde sont le plus souvent le résultat d’une évaluation purement extérieure. Il nous arrive parfois, en considérant les choses ainsi, de percevoir surtout dans la miséricorde un rapport d’inégalité entre celui qui l’offre et celui qui la reçoit. Et par conséquent, nous sommes prêts à en déduire que la miséricorde offense celui qui en est l’objet, qu’elle offense la dignité de l’homme. »[xvi] Or l’appel à vivre la miséricorde dans la fidélité à la Parole demande d’avoir le souci du frère dans la relation, c’est-à-dire dans l’être, et de nous recentrer sur la dignité de chaque être humain, non pas dans l’avoir et l’historicité de la situation avec une vision comptable.

 

Le pardon ouvre à la réalité d’une conversion sincère parce que nous avons révélé à notre frère la beauté de l’amour de Dieu. « La signification véritable et propre de la miséricorde ne consiste pas seulement dans le regard, fût-il le plus pénétrant et le plus chargé de compassion, tourné vers le mal moral, corporel ou matériel : la miséricorde se manifeste dans son aspect propre et véritable quand elle revalorise, quand elle promeut, et quand elle tire le bien de toutes les formes de mal qui existent dans le monde et dans l’homme. »[xvii] Non seulement le pardon relève, mais il libère et invite à la fidélité de l’amour dans la transformation intérieure, comme une nouvelle lumière qui éclaire notre chemin d’humanité vers le Père prodigue.

 

Le Fils unique n’est pas là pour juger le monde, mais pour le sauver, c’est là l’œuvre de Dieu qui nous rappelle qu’au-delà du jugement, il y a le Salut promis à chacun et proposé comme voie de liberté. Oui, nous pouvons comprendre le pardon comme une liberté de l’amour et une belle ouverture de l’action de Dieu dans notre vie et celle de notre frère. Si le pardon est une grâce pour celui qui le reçoit, elle est aussi une grâce pour celui qui le donne, car derrière le détachement de l’histoire pour vivre la relation, il s’ajuste un peu plus à la volonté de Dieu et se rapproche ainsi du Royaume des cieux. Sans pardon, la vie est vaine, et nous enfonce dans la désespérance et la fatuité du sens et peut entraîner une fatigue de vivre.

 

Avec le pardon, tout est possible car l’amour est premier. Hélas nous préférons parfois construire notre propre malheur plutôt que de changer notre cœur. « La lumière est venue dans le monde, et les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière. » En témoins du Christ et dans la grâce du baptême, nous devons rayonner en fils de lumière, afin de rappeler l’amour de Dieu pour chacun d’entre nous et sa miséricorde lorsque nous sommes confrontés à nos limites humaines. Or, la croix nous révèle la folie de la miséricorde qui accepte le sacrifice, c’est-à-dire le don suprême, pour rayonner de la joie de la résurrection. Le salut pour tous les hommes, au-delà du pardon, est une promesse de communion avec Dieu pour la vie éternelle. « La dimension divine de la rédemption ne se réalise pas seulement dans le fait de faire justice du péché, mais dans celui de rendre à l’amour la force créatrice grâce à laquelle l’homme a de nouveau accès à la plénitude de vie et de sainteté qui vient de Dieu. De la sorte, la rédemption porte en soi la révélation de la miséricorde en sa plénitude. »[xviii] Au-delà de la souffrance de la croix et, pour chacun de nous de la souffrance de la relation, le pardon est lieu de communion et de rétablissement de l’amour comme élément premier d’échange entre nous, loin de tout attachement à l’avoir mais dans la disposition de tout notre être.

Synthèse

La richesse de la miséricorde de Dieu pour chacun d’entre nous est un appel à la vivre avec notre prochain, comme une expérience de libération. « La volonté du Père est qu’en tout homme nous reconnaissions le Christ notre frère et que nous nous aimions chacun pour de bon, en action et en parole, rendant ainsi témoignage à la vérité. »[xix] La relation à Dieu et à nos frères a été abimée à cause du péché originel, mais nous sommes invités pourtant à retrouver l’amour fidèle du Seigneur et à le partager avec tous dans la grande espérance du Salut grâce à une vie de l’Esprit. La lumière venue dans le monde resplendira dans notre vie pour recevoir le jugement et ainsi connaître la réalisation de la promesse du règne de Dieu.

 

La miséricorde est une école de patience dans l’amour et à travers le pardon. Un apprentissage, de la compassion au-delà des limites du temps et de la justice, pour rappeler le principe de fraternité et le souci de la personne humaine, première avant même son histoire. C’est pourquoi le pardon est une école de patience, dans une vision d’espérance, car tout ne se finit pas dans l’acte de la personne, mais au contraire, on garde cette espérance de révéler la dignité de l’homme à travers le pardon. Un acte d’espérance fondé dans la foi parce que Dieu nous a aimés le premier. « Souvent placés les uns par rapport aux autres dans une position d’offenseur ou d’offensé, [les hommes] ont tous à découvrir leur besoin commun d’être justifiés par Dieu. »[xx] La fidélité au Seigneur nous demande de répandre cet amour autour de nous en écho à sa Parole. C’est Dieu et Lui seul qui nous rend justice, et c’est vers Lui que nous devons nous tourner en toute circonstance pour vivre la paix de l’âme et nous réajuster entièrement à sa volonté dans un rapport authentique à l’autre et à son histoire. « L’action de l’Esprit de Dieu dans l’intériorité humaine entraîne un renouvellement de la vie intérieure de la personne ; c’est l’Esprit Saint en personne qui agit selon sa fécondité et sa liberté. Il introduit à l’amour des autres et à son œuvre de guérison des dynamismes de l’intériorité ainsi que des blessures des offenses, commises ou subies. »[xxi] C’est ainsi que vivre le pardon dans la relation au frère ou à nous-mêmes est une voie de libération pour accéder à la promesse du salut, car configurés au Christ, nous en sommes pleinement les disciples dans cette vertu d’espérance qui déploie l’amour comme lieu de réalisation de la relation, en fidélité à l’alliance de Dieu.

 

Retenons aussi que la miséricorde se vit dans la vie de fidélité du croyant à la Parole de Dieu et à l’exercice de cet amour qui se révèle toujours de manière féconde dans la vie du croyant, Marie a ainsi expérimenté cette miséricorde du Seigneur dans la fidélité de sa Parole tout au long de sa vie, et la prolixité des signes octroyées pour manifester la gloire de Dieu. Marie a été témoin de cette fécondité de la Parole de manière très concrète, et aussi tout au long de sa vie, par la confiance qui l’a habitée répondant avec fidélité à la présence de Dieu. « A cet amour « miséricordieux », qui se manifeste surtout au contact du mal physique et moral, le cœur de celle qui fut la mère du Crucifié et du Ressuscité participait d’une manière unique et exceptionnelle. Marie y participait. Et cet amour ne cesse pas, en elle et grâce à elle, de se révéler dans l’histoire de l’Église et de l’humanité. »[xxii] Que toute notre vie, soit orientée vers cette promesse du Salut, afin de vouloir cet amour pour chacun et accepter de le vivre jusqu’à l’offrande de nous-mêmes, dans la richesse de la miséricorde. Cheminons dans la foi dans le oui de Marie, elle qui fut la première des disciples et nous montre la voie en nous invitant à la disponibilité à la Parole de Dieu. « Il a voulu ainsi montrer, au long des âges futurs, la richesse surabondante de sa grâce, par sa bonté pour nous dans le Christ Jésus. »

 

 

14 mars 2021 – Père Greg – Curé

Saint Charles Borromée – Joinville-le-Pont

 

 

[i] &3 Dives in Misericordia

[ii] 2Co 1,3

[iii] &2 Dives in Misericordia

[iv] &10/2 Gaudium et Spes

[v] &15/4 Gaudium et Spes

[vi] &48. Lumen Gentium

[vii] &45/1 Gaudium et Spes

[viii] &3 Dives in Misericordia

[ix] &4 Dives in Misericordia

[x] &4 Dives in Miseridordia

[xi] &22/1 Gaudium et Spes

[xii] Cf. Col 3, 1-2.

[xiii] &57/1 Gaudium et Spes

[xiv] &5 Dives in Misercordia

[xv] &5 Dives in Misericordia

[xvi] &6 Dives in Misericordia

[xvii] &6 Dives in Misericordia

[xviii] &7 Dives in Misericordia

[xix] &93/1 Gaudium et Spes

[xx] P 215 Le pardon transfiguré – Jean Laffitte

[xxi] P 321 Le pardon transfiguré – op cité

[xxii] &10 Dives in Misericordia