Dimanche du Christ-Roi. Homélie du père Grégoire

Cefalu. Sicile

Christ Roi et civilisation de l’amour

Ste Anne et St Joachim de Polangis – St Charles Borromée. Diocèse de Créteil Doyenné de St Maur – Joinville – Joinville le Pont

« C’est dans le Christ que tous recevront la vie »

Le Seigneur est mon berger, qu’est-ce que cela peut donc signifier dans une société qui semble avoir oublié Dieu dans l’absurdité d’un confinement qui en devient ubuesque par les injonctions paradoxales. Quel sens à tout cela ? Vers qui je me tourne ? La révélation de Dieu dans ma vie se dévoile dans le temps et dans mon histoire, Le Seigneur est à mes côtés et j’en prends conscience, parfois de manière confuse, mais de plus en plus affirmée lorsque j’avance dans la foi. Cela se lit dans les échanges que je peux avoir avec des paroissiens occasionnels. En effet, il m’est arrivé souvent, en interrogeant les candidats au mariage, de bien discerner cet attachement qu’ils ont parfois du mal à définir, mais qui reste comme un secret de Dieu dans leur cœur. L’autorité de Dieu dans leur vie est d’abord un souffle qu’ils entendent, mais auquel ils ne savent pas donner de nom, ou qu’ils ne savent pas bien comprendre, alors qu’ils en ont l’expérience intimement profonde.

Devant l’avalanche de notre vie, parfois nous pourrions sombrer dans un doute désespérant, comme le cri dans la Bible que l’on retrouve souvent chez le psalmiste. Dans notre histoire, Dieu ne nous aurait-il pas oubliés ? C’est là qu’il nous faut méditer sur la première lecture d’Ezéchiel afin de comprendre l’Evangile comme un appel à une civilisation de l’amour où le frère et l’attention au plus petit sont premiers pour le Royaume.

  1. Le roi comme berger pour son peuple

L’autorité est d’abord un service, elle demande de vivre la relation dans la confiance, mais aussi la responsabilité. « Maintenant, j’irai moi-même à la recherche de mes brebis et je veillerai sur elles. » Contemplons cette mansuétude1 du Seigneur. Il ne s’agit pas d’envoyer sa parole à travers des patriarches, des rois, des prophètes, ni même de faire des signes. Non le Seigneur vient lui-même « Qu’il empêche ton pied de glisser, qu’il ne dorme pas ton gardien. Non, il ne dort pas, ne sommeille pas, le gardien d’Israël. Le Seigneur, ton gardien, le Seigneur ton ombrage, se tient près de toi. » Il est fini le temps de notre solitude, déclenchée par le péché d’Adam, et du vagabondage dû à l’oubli de la rencontre privilégiée avec le Créateur, car une fois chassés du jardin d’Eden, nous entrons dans ce désir insatiable d’être en communion avec Dieu qui nous est extérieur, comme un manque effroyable de l’amour que l’on recherche sans fin. Viennent les pleurs et les grincements de dents, car il nous manque notre roi, celui qui règne sur notre vie, en effet nous prenons conscience que notre volonté d’indépendance a révélé pleinement notre vulnérabilité. Le Seigneur revient, et pas seulement pour nous accompagner mais pour veiller sur nous, pour venir dans notre intérieur rebâtir sa demeure… Il s’agit bien plus que d’un simple protecteur, d’une relation de proximité, d’un relationnel rompu qui se restaure. « Comme le berger veille sur les brebis de son troupeau quand elles sont dispersées, ainsi je veillerai sur mes brebis et j’irai les délivrer »i. Une présence de Dieu qui sauve de toute situation de désespérance parce que l’amour redonne vie.

C’est pourquoi nous devons développer cette vertu de l’espérance, indissociable de la foi et de la charité, elle porte la foi et éclaire la charité. « La foi, l’espérance, la charité selon l’Evangile ne sont jamais neutres, mais totalement incarnées dans la réalité terrestre. Peu importe l’exacte définition de l’espérance, si nous avons compris comment en vivre et à quoi elle nous engage. »ii C’est bien cette espérance qui porte le Berger vers ses brebis pour veiller jour et nuit sur le troupeau et les délivrer de toutes les situations angoissantes. C’est le roi qui a autorité sur elle, et le serviteur qui est à son service, complètement et radicalement. La royauté du Christ est le service de la charité par excellence, car Il vient par son autorité nous libérer de tous les maux afin de nous recouvrir de la joie du royaume. L’autorité est alors un service pour une meilleure fraternité et demande le don sincère de soi pour porter du fruit. « Nous devons préciser, d’une part, que la logique du don n’exclut pas la justice et qu’elle ne se juxtapose pas à elle dans un second temps et de l’extérieur et, d’autre part, que si le développement économique, social et politique veut être authentiquement humain, il doit prendre en considération le principe de gratuité comme expression de fraternité. »iii Ce service est éminent, doit être pris en considération par tous, et demande de prier pour ceux qui exerce une autorité, tout en sachant que c’est de l’Esprit que nous recevons tout don, que c’est dans le Christ que nous comprenons la fraternité comme relation d’avenir, et que par le Père nous accueillons la création en responsabilité, chacun selon nos talents. La prophétie d’Ezéchiel est là pour nous rappeler que Dieu s’engage, et que nous avons raison de vivre notre foi et notre charité dans le feu de l’espérance. Remettre notre vie au roi, demande alors de garder solide notre espérance car Il est là pour nous protéger, même dans cette pandémie qui semble vouloir tout subordonner à la dimension sanitaire, dans une vérité devenue folle.

La confiance en Dieu est indissociable de la foi et de la volonté d’aimer, dans la gratuité de la relation. L’espérance et la fidélité à la Parole de Dieu sont exigeantes, mais révèlent aussi la force de l’amour et de son rayonnement dans notre histoire par les choix de vie. « Tous ceux qui espèrent fermement en Dieu sont élevés vers Lui et illuminés par la clarté de la lumière éternelle. Si l’homme délaisse ses propres affaires pour l’amour de Dieu et pour faire le bien sachant que Dieu ne l’abandonnera pas, son espérance est sage et vraie. Mais si l’homme s’occupe de lui-même de ses affaires et se tourne vers Dieu seulement quand il lui arrive malheur et qu’il voit qu’il ne peut s’en sortir par ses propres moyens – un tel espoir est factice et vain. La véritable espérance cherche, avant tout, le Royaume de Dieu, persuadée que tout ce qui est nécessaire à la vie d’ici-bas sera accordé par surcroît. Le cœur ne peut être en paix avant d’avoir acquis cette espérance »iv. Être attentif aux frères est source du Salut. Refuser le talent du frère conduit à nous enfermer dans l’extériorité, qui nous déresponsabilise et nous rend étrangers à la vie. Le clivage et le refus de la responsabilité sont un enfer pour soi et pour les autres. Vouloir recentrer nos vies sur des principes de précaution en oubliant la relation est inéluctablement stérile. Demander le confinement en attendant que la tempête passe, sans être vigilant aux désastres et aux réactions à vivre, est de la bêtise crasse. La vie dans la cité engage les chrétiens à répondre de leur foi par leur spécificité propre et à être lumière du monde, et pas seulement sel de la terre dans la citoyenneté. « Vivre et agir en politique conformément à sa conscience ne revient pas à se plier à des positions étrangères à l’engagement politique ou à une forme de confessionnalisme; mais c’est l’expression par laquelle les chrétiens apportent une contribution cohérente pour que, à travers la politique, s’instaure un ordre social plus juste et conforme à la dignité de la personne humaine. »v La question de la dignité humaine doit être au cœur de toute décision politique, et l’évaluation du bien des personnes et de leur condition de vie, au centre de toute action. Nul ne peut vouloir le bien sans respecter la liberté du frère et sa dignité propre. Le discernement doit sans cesse nous inviter à réfléchir sur ce que nous avons à vivre et à être attentifs au souffle de l’Esprit Saint, afin d’être disponibles aux appels du monde de ce temps. Et tout est lié dans notre construction de la civilisation de l’amour. La conception de l’homme, en début et en fin de vie, et l’utilité de la vie ou du sens du pourquoi d’être ensemble ne demandent pas seulement une réflexion sur le pacte social mais d’abord, pour nous croyants, un fondement sur la contemplation du Christ et une véritable méditation des Ecritures. Si Dieu n’est pas premier, tout le reste est vain. C’est vrai pour tous les aspects de notre vie. Ne rendons pas Dieu étranger à nos décisions, ne nous laissons pas dicter par la peur et le repli sur soi, qu’il soit collectif ou individuel.

  1. Les écueils de la vie spirituelle

Les deux écueils de notre vie spirituelle que nous pouvons discerner, c’est d’abord de vivre dans le brouillard et de s’éloigner de la lumière de la foi, pour vivre dans une forme d’opacité spirituelle qui amène à l’obscurité.

Le brouillard, c’est la tiédeur de nos actions, un endormissement de nos mœurs au rythme de la vie. C’est les Juifs qui, au temps des Grecs avaient trouvé la parade pour enlever leur circoncision et se mettre aux mœurs des jours, sans forcément devenir idolâtres, mais dans la relativité de la foi. Soyons comme nos occupants, ne nous détachons pas d’eux sous peine d’être marginalisés. C’est nous aujourd’hui qui n’osons plus porter une croix, qui ne parlons plus de notre foi, reléguant cela au plus intime de nous-mêmes, derrière la sexualité et la discussion introspective des sentiments. Nous encore qui ne considérons plus le repos dominical qu’en simple formalité, laissant l’expression triomphante de la foi à d’autres religions. Le brouillard de notre foi est un vrai Canada Dry, ça a l’odeur du chrétien, ça a le goût du chrétien, ça a la saveur du chrétien… Mais, surtout, ce n’est pas chrétien, c’est juste solidaire, c’est juste humanitaire. Pas besoin d’afficher d’autres valeurs. Retrouver le goût de Dieu demande alors de Le choisir clairement et explicitement. L’amour a une voix qui crie parfois dans le désert, mais jamais en vain. L’exercice de la charité demande toujours la vérité de l’annonce. Ce n’est pas nous, mais le Christ, qui agit en nous et nous aide à percevoir l’autre comme un frère à aimer. La noblesse de l’amour est justement la gratuité du don, car il s’offre sans retour, ni poste restante. L’amour est. En fils de Roi, nous savons que nous sommes sauvés par Lui et qu’Il nous a montré la voie de l’amour par excellence sur la croix, nous laissant entrevoir la civilisation de l’amour éternel promis à tous par la résurrection.

L’obscurité, c’est le mal. Les fruits de l’adversaire, c’est la division, la possession des biens ou des personnes. Viennent les noirceurs du mensonge, de la duperie, de la relation à l’autre comme objet et non comme personne. Alors les fléaux de la méchanceté, de la violence, de l’orgueil, de la critique, voire le jugement parfois définitif s’abattent sur notre capacité à entrer en relation avec Dieu et nos frères, et nous poussent à l’arrogance devant Dieu et l’ignorance du frère, faisant le jeu du Satan2. Il nous faut écouter la voix du pasteur, et résister. Mais nous ne sommes pas seuls, « Le Seigneur te gardera de tout mal, il gardera ta vie. Le Seigneur te gardera au départ et au retour, maintenant et à jamais. »vi. C’est Dieu qui nous accompagne tout au long de notre vie, mais bien plus qu’un gardien, il est notre Berger : « Si je traverse les ravins de la mort je ne crains aucun mal, car tu es avec moi ton bâton me guide et me rassure. » Je ne crains aucun mal, car le nom de Dieu a été posé sur moi par le baptême et la confirmation, et qu’Il est là quoi qu’il arrive. Présence intime dans notre nuit, qui devient cette lumière ineffable dans la foi, l’amour et l’espérance.

« La brebis perdue, je la chercherai, l’égarée, je la ramènerai. Celle qui est blessée, je la soignerai. Celle qui est faible, je lui rendrai des forces… je la ferai paître avec justice ». Il ne s’agit pas d’un Dieu qui ne se penche que sur les catholiques qui pratiquent le dimanche. La brebis perdue je la chercherai. Comme un berger, Dieu a la sollicitude de tout homme, de toute femme, de tout enfant, quel que soit la condition physique, psychique ou culturelle. Quels que soient l’âge, les connaissances, le rang. Le Seigneur nous l’a dit par la bouche d’Isaïe : « Tu as du prix à mes yeux, tu as de la valeur, et je t’aime »vii  d’un amour inconditionnel, quel que soit notre passé. Dieu aime chacun d’entre nous d’un amour empli de miséricorde, car il voit notre misère, la misère de notre cœur, et Il est là pour panser nos plaies et nous faire repartir avec force, notamment par le sacrement de réconciliation. Cette réconciliation qui n’est pas jugement mais justice, c’est-à-dire ce qui est juste, dans l’amour, c’est-à-dire dans la vérité. C’est bien au nom de cette justice que le Berger va juger entre brebis, béliers et boucs. Dans la fête du Christ Roi nous sommes amenés à percevoir cette mansuétude inconditionnelle de Dieu pour nous. Une mansuétude pour nous ouvrir à l’espérance qu’il nous faut développer pour avoir la paix du cœur, fruit de l’Esprit Saint. Cette paix du cœur devra nous éloigner des deux écueils de la vie spirituel que sont la tiédeur, sans saveur, sans odeur, et le mal de l’adversaire qu’il nous faut combattre avec fermeté. Alors nous pourrons, comme le fils prodigue, rejoindre les bras de notre Père. Oui entre les mains de notre Père, notre place est marquée, encore faut-il la prendre…

  1. Revenir au Seigneur, dans les choix de notre société

La relation au Seigneur est déjà présence dans notre vie, malgré la dispersion que nous pourrions vivre. Le Seigneur est là pour nous rassembler dans son amour. A nous de lui faire confiance. « La foi accueille cette Parole comme un roc sûr, des fondations solides sur lesquelles on peut édifier. »viii Dieu ne nous abandonne pas, malgré nos péchés et nos difficultés à Le suivre, au contraire, Il est là, près de moi, m’appelle par mon nom et dans une patience d’éternité, vient me retrouver et se révéler à moi, jusqu’à une réponse de ma part. « Seigneur, toi, tu sais tout : tu sais bien que je t’aime. »

« La brebis perdue, je la chercherai ». Brebis perdue dans l’esprit de ce monde et que le Seigneur vient toucher par sa présence agissante. Comme une révélation de son amour qui demande alors pour chacun de nous une conversion. « La foi en Dieu éclaire les racines les plus profondes de [notre] être, [nous] permet de reconnaître la source de bonté qui est à l’origine de toutes choses, et de confirmer que [notre] vie ne procède pas du néant ou du hasard, mais d’un appel et d’un amour personnels »ix La royauté du Christ dans notre vie vient de ce premier appel du Berger que je vais suivre en conformant d’une manière renouvelée ma vie aux Ecritures. Le roi est alors compris comme un ami qui vient à ma rencontre et me transforme pour que je puisse lui être fidèle. « Dans la mesure où la foi est liée à la conversion, elle est l’opposé de l’idolâtrie ; elle est une rupture avec les idoles pour revenir au Dieu vivant, au moyen d’une rencontre personnelle. »x La royauté de Dieu nous pousse à le reconnaître comme Celui qui donne sens non seulement à notre vie mais bien plus, à tout notre être, car Il est à la source de notre vocation.

Revenir au Seigneur dans l’espérance du Salut demande alors de nous laisser enseigner par sa Parole de Vie. Tout dans nos actes doit être lu à travers cette culture de la vie en Dieu, qui ouvre à la dignité de l’homme et à toujours privilégier la vie dans ses choix politiques, économiques et éthiques.

La politique

Privilégier la vie dans les choix politiques nous demande d’être attentifs à la place de la veuve et de l’orphelin et d’aider les familles à se développer, dans l’harmonie d’un bien social qui a le souci de l’autre. L’étranger devient alors mon frère à aider. « J’étais un étranger et vous m’avez accueilli… j’étais en prison et vous êtes venus jusqu’à moi ». Il ne s’agit pas de remettre en cause des dispositifs légaux, dans la responsabilité de chacun et la justice inhérente à nos choix, mais bien de développer l’amour en n’enfermant personne dans sa situation, mais en lui offrant un regard fraternel qui réchauffe, qui redresse et qui humanise. Le bien commun est alors une conjugaison de responsabilités dans l’amour décliné sous le mode de la vérité. « La foi se transmet, pour ainsi dire, par contact, de personne à personne, comme une flamme s’allume à une autre flamme. Les chrétiens, dans leur pauvreté, sèment une graine si féconde qu’elle devient un grand arbre et est capable de remplir le monde de fruits. »xi Un choix d’ouverture, sans naïveté ni complaisance, dans la vérité des personnes et le dynamisme de l’amour offert par surcroît.

L’économie

Privilégier la vie dans les choix économiques demande alors de faire une place à ceux que l’on voudrait reléguer à la dernière place. Le Christ, qui a occupé la dernière place, nous révèle ainsi que la dignité de l’homme demeure toujours dans sa création à l’image de Dieu. Le principe de solidarité est alors un appel à la sainteté de la communion : « j’avais faim, et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ». Nous ne pouvons pas nous satisfaire du minimum syndical de la foi dans l’ignorance de ce qui se passe chez nos frères. Avoir le souci de la communauté demande alors de partager en vérité. Ce partage se vit déjà dans l’évangélisation de notre temps. En prenant souci de l’autre et en passant du temps avec lui, je m’aperçois des béances et, même si je ne peux répondre à tout, je peux en tout cas faire ma part en partageant avec lui ce que je peux. L’annonce de l’Evangile, comme notre témoignage, se fera déjà dans cette attention à l’autre. Lors du double génocide du Rwanda, les marques d’humanité ont émaillé les ravages de l’abomination et de la désolation. A chaque fois que nous reconnaissons en l’autre notre frère, l’idéologie s’évanouit pour laisser place à notre dignité de Fils de Dieu.

Les choix éthiques

Privilégier la vie dans les choix éthiques, notamment avec l’accompagnement, du début à la fin de la vie, et le développement de l’homme dans l’altérité, comme une chance de rencontre. Les choix qui touchent à la vie de la société sont une véritable abomination aux yeux de Dieu. Que des chrétiens puissent avec condescendance comprendre certaines situations au nom d’un pluralisme, qui se veut ouvert et qui nourrit la tyrannie de la perversité, entraîne à des propos indignes, que ce soit sur la PMA ou la GPA, comme sur l’euthanasie ou la vente d’organe. « Le merveilleux projet de Dieu a malheureusement été contrarié par l’irruption du péché dans l’histoire. Par le péché, l’homme se rebelle contre son Créateur, pour finir par idolâtrer les créatures. »xii Il nous faut alors témoigner de la radicalité de notre foi pour un projet de vie qui respecte notre frère et nous-mêmes dans cette crainte de Dieu, source de toute vie. Notre royauté de fils de Dieu demande d’exercer avec autorité les responsabilités, pour dénoncer ce qui va à l’encontre du projet du Créateur. Une écologie responsable demande d’avoir une vision intégrale du monde, c’est-à-dire dans tous ses aspects, afin d’y discerner ce que nous avons à vivre pleinement.

  1. L’espérance du nouveau monde – une civilisation de l’amour

« Alors le Roi : ‘Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume préparé pour vous depuis la fondation du monde… » Dès la création Dieu nous appelle à la communion avec Lui dans la civilisation de l’amour. Et nous sommes tous invités, à nous de nous rendre disponibles à cet appel. Un humanisme intégralxiii, c’est-à-dire ouvert à Dieu et au monde, cherchant à ajuster son appel et nos choix de vie. La civilisation de l’amourxiv s’oppose au légitimisme sans discernement, au matérialisme tourné vers lui-même et au conformisme comme absence de raison. « Il n’est donc d’humanisme vrai qu’ouvert à l’Absolu, dans la reconnaissance d’une vocation, qui donne l’idée vraie de la vie humaine. Loin d’être la norme dernière des valeurs, l’homme ne se réalise lui-même qu’en se dépassant »xv, c’est-à-dire en retrouvant sa vocation première d’image de Dieu. Cette fête du Christ Roi nous rappelle que c’est Lui qui doit régner dans notre vie pour notre bien personnel et celui de la cité. La royauté du Christ dit une vérité qui s’annonce dans l’humilité et non par la lourdeur des relations humaines empreintes de violence et de soif de pouvoir. Oui le Christ roi s’annonce par la lumière de l’amour dans l’intelligence de la foi et la beauté de la vérité. Lorsque le « ” Roi de Gloire “xvi entre dans sa Ville ” monté sur un ânon “xvii : il ne conquiert pas la Fille de Sion, figure de son Église, par la ruse ni par la violence, mais par l’humilité qui témoigne de la Véritéxviii»xix Or nous devons continuer à annoncer ce règne dans l’humilité de notre action tournée vers Lui, notre Rédempteur. En effet, cette civilisation de fils de lumière apporte la vérité comme remède contre la peur. Cette vérité qui nous rend libres, parce que Dieu chemine avec nous dans nos choix de vie. Parce que l’Esprit Saint nous conduit et nous invite à la joie lorsque nous nous ajustons à sa parole. Parce que le Fils nous apprend à regarder nos frères avec compassion pour aider chacun à rejoindre la maison du Père selon ses propres talents.

Néanmoins vouloir séparer notre vie de l’appel à la transcendance, c’est vouloir disloquer la liberté de la vérité. Ça n’a pas de sens et c’est obligatoirement (on pourrait dire logiquement) une impasse, car une liberté sans vérité s’appelle une aliénation. Comprendre la liberté comme l’obéissance à la volonté de Dieu c’est vivre l’amour dans la vérité de notre vocation propre. Et c’est vrai pour tout fils de Dieu que nous sommes par le baptême et la confirmation. « Le Christ est le Maître, le Ressuscité qui a en lui la vie et qui est toujours présent dans son Eglise et dans le monde. Il ouvre aux fidèles le livre des Ecritures et, en révélant pleinement la volonté du Père, il enseigne la vérité sur l’agir moral. »xx Toute notre vie est alors orientée vers la civilisation de l’amour, et la Bonne Nouvelle est que nous sommes sauvés par le Christ, afin de pouvoir vivre de manière libre cet amour en vérité, en nous convertissant face aux concupiscences du regard ou de la chair et à l’orgueil. Notre agir moral est en fait une expression de tout notre être, c’est pourquoi l’on peut parler d’humanisme intégral, que le pape François dans son encyclique traduit par écologie intégrale. Cet appel à être attentifs à tout ce qui fait la richesse de la vie et ce qui la détériore se vit dans les petites choses, comme dans les grandes. « Une écologie intégrale est aussi faite de simples gestes quotidiens par lesquels nous rompons la logique de la violence, de l’exploitation, de l’égoïsme. En attendant, le monde de la consommation exacerbée est en même temps le monde du mauvais traitement de la vie sous toutes ses formes. »xxi Or, le premier mauvais traitement de la vie, c’est de mettre une valeur comme un absolu, sans discernement ni recul. Ne voir aujourd’hui que par la crise sanitaire et les impératifs de précaution est une absurdité sans nom, dans le totalitarisme de la mauvaise foi (dans tous les sens de l’expression). Nous maltraitons la personne lorsque nous l’excluons des contacts relationnels, et l’enfermons dans une hystérie de la peur. Nous faisons violence aux personnes en déclarant utile ou inutile le travail ou en valorisant tel travail pour dénigrer tel autre. Que penser de la prime donnée aux seuls soignants, alors que le reste du personnel, tant logistique (ménage et entretien) qu’administratif, a grandement contribué par son implication à faire fonctionner les services. Que penser de la fermeture de certains commerces tout en maintenant ouvertes des grandes surfaces, avec la farce ubuesque d’interdire des allées pour ne pas faire concurrence !!! Que penser de l’impossibilité de la lecture labiale à cause des masques, de l’humiliation et de l’enfermement de ceux qui vivent déjà en situation d’infirmité. Que dire du mal-être ambiant et des comportements inadaptés, surgissant de la maltraitance sociale du confinement ? Comment expliquer cette surpopulation dans le domaine psychiatrique actuellement, et l’augmentation d’un sentiment sinistre et désespérant entraînant des dépressions parfois sauvages ? L’espérance nous pousse à contempler le Christ et à trouver dans l’adoration le visage du frère, afin de trouver les leviers pour vivre généreusement ensemble dans la solidarité de la relation, et non dans une réponse qui nous met dos à dos. Le premier confinement était une erreur, le deuxième n’est-il pas diabolique ?

L’appel à la sagesse

L’appel à partager le Royaume des cieux demande un engagement à faire émerger la civilisation de l’amour dans ce monde qui passe afin de partager avec joie l’éternité de l’amour dans la communion avec Dieu. L’attente de la fin des temps et du retour du Christ est la promesse d’un Royaume des cieux où nous sommes invités comme citoyens de la civilisation de l’amour. Par notre baptême nous sommes des fils de lumière, c’est pourquoi il ne faut pas nous laisser obscurcir par les ténèbres du péché, mais au contraire persévérer avec ferveur dans la recherche des biens du monde qui ne passe pas. Il nous faut être sous le règne de Dieu et garder le cœur pur pour le contempler pleinement, comme une transfiguration de notre humanité à travers la sagesse, comme lieu d’accomplissement. L’amour demande la conscience de notre agir moral, mais aussi de tout ce qui fait notre être. La sagesse est là pour donner la cadence à la civilisation de l’amour et rappeler qu’en contemplant Dieu et en restant ouvert à son mystère, nous accueillons la vraie vie et nous sommes ses disciples.

La vraie sagesse s’illumine à la lumière de la foi et reconnaît Dieu dans son dessein d’amour. Notre conscience en est alors illuminée et notre intelligence perçoit les bons choix à opérer. En me rendant disponible dans la prière, à l’écoute de la Parole et au service de la charité à travers les frères, je reconnais l’activité de Dieu qui se révèle et j’accède à une certaine intimité dans la communion, qui m’ouvre à une joie profonde. « Le prophète exhorte à comprendre les voies du Seigneur, en trouvant dans la fidélité de Dieu le dessein de sagesse qui gouverne les siècles »xxii Le témoignage de notre vie est prophétique lorsque nous accordons nos choix à la Parole de Dieu et que nous la conjuguons dans la vérité du temps qui passe. La réalité de l’amour devient manifestation de Dieu dans l’histoire des hommes et rend chacun capable d’aller à sa rencontre. C’est pourquoi le témoignage de notre vie est primordial car il introduit à la révélation de Dieu pour les frères. Dieu n’a pas besoin de nous pour se révéler, mais Il passe aussi par nous pour montrer son œuvre d’amour. C’est la liberté de l’amour qui laisse place à chacun. « Les mains de la foi s’élèvent vers le ciel mais en même temps, dans la charité, elles édifient une cité, sur la base de rapports dont l’amour de Dieu est le fondement. »xxiii A chaque fois que nous agissons en fils de lumière, nous déployons la civilisation de l’amour et témoignons de la réalité qu’il y a à bâtir ensemble. Par la foi, nous laissons l’amour grandir en nous et autour de nous, et nous changeons nos relations pour les rendre plus fraternelles et plus proche de notre vocation de fils d’un même Père.

La recherche de sagesse se retrouve d’ailleurs dans le questionnement des Proverbes : « Une maitresse femme qui la trouvera ? Elle a bien plus de prix que les perles ! En elle se confie le cœur de son mari. » C’est bien dans la complémentarité que se trouve la fécondité, car chacun est capable d’édifier l’autre pour retrouver le sens de Dieu et amener à une communion, qui ne soit pas confusion mais unité. A travers le cheminement, de la construction d’un bien commun et d’une recherche de fraternité, nous bâtissons la civilisation de l’amour. La grande espérance du Salut se comprend comme lieu de réalisation de notre communion et se perçoit d’abord dans la famille. En effet « la foi éclaire la cité des hommes est donc la famille. Je pense surtout à l’union stable de l’homme et de la femme dans le mariage. Celle-ci naît de leur amour, signe et présence de l’amour de Dieu, de la reconnaissance et de l’acceptation de ce bien qu’est la différence sexuelle par laquelle les conjoints peuvent s’unir en une seule chairxxiv et sont capables d’engendrer une nouvelle vie, manifestation de la bonté du Créateur, de sa sagesse et de son dessein d’amour. »xxv La femme forte est donc celle qui craint le Seigneur et par ses actes fait éloge de la vie. Car elle déploie sa dignité dans une recherche de complémentarité où chacun a des tâches qui sont en harmonie avec ses talents. Elle est attentive à la fraternité parce qu’elle reconnaît en chacun le fils ou la fille d’une mère : « elle étend les mains vers le pauvre, elle tend les bras aux malheureux. » On doit comprendre que l’attention à la fraternité est d’abord un profond respect de la vie, que la femme acquiert par nature dans les cycles de sa vie et la possible maternité. Dans cette lecture alphabétique des proverbes, la vertu de la parfaite maîtresse de maison rend à Dieu le culte qui lui est dû et à la femme l’éloge de ses œuvres. Elle participe à la construction du Royaume, en répondant à sa vocation propre et en étant attentive à la Parole de Dieu dans tous ses actes.

La vertu d’équité

« Ce jour ne vous surprendra pas comme un voleur », la foi en Dieu demande une expérience de communion et en même temps une recherche d’ajustement de la relation dans l’attente de sa venue. Or l’affaiblissement de notre ferveur peut nous faire passer à côté de la vraie promotion de vie qu’est la civilisation de l’amour. Englués dans des préoccupations sans sens, nous pouvons devenir indisponibles à la vie de l’Esprit. Certes le retour éclatant du Christ sera la manifestation de son règne mais là encore nous pourrons accepter ou refuser qu’Il soit notre roi et qu’Il règne sur notre vie. La Bonne Nouvelle est l’annonce que l’amour nous est proposé pour l’éternité et qu’il nous suffit de le vivre, en l’acceptant dans notre vie comme un don de Dieu et dans l’expression d’un service qui va jusqu’au bout de soi-même pour être offrande à l’autre et au Tout Autre. C’est la fin de la domination du péché et la reconnaissance de la souveraineté du Christ dans le souffle de l’Esprit qui nous mène au Père.

Les souffrances de ce monde ne sont qu’une préparation à être consommé par l’amour et connaître la joie du don comme lieu de réalisation. « Le royaume est le don de Dieu par excellence, la valeur essentielle qu’il faut acquérir au prix de tout ce qu’on possède. »xxvi Une invitation à rechercher le bonheur en Dieu pour y retrouver son identité propre et laisser résonner notre vocation de fils de lumière. Le Royaume n’est-il pas aussi pour nous l’expérience d’une certaine souveraineté en tant que fils de roi, comme serviteur pour tous de l’amour du Père ? Car l’autorité requiert le service et s’accomplit dans le don. Or, parfois, nous en faisons l’expression d’une forme de domination qui n’est pas ajustée à notre dignité propre ni à celle de nos frères. Dans l’amour nous comprenons que l’autorité est service et exige la vérité de nos actes pour témoigner de l’intelligence de la foi. Cela demande beaucoup d’humilité et d’abnégation, la souffrance est là pour nous rappeler nos limites humaines. A la fin des temps nous partagerons l’éternité de Dieu lorsque nous aurons vécu l’amour de Dieu et du frère jusqu’au bout et ne serons plus que dans le choix d’aimer complètement, sans nous retourner en arrière, mais dans l’éternité d’une joie promise.

La vertu d’équité nous aide à comprendre que la justice ne se vit pas dans l’égalité de l’avoir mais dans l’égale dignité de l’être, chacun selon ses besoins. En effet, l’équité donne à chacun selon ses propres possibilités d’une part, et ce qui lui est nécessaire pour vivre, en respectant sa personnalité d’autre part. Pour bien comprendre le concept d’équité, si je coupe une baguette en deux et partage également entre mon enfant qui a 3 ans et mon jeune qui en a 16, je ne serai pas juste même si je suis égal. Car l’enfant de 3 ans pourra s’étouffer avec autant de pain, ou le refuser et le jeter, n’ayant aucun intérêt pour l’aliment, alors que le jeune de 16 ans pourra en demander plus, n’ayant pas l’apport nécessaire. Je suis égalitaire, mais pas équitable. L’égalitarisme ne prend pas en compte les besoins de la personne, mais le partage de l’objet (ici le pain) en parts égales. L’équité suivant le besoin de chacun veille à ce que ce soit adapté aux personnes et met donc l’être humain au cœur de la juste relation. Or la royauté du Christ nous demande d’être tous frères, certes, mais pas de manière égale, puisque notre relation à Dieu se déploiera selon notre personnalité.

  1. La conscience dans l’agir humain

Pour ne pas rester dans les généralités ou la réflexion ouverte, il faut nous interroger sur le devoir de conscience de la relation au frère et de ce que nous devons vivre au nom de la vertu de charité suréminente par rapport à tout. L’amour doit être premier, dans la vérité de la réalité de ce monde, certes, mais toujours premier, même dans le service, même dans le don sincère de soi-même, même dans nos actes quotidiens. « L’amour, fait de petits gestes d’attention mutuelle, est aussi civil et politique, et il se manifeste dans toutes les actions qui essaient de construire un monde meilleur. L’amour de la société et l’engagement pour le bien commun sont une forme excellente de charité qui, non seulement concerne les relations entre les individus mais aussi les « macro-relations : rapports sociaux, économiques, politiques »xxvii. »xxviii La légitimité d’un pouvoir et d’un état de droit ne peut s’affranchir de l’appel à notre propre conscience et de la vérité de notre choix de Dieu. Nous devons regarder comment nous nous mettons au service de la charité dans l’échange avec nos frères et nous libérons de toute peur pour annoncer le Sauveur. Il importe d’annoncer la joie de l’Evangile, dégagés de toute angoisse pour vivre la grande espérance du Salut, et être fidèles à l’Ecriture dans une pratique quotidienne de la proximité avec Dieu et nos frères. Oui, il y a une hiérarchie, Dieu est toujours premier et le frère est second mais pas secondaire. La nuance est de taille car elle donne une égale valeur tout en hiérarchisant la relation.

La recherche du Royaume est ce lieu de prise de conscience de la nécessité de faire confiance à Dieu et d’avancer avec persévérance dans la ferveur de notre foi. « A l’homme créé à l’image de Dieu, l’Esprit Saint accorde le don de la conscience, afin qu’en elle l’image puisse refléter fidèlement son modèle, qui est en même temps la Sagesse et la Loi éternelles, source de l’ordre moral dans l’homme et dans le monde. »xxix Il nous faut être actifs dans cette recherche de Dieu et de son dessein d’amour, et témoigner par les œuvres notre attachement à sa parole. Le règne de Dieu s’invite dans notre vie et demande notre responsabilité pour que nous fassions fructifier tous les talents nécessaires à notre propre développement et à la sauvegarde de notre dignité. Car l’ingéniosité que nous démontrerons à déployer les talents contribue à l’exercice de notre liberté et affermit ainsi le principe du respect de notre dignité propre, en exerçant notre propre subsidiarité. « Le principe de subsidiarité est indiqué comme un principe très important de la « philosophie sociale »: « De même qu’on ne peut enlever aux particuliers, pour les transférer à la communauté, les attributions dont ils sont capables de s’acquitter de leur seule initiative et par leurs propres moyens, ainsi ce serait commettre une injustice, en même temps que troubler d’une manière très dommageable l’ordre social, que de retirer aux groupements d’ordre inférieur, pour les confier à une collectivité plus vaste et d’un rang plus élevé, les fonctions qu’ils sont en mesure de remplir eux-mêmes »xxx Ce qui est vrai pour la cité, l’est encore plus pour l’homme et sa responsabilité propre. Le fait de participer à l’œuvre de Dieu est une invitation à reconnaître notre propre dignité, c’est-à-dire notre responsabilité propre, chacun selon ses propres forces, autrement dit dans un souci d’équité et non d’égalité.

En effet, la civilisation de l’amour demande toujours de respecter une certaine équité, fonction de la proximité, que ce soit ici ou là-bas. Le premier devoir dans les pays étrangers est d’aider les communautés catholiques, puis chrétiennes, et enfin tous nos frères, en accueillant les demandes sans barrière, mais avec un profond respect de la dignité de chacun et dans la réalité de ce que nous pouvons offrir. C’est-à-dire, clairement, ne pas être sectaires mais ne pas être non plus injustes. C’est la demande de saint Pierre à saint Paul : oui, tu vas évangéliser les païens à Rome mais occupe-toi des pauvres de notre communauté juive. La vérité de la fraternité demande bien une hiérarchie dans la conscience de ce que nous avons à vivre et le sens de notre témoignage auprès de tous. La civilisation de l’amour n’est pas une utopie, mais une réalité à déployer au souffle de l’Esprit. Ce n’est pas une recette miracle, mais bien un approfondissement dans la prière et la méditation des Ecritures, pour être pleinement au service de la charité. Il s’agit de donner à manger et d’apporter à boire, d’accueillir et d’habiter, de visiter les malades et les prisonniers. C’est une aide fraternelle qui a en même temps un sens communautaire. Car visiter un prisonnier, c’est en même temps lui permettre à sa sortie de mieux se réinsérer dans la société. Rencontrer un malade, c’est avoir un regard de compassion qui prend en compte son mal, non comme un phénomène à fuir, une réalité de la malédiction à nier, mais un accompagnement en cheminant dans la foi et demandant au Seigneur de nous éclairer dans les étapes de notre vie. La nudité du pauvre ou de l’étranger en errance sont autant de préoccupations, encore faut-il aujourd’hui ne pas instrumentaliser le mot étranger et confondre le profiteur, l’envahisseur ou le déboussolé (tout un débat, qui demande un grand discernement sur les mots, et dont la Bible elle-même distingue le comportement). La nudité doit être recouverte de notre charité pour témoigner de l’égale dignité de tout être humain, sans l’enfermer dans une forme de bestialité. Voir l’autre comme objet de production, de désir ou d’oppression peut nous guetter au croisement des chemins et nous interroger sur le témoignage que nous voulons vraiment donner à la suite du Christ. « Depuis deux mille ans, vit et persévère dans l’âme de l’Église ce sentiment qui a poussé et pousse encore les âmes jusqu’à l’héroïsme charitable des moines agriculteurs, des libérateurs d’esclaves, des guérisseurs de malades, des messagers de foi, de civilisation, de science à toutes les générations et à tous les peuples en vue de créer des conditions sociales capables de rendre à tous possible une vie digne de l’homme et du chrétien. »xxxi Mettre le Christ comme roi de l’univers c’est reconnaître que dans la dignité de tout homme se vit notre rapport fraternel et la dimension du Christ Sauveur. Il est compliqué ensuite de déclarer certains moins frères que d’autres, alors que nous croyons en un seul et même Père…

Synthèse

Il nous faut bien comprendre aussi que le développement de l’homme demande une implication personnelle, mais aussi communautaire, et un travail de la communauté des croyants pour faire régner le Christ dans tous les cœurs. L’appel évangélique premier est de faire de toutes les nations des disciples. Vouloir Dieu demande une attention au frère. « Jean-Paul II souligne comment l’enseignement social de l’Église suit l’axe de la réciprocité entre Dieu et l’homme : reconnaître Dieu en chaque homme et chaque homme en Dieu est la condition d’un développement humain authentique. »xxxii L’évangile de ce jour nous rappelle ce devoir premier du Salut qui passe par l’attention à chacun de nos frères. Car la notion du plus petit pourrait être comprise comme celui dont je n’ai pas souci. « Même si les conceptions anthropologiques fondées sur le matérialisme, l’idéalisme, l’individualisme et le collectivisme vivent une phase de décadence, elles continuent d’exercer une certaine influence culturelle. »xxxiii Nous devons être vigilants pour garder le juste regard de la foi dans la vérité de l’amour et témoigner de cette vie de l’Esprit. Aujourd’hui l’utilitarismexxxiv transparaît de plus en plus dans nos relations humaines, voire ecclésiales. Or, remettre le Christ Roi au centre de notre vie, demande de redonner le sens premier à la gratuité de la relation et à la disponibilité immédiate du service. « Le comportement de la personne est pleinement humain quand il naît de l’amour, manifeste l’amour, et est ordonné à l’amour. Cette vérité est également valable dans le domaine social : il faut que les chrétiens en soient des témoins profondément convaincus et sachent montrer, par leur vie, que l’amour est la seule forcexxxv qui peut conduire à la perfection personnelle et sociale et orienter l’histoire vers le bien. »xxxvi Témoigner auprès de nos frères des bienfaits d’une vie évangélisée, c’est reconnaître la bonté du Créateur pour chacun. Car Dieu nous rend proches afin de dire son amour à chacun pour que nous puissions, parmi nos relations, harmoniser l’amour dans la polyphonie de nos personnalités.

Que ton règne vienne, disons-nous dans le Notre Père, comme prière d’un monde à venir, que nous devons déjà commencer par nos choix de vie. « Le précepte évangélique de la charité éclaire les chrétiens sur la signification la plus profonde de la communauté politique… La vision chrétienne de la société politique confère le plus grand relief à la valeur de la communauté, aussi bien comme modèle d’organisation de la vie en commun que comme style de vie quotidienne. »xxxvii Il faut qu’à travers les choix que nous posons, nous sachions reconnaître la vie en Dieu et avancions avec confiance vers l’avènement du retour du Christ pour juger les vivants et les morts, et ainsi faire advenir la civilisation de l’amour éternel. « Il résulte que l’avènement de la civilisation de l’amour est conditionné par la promotion de la vision de la personne faite, depuis les origines, pour le don de soi… La famille se trouve à la base de la civilisation de l’amour…(elle) doit devenir non pas un axe pastoral parmi d’autres, mais l’unique priorité pastorale. »xxxviii

Père Greg BELLUT – Curé de St Charles Borromée – 22 novembre 2020

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Sources :

1 Une volonté de vivre la douceur, la patience, voir le pardon

2 En hebreux le satan est la racine de division, c’est le diviseur, celui qui clive

i Ps 120, 3-5

ii Jean Paul Ier l’espérance ( Vokaer 1978) Esperer contre toute espérance p 87

iii &35 Amour dans la vérité

iv Séraphim de sarov sa vie, Spiritualité orientale, n° 141, (2004)III les instructions spirituelles p 184

v &6 Engagement en vie politique doctrine de la Foi Ratzinger 2002

vi Ps 120,7-8

vii Is 43,4

viii &10 Lumen Fidei

ix &11 Lumen Fidei

x &14 Lumen Fidei

xi &37 Lumen Fidei

xii &36 Evangelium Vitae

xiii Terme de Jacques Maritain

xiv Terme première fois employé par Paul VI

xv &42 Poplulorum Progressio

xvi Ps 24, 7-10

xvii Za 9, 9

xviii cf. Jn 18, 37

xix &559 CEC

xx &8 Veritatis splendor

xxi &230 Laudato Si

xxii &23 Lumen Fidei

xxiii &51 Lumen Fidei

xxiv cf. Gn 2, 24

xxv &52 Lumen Fidei

xxvi Article Royaume VTB

xxvii Benoît XVI, Lett. enc. Caritas in Veritate (29 juin 2009), n. 2 : AAS 101 (2009), 642.

xxviii &231 Laudato Si

xxix &36 Dominum et Vivificantem

xxx &186 CDSE

xxxi Pie XII, discours 1er juin 1941 in &1942 CEC

xxxii &103 CDSE

xxxiii & 8Eduquer à l’humanisme solidaire -16 avril 2017 – Congrégation pour l’éducation catholique

xxxiv Dans la définition de JP II comme une vision utilitaire de l’homme.

xxxv cf. 1 Co 12, 31-14, 1)

xxxvi &580 CDSE

xxxvii &391 CDSE

xxxviii &p 128 Théologie du corps et civilisation de l’amour – Dr Yves Semen – Ecce corpus 2