2019. Lettre de Carême. 1/3
Pourquoi ce tumulte des nations, ce vain murmure des peuples ?
Le carême est le temps privilégié pour être attentifs à l’œuvre de Dieu en ce monde. Fuir la vanité de ce temps car il passe, alors que par l’exercice du jeûne, la persévérance dans la prière et la fidélité du partage, nous nous rendons disponible à Dieu. Les choix de purification et de pénitence sont des voies étroites de transformation intérieure si fécondes. Un juste exercice de notre volonté de conversion, afin d’être réceptifs à la grâce de l’Esprit Saint. Car Lui, le premier, Il nous conduit sur ce chemin de rencontre. La vanité de nos propos laisse place au silence et la brise légère vient nous saisir, un souffle de liberté intérieure et de relation véritable à Dieu. Il passe, sans s’imposer mais dans la conversion de notre être marqué de sa présence.
Du quotidien se dégage alors ce temps spécifique où je demeure attentif à la Parole du Seigneur, à ce qui fait mes combats, à ce que je dois transformer pour être dans la vérité de mon être, comme en écho à l’amour de mon Seigneur et mon Dieu. Il nous faut restaurer une maitrise de soi à travers trois aspects que nous sommes chaque année appelés à approfondir d’une manière renouvelées et plus intense. Car il y a une véritable progression d’un carême à l’autre à vivre. Un chemin de purification intérieure où le tentateur, essaye d’empêcher la grâce d’aboutir. Un temps où il nous est demandé de se consacrer au combat comme un lieu de purification et en même temps de l’expression de notre propre liberté à toujours faire confiance. Servir le Seigneur demande un engagement sans faille, et c’est en se mettant sous son aile que nous réalisons avoir le meilleur refuge.
St Jean Chrysostome[i] sur le diable tentateur nous invite à cinq chemins de conversion, comme lieux de renouvellement intérieur, et voies de sainteté. Peut-être pourrions-nous y être vigilants cette année, dans ce quotidien de turbulence et d’attaque.
- La condamnation de nos fautes comme lieu de reconnaissance de la réalité de nos actions. « Commence toi-même par dire tes fautes, pour être justifiés », l’importance de confesser ses péchés, c’est laisser Dieu venir réparer. « Celui qui condamne ses fautes, en effet, craindra davantage d’y retomber. Éveille ta conscience pour avoir ton accusateur en toi-même et ne pas le rencontrer devant le tribunal du Seigneur. »
- Savoir pardonner. C’est de l’ordre du combat spirituel fort, et en même temps, une vérité de notre foi. Ne pas garder rancune, c’est accepter de dominer sa colère, et refuser la tristesse pour entrer dans le pardon et ainsi être disponible pour le pardon de Dieu dans l’intelligence de la foi. La purification de nos fautes passe par notre capacité à pardonner à nos frères (et cela n’est pas sans lien avec la condamnation de nos fautes).
- La prière et la méditation de la Parole ne retournent pas au ciel sans avoir porté du fruit. Cela ne va peut-être pas aussi vite que nous le voudrions et parfois touche à notre vanité. Justement la prière et la confrontation de notre vie aux Ecritures est l’espace de l’humilié de l’attente de Dieu en serviteur et non en propriétaire arrogant, en disciple prodigue et non en frère aîné méprisant.
- Le partage à travers l’aumône est une réalité de notre conversion. Savoir garder un rapport avec l’argent comme moyen et jamais comme une fin, dans l’aide matérielle à la communauté qu’est l’Eglise à travers la dîme, les quêtes et les appels du moment, comme à celle de nos frères. Notre vie fraternelle est un témoignage de notre foi. Une communauté qui ne sait pas vivre le partage est une communauté qui ne rend pas compte de sa foi.
- La conversion de notre être passe par la modestie et l’humilité. Ils ne sont pas inférieurs aux autres chemins, mais témoigne dans la simplicité de vie de l’attachement à Dieu. Nous savons que le diable s’est opposé à Dieu par orgueil, nous comprenons alors que l’humilité et la modestie sont l’antidote à des positions de péché. « Nous en avons pour témoin le publicain qui ne pouvait pas proclamer ses bonnes actions, mais qui les a toutes remplacées par l’offrande de son humilité et a déposé ainsi le lourd fardeau de ses fautes». Dans l’humilité reconnaitre nos propres fautes, apprendre cette capacité de rétablir la communion avec nos frères, et abouche à l’enracinement dans ce dialogue avec Dieu.
Les cinq pôles de conversion sont à lire comme chacun aussi important que les autres (un peu comme les béatitudes), même si l’on peut se reconnaitre peut-être plus facilement dans l’un que dans l’autre, ou que nous sentons que notre effort devra porter avec vigilance sur un point particulier pour ne pas s’éparpiller ou se décourager devant tout ce qui est donné comme lieu de sanctification. « Ne reste donc pas inactif, mais chaque jour emprunte tous ces chemins; ce sont des chemins faciles et tu ne peux pas prétexter ta misère. Car, même si tu vis dans la plus grande pauvreté, tu peux abandonner ta colère, pratiquer l’humilité, prier assidûment et condamner tes péchés. Ta pauvreté ne s’y oppose nullement. Mais qu’est-ce que je dis là ? Alors que, sur ce chemin de la conversion où il s’agit de donner ses richesses (c’est de l’aumône que je veux parler), même la pauvreté ne nous empêche pas d’accomplir le commandement. Nous le voyons chez la veuve qui donnait ses deux piécettes. » Gardons au cœur ce temps du carême comme un temps où nous rétablissons nos balises spirituelles, comme un lieu de libération qui prendra un sens nouveau dans le temps pascal où je serais invité à poursuivre la démarche comme un lieu d’enrichissement, même dans le temps spirituel, comme une attitude d’ajustement qui nous devient naturelle chaque jour. « Appliquons ces remèdes: revenus à la vraie santé, nous profiterons hardiment de la table sainte et avec beaucoup de gloire nous irons à la rencontre du roi de gloire, le Christ. Obtenons les biens éternels par la grâce, la miséricorde et la bonté de Jésus Christ notre Seigneur. Amen ! »
1 – S’ajuster dans la responsabilité de ses fautes et la volonté de se convertir
Pourquoi l’Esprit conduit-il Jésus au désert, sinon pour le faire grandir dans sa nature humaine en liberté ? Après la manifestation du Père lors de son baptême, la certitude de la présence de Dieu dont il prend de plus en plus conscience, le voici invité à vivre les tentations comme lieux de purification.
Pour nous, c’est reconnaitre ses limites et en même temps s’ajuster à la volonté du Père. Un lieu de sanctification où nous avançons, pas après pas dans une humilité lieu de reconnaissance de nos limites et de nos péchés. Il y a un parallèle certain entre les cinq chemins de conversion et les attraits de la tentation pour la sainteté. Nous pourrions le relire de manière positive sur la route de la transformation intérieure comme lieu de sanctification même si les cinq points énoncés n’ont pas vraiment de parallélisme avec ceux que nous avons énoncés pour la conversion. Il s’agit plutôt d’une reconnaissance spirituelle de la capacité à changer. Comment vivre la tentation dans une responsabilité à œuvrer vers la sainteté ? Peut-être en y regardant avec vigilance les points qui nous font avancer.
- La tentation nous apprend la justesse de la relation dans la fidélité à Dieu, et la sagesse qui en découle dans l’union à son Créateur. Résister au mal nous apprend à accueillir le bien comme lieu d’unification de tout notre être au souffle de l’Esprit. « L’homme est en effet la plupart du temps inconnu à lui-même il ignore ce qu’il peut porter et ce qu’il ne peut porter… vient la tentation, comme une interrogation, et l’homme se découvre lui-même ; car à soi-même il demeurait caché, mais non à son Créateur»[ii] L’expérience du malin nous fait comprendre le sens du bien et oriente durablement notre vie vers le véritable attrait de la beauté de Dieu.
- La tentation est le lieu de notre fragilité où nous sentons le bateau tanguer, et nous rappelle nos propres limites. Et rabaisse notre orgueil pour nous remettre à la juste place. Celle de créature dépendante de son Créateur, d’image de Dieu appelé à la ressemblance et qui y arrive si mal, si la grâce ne l’aide pas. L’aiguillon dans la chair qui nous rappelle que nous sommes poussière et que nous retournerons poussière.
- Job put rester fidèle malgré le drame qu’il vivait dans sa vie. La résistance à la tentation éprouve notre fidélité et nous apprend à entrer dans la persévérance. C’est donc là où nous éprouvons la satisfaction de rejeter Satan et toutes ses œuvres.
- Le fait de vivre la tentation nous rend plus forts dans l’épreuve et nous affermit vers ce chemin de la vie qui nous mène à la vérité tout entière. Plus nous luttons, plus nous nous endurcissons dans le combat, plus nous avançons dans l’ajustement à la volonté de Dieu dans notre vie. Ne croyons pas que l’ordinaire de notre vie ne demande pas un effort permanent pour ne pas nous laisser entrainer vers les compromissions. Au contraire c’est à chaque instant qu’il nous faut lutter avec pugnacité, et nous affermir dans la foi pour faire le choix de Dieu en toute chose.
- Une fois que nous sommes tentés, nous comprenons la convoitise du diable et la valeur de notre vie d’image de Dieu, d’émerveillement de la Présence du Créateur dans notre vie à travers l’incarnation du Fils et l’écoute de l’Esprit Saint. Le tentateur nous révèle en creux la sublimité de notre vocation, et de notre communion à Dieu.
La tentation est un acte d’amour de Dieu pour nous permettre d’exercer notre responsabilité dans notre liberté propre. Une ouverture dans les choix qui nous permettent de grandir, et de devenir de plus en plus autonomes, nous libérant ainsi du mal, par grâce et par communion avec Dieu. Comme nous le rappelle St Jean Chrysostome, « Voici pour quels motifs Dieu n’empêche pas les tentations qui vous surviennent. D’abord pour vous apprendre que vous êtes devenus beaucoup plus forts. Puis, afin que vous gardiez la mesure au lieu de vous enorgueillir des grands dons que vous avez reçus, car les tentations ont le pouvoir de vous humilier. En outre vous serez tentés afin que cet esprit du mal, se demandant encore si vous avez vraiment renoncé à lui, soit convainc par l’expérience des tentations, que vous l’avez totalement abandonné. Quatrièmement, vous êtes tentés pour être entrainés à être plus forts et plus solides que l’acier. Cinquièmement, afin que vous ayez la certitude absolue que des trésors vous ont été confiés. Car le démon ne vous aurait pas assaillis, s’il n’avait pas vu que vous receviez un plus grand honneur »[iii] La tentation est lieu du combat et en même temps l’espace de notre sanctification afin d’être plus unis à Dieu dans des choix sincères du don de soi-même. Le Verbe incarné nous redonne pleinement le sens des tentations comme lieu de la radicalité de nos choix.
La crise actuelle menée contre l’Eglise et qui est aussi vécue dans l’Eglise comme un fléau insoutenable est une nécessaire purification, pas de témoignage sans vérité dans nos actes. « Si tu es le Fils de Dieu » nous est adressé à chacun d’entre nous pour garder confiance en la providence de ce qu’Il nous a promis. Il n’y a pas de conditionnel à l’amour de Dieu. L’amour de Dieu pour nous est toujours au présent, hier, aujourd’hui, demain. Une vérité de l’amour qui demande une juste place dans la relation à l’autre, et d’œuvrer en artisan de paix en toute chose, même quand cela semble lourd à porter. Car Lui-même nous le dit « Il m’appelle et moi, je lui réponds : Je Suis avec lui dans son épreuve » Le carême est le lieu des retrouvailles avec notre Seigneur dans le dépouillement du désert. Sachons être fidèles quoiqu’il arrive, et gardons confiance en Dieu car c’est de Lui que vient notre salut.
2 – “C’est ta face Seigneur que je cherche, ne me cache pas ta face”
La prière est l’espace de notre dialogue avec Dieu « Ecoute Seigneur, je ‘t’appelle… mon cœur m’a redit ta Parole, cherchez ma face » mais plus encore, une ouverture au vrai désir, celui du goût de sa présence, oui nous contemplons la manifestation de sa gloire par les signes qu’Il nous donne de voir. Détaché du superficiel, nous savons reconnaitre ce qui est l’essentiel. « Goûtez et voyez : le Seigneur est bon ! Heureux qui trouve en lui son refuge ! » La Prière nous fait prendre conscience de notre dimension de fils par rapport au même Père et en même temps nous sensibilise sur ce devoir de fraternité dans la relation à l’autre. Le combat spirituel dans l’assiduité de la prière nous fait comprendre très concrètement la valeur de l’offrande et du sacrifice dans les petites choses. « C’est par la prière et le sacrifice que nous pouvons seulement être utiles à l’Eglise. »[iv]. Par la prière et le sacrifice nous démasquons toute forme d’orgueil pour aller à l’essentiel de notre foi. La fidélité à Dieu s’inscrit dans une confiance portée par l’humilité de la prière et l’intercession afin que le Seigneur vienne au secours de nos faiblesses.
2.1 – Démasquer les fantômes de la nuit
La prière nous ouvre à une réalité où nous dévoilons ces fantômes de la nuit, autre appellation de nos angoisses. Une anxiété qui apparait comme un dégoût du cœur. Il ne s’agit plus d’endurcissement du cœur mais de ce rejet comme une mise à distance d’où surgit une angoisse existentielle. Plus rien n’a de sens, et les émotions sont vides dans cette course à perte d’âme. La volonté a disparu pour laisser place à une mélancolie où les fantômes rodent et semblent tout aspirer, une tristesse qui détraque le dynamisme de vie. A quoi bon prier si ce n’est pour s’ennuyer. Sans saveur, sans odeur, sans vision, l’absence de tout et ce germe de désespérance qui voudrait prendre toute la place. La prière laisse place à une languissante tristesse. Et le combat spirituel demande alors de garder confiance, toujours, même quand nous ne sommes plus capables d’autre chose. Cette confiance qui puise dans l’espérance la saveur du cœur et lui redonne vie dans l’amour.
Le désespoir sans raison est un des mécanismes de l’angoisse et du renfermement sur soi. En cela, l’espérance ouvre le regard vers ailleurs, l’amour donne une réalité à ce qui nous paraît vain, la fidélité dans la confiance en Dieu redonne sens à toute notre vie et non à un instant présent et fait l’objet d’attaques du malin. Cette fuite du temps et de l’ennui aujourd’hui prend un autre tournant avec la sphère des écrans qui absorbent vers le néant. Un trou noir qui prend le temps sans y donner du sens, qui écarte de la prière au nom de désirs immédiats mais si sommaire et si peu comblé. Une solitude à crédit dans un monde au relativisme absolu. « Leur dieu c’est leur ventre et ils mettent leur gloire dans ce qui fait leur honte ; ils ne tendent que vers les choses de la terre » Nous sommes comme éloignés de la lumière, et de la Parole pour nous laisser attirer par ce repli sur soi mortifère. Il y a comme un dévoilement de l’œuvre du démon de l’acédie qui nous éloigne de Dieu qui est toute joie, qui nous éloigne de la prière dans la perte des sens, qui nous éloigne du frère dans le repli sur soi. Le combat spirituel est alors de garder cette régularité car elle seule nous sauve. L’accompagnement du frère nous permet l’éclairage dans la nuit. La purification fait grandir, alors que le manque d’amour nous fait sombrer plus surement dans la tristesse et le dégoût de soi et de Dieu.
2.2 – Le combat spirituel mené dans la prière
Le combat pour mener avec ardeur la prière porte un fruit dans la réparation de nos fautes, certes, mais aussi dans l’intercession des frères, comme lieu de retrouvailles avec Dieu comme nous le raconte Ste Thérèse d’Avila. « Une personne qui était résolue de servir Dieu, et qui, depuis peu de temps, s’adonnait à l’oraison et y recevait de grandes grâces, l’avait abandonnée, à cause de certaines occasions fort dangereuses dont elle ne voulait point s’éloigner. … Durant plus d’un mois, je crois, je ne fis que supplier le Seigneur de ramener cette âme à lui. Enfin, étant un jour en oraison, je vis près de moi un démon qui déchirait avec un grand dépit certains papiers qu’il avait entre les mains. Je jugeai par-là que Dieu avait exaucé ma prière, et j’en eus une joie extrême. De fait, j’appris ensuite que cette personne s’était confessée avec une grande contrition, et était sincèrement revenue à Dieu. …Qu’il soit béni de tout! Amen. »[v] Oui l’intercession demande du temps et de la patience, c’est bien le combat du carême qui pendant 40 jours met son âme et son corps dans l’attention aux choses spirituelles. Notre première conversion parfois sera d’entrer dans la compréhension du temps de Dieu et de persévérer avec audace, « Jésus Fils de David, aie pitié de moi ». Combien de fois abandonnons-nous trop rapidement par manque de confiance ? Le combat dans la régularité de la prière et la fidélité dans le temps implique un investissement de notre part. « Et moi, je sais que mon Sauveur est vivant et que le dernier, il se lèvera sur la poussière »[vi] La foi est d’abord confiance en Dieu et espérance du salut. Toutes les deux sont portées par une vie de prière illuminée par l’amour véritable.
Seul l’amour nous fait avancer plus loin. Seul l’amour est notre tout. Si notre rédempteur est le dernier à prendre notre défense, et que nous sommes proches de la poussière du tombeau, notre espérance est intacte. Dieu continue de nous transformer par la Personne Don et nous révèle toutes les richesses de la lumière qui conduit à la révélation. C’est le sens que prend toute notre vie à l’écoute de la Parole de Dieu, confiants en sa miséricorde, et dans la réalité de ce que son amour montre chaque jour. « L’engagement quotidien pour la continuation de notre vie et pour l’avenir de l’ensemble nous épuise ou se change en fanatisme si nous ne sommes pas éclairés par la lumière d’une espérance plus grande, qui ne peut être détruite ni par des échecs dans les petites choses ni par l’effondrement dans des affaires de portée historique. »[vii] Nous en remettre à la prière comme espace privilégié de la Parole, c’est à dire vivre la confiance en la providence de Dieu et aux signes qu’Il manifeste dans notre vie. Nous nous inscrivons alors dans une intégralité de notre histoire refusant ainsi de la parceller à des moments précis. « Le Seigneur est ma lumière et mon salut de qui aurais-je crainte ? »
3 – Le partage fraternel une réalité du combat
La révélation de Dieu nous rappelle à la réalité du frère. Comme un point de convergence de l’amour qui se donne gratuitement dans notre vie, et se reçoit comme une transformation intérieure, ellese partage avec ceux que nous rencontrons. Le carême nous fait prendre conscience de l’exigence de l’amour à l’aune de la volonté de Dieu, forme de dépouillement de l’immédiateté pour une meilleure intégration de toutes ses réalités. Certes, nous le voyons bien dans nos Eglises, dans nos communautés, dans nos familles, l’oubli des commandements de Dieu et de la prière entraine une forme d’exil où nous mettons Dieu à l’extérieur de nous-mêmes, et quittons ainsi le jardin d’Eden, chassés par nos propres peurs et le manque de confiance. « Si le Christ n’est pas ressuscité, votre foi est sans valeur, vous êtes encore sous l’emprise de vos péchés » Ainsi le monde devient désespérance et les fruits commencent déjà par le rejet de la fraternité et la tyrannie des idéologies. Oui nous sommes bien à plaindre si nous ne laissons pas Dieu nous conduire. Lui, reste fidèle quoiqu’il arrive, et n’attend qu’un signe de notre part, pour se manifester en vérité. La tentation du renfermement doit être vaincue pour une disponibilité aux autres et au Tout Autre.
Nous le savons bien, chanter le Christ ressuscité et rester dans les mœurs païennes est une incongruité. Penser se laisser transformer par Dieu tout en refusant de changer de vie est une illusion. La liberté demande que s’exprime notre volonté à suivre le Christ, et le carême est de chemin de révélation où le buisson ardent laisse entrevoir notre véritable vocation d’enfants de Dieu. Néanmoins, il n’y a pas de chemin de foi sans expression de notre liberté, même si elle est en permanence sollicitée et que cela créé une certaine tension, faisons confiance en l’aide de l’Esprit Saint dans notre vie de tous les jours, à la Parole du Christ qui ne nous laisse jamais seuls, à la prévenance du Père qui nous accompagne dans chacun de nos pas. Oui la résurrection change quelque chose dans ma vie, parce que je suis décentré de moi-même pour m’attacher à Celui qui peut tout pour moi. L’entrée du carême est chemin vers Pâques. La résurrection nous introduit dans le passage du mystère de la vie où je me modélise à la volonté de Dieu pour vivre mon ciel à faire du bien sur la terre. La vie du Christ et son sacrifice sur la croix nous annoncent la joie de la résurrection et la réalisation de la promesse à travers le mystère de la rédemption. Il est vraiment venu nous sauver le Christ rédempteur. « La rédemption nous est offerte en ce sens que nous a été donnée l’espérance, une espérance fiable, en vertu de laquelle nous pouvons affronter notre présent: le présent, même un présent pénible, peut être vécu et accepté s’il conduit vers un terme et si nous pouvons être sûrs de ce terme, si ce terme est si grand qu’il peut justifier les efforts du chemin. »[viii] Rien ne peut nous ébranler, ni l’Eglise secouée de l’intérieur, ni les affres du monde et les rejets à cause de notre foi, car c’est du Christ que nous obtenons du salut, et nous savons que l’amour vainc tout. Le sacrifice de la vie du Christ nous enseigne que loin d’être une fin en soi, elle est un prolongement de l’amour qui trouve son sens dans la résurrection, comme lieu d’un passage de communion pour l’homme et de rétablissement dans la pleine communion à Dieu.
Ne pleurons pas sur les causes extérieures, mais regardons au plus profond de nous-mêmes où est la source de l’agir. Comment nos actes, que nous regrettons parfois viennent en fait d’un processus du cœur où j’entretiens un regard malveillant sur mon frère, où j’imagine les turpitudes à venir non sans délectation ? Notre propre conversion, est d’abord celle de l’approfondissement de notre vie intérieure et du discernement de ce qui s’y passe. Ce qui compte dans notre vie c’est bien notre attitude intérieure et nos prédispositions avant d’entendre ce qu’y en sort, et ce qui se passe dans l’échange avec l’autre. C’est d’ailleurs le travail psychothérapeutique d’analyser ce qui est antérieur à la manifestation de nos comportements extérieurs. Du cœur vient la vérité comme la duplicité, selon les dispositions que nous acceptons. Du cœur vient notre acceptation de la vocation d’image de Dieu et notre fidélité à l’appel reçu. « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton pouvoir. Que ces paroles que je te dicte aujourd’hui restent dans ton cœur ! » A l’appel de Dieu l’homme est invité à répondre dans la disponibilité du cœur, « Me voici Seigneur je viens faire ta volonté ». Nous sommes invités à une docilité à la Parole et une volonté de communion. Ne pas être dans un cœur incirconcis qui n’en fait qu’à sa tête. Le cœur nouveau est de recevoir l’Esprit Saint pour renouveler tous nos actes sous l’action de Dieu et retrouver la grâce de la liberté originelle. « le Christ à qui tout pouvoir a été donné, au ciel et sur la terre[ix] agit désormais dans le cœur des hommes par la puissance de son Esprit ; il anime aussi, purifie et fortifie ces aspirations généreuses qui poussent la famille humaine à améliorer ses conditions de vie »[x] Ce qui demande d’avoir le recul nécessaire c’est à dire le discernement sans nous enfermer dans un jugement qui condamne. Souvent l’homme est son propre bourreau, et dans une logique qui n’a pas de sens demande à Dieu des comptes. Le chemin du carême est l’acceptation du deuil de nous-mêmes pour laisser l’autre nous rejoindre, et regarder avec gratitude ce qui est mis à notre disposition afin de vivre en artisan de paix dans la douceur du partage. Il s’agit de remettre à la juste distance ce qui nous entoure et entrer pleinement dans l’action de grâce de la beauté de la Création. Vainquons nos propres surdités afin d’entendre le Seigneur nous parler et nous amener à écouter nos frères dans un échange bienveillant ! En un mot, laissons le cœur nous guider et ainsi accroitre la relation de la fraternité aux bras de Dieu.
La réalité du frère nous invite à vivre ce travail du discernement et de s’ancrer avec confiance dans le combat, parce que Dieu est avec nous, « Il défend le droit des opprimés et révèle ses desseins à Moïse » Le mystère du mal[xi] et le scandale de la souffrance nous convient à réparer ce monde dans la relation fraternelle où se redit la compassion de Dieu pour tous les hommes. Notre faiblesse, nous amène à un déplacement vers Dieu et à lui donner nos vies en offrande, comme un lieu de dialogue bienheureux. Notre dépouillement laisse place à Dieu, et Il peut nous revêtir de sa volonté pour notre croissance et la redécouverte d’une autonomie où tout prend sens dans la constante relation. C’est aussi l’occasion pour nous d’être attentifs à nos frères qui n’ont pas les moyens que nous avons et à leur proposer une solidarité dans le partage. Car avec l’autre je suis toujours dans un partage où s’exerce le discernement.
4 – Savoir pardonner par amour de Dieu
Souvent dans les histoires du pardon, nous croyons être deux, mais nous sommes souvent trois. Dieu n’est jamais absent de nos relations, comme ce Père qui avait deux fils, il y avait la rivalité entre frères, la défiance avec le Père, et l’abandon comme conséquence d’une fragmentation de soi. Un oubli identitaire qui induit à une fracture dans la relation, et les propositions bioéthiques aujourd’hui continuent ce clivage. L’attitude spirituelle est alors de faire un point sur les pardons à donner et à recevoir, la relation à transformer dans la communion. Et ne faisons pas de nos relations complexes une situation binaire. « Un homme avait deux fils »
4.1 – Le pardon lieu du combat spirituel
Comment vivre sa foi nous dit le Christ ? En étant miséricordieux, en ne jugeant pas, en ne condamnant pas et en pardonnant. Une parole de liberté est une parole qui comprend l’amour comme lieu du pardon et c’est un véritable lieu de combat spirituel n’en doutons pas. Le diable nous attaque sur notre faculté à savoir pardonner. Et pourtant l’amour ne s’aliène pas à une parole de silence qui deviendrait remords et culpabilisation. L’eucharistie nous fait comprendre que c’est dans l’amour que nous pouvons vivre la communion. « Il convient en particulier de rappeler …qu’une participation active aux saints Mystères ne peut pas se réaliser si l’on ne cherche pas en même temps à prendre une part active à la vie ecclésiale dans son intégralité, qui comprend aussi l’engagement missionnaire de porter l’amour du Christ dans la société. »[xii] il n’y a pas de touriste mais bien des témoins lumineux d’un engagement qui se veut fidèle au Christ et qui demande une implication concrète dans la faculté à vivre l’amour dans l’intensité du don qu’est le pardon. Car si l’amour est communion, le pardon est réconciliation. « Celui qui veut prier comme il faut et obtenir par ses désirs la force de Dieu et son Esprit, doit pardonner à tous ses ennemis, les prendre dans ses prières et supplier Dieu qu’il lui plaise de les convertir et de les réconcilier avec lui dans son amour »[xiii] Le prolongement authentique de l’amour dans le pardon nous fait entrer dans une prière fidèle à l’alliance que Dieu veut avec chacun d’entre nous. Un amour particulier que le Seigneur a pour chacun, et qui fait de nous des merveilles uniques de sa grâce. Ce que le diable essaye de combattre pour nous défier de Dieu (et nous proposer de nous déifier dans l’illusion de ses promesses).
Avoir un regard de bienveillance sur le frère, et proposer le pardon comme lieu de réconciliation c’est refuser tout esprit de vengeance qui aliène, opprime et finalement rompt la relation fraternelle non sans violence. L’esprit de compassion que nous devons vivre n’est qu’un écho de la compassion divine d’un Père qui attend le retour de son fils prodigue, d’un Sauveur qui s’offre pour nous rejoindre dans nos pauvretés et nous racheter une fois pour toutes, d’un Esprit qui prend notre défense pour venir nous consoler. Car le pardon vécu en vérité et dans la relation à l’autre ouvre à la juste consolation qui est œuvre de création. Refuser d’être dans le reproche, et être assez humble pour reconnaitre que nous-mêmes sur d’autres domaines nous avons besoin de pardon, implique alors un espace de relation où tous les possibles sont ouverts dans la civilisation de l’amour. Le combat spirituel sur le pardon devient un chemin de sainteté où la volonté s’exprime autant par nos prières que par nos actes, l’Esprit Saint faisant le reste pour que notre vie soit ajustée à la volonté de Dieu dans la relation au frère.
4.2 – Le pardon ? Un mystère de l’amour
Il y a un mystère de l’amour de Dieu, offert à l’homme dans son histoire et la gratuité de cet amour qui reste fidèle malgré les choix peu responsables de l’homme. L’amour se partage sans condition mais toujours avec conviction dans une générosité, écho de l’amour de Dieu pour chacun d’entre nous. Oui là où est l’amour en vérité, là est Dieu. « L’amour est gratuit. Il n’est pas utilisé pour parvenir à d’autres fins . … Souvent, c’est précisément l’absence de Dieu qui est la racine la plus profonde de la souffrance. Celui qui pratique la charité au nom de l’Église ne cherchera jamais à imposer aux autres la foi de l’Église. Il sait que l’amour, dans sa pureté et dans sa gratuité, est le meilleur témoignage du Dieu auquel nous croyons et qui nous pousse à aimer. » [xiv] Car en aimant nous devenons véritablement disciples du Christ et nous portons la lumière de la foi dans le cœur de chacun. L’amour est le lieu de notre conversion attentif à la Parole du Seigneur et une recherche de la relation fraternelle comme prolongement de notre foi et témoignage de nos actes. En aimant nos ennemis nous faisons retentir la Parole du Seigneur au-delà des frontières pour toucher chacun dans son humanité. Alors nous vivons le partage comme une évidence dans l’esprit de pauvreté. Nous refusons la violence parce que la douceur de Dieu nous a rejoints dans l’humilité de notre vie. Nous donnons ce que nous avons dans une volonté de justice dont nous voulons rassasier tous ceux qui nous côtoient. Nous vivons l’amour jusqu’au pardon dans cette attente de miséricorde de Dieu pour chacun d’entre nous et qui transparait dans nos relations fraternelles. Le pardon est un lieu du combat spirituel, n’ayons pas peur de nous y engager pour la plus grande gloire de Dieu. Pour manifester au monde sa présence d’amour. « Le Seigneur est tendresse et pitié, lent à la colère et plein d’amour »
4.3 – La Parole de Dieu comme lieu du pardon
Mais l’écoute de la Parole de Dieu demande une disposition intérieure à recevoir la visite de l’Esprit Saint qui vient nous guider sur le chemin de la joie. Une joie de communion avec Dieu, une joie de relation avec le frère, une joie de Dieu dans notre histoire. « Pour accueillir la Révélation, l’homme doit ouvrir sa conscience et son cœur à l’action de l’Esprit Saint qui lui fait comprendre la Parole de Dieu présente dans les Écritures Saintes »[xv]. Que dit la Parole ? Elle est un chant d’amour de Dieu pour les hommes, malgré leurs infidélités, Dieu reste fidèle et s’ouvre à la miséricorde dès que l’homme reconnait son péché. La liberté de Dieu est l’amour qui se répand comme une joie de la vie. Un amour qui est pur don de bonheur. « Béni le Seigneur ô mon âme, n’oublie aucun de ses bienfaits ! » Une joie qui appelle à l’action de grâce comme lieu de dialogue avec l’action du Tout Puissant pour chacun d’entre nous. « Saint Augustin a raison, lorsqu’il affirme dans un sermon célèbre: « L’homme nouveau sait quel est le cantique nouveau. Chanter, c’est exprimer sa joie et, si nous y pensons avec un peu plus d’attention, c’est exprimer son amour ».[xvi] »[xvii] Ecouter le Parole du Seigneur demande alors de nous laisser saisir par la manifestation de sa présence dans notre vie, et continuer d’être en dialogue avec Lui lorsque nous sommes avec nos frères. Une prière incessante où le frère a toute sa place.
L’attaque du diable est dans ce refus de l’écoute de la Parole de Dieu ou son instrumentalisation pour mieux attaquer notre confiance en Dieu. Le pardon est alors ce prolongement de la parole de Dieu et de la confiance que nous faisons à son dessein d’amour en reconnaissant sa Toute Puissance dans notre vie, et celle de nos frères. La réalité du prochain nous rappelle que nous ne vivons pas forcément dans un climat de communion, et parfois nous pouvons connaitre même des ennemis, et le Seigneur nous rappelle notre devoir premier d’amour. Nous puisons cette force à chaque célébration eucharistique, sacrement de l’amour de Dieu pour nous dans le sacrifice offert pour la multitude. C’est pourquoi « Une Eucharistie qui ne se traduit pas en une pratique concrète de l’amour est en elle-même tronquée ». … Il s’agit avant tout de la découverte joyeuse du dynamisme de l’amour dans un cœur qui accueille le don du Seigneur, qui s’abandonne à lui et qui trouve la vraie liberté. La transformation morale, impliquée dans le nouveau culte institué par le Christ, est une tension et un désir profond de vouloir correspondre à l’amour du Seigneur de tout son être, tout en étant conscient de sa fragilité. » [xviii] Le principe de l’amour est le don, la fonction de l’amour est le service, la joie de l’amour est le partage. Et la limite de l’amour n’est autre que l’amour lui-même. Ce qui nous engage alors à ne pas conditionner l’amour aux circonstances, mais que ce soit avec les amis ou les ennemis, que ce soit en temps de paix ou de guerre, que ce soit dans ce temps-ci ou à une autre époque, nous avons toujours à aimer, puisque c’est dans notre nature même et à inventer une relation du pardon qui restaure ce qui est blessé, redresse ce qui est faible, et réchauffe la froideur de nos relations. « Il est hors de doute que la restauration de la justice, la réconciliation et le pardon sont des conditions pour bâtir une paix véritable.[xix] De cette conscience naît la volonté de transformer aussi les structures injustes pour restaurer le respect de la dignité de l’homme, créé à l’image et à la ressemblance de Dieu »[xx]C’est un vrai combat, car il nous faut supporter les faiblesses des autres, en lien avec nos propres difficultés, et comprendre au lieu de juger, dans une juste place de la vérité des réalités que je suis appelé à vivre. La vertu de prudence se vit dans la vérité de la réalité, comme lieu du discernement de la juste place de nos actes et de notre volonté. Une responsabilité de notre conscience qui se vérifie à travers ce qui est vécu et avec confiance en Dieu et dans la nature humaine. Mais nous ne sommes pas réduits à nos actes et ne pouvons réduire nos frères à leurs actes. D’autre part le sacrifice d’action de grâce qu’est l’eucharistie nous invite à comprendre l’amour comme lieu du sacrifice à travers le service, et de joie par le don qui se partage. Ce qui invite à faire des choix, et demande un engagement radical dans l’expression de nos engagements. Parfois il nous faut vivre des ruptures, et abandonner des aspirations personnelles qui n’étaient pas enracinées dans l’œuvre de Dieu et la civilisation de l’amour.
5 – La défiance comme lieu de désintégration intérieure
Lorsque Dieu se donne à travers l’alliance, et continue d’aimer, les tentatives de l’instrumentalisation de l’homme sont fortes pour suspecter le don. Comme un obscurcissement de la raison et un durcissement du cœur pour ne pas rejoindre le Tout Autre dans le dialogue. Malgré les infidélités de l’homme, Dieu reste constant, révélant ainsi l’absolu de l’amour et sa beauté dans ses œuvres. « La beauté véritable est l’amour de Dieu, qui s’est définitivement révélé à nous dans le mystère pascal. »[xxi] Mais la défiance sur le jugement téméraire d’un élément à un instant précis désintègre notre unité intérieure et cause une béance. Comme un vide de soi où le démon de l’acédie essaye de nous tenter. La personne qui veut vivre la volonté de Dieu ordonne sa vie vers ce bien. « J’éprouve une si étrange solitude…je ne trouve nul soulagement en ce monde ; tout m’ennuie et me tourment. Mais je veux souffrir toutes ces tortures pendant toute ma vie si cela plaît à Dieu, bien que je sache que c’est l’agonie de mon âme »[xxii] Ne nous laissons pas envahir par l’épreuve mais au contraire sachons regarder vers le Seigneur afin d’être en holocauste pour mes frères.
Le combat spirituel vient de cette défiance qui trouve une brèche dans notre vie et laisse le démon de l’acédie nous attaquer, lui qui veut parceller notre vie et nous diviser pour mieux être sous son emprise. « Maintes fois lorsque vous êtes seuls dans votre cellule, une sorte d’inertie, de langueur de l’esprit et de dégoût cordial vous saisit… vous êtes une charge à vous-mêmes, et cette joie profonde dont vous usiez si gaiement vous a quitté.. la douceur…a tourné en grande amertume … votre âme a volé en éclats, tombée dans la confusion… »[xxiii] Il y a comme une désintégration intérieure que nous pouvons expérimenter dans le burn-out, mais qui se vit aussi dans cette ingérence de l’anxiété dans tous nos gestes quotidiens, ou une forme de dépréciation de soi qui va jusqu’à la fatigue d’être soi. Alors on entre en récrimination vers nos frères, comme un refuge pour nier nos propres errements. C’est la Parole de Dieu qui nous réajuste à une attitude de vérité. « Celui d’entre vous qui est sans péché qu’il soit le premier à lui jeter la pierre » Nous ne pouvons pas reprocher aux autres nos propres errements, et ce reproche culpabilisant se devine dans le ressentiment. Il faut réajuster notre histoire à la lumière du Dieu vivant.
Les choix que nous posons dans nos vies résultent souvent des blessures d’enfance, que nous répétons avec application tout en laissant la souffrance s’étendre de plus en plus. La fragilité que nous avons pu vivre nous rend vulnérables aux attaques du démon et en même temps demande une vigilance de notre part pour refuser l’aliénation de la répétition. Le carême est ce chemin de prise de conscience et en même temps de réorientation pour suivre ce qui nous parait fondamental et refuser de reproduire ce qui nous a si bien sécurisés jusque-là. Dans cette route qui permet de traverser la mer de nos angoisses pour atteindre la terre promise, nous devons nous libérer de nos histoires du passé et bien être citoyens du monde nouveau dans la civilisation de l’amour. Or il arrive que nous ayons une hérédité chargée notamment avec des pratiques occultes de nos parents qui ne sont pas sans conséquences sur notre vie actuelle. En psychiatrie cela se traduit par l’adage, il faut 4 générations pour faire un psychotique. Le comportement des parents induisant le caractère des enfants. St Paul nous le rappelle dans la relation à Dieu, avec le péché des origines. « Nous savons que par un seul homme, le péché est entré dans le monde, et que par le péché est venue la mort ; et ainsi, la mort est passée en tous les hommes, étant donné que tous ont péché.»[xxiv] et largement développé avec la doctrine du péché originel chez St Augustin. La relation des parents n’induit pas seulement le caractère ou la manière de penser, cela est aussi vrai à travers l’approche spirituelle dans une vision de Dieu et une forme d’instrumentalisation de la prière. Nonobstant le fait que le nom de Jésus libère pleinement et entièrement, et qu’il n’est pas besoin d’avoir recours à des pratiques incantatoires ou des demandes bizarres de libération, il nous faut être attentifs à mettre en lumière ce qui peut nous amener à ne pas être ajusté à Dieu, et à Lui demander de venir éclairer de sa présence tout ce qui est si sombre chez nous.
Parfois notre combat est dans la répétition de choix dans notre propre histoire de péchés dont nous atténuons peu à peu la gravité pour en faire une partie constituante de notre caractère. Le démon peut ainsi entrer dans cette porte que nous lui laissons ouverte et que nous acceptons comme une fatalité de la vie et en même temps une impuissance de Dieu. La désintégration intérieure mène à cette forme d’aveuglement où nous ne savons plus discerner, et ainsi ne plus choisir en liberté. Je pense que l’emprise du démon peut venir dans ce refus de conversion. « C’est comme ça je ne peux pas changer ». Rien que dans la phrase nous saisissons immédiatement l’enfermement dans lequel nous nous mettons et nous entrons dans le vice qui produit une véritable addiction. Aujourd’hui chez les jeunes la question de la pornographie est une vraie problématique. Mais chez les adultes, l’infidélité notoire, et la relativité dans les relations amoureuses démontre un désordre déstructurant, et que la Parole ne rejoint pas au nom même de cette défiance vis-à-vis de la foi et de l’Eglise. Le vice devient un choix relatif à un amas d’individus empêtrés dans leurs propres contradictions, et à cause de la responsabilité de leurs actes, sous une forme d’influence démoniaque. « Le diable tente en explorant les dispositions intérieures de l’homme, afin de le tenter par le vice auquel il est le plus enclin »[xxv] La juste place que nous avons à avoir vient de notre foi au Christ. Et nous sommes invités par le Christ à vivre la Parole non comme un lieu de condamnation mais bien de conversion « Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, et désormais ne pèche plus ». Il s’agit de s’abandonner à l’action de Dieu dans notre vie, à lâcher prise pour laisser Dieu agir, à nous laisser guider, dans la confiance. « Il n’est pas une paresse quiétiste, mais le désir de tout faire avec Dieu »[xxvi]. Que ce temps de conversion soit pour nous l’occasion de reposer ce choix de Dieu en toute chose, libérés de tout ce qui peut nous détourner de la vérité de l’amour et obscurcir l’intelligence de notre foi.
Synthèse
Nous vous proposons une méditation du carême à travers le combat spirituel, parce qu’il y a une forme de dépossession de soi dans le jeûne, d’ouverture à l’autre dans l’aumône, et de relation à Dieu à travers la prière. « L’homme est créé pour le bonheur véritable et éternel, que seul l’amour de Dieu peut donner. »[xxvii] et que nous devons vivre en nous laissant modeler par sa Parole, et en participant à ce don de nous-mêmes afin d’accomplir la volonté de Dieu en toute chose. « La célébration et l’adoration de l’Eucharistie nous permettent de nous approcher de l’amour de Dieu et d’y adhérer personnellement jusqu’à l’union avec le Seigneur bien- aimé. L’offrande de notre vie, la communion avec toute la communauté des croyants et la solidarité avec tout homme sont des aspects inséparables … du culte spirituel, saint et agréable à Dieu[xxviii], dans lequel toute notre réalité humaine concrète est transformée pour la gloire de Dieu. »[xxix] Fuyons donc l’esprit du monde qui est d’avoir un regard accusateur sur le frère, d’être dans le jugement et d’ignorer la miséricorde.
Nous avons à reconnaitre la présence de Jésus dans notre vie, de l’accueillir dans une juste relation de l’amour qui est au service, et jamais en captation, car l’amour ne s’accapare pas, il se donne, il se partage, il se diffuse et grandit à chaque espace de rencontre dans un don encore plus grand. Certes, il peut être blessé, nous ne le savons que trop bien mais jamais il ne doit se replier sur lui-même au contraire, à l’exemple du Christ il va jusqu’au don radical de lui-même. « L’émerveillement pour le don que Dieu nous a fait dans le Christ imprime à notre existence un dynamisme nouveau qui nous engage à être témoins de son amour. Nous devenons témoins lorsque, par nos actions, nos paroles et nos comportements, un Autre transparaît et se communique. On peut dire que le témoignage est le moyen par lequel la vérité de l’amour de Dieu rejoint l’homme dans l’histoire, l’invitant à accueillir librement cette nouveauté radicale »[xxx] Le carême est une voie d’humilité, pour maitriser notre corps dans la pénitence, et épanouir notre âme dans la prière. Un chemin de réajustement pour remettre les priorités dans le bon ordre, et ne pas nous laisser envahir par le quotidien. Une compréhension de l’amour dans l’écoute de la parole qui nous mène à l’orée de Pâques. Car Dieu est présent à notre humanité d’une manière renouvelée à travers l’événement pascal. Nous retrouvons le bon gouvernail pour orienter notre vie selon la volonté de Dieu et fuir les dysfonctionnements du péché.
Notre vie dans la cité doit être cette recherche de Dieu qui nous pousse à aller au large pour puiser l’essentiel. Ne restons pas sur notre quotidien mais au contraire demandons au Seigneur l’appel qu’il nous demande de vivre, le sens de ce que nous faisons, la recherche de la vérité de nos vies. Nous avons à témoigner de cette joie de croire à travers la vie de la cité dans la rencontre avec le prochain, le dialogue avec le frère, la collaboration, simple exercice de communion au service du bien commun. Une disponibilité à reconnaitre Dieu à travers la pâte humaine et l’éclat de sa sainteté dans la recherche de la justice et de la paix. « De la dignité, de l’unité et de l’égalité de toutes les personnes découle avant tout le principe du bien commun, auquel tout aspect de la vie sociale doit se référer pour trouver une plénitude de sens. …par bien commun on entend: « cet ensemble de conditions sociales qui permettent, tant aux groupes qu’à chacun de leurs membres, d’atteindre leur perfection d’une façon plus totale et plus aisée ».[xxxi] »[xxxii] Nous ne sommes pas dans une recherche tournée vers nous-mêmes et nos propres prérogatives, ni même dans un cynisme de se servir de son pouvoir sur place, mais bien dans l’intérêt de tous au profit de chacun. Comme un lieu d’échange et de complémentarité qui demande générosité, écoute et service afin de révéler la lumière de la vérité en toutes nos actions et y voir l’amour comme lieu de rédemption. Il ne s’agit donc pas seulement de contempler et de vivre la sainteté de Dieu mais bien de transformer notre vie pour correspondre à cette vocation de l’amour qui se réalise à travers la relation fraternelle. « Le bien commun ne consiste pas dans la simple somme des biens particuliers de chaque sujet du corps social. Étant à tous et à chacun, il est et demeure commun, car indivisible et parce qu’il n’est possible qu’ensemble de l’atteindre, de l’accroître et de le conserver, notamment en vue de l’avenir. Comme l’agir moral de l’individu se réalise en faisant le bien, de même l’agir social parvient à sa plénitude en accomplissant le bien commun. »[xxxiii] Aucune loi légitime ne peut s’opposer à une conscience droite et à un agir moral qui respecte la dignité de la personne. Le chemin de conversion que nous avons à vivre doit transformer nos manières d’être et d’agir pour nous laisser guider au souffle de l’Esprit Saint. « Parfois, la vie présente des défis importants et à travers eux le Seigneur nous invite à de nouvelles conversions qui permettent à sa grâce de mieux se manifester dans notre existence « afin de nous faire participer à sa sainteté »[xxxiv].
Père Greg – Curé
Sainte Anne et Saint Joachim de Polangis – Saint Charles Borromée
Ensemble paroissial de Joinville le pont
Notes
[i] St Jean Chrysostome (345-407) sur le diable tentateur, les cinq chemins de la conversion (les citations qui suivent sont du sermon qui nous est parvenu.
[ii] St Augustin in Tactiques du diable et délivrance p 309
[iii] St Jean Chrsostome, homélie sur l’Evangile de Matthieu in tactique du diable p 310
[iv] Ste Thérèse de Lisieux – Carnet Jaune
[v] Ste Thérèse d’Avila – Vie intérieure Chapitre 39
[vi] Job 19,25
[vii] &35 Spe Salvi
[viii] &1 Spe salvi
[ix] Cf. Ac 2, 36 ; Mt 28, 18
[x] &38/1 Gaudium et Spes
[xi] Job et le mystère du mal – Daniel Foucher
[xii] &55 Sacramentum Caritas
[xiii] La prière agréable à Dieu de Jacob Bohme (1575-1624) – Chemin pour aller au Christ
[xiv] &31c Dieu est amour
[xv] &25 Verbum Domini Proposition 4.
[xvi] Sermo 34, 1: PL 38, 210.
[xvii] &42 Sacramentum Caritas
[xviii] Benoît XVI, Encycl. Deus caritas est (25 décembre 2005), n. 14: AAS 98 (2006), p. 229; La Documentation catholique 103 (2006), p. 173
[xix] Cf. Proposition 48.
[xx] &89 Sacramentum Caritas
[xxi] &35 Sacramentum Caritas
[xxii] Padre Pio, parole de lumière p 35 in mon carême avec Padre Pio p 40
[xxiii] P 421 de l’acédite monastique à l’anxio deression – Bernard Forthomme
[xxiv] Rm 5,12
[xxv] St Thomas d’Aquin I-I, q 114 art 2 – in P 349 Tactiques du diable et délivrance
[xxvi] P 328 Tactiques du diable et délivrance
[xxvii] &30 Sacrementum Caritas
[xxviii] cf. Rm 12, 1
[xxix] &94 Sacramentum caritas
[xxx] &85 Sacramentum Caritas
[xxxi] Concile Œcuménique Vatican II, Const. past. Gaudium et spes, 26: AAS 58 (1966) 1046; cf. Catéchisme de l’Église Catholique, 1905-1912; Jean XXIII, Encycl. Mater et magistra: AAS 53 (1961) 417-421; Id., Encycl. Pacem in terris: AAS 55 (1963) 272-723; Paul VI, Lettre apost. Octogesima adveniens, 46: AAS 63 (1971) 433- 435.
[xxxii] &164 CDSE
[xxxiii] &164 CDSE
[xxxiv] He 12, 10 &17 Gaudete et exsultate
Source de l’illustration : Fresco of St. John Chrysostom, lower register of sanctuary in Church of the Theotokos Peribleptos in Ohrid, Macedonia. 13th century.