2019. Lettre de l’Avent 4/4. L’arrogance

« Je mettrai fin à l’orgueil des insolents et rabattrai l’arrogance des tyrans. »[i]

            La notion de l’arrogance va avec le manque d’humilité et le vice de l’orgueil. Néanmoins l’arrogance est l’expression d’un orgueil atteignant profondément l’attitude relationnelle. Un dessèchement du cœur[ii] pour un air hautain amenant à une conduite pleine d’arrogance. Course d’une vaine présomption lorsque celle-ci refuse la manifestation de Dieu pour se révéler être son propre référent de grandeur ; en quelque sorte un délire de mégalomanie. Un refus de s’abaisser et d’être dans l’ajustement de ses moyens comme principe de réalité, afin de vivre avec prétention et sans accepter toute la responsabilité de ses propres actes. Une folie des grandeurs dans la relation par une perception de supériorité absolue. S’enfler de soi-même jusqu’à devenir vaniteux voire stupide d’orgueil, l’arrogant ne voit pas la fumée de sa propre existence, c’est-à-dire les limites de son être se croyant ou se voulant immortel. Une illusion qui rend la mort comme optionnelle et parfois devient une forme de déni de tout ce qui touche à la finitude. Un aveuglement de la destinée pour un projet déconnecté de la création. Une poussée insensée de construire des tours de Babel scientifiques à travers une stupide fascination tyrannique qui se révèle hypnotique et devient aliénante. L’insolence de l’être face à l’avoir qui confond la finalité des choses avec les moyens qui nous sont donnés pour l’obtenir. Une forme d’insulte à notre dignité de Fils de Dieu finissant par un naufrage de tout notre être lorsque nous sommes mis face à la réalité de ce que nous sommes.

L’arrogance dans la tempête amène à l’échouage de ce que nous sommes, et nous éloigne de nos frères avec les violences que cela engendre dans les histoires de chacun. C’est donc vouloir se trouver sur les hauteurs[iii] en oubliant que nous sommes d’abord guetteurs, et nous égarer dans ce sentiment de supériorité à ce que nous voyons comme lointain et si faible. Quand bien même au loin je vois comme des fourmis, je ne dois jamais oublier, qu’ils sont avant tout ; des hommes et des femmes aimés de Dieu. L’arrogant lui, voit des objets et transforme les relations dans sa grande estime de son propre pouvoir sans y percevoir la faiblesse. Regarder les autres de haut nous isole durablement. « Assez de paroles hautaines, pas d’insolence à la bouche. Le Seigneur est le Dieu qui sait, qui pèse nos actes. »[iv] Nous sommes responsables non de ce que nous sommes mais de ce que nous devenons, des inclinations que nous prenons, des choix que nous menons dans notre vie. Et si par miséricorde, le Seigneur pèse nos actes c’est pour nous faire comprendre que la grande aventure du salut demande de déployer l’espérance dans sa vie en commençant à vivre la communion fraternelle et l’union à Dieu par la volonté, ce qui nous prépare au Royaume . En effet le royaume des Cieux est ce lieu où chacun à une égale dignité dans l’ajustement des places de chacun par rapport à l’amour de Dieu donné, reçu et partagé.

1. «Plein de suffisance, l’impie ne cherche plus : “Dieu n’est rien”»[v]

 « Tous les arrogants, tous ceux qui commettent l’impiété, seront de la paille » La première arrogance dans nos vies est d’exclure Dieu de ce qui fait notre quotidien. De ne l’appeler qu’à certains moments et de le rendre silencieux la plupart du temps, comme si nous pouvions agir en dehors de son amour. Oui, l’arrogance se situe dans le péché, c’est-à-dire le renfermement sur soi et une vie de mensonge. « Caïn, au lieu de se montrer troublé et de demander pardon, élude la question avec arrogance: « Je ne sais pas. Suis-je le gardien de mon frère? »[vi] Cet arrogant qui ne cherche pas à restaurer la relation et dit dans son cœur : il n’y a pas de Dieu, rien au-dessus de moi, c’est-à-dire pas de vérité morale, tout est relatif, culturel, d’une époque, vivons comme nous l’entendons et nous rectifierons les conséquences s’il y en a. Comme si je disais ‘Je trouve le sens de l’existence dans ce que je fais, et non dans ce que je suis’. Voilà la vanité de nos propos ! .

Il y a une forme d’arrogance à croire que nos actes n’ont pas de conséquence vis-à-vis de Dieu. Par exemple piller le sanctuaire du Seigneur[vii] et de devenir outrageant pour ses fidèles parce qu’il n’y a pas d’acte immédiat ! « L’homme qui vit dans le présent est sacrifié au Moloch de l’avenir – un avenir dont la réalisation effective reste pour le moins douteuse »[viii]Nous pouvons le faire avec superbe et asséner un orgueil propre aux tyrans. La tyrannie de nos désirs individualistes dans une conception amorale assumée avec arrogance, parce qu’au nom d’un bien que je définis comme tel à travers une conscience abrutie par une société en perte de sens, et la recherche d’un profit en toute chose. Un bavardage[ix] incessant à travers l’ineptie d’information continue et les exemples sélectionnés pour orienter vers une pensée unique. Mais tout cela n’est que d’un temps, l’abrutissement de l’histoire créé toujours un manque, un vide existentiel, une perte d’être. La vérité trouve toujours place dans l’histoire au moment opportun. « le Christ: nous dit …en réalité, qui est l’homme et ce qu’il doit faire pour être vraiment homme. Il nous indique la voie et cette voie est la vérité »[x]

 Cependant le bouleversement de l’outrage produit une forme de colère pour les marchands du Temple et ceux qui cherchent un profit personnel au lieu de la manifestation pleine et entière de Dieu. Cela produit une gratuité de la grâce dans la joie du fils prodigue dépouillé de son encombrant héritage mais retrouvant la richesse d’une relation paternelle. . Il nous faut rappeler notre humble condition humaine, et le service qui doit être rendu à Dieu et non instrumentaliser sur les bonnes intentions ses propres agissements peccamineux. C’est donc bien fuir les « paroles hautaines »[xi] pour ne pas laisser apparaître le péché de l’arrogance dans notre bouche. Dieu doit être toujours premier dans notre vie et une fontaine de jouvence pour nos frères, et non un tremplin pour assouvir les instincts d’orgueil et de suffisance ou de possession, d’avoir déconnecté de la mission de simplicité et d’annonce de la Bonne Nouvelle[xii]. La forme d’orgueil par excellence est de s’attribuer implicitement les œuvres de Dieu par une onction spéciale qui met Dieu entre parenthèse. L’arrogance est là qui en oublie les médiations humaines, et l’humilité de l’obéissance alors que celles-ci aident au discernement des esprits que nous utilisons. L’arrogance empêche de nous ouvrir à l’entrée de Dieu dans notre vie, et nous ferme à la vérité de l’amour et à la recherche du bien pour aller dans la fatuité de nos propres aspirations, un empoisonnement de nos relations, une pollution de notre être et au tarissement de la source de gratuité arrivant à un oubli des promesses de Dieu et de sa fidélité infinie.

Paradoxalement, plein de lui-même, il y a une errance de l’arrogant dans un vide intérieur ouvrant parfois à du désespoir ou alors à un cynisme de la vie désinvesti de toute responsabilité. Paradoxe du lieu de solitude où Dieu finit toujours par s’affirmer présent, comme la lumière des nations dans l’humilité de son incarnation, de sa présence d’amour, de la réalité de la joie des humbles et des petits. S’élever contre Dieu est le propre de l’enfermement et ouvre la porte à toutes les perversités dévoilant la fragilité d’une maison bâtie sur le sable et qui a connu un écroulement complet. « Déployant la force de son bras, il disperse les superbes il renverse les puissants de leur trône il élève les humbles. » La révélation du salut demande à ce que nous prenions Jésus comme médecin c’est-à-dire nous reconnaitre pécheurs et non bien portants. Jésus peut agir dans ma vie si je lui demande de venir, il ne s’impose pas, mais attend de notre part une disponibilité d’être pour accomplir sa mission de Rédemption.

2. Un déni de la réalité de l’œuvre de Dieu.

L’arrogance est l’acceptation de la fascination pour ce qui dévie de la Parole de Dieu. Vous savez, cette fascination diabolique à montrer la beauté du fruit pour mieux contourner l’interdit, oui, cette fascination à vouloir faire à la place de Dieu et qui conduit à la dépravation de la dignité humaine, car elle tend à vouloir masquer son identité ontologique (l’identité de son être) d’image de Dieu. Cette fascination pour cette incomplétude de l’intelligence lorsque celle-ci en oublie ce qui est juste, et ignore la conscience au nom d’un possible progrès. Ceux qui nient Dieu, qui réfutent ardemment son existence mènent une mauvaise vie. Car l’incroyance active est motivée par le désir d’échapper à la loi morale et à la recherche du vrai bien qui est naturel à tout homme.

L’arrogance vient d’un oubli de la réalité comme nous le rappelle le prophète Habacuc lui promettant cinq malédictions :

  • Amasser le bien d’autrui avec gage est une preuve de légèreté, car je suis poussé dans un avenir incertain sans en connaitre les conséquences dans les aléas de la vie. Il y a une dimension spirituelle à vivre par procuration, dans la vie des autres, au lieu d’assumer sa propre élection et réaliser ainsi sa vocation.
  • Voler en laissant l’autre dans sa misère et se croire invincible est le lit de la revendication. La question de la justice sociale est vraiment importante aujourd’hui. Une chose est de mépriser les sans dents parce que j’ai une posture sociale et un cercle de relation qui me suffit. L’autre chose est de déployer l’injustice à travers la corruption. « La corruption empêche de regarder l’avenir avec espérance, parce que son arrogance et son avidité anéantissent les projets des faibles et chassent les plus pauvres. C’est un mal qui prend racine dans les gestes quotidiens pour s’étendre jusqu’aux scandales publics. »[xiii] Il y a une responsabilité individuelle et collective de la corruption. La responsabilité d’une société qui ne sait pas dénoncer même jusqu’à accepter de donner sa vie pour que de telles choses ne se produisent pas. « la capacité d’accepter la souffrance par amour du bien, de la vérité et de la justice est constitutive de la mesure de l’humanité, parce que si, en définitive, mon bien-être, mon intégrité sont plus importants que la vérité et la justice, alors la domination du plus fort l’emporte; alors règnent la violence et le mensonge»[xiv] L’engagement de notre part doit être signe de l’amour de Dieu pour ce monde.
  • Vivre l’injustice comme principe de fonctionnement au nom des désirs individualistes est pure folie. C’est le principe de ce qui est appelé avantage acquis pour soi et de privilège lorsqu’on parle des autres. Garder des régimes spéciaux afin de désorganiser le bien commun et d’entraver une justice économique pourtant bien nécessaire. En fait, c’est oublier le partage comme principe de fraternité. « Il peut y avoir des personnes qui ont détruit totalement en elles le désir de la vérité et la disponibilité à l’amour. »[xv] Il nous faut être attentif à mettre l’amour premier et non dans l’arrogance d’un principe secondaire.
  • Vouloir enivrer ses voisins pour voir leur nudité nous ramène à nos propres pauvretés. Il y a dans cette arrogance un abus de faiblesse dénoncé avec véhémence. Ce n’est pas parce que l’autre se met dans une situation que j’ai créée, que je n’en porte pas la responsabilité. Instrumentaliser l’autre à ses propres besoins est un détournement grave de la conscience. Ne peut-on pas parler d’injure à Dieu dans le non-respect de la liberté de la personne ? Nous devons nous souvenir de la beauté du plus petit des enfants des hommes car« en chaque frère, spécialement le plus petit, fragile, sans défense et en celui qui est dans le besoin, se trouve présente l’image même de Dieu. En effet, avec cette humanité vulnérable considérée comme déchet, à la fin des temps, le Seigneur façonnera sa dernière œuvre d’art »[xvi] Dévoiler la faiblesse avec cynisme pour montrer la fragilité des uns et des autres est odieux. Certaines émissions de télévisions pour cela doivent être clairement boycottées au nom d’une hygiène spirituelle. On ne peut pas tourner l’autre en dérision pour le plaisir du spectacle. Cela me demande un travail de discernement chaque jour pour ne pas me laisser endormir par l’éloge du « tout le monde le fait », ou « c’est habituel ».
  • Croire que l’avoir est plus important que l’être c’est passer les objets avant les personnes, c’est oublier Dieu[xvii]. Mettre ses propres besoins avant la relation fraternelle, ou mettre une hiérarchie des valeurs ou les vacances sont plus importantes que ce qui se vit en Eglise. C’est aussi vrai pour ceux qui mettent en avant les études et le sport avant l’épanouissement spirituel et relationnel dans la gratuité du temps. Comme la recherche d’un enfant comme animal de compagnie avant d’en voir d’abord et avant tout un projet familial et un engagement responsable dans l’éducation. « Dès le départ, l’amour rejette toute tendance à s’enfermer sur lui-même, et s’ouvre à une fécondité qui le prolonge au-delà de sa propre existence»[xviii]

L’impiété de l’arrogant est alors de s’auto justifier et de se croire en dehors du jugement de Dieu. Or la fidélité du Seigneur s’exerce justement dans la droiture de sa Parole et son ajustement dans notre vie. La Parole ne revient pas vers Dieu sans avoir porté du fruit, sans avoir produit de l’effet, sans avoir été efficace. Pour l’arrogant ce n’est que ruine mais pour le disciple du Christ c’est d’être disponible au souffle de l’Esprit Saint et de se laisser transformer par la grâce.

a)    L’oubli du temps qui passe

Le Seigneur peut nous donner les charismes nécessaires à l’exercice de sa manifestation dans le monde. En effet, il a la faculté de nous faire marcher sur un chemin de grâce. Par nos charismes nous aidons nos frères à contempler la sagesse de Dieu dans l’intelligence de la foi. Mais cela ne peut être en aucun cas, l’utilisation individualiste des dons de Dieu pour pourrir l’amour fraternel par une supériorité clivante et suffisante. L’arrogance est justement ce clivage de la fraternité à travers l’orgueil de la situation et le sentiment de supériorité dégagé, sans lendemain possible. Or le déni du lendemain fait vivre beaucoup de désenchantement « après tout ce que j’ai fait », contrariant la vérité dans la reconnaissance de tout ce que j’ai mal fait. Or nos limites humaines, à travers la maladie, ou les pertes de la raison, ramènent alors aux besoins du frère et d’accompagnement que j’ai si souvent refusés. Certaines pathologies névrotiques sont de cet ordre-là, et ramènent alors au principe de médiation pour restaurer la relation.

b)    La fragilité humaine

On peut vivre sans peur du lendemain, et se croire intouchable. Mais c’est justement dans la vulnérabilité que nous avons besoin de nous sentir aimés. Les retournements de situations doivent nous aider à nous souvenir du principe d’humanité dans la vérité de la relation et de la gratuité de l’amour sans instrumentalisation. Antiochus Epiphane pouvait être un persécuteur imbu de lui-même et d’une folle arrogance la fin de ses jours a été le rappel de son humus premier. « Celui qui naguère semblait toucher aux astres du ciel, personne maintenant ne pouvait l’escorter à cause de l’incommodité intolérable de cette odeur. »[xix] Par son propre orgueil il s’est enfermé dans une inhumanité que son corps à traduit par la maladie. Lui qui arrachait la chair de ses adversaires, vivait lui-même cet arrachement par une vie tombant en lambeaux.

3. Le témoignage de simplicité comme traitement de l’arrogance

 « Mais nous avons voulu être pour vous un modèle à imiter. » L’exemplarité du témoignage se fait dans les actions que nous avons à vivre, et la première est de n’être à charge de personne, la seconde de mener une vie de simplicité. L’arrogant lui demande à ses fidèles de le faire vivre dans un train de vie qui ne correspond plus aux actes des apôtres. « La relation avec les autres est d’une particulière importance. C’est un élément vraiment essentiel pour celui qui est appelé à être responsable d’une communauté et à être un « homme de communion ». Cela exige que le prêtre ne soit ni arrogant, ni chicanier, mais qu’il soit affable, accueillant, sincère dans ses propos et dans son cœur [xx] »[xxi] La vie en Dieu demande d’être ancrée dans la réalité du travail à effectuer chaque jour, c’est d’ailleurs un des axes de St Benoit demandant à ses heures, certes de la prière et du repos, mais aussi du travail physique afin de rendre gloire à Dieu dans sa création. Un serviteur de Dieu n’est pas que dans l’écoute et la pratique des sacrements, il doit être aussi en chemin dans un labeur qui correspond à sa propre responsabilité. Et si nous allons plus loin « … l’arrogance de l’homme qui vit ‘comme si Dieu n’existait pas’, le porte à exploiter et à défigurer la nature, en ne reconnaissant pas en elle une œuvre de la Parole créatrice » Le travail incarné ramène aux réalités de ce que nous sommes et à la réalité du temps qui passe comme un lieu de maturation et de régénération.

Or nous pouvons mener une vie déréglée affairés sans rien faire, et le Christ nous le rappelle une seule chose est nécessaire, et la sœur de Marthe a choisi la meilleure part. Une vie déréglée, c’est de ne pas mettre Dieu au centre de toutes nos actions, et ne pas entendre le souffle de l’Esprit Saint nous inviter à vivre la fraternité dans toutes ses réalités. Une vie déréglée c’est la disjonction entre ce que nous disons et ce que nous vivons, c’est cloisonner notre vie pour choisir ce qui peut être sous le regard de Dieu et sur ce qui reste sur notre regard. Une vie déréglée, est une vie non ajustée à la volonté du Père dans l’amour du Fils et la réception de l’Esprit Saint. « Le croyant n’est pas arrogant ; au contraire, la vérité le rend humble, sachant que ce n’est pas lui qui la possède, mais c’est elle qui l’embrasse et le possède. Loin de le raidir, la sécurité de la foi le met en route, et rend possible le témoignage et le dialogue avec tous »[xxii] Et le témoignage se fait dans le rayonnement de la présence de Dieu dans notre vie, la transformation qui s’opère dans mes actes pour me conformer par amour à la vérité de Dieu. Une conversion du cœur pour prendre conscience de la Toute Puissance de Dieu et de nos propres limites et tout attendre de sa grâce. Un travail de tout notre être pour nous rendre disponibles à la grâce agissante.

Nous sommes appelés dans la grande espérance à ne pas être ravagés par la suffisance de nous-mêmes, et le manque d’humilité face à Dieu, mais bien dans la douceur et la disponibilité à sa grâce, nous tenir prêts à son appel. Non dans un esprit de peur, mais bien dans le cœur de l’amour pour être unis à l’éternel amour. Cela demande du temps, de la patience et la douceur de la vérité pour la conversion transformante. « C’est par votre persévérance que vous garderez votre vie. » L’humilité sait passer par la médiation du temps pour amener à la douceur de l’amour avec force et audace dans le courage d’une conversion. « La vérité et la justice doivent être au-dessus de mon confort et de mon intégrité physique, autrement ma vie elle-même devient mensonge. Et enfin, le « oui » à l’amour est aussi source de souffrance, parce que l’amour exige toujours de sortir de mon moi, où je me laisse émonder et blesser. L’amour ne peut nullement exister sans ce renoncement qui m’est aussi douloureux à moi-même, autrement il devient pur égoïsme et, de ce fait, il s’annule lui-même comme tel. »[xxiii] C’est l’oublie d’une vie pleine d’arrogance. Car tous nous sommes appelés à témoigner de la générosité de l’amour dans la simplicité de la relation. Nous pouvons rester à l’extérieur sans jamais être attentifs à ce qui nous fait sens et nous laisser embarquer dans une forme d’arrogance parce que nous avons oublié nos limites, comme subjugués par les apparences sans y discerner la volonté de Dieu. Or, loin d’être absurde, l’histoire de l’homme est amenée à se saisir de la révélation de Dieu comme lieu de communion. Et d’une nouvelle relation. La vraie beauté est bien dans l’accomplissement de la Parole de Dieu qui féconde la terre, et ne revient pas vers Dieu sans produire d’effet.

Parfois dans nos vies, nous sommes sur la contemplation de futurs vestiges, avant d’aller à l’essentiel, c’est-à-dire voir l’amour. .Ne restons pas dans la contemplation de l’œuvre de ce que Dieu nous a permis de faire, mais recherchons avec ténacité l’union à Dieu dans la vie de tous les jours. Une seule chose est nécessaire et elle n’est pas dans l’extase de vieilles pierres, mais dans ce que nous avons à reconstruire ensemble dans une vie de l’Esprit Saint. Ne cherchons pas le sens des choses dans l’admiration des beautés illusoires, mais recherchons le sens de la vie avec Jésus pour ami en le laissant pétrir notre cœur par l’envoi de la Personne Don, l’Esprit Saint, et orienter notre conscience vers la recherche du meilleur bien. « Ce qui s’accomplit dans l’intime échappe au langage et invite alors au silence, « Il convient encore mieux pour nous de garder le silence sur Celui qui est l’origine de toutes choses. »[xxiv] Le sens de toute chose se puise dans la prière et cette relation avec Dieu faite de silence et de persévérance, d’accueil de la Parole et d’accomplissement dans nos vies. C’est ainsi que nous porterons un témoignage humble certes, mais solide pour l’éternité. La vie des saints en est un exemple, on se souvient de St Tarcisius ou de Ste Blandine et de leurs vies, mais que savons-nous de leurs contemporains pleins de vanités médiatiquement très exposés mais devenus des inconnus de l’histoire.

4. Quelle est notre espérance du salut ?

La vanité du monde qui passe nous invite à reconnaitre les signes des temps. « Tout sera détruit, il n’en restera pas pierre sur pierre ». Mais la destruction nous invite à vivre d’autres réalités, et ne pas nous arrêter à un moment de l’histoire. Or la question inquiète des apôtres est bien de reconnaitre les signes des temps puisque la destruction du temple est liée dans la tradition hébraïque à la venue du Messie et donc au moment où Dieu rétablira tout pour la joie éternelle. Bien loin de nos films apocalyptiques, la fin des temps est l’éternité de délice dans la contemplation amoureuse de Dieu, le bonheur sans fin d’une communion que plus rien ne peut altérer. . Le Christ « nous a communiqué désormais la « substance » des biens à venir, et l’attente de Dieu obtient ainsi une nouvelle certitude. C’est l’attente des biens à venir à partir d’un présent déjà donné »[xxv] La civilisation de l’amour que nous avons à vivre dès ici-bas est l’approche de l’amour que nous avons à vivre au Royaume des cieux pour l’éternité, une promesse que nous avons à vivre chaque jour en conformant au mieux notre vie à la volonté du Seigneur, loin des inconsistantes positions orgueilleuses ou pleines d’arrogances, ces positions de fausses insouciances et d’assassines jalousies. « La foi chrétienne nous a montré que vérité, justice, amour ne sont pas simplement des idéaux, mais des réalités de très grande densité. »[xxvi] Le témoignage rappelle la réalité du salut à l’arrogant face au jugement de Dieu et à la responsabilité de chacun face à ses œuvres.

« Nous désirons en quelque sorte la vie elle-même, la vraie vie, qui ne finisse pas par être atteinte par la mort; mais, en même temps, nous ne connaissons pas ce, vers quoi nous nous sentons poussés »[xxvii] et nous allons chercher ailleurs ce qui nous est essentiel. Le Christ nous met en garde de ne pas nous égarer auprès des personnes qui annoncent « le moment est tout proche »et dans une expression de la vanité, se prendre pour Dieu. Les témoins de Jéhovah, non sans une certaine arrogance spirituelle, ont annoncé la fin du monde une dizaine de fois dans le siècle dernier. Reconnaissons que cela n’a pas bien marché. Toutefois les discours apocalyptique et l’arrogante fermeture de certaines sectes sont effarants. Un manque de médiation et de discernement des frères, alors se voient des enfermements sur soi problématiques. Oui la fin des temps est proche, et plus proche qu’il y a deux mille ans. Oui nous sommes appelés à la conversion et à nous laisser transformer par l’amour de Dieu afin de faire des choix d’amour et se laisser embraser dans la communion Trinitaire. Oui, nous devons dans tous les actes de nos vies rechercher le salut promis mais sans l’arrogante prétention d’en connaitre le terme. Nul besoin de dates pour se convertir, l’urgence de la mission nous dit aujourd’hui et maintenant, nul besoin d’autres prophètes, c’est le Christ qui nous conduit et lui seul. Ne marchons pas vers ceux, annonciateurs de mauvaises nouvelles qui, anéantissent la raison, et instrumentalisent les sentiments. L’attente du retour glorieux ne justifie en rien tout ce qui à trait à la culture de mort, le renfermement, l’exclusion, la violence, l’extravagante motivation mortifère. Notre foi se situe dans l’accueil, l’ouverture à la grâce, la perception des signes dans l’espérance du salut et le témoignage à amener toujours plus de monde au Christ afin de prolonger la grâce de la fraternité.

Synthèse

La volonté de Dieu se vit dans la recherche du meilleur bien et le fait de conformer notre vie à travers nos choix à notre vocation première de fils de Dieu. « Cela vous amènera à rendre témoignage…. C’est moi qui vous donnerai un langage et une sagesse » Etre disciple du Christ et vivre de l’espérance du salut demande à ce que nous soyons signes dans ce monde de la Bonne Nouvelle que nous avons reçue et que nous vivons. Toutefois, même si le signe peut être de partager l’amour il faut reconnaitre la liberté à chacun de l’accepter ou de le refuser. Le témoignage se vit dans la persévérance de la foi et la confiance en Dieu dans toutes les occasions pour annoncer le Règne qui vient. « Proclamer de ville en ville, surtout aux plus pauvres qui sont souvent les plus accueillants, la joyeuse annonce de l’accomplissement des promesses et de l’Alliance proposées par Dieu, telle est la mission pour laquelle Jésus se déclare envoyé par le Père »[xxviii] et telle est notre mission dans le monde de ce temps.  L’adversité, et les combats à mener ne doivent pas nous décourager, mais au contraire, nous amener à nous purifier pour être des instruments de la grâce divine. Etre disponibles à l’offrande de nous-mêmes dans le don sincère pour entrainer les autres à se réchauffer au feu de l’Esprit Saint à s’éclairer à la lumière du Verbe de Vie et à communier à la volonté du Père pour chacun d’entre nous. Témoigner d’une obéissance qui nous rend libres, dans la vérité de l’amour. « Le triomphe chrétien est toujours une croix, mais une croix qui en même temps est un étendard de victoire, qu’on porte avec une tendresse combative contre les assauts du mal »[xxix]

On peut comprendre l’arrogance comme un aveuglement de la juste relation à l’amour. Comme une folle témérité de ne pas honorer l’amour qu’il nous est donné de recevoir et que nous avons à recevoir comme tel, et non comme un acquis inné .Dans notre vie spirituelle, si nous sommes délivrés de toute peur par le Christ, cela inclut aussi que nous savons garder l’espace nécessaire à la crainte comme le don d’amour à préserver par une relation vraie. « La crainte du Seigneur, c’est la haine du mal. Je hais l’orgueil, l’arrogance, le chemin du mal et la bouche perverse. »[xxx]. Avec le Seigneur, dans la foi n’ayons pas peur car tout est possible à Celui qui croit, mais en même temps sachons que l’amour est un don qui demande un respect des personnes divines et humaines, et par conséquent demande une crainte d’offenser. Oui, l’important est de rechercher l’ajustement à la parole de Dieu dans l’amour et de résonner harmonieusement dans la communion fraternelle avec confiance. « Ne restons pas en marge de ce chemin de l’espérance vivante ! »[xxxi] et témoignons avec audace de cette joie de Dieu dans notre vie c’ « Acclamez le Seigneur, car il vient »

Père Greg – Curé modérateur
Paroisse St Charles Borromée, Doyenné de St Maur – Joinville – Diocèse de Créteil

Annexe : Sainte Marie, femme de l’attente 

Sainte Marie, femme de l’attente, soulage la douleur des mères souffrant pour leurs fils qui, sortis un jour de la maison, n’y sont jamais revenus, tués dans un accident ou séduits par les appels de la jungle ; dispersés par la fureur de la guerre ou aspirés par le tourbillon des passions ; engloutis par la fureur de l’océan ou bouleversés par les tempêtes de la vie.

Sainte Marie, vierge de l’attente, donne-nous une âme de veilleur.

Arrivés au seuil du troisième millénaire, nous nous sentons malheureusement plutôt fils du crépuscule que prophètes de l’Avent.

Sentinelle du matin, réveille dans nos cœurs la passion de fraîches nouvelles à porter à un monde qui se sent déjà vieux.

Apporte-nous enfin la harpe et la cithare, afin qu’avec toi, matinale, nous puissions réveiller l’aurore.

Face aux changements qui secouent l’histoire, donne-nous de sentir sur notre peau les frissons des commencements.

Fais-nous comprendre qu’il ne suffit pas d’accueillir, il faut attendre.
Accueillir est parfois un signe de résignation.
Attendre est toujours un signe d’espérance.
Rends-nous pour cela ministres de l’attente.

Quand le Seigneur viendra, ô Vierge de l’Avent, qu’il nous surprenne, grâce à ta complicité maternelle, la lampe à la main. 
Mgr Tonino Bello

Sources

Source de l’illustration :

Fra Angelico. Adoration de l’enfant, 1439 – 1443. Fresque. Museo San Marco, Florence, Italie

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