Vigile Pascale. Méditation père Grégoire
Saint Dimanche de Pâques veillée. 11 avril 2020 – samedi 18 h 00
« Au commencement ». La liturgie des textes de ce jour nous rappelle que pour notre création, il y a eu un commencement, comme un bornage de nos limites, malgré l’infini amour de Dieu pour chacun d’entre nous. Car, nous sommes limités, mais invités à partager dans nos limites, l’infini de l’amour de Dieu. C’est le paradoxe de Pâques. Participer à la vie divine grâce à la croix du Christ. Mais la folie de l’homme, dès Adam, a été de croire que participer à la divinité c’était être Dieu : l’homme a vécu la défiance comme une forme d’indépendance normale. Or même la norme trouve son assise en Dieu Créateur de toute chose. La morale est là non pour nous assujettir, mais pour nous apprendre à mieux aimer, à mieux respecter notre dignité de fils de Dieu, à mieux vivre notre vie en profondeur, en puisant à l’intérieur de nous-mêmes l’image que Dieu y a déposée, et à essayer de lui ressembler en toute chose. Une contemplation de Dieu que je reconnais comme « Mon Seigneur et Mon Dieu », c’est-à-dire, une reconnaissance du désir d’être en communion avec Lui. Le commencement en ce soir de Pâques est l’accueil de notre vocation propre. Il ne sert à rien de venir avec nos aromates, parfums d’une mort regrettée, car Il est Vie et lumière. Plus d’effluves de nos regrets amers, car Il est ressuscité, et nous pousse à l’avenir d’un monde meilleur fondé sur l’amour. Ne cachons plus nos douleurs et nos peines sur les effluves du temps qui passe, il vient à notre rencontre. « La résurrection de notre rédempteur fut bien notre fête, parce qu’elle nous a ramenés à l’immortalité, elle fut aussi la fête des anges, puisqu’en nous faisant revenir au Ciel, elle a complété leur nombre »[i]. Oui le mystère du Verbe incarné s’éclaire par l’aube de Pâques, Christ est vie, et nous entraîne avec Lui, nous donnant la grande espérance du salut, et affermissant notre foi pour ne plus vivre de façon extérieure à ce que nous sommes, mais à partir d’une rencontre intérieure qui s’approfondit, grandit et, en fait, nous humanise toujours plus.
Au qui « cherchez-vous » de la Passion, nous avons la réponse de l’ange comme une reconnaissance de notre propre désir, un accueil de notre questionnement, un message de Bonne Nouvelle. « Vous, soyez sans crainte ! Je sais que vous cherchez Jésus le Crucifié, il n’est pas ici, car il est ressuscité, comme il l’avait dit ! » Le « vous » qui insiste sur la reconnaissance de ce que nous sommes, des chercheurs de Dieu. La Parole n’est pas adressée à la ronde, mais bien à nous qui sommes là, nous les témoins de la Parole, nous, qui voulons rendre un culte à notre Dieu. Comme avec Marie à l’annonciation, l’ange nous appelle à être sans crainte, c’est-à-dire, à reconnaitre un signe de la présence de Dieu qui nous aime, et vient relever notre faiblesse pour nous entraîner dans la grâce de sa joie. Et en même temps, nous commençons à comprendre qu’il nous faut vivre un déplacement : Dieu ne nous attend pas là ou nous le cherchons. « Jésus le crucifié, il n’est pas ici » dans nos rêves abîmés par le désespoir, et la perte d’être qu’il nous semble entrevoir. Combien de fois cherchons nous Dieu là ou il n’est pas, plein de bonnes attentions, et d’obéissance aux Ecritures, le souffle de l’Esprit Saint nous entraîne pourtant à vivre ailleurs notre joie, dans cette communion d’amour en reconnaissant Dieu tel qu’Il est et non tel que nous voudrions qu’Il soit. La Toute Puissance de Dieu, c’est-à-dire sa manifestation dans notre histoire implique un mystère de relation que nous sommes, chaque jour, appelés à redécouvrir, une universalité à travers des rencontres en dehors de nos propres frontières de sécurité, afin de vivre l’amour pleinement dans le chemin de vie, en vérité avec nous-mêmes et avec nos frères.
Oui la résurrection est la fête de notre salut, l’ajustement de l’homme à la volonté de Dieu, et les retrouvailles d’une familiarité perdue au jardin d’Eden. Le jardin de la résurrection ouvre une nouvelle ère pour les témoins du Christ. En effet, « la Rédemption réalisée au moyen de la croix a définitivement redonné à l’homme sa dignité et le sens de son existence dans le monde, alors qu’il avait en grande partie perdu ce sens à cause du péché. C’est pourquoi la Rédemption s’est accomplie dans le mystère pascal qui conduit, à travers la croix et la mort, à la résurrection. »[ii] Dans cette période de confinement, peut-être pouvons nous vivre de manière plus intérieure, le passage de la croix à la résurrection, comme un lieu de mort et de vie où je suis invité à suivre le Christ pour transmettre la Parole et, par mes paroles et mes actes, témoigner. Trop souvent nous voyons la fin sans voir le chemin de sanctification à parcourir. Trop souvent nous lisons la résurrection en occultant parfois le passage de la croix, trop affreux pour les jeunes oreilles, et démodés, soyons moderne et parlons résurrection. La croix et la résurrection sont un même chemin de sanctification où j’ai à faire mourir le vieil homme en moi afin de redécouvrir l’homme nouveau de Pâques. Le rythme liturgique du chemin de carême amène à l’aboutissement de Pâques, certes, mais pour ensuite m’envoyer sur les chemin du monde, au souffle de l’Esprit Saint à la Pentecôte. Recevoir le Christ Ressuscité, vivre sa présence au milieu de nous est faire l’expérience d’une vie renouvelée dans la confiance en Dieu et en sa promesse du salut, une vie renouvelée dans ce désir de Dieu qui prend pleinement sens, parce que n’est plus une idée mais une personne que j’ai rencontrée, que j’aime pleinement et que je veux suivre jusqu’au bout. C’est la porte ouverte à une vie sacramentelle où Dieu reste présent à coté de moi pour me guider sur le chemin de vie. « Le sacrement de la Passion, de la Croix et de la Résurrection semble renforcer et fortifier d’une manière toute spéciale cet appel dans nos âmes. L’Eucharistie et la Pénitence deviennent ainsi, en un certain sens, deux dimensions étroitement connexes de la vie authentique selon l’esprit de l’Evangile, de la vie vraiment chrétienne »[iii] Pas de communion sans sacrifice, pas de réconciliation sans pardon, pas de relation authentique sans authentique confiance en Dieu, pas de résurrection sans crucifixion. Nous sommes appelés à la joie. C’est une vérité. Mais que cette joie soit pleine de sens, et non pleine de nos sens. Cela demande d’accueillir avant de s’approprier, de s’abandonner pour suivre dans la simplicité le chemin de vie.
Comprendre la résurrection c’est être à l’écoute de la Parole. Jésus nous l’avait dit et il vient à notre rencontre pour annoncer qu’il reviendra juger les vivants et les morts, et son règne n’aura pas de fin. « La Parole divine se révèle donc au cours de l’histoire du salut et elle parvient à sa plénitude dans le mystère de l’Incarnation, de la mort et de la résurrection du Fils de Dieu. […] L’Écriture doit donc être proclamée, écoutée, lue, accueillie et vécue comme la Parole de Dieu, dans le sillage de la Tradition apostolique dont elle est inséparable[iv]. » La liturgie de la veillée pascale est particulièrement significative en nous proposant sept lectures de l’Ancien Testament, l’épître aux Romains et l’Evangile. La foi en le Ressuscité se relit dans l’histoire des hommes à travers l’alliance, c’est-à-dire dès la création du monde et dans la présence de Dieu dans notre histoire, tout au long de notre vie, lorsque nous avons été fidèle et lorsque nous ne l’avons pas été. Lui est toujours resté à notre coté, se réjouissant avec nous ou soupirant à cause de notre indocilité, à rechercher le malheur. L’adversaire, qui semble toujours efficace, a été vaincu une fois pour toutes par la résurrection. Le Christ nous libère de toute peur, de toute angoisse, de toute malédiction, car Il est Dieu, et la lumière de la résurrection transforme notre vie. Pas besoin de voyant, de marabout, de sorcier, ou de crainte de puissances occultes, Jésus par la mort sur la croix et la résurrection nous libère une fois pour toutes. Le croyons-nous vraiment ? Lorsque nous mettons notre espoir en des techniques médicales en omettant la prière, ou la rangeant sur l’étagère des bonnes résolutions à tenir, faisons-nous de Jésus le vainqueur de notre vie ? Lorsque nous regardons notre travail et nos finances avec une certaine appréhension, ou pire alors, avec une certaine suffisance, mettons-nous Dieu à l’œuvre dans notre vie ? La foi en la résurrection n’est pas la prière pour avoir un travail qui gagne beaucoup ou pour avoir des belles voitures, ou bien de démontrer la bénédiction de Dieu par notre espace de réussite mondaine, de finance, de pouvoir, ou de carnet d’adresse. La bénédiction de Dieu est la joie de la rencontre avec Lui dans notre vie. « Voyez le lieu où il gisait, … il est réveillé des morts et il vous attend », Il nous attend encore aujourd’hui sur la route d’Emmaüs, pour partager avec nous les Ecritures, ouvrir notre cœur à sa Parole, et le reconnaitre dans le partage et le service. La résurrection est donc à comprendre comme lieu de service à remplir pour le bien de notre âme, pour le bien de nos frères, et pour rendre grâce aux bienfaits du Créateur, qui le premier nous a aimé. Nous comprenons la joie de la résurrection comme une rencontre en profondeur de sa présence, ce qui demande un déplacement, pour ne pas rester en surface, mais nous unir à Lui pleinement et le reconnaître à chaque instant de notre vie. En effet, la lumière de la résurrection nous éclaire complètement, c’est-à-dire pas simplement nous mêmes dans une transformation de notre vie, mais l’intégralité de notre corps et notre âme, en l’imitant par amour et non plus par devoir, en œuvrant avec lui à l’œuvre de création en serviteur fiable, afin d’entrer dans la joie du maître, en témoin de l’amour reçu, vécu, et partagé.
Il est ressuscité, allez en Galilée… bien difficile dans ce temps de confinement de sortir du salon pour aller à la cuisine ou à la chambre et de crier « Christ est ressuscité ! » en voulant donner du sens …. Mais c’est peut-être que la résurrection, avant d’être extérieure à nous même est une vie recentrée sur le Christ. Peut-être que la grâce de Pâques nous demande vraiment ce déplacement intérieur, pour goûter sa présence, nous laisser habiter par Lui, et en témoigner dans la simplicité de ce que nous avons à vivre. Oui, nous sommes morts au péché et vivant pour Jésus Christ mais nous rendons grâce pour ce don merveilleux du salut, qui nous restaure pleinement dans notre dignité de fils de Dieu. Quittons notre Jérusalem pour aller aux périphéries de notre vie afin de tout ordonner à Dieu. Il n’est pas simplement dans notre foi, mais dans tout ce que nous faisons. Alors, laissons-nous habiter de sa présence et nous goûterons une joie ineffable. « La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle : c’est là l’œuvre du Seigneur, la merveille devant nos yeux. »
Père Grégoire Bellut
Sources