Méditation de Pentecôte
« L’Esprit Saint vient au secours de notre faiblesse, car nous ne savons pas prier comme il faut. »La vie de l’Esprit est d’abord une vie de dialogue avec Dieu, de contemplation de son œuvre dans ce monde et dans notre vie et d’ajustement de tout notre être à son amour dans la fidélité aux Écritures. La fête de la Pentecôte nous introduit à une expérience pratique de la vie de l’Esprit et d’un de ses fruits dans la prière. Hélas ! nous pouvons aussi être saisis par l’esprit de distraction, empêchant notre âme d’être pleinement contemplative de Dieu. « Mais la distraction involontaire n’enlève pas le fruit de la prière, dit saint Basile : « Si, affaibli par le péché, tu ne peux te fixer dans la prière, Dieu te pardonnera ; car ce n’est pas par négligence, mais par fragilité que tu ne peux, comme il faudrait, demeurer en sa présence »[i]. La distraction veut empêcher la communion par une pensée extérieure à ce désir de Dieu sans toutefois être volontaire, ni empêcher foncièrement la fidélité à Dieu. En effet, l’Esprit vient suppléer notre faiblesse, pour nous garder dans cette communion avec Dieu. La vie de l’Esprit Saint nous entraîne à garder la prière au cœur de toute notre vie et dans tout ce que nous faisons. « Prier, c’est attirer sur nous la présence de l’Esprit Saint qui nous fait toujours avancer. »[ii]Alors nous essayons de répondre à ce don de grâce en nous conformant le plus possible au souffle de vie et nous recherchons cette respiration de l’âme à travers la prière.
1 Introduction à la prière de l’Esprit
L’Esprit Saint par le don de piété et notamment la ferveur de la prière oriente notre vie dans la vocation du service de Dieu et des frères, chacun selon ses charismes et son appel. « Il est Celui qui nous amène à prier, qui nous amène à Jésus. Il est le don que le Père et le Fils nous ont donné pour aller à la rencontre de Dieu. C’est l’Esprit Saint, quand nous prions, c’est l’Esprit Saint qui prie dans nos cœurs. »[iii]Nous expérimentons la prière comme lieu de rencontre trinitaire appelé à recevoir la révélation de la fécondité de l’amour du Père, à travers la méditation de la vie du Verbe incarné et par la présence de la Personne Don, l’Esprit Saint. La rencontre de Dieu nous oriente à rechercher notre appel premier. Du coup, ne peut-on pas dire que la Pentecôte est la fête des vocations ? En effet, chacun selon sa grâce est appelé à accomplir l’œuvre de Dieu dans sa vie, c’est-à-dire accomplir ce qui a été commencé au baptême et réaliser son appel de prêtre, prophète et roi. En tout cas, il nous faut demander avec insistance la présence de l’Esprit Saint dans notre vie et ne pas nous contenter de l’ordinaire. S’il vient au secours de notre faiblesse, c’est pour ouvrir tout notre être à la transformation nécessaire pour être pleinement réceptifs à l’œuvre de Dieu.
Il nous appartient donc de rechercher cette vie de l’Esprit et d’en vivre comme lieu de témoignage de foi dans l’expression de l’amour. Ne soyons pas ordinaires dans notre vie spirituelle, dans une forme de tiédeur passagère, mais toujours à la recherche de cette proximité avec Dieu qui nous amène à l’extase, d’une ferveur pressante pour le reconnaître en chaque moment de nos vies à travers les grâces octroyées, afin de chercher à être de plus en plus avec Lui, dans cette vérité des Écritures et l’accueil de la relation fraternelle. Ne soyons pas ordinaires dans cette torpeur de l’amour qui nous fait dire “je fais ce que je peux” mais plutôt nous embraser du Seigneur et d’approfondir l’amour, comme lieu de service et de don, en nous livrant nous même dans ce service de l’action de grâce et la recherche véhémente d’être tout en Dieu. Car nous entendons le mot ordinaire par une vie médiocre qui ne rend pas gloire à Dieu. L’Esprit nous rappelle que nous devons être suspendus à la Parole, pétris par la prière au levain de l’amour pour Dieu qui nous donne le goût du frère, et cuits dans le service de la charité fraternelle pour accueillir le partage comme une réalité de la civilisation de l’amour. « La vie n’est pas un simple produit des lois et des causalités de la matière, mais, en tout, et en même temps au-dessus de tout, il y a une volonté personnelle, il y a un Esprit qui, en Jésus, s’est révélé comme Amour.[iv] »[v]Nous avons à répandre cet amour de Dieu dans la participation à la vie de l’Esprit et à le manifester au monde dans une relation de joie de Dieu qui devient la joie du frère.
La prière et la méditation des Écritures, révèlent la présence de l’Esprit et manifeste sa grâce dans notre aujourd’hui. Non par des grands mots ou des doctes propos, mais juste par pur don de la grâce et par sa venue dans notre histoire. Nous qui étions au bord du chemin, réveillés par le baptême, nous bondissons à sa rencontre pour recevoir la vraie lumière, celle d’une vérité sur Dieu qui révèle la vérité de l’homme. Oui, nous pouvons avoir confiance dans l’appel qu’Il nous fait, car tout n’est que joie. Oui, nous devons devenir acteur et nous lever dans cette précieuse recherche pour aller à sa rencontre, les lampes allumées. Oui, Il nous faut écouter sa voix et demeurer en Lui à l’écoute de la source de toute vie. « L’Esprit Saint nous unit et nous incorpore à Jésus Christ, afin qu’étant membres de son corps, nous ayons part à tous ses biens. »[vi]La Parole de Dieu devient féconde en nous par grâce de l’Esprit Saint et nous fait entrer dans l’intelligence d’une relation de communion.
L’Esprit Saint se manifeste sans cesse et nous réoriente pour nous amener à être présent à la présence du Seigneur. Lorsque je dis « l’Esprit Saint est Dieu », c’est un appel à vivre une relation personnelle et intime avec Lui. Un appel à l’accueillir dans les profondeurs de l’âme pour vivifier tout notre être de sa présence. Nous prenons conscience que l’appel de l’Esprit est une volonté de communion avec Dieu et affirmons qu’Il est là dans nos vies, car nous goûtons à l’expression de la volonté de Dieu. La liberté de l’Esprit Saint réoriente nos choix de vie pour rechercher avec persévérance cette présence. Le désir de Dieu et notre volonté d’être toujours au cœur de sa parole ne nous empêche pas d’expérimenter nos propres limites. « … Mais je puis dire que l’office a été à la fois mon bonheur et mon martyre, parce que j’avais un si grand désir de bien le réciter et de ne pas y faire de fautes ; et je me suis vue quelquefois, après avoir prévu une minute avant ce que je devais dire, le laisser passer sans ouvrir la bouche par une distraction tout à fait involontaire. »[vii]Cette disposition de tout notre être pour la louange de Dieu demande la participation, non seulement de notre âme, mais aussi de notre corps dans l’expression de la louange et le chant que nous pouvons exprimer à travers la reconnaissance de sa bonté pour nous. Or la vie de l’Esprit parle aussi à nos sens, pour orienter notre vie. C’est le cœur tout brûlant que nous reconnaissons la présence de Dieu. La soif inextinguible de sa parole est prise de conscience qu’Il est présent, et l’action dans les charismes à déployés nous montrent son œuvre par nos mains et celles de nos frères. À nous de maintenir cet esprit de communion en étant toujours tout accueil.
En effet, il est toujours présent dans le dialogue de l’amour, quand bien même nous semblons ailleurs et que notre esprit vient à errer comme le dit si bien sainte Thérèse d’Avila. « O mes sœurs, vous qui ne pouvez méditer longtemps ni réfléchir tant soit peu sans distraction, … pendant plusieurs années j’ai souffert, moi aussi, de ne pouvoir fixer mon esprit sur une vérité, durant le temps de l’oraison. Cette peine est très grande ; mais notre-Seigneur ne veut pas nous laisser seules, et si nous l’en supplions avec humilité, il nous tiendra compagnie. »[viii]La présence de l’Esprit Saint dans notre vie est justement cet accompagnement de Dieu dans nos difficultés et nos angoisses, afin de nous aider à redresser la barre et d’être toujours à nos côtés, pour nous redonner confiance et marcher avec Lui vers la source de Vie. C’est en cela qu’Il est l’Esprit de vérité, en nous amenant à retrouver le sens de toutes nos actions. Faire la vérité au souffle de l’Esprit conduit à nous laisser pétrir par sa présence et façonner par les dons qu’Il prodigue vers l’amour de Dieu. « C’est la grâce de l’Esprit Saint qui, de l’intérieur, suscite en nous cette conscience d’être précieux aux yeux de Dieu. Et pour cette raison, nous sommes poussés à prier. »[ix]Cette conscience de Dieu dans notre vie ouvre l’espace de la rencontre. Rien ne doit être un état de fait dans notre vie, mais une capacité à changer, une écoute du Seigneur pour obtenir les grâces nécessaires au changement. C’est bien de l’intérieur que nous agissons pour rayonner de la joie de vivre de l’Esprit et la partager autour de nous dans la réalité de sa joie aimante.
2 L’accueil de la vie de l’Esprit
Comprenons-le bien, l’Esprit Saint révèle l’universalité de l’amour de Dieu en se manifestant à tous les justes. La Toute-Puissance de Dieu trouve pleinement son expression dans la manifestation de l’Esprit à tous les hommes, dans le mystère de son intervention dans l’histoire de chacun. C’est même peut être par l’Esprit Saint que nous saisissons le mieux cette Toute-Puissance. Dieu agit dans notre histoire et l’Esprit Saint ouvre notre intelligence à reconnaître l’œuvre du Père à l’écoute de la Parole du Fils. Dieu n’a pas de frontière, et l’Esprit Saint illumine nos relations humaines pour nous faire reconnaître en chacun un frère et nous inviter à ouvrir tout notre être à sa présence. Dieu agit selon son propre dessein et l’Esprit Saint nous conduit à la disponibilité, dans la gratuité de la prière et l’accueil de la grâce. Nous ne sommes pas dans une relation magique avec Dieu, demandant un miracle comme d’autres appuient sur le distributeur pour avoir une boisson, mais une relation de vérité dans l’expression de la liberté de l’amour. C’est un choix qui respecte chacun.
L’Esprit Saint s’invite dans notre vie, mais il nous revient de L’accueillir pleinement et de Le suivre sur le chemin de la grâce pour être féconds. Trop souvent nous voudrions être spectateurs de la grâce et complètement passifs, voulant que Dieu agisse à notre place. Cela n’est pas juste. Si la liturgie de l’Église, nous fait vivre dix jours de prière, de l’Ascension à la Pentecôte, pour vivre l’expérience de l’Esprit, c’est pour signifier l’importance de la prière et de la disponibilité du cœur pour accueillir l’Esprit en profondeur et vivre de sa vie. Toute mission puise sa source dans la vie de l’Esprit, n’en doutons pas et demande de notre part une disponibilité sans faille. « C’est une belle chose quand nous sommes agités, un peu préoccupés et que l’Esprit Saint nous transforme de l’intérieur et nous conduit à cet abandon entre les mains du Père : “Père, que ta volonté soit faite”. »[x]Le Christ nous montre cette disponibilité intérieure et nous invite à une parfaite imitation. Marie, en première disciple, réalise ce don de l’Esprit en recevant la grâce et en méditant intérieurement le dessein de Dieu. Prier Marie nous introduit à la communion des saints et à l’appel à faire Tout ce que le Christ nous dira, dans l’onction de l’Esprit Saint pour nous mener vers le Père.
L’expérience spirituelle connaît des étapes mais jamais de repos. Il faut reconnaître le dynamisme de l’amour dans les dons de l’Esprit et l’appel toujours pressant à répondre à l’invitation prolixe du Seigneur. « La création tout entière gémit, elle passe par les douleurs d’un enfantement qui dure encore. »Cette fécondité de l’œuvre de Dieu dans le monde passe par la présence de l’Esprit Saint dans le cœur de l’homme et dans l’histoire des hommes. Comme un lien profond de liberté vécue dans l’amour où nous sommes amenés à nous rendre disponibles à l’appel afin de reconnaître notre Dieu et Lui être fidèle. C’est un travail d’engendrement qui nous demande d’être attentifs à l’appel de l’Esprit et guetteurs pour nos frères d’une annonce de joie des Écritures, comme en écho à l’amour de Dieu toujours présent.
Veiller à garder cette communion avec Dieu s’écrit dans une histoire de confiance et de persévérance dans la Parole de Dieu, malgré nos doutes et les nuits obscures. Redécouvrir la vie de l’Esprit c’est retrouver une conscience spirituelle afin d’orienter notre vie vers le choix de Dieu. « La Loi nouvelle fut promulguée précisément quand l’Esprit Saint est venu du ciel le jour de la Pentecôte et que les apôtres « ne descendirent pas de la montagne en portant, comme Moïse, des tables de pierre dans leurs mains, mais qu’ils s’en retournaient en portant l’Esprit Saint dans leurs cœurs, devenus par sa grâce une loi vivante et un livre vivant »[xi].Retrouver nos ferveurs dans la proclamation de la foi revient à rechercher à vivre de la vie de l’Esprit et à sans cesse expérimenter cette proximité de Dieu dans notre vie. Il nous faut réveiller le monde, par cette espérance retrouvée à travers la vie de l’Esprit, et continuer de proclamer la joie de croire avec persévérance, car Il continue de s’exprimer à travers nous lorsque nous-mêmes nous abreuvons de la lumière. « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi, et qu’il boive, celui qui croit en moi ! »
3 Parler en langue, une expérience de l’Esprit
L’attention à la vie de l’Esprit Saint dans l’Église d’occident s’est popularisée d’une manière spectaculaire par la grâce du renouveau charismatique et, notamment, l’émergence des groupes de prières dans presque toutes les paroisses. Ce fut, dans les années soixante-dix, une émergence de ferveur dans une prière ardente et une commune expérience de vie chrétienne tout à fait unique. L’émergence du Renouveau a été une joie pour beaucoup, même s’il y a eu aussi des combats sévères et des réserves importantes. Sa mission dans l’Église est d’avoir fait bénéficier des grâces décrites dans les premiers temps de l’Église, dont le parler en langue. Nul ne peut en parler sans l’avoir d’abord expérimenté. C’est comme vouloir parler du Christ sans vivre une relation personnelle avec Lui. Le parler en langue ou le chant en langue sont d’abord et avant tout une expérience de la vie dans l’Esprit. La plus petite nous dit saint Paul, mais une expérience de la joie de Dieu qu’il ne nous faut pas sous-estimer, sous de doctes considérations lointaines et pas toujours très justes. Cela n’empêche pas d’émettre des réserves sur certains excès. Néanmoins il ne faut pas se laisser séduire par les révisionnistes de la grâce qui émettent des doutes sur ce qu’ils ne comprennent pas, se privant ainsi d’un trésor spirituel dans une logique obscurantiste qui se veut rationnelle. Dans la même veine, il faudra aussi être prudents vis-à-vis de ceux qui amalgament le chant en langue de la Pentecôte (Xenolalie[xii]) avec le chant en langue qui peut être vécu dans les groupes (Glossolalie) et que certains spirituels ont pu vivre d’ailleurs tout au long de l’histoire de l’Église. Ce don a toujours été partagé avec humilité dans l’expérience mystique, mais a montré aussi une continuité dans l’histoire de l’Église.
« Ils se mirent à parler en d’autres langues, et chacun s’exprimait selon le don de l’Esprit ! »L’expérience de la Pentecôte est la xenolalie qu’il nous faut différencier de la glossolalie (répétons-le), telle que décrite par saint Paul dans la lettre aux Corinthiens. Si l’expérience de la Pentecôte dans le parler en langue est assez rare, elle n’est pas un phénomène unique : saint Padre Pio avait parfois le don des langues, attesté par des témoignages. Néanmoins dans les groupes du renouveau nous sommes surtout dans la glossolalie. Cependant nous ne devons pas nous arrêter sur l’émerveillement du parler en langue, alors qu’il nous faut nous attacher à l’expression du don de Dieu qui est de le louer à travers l’expérience de la réception de la grâce, « chacun selon le don »,c’est-à-dire suivant sa personnalité et sa réception. Cela laisse à penser que l’expression d’un même don peut avoir plusieurs résonnances dans la vie des personnes et le témoignage qu’elles portent. Chacun s’exprime selon la grâce de l’Esprit pour partager les louanges de Dieu. Un signe de l’action de l’Esprit Saint perçu encore aujourd’hui dans la vie de tout chrétien, mais de manière plus ardente dans le renouveau charismatique. L’Esprit Saint se manifeste et il nous convient de discerner sa présence dans notre histoire en lui faisant toute la place possible. Dans l’expérience de Dieu et l’expression des dons de l’Esprit, le discernement est toujours nécessaire car nous pourrions vite être floués par l’Adversaire plein de duplicité. C’est pourquoi il nous faut quelques critères afin de clarifier l’œuvre de Dieu et reconnaître la vérité de l’amour dans la grâce proposée. Nous pouvons connaître l’ivresse de la générosité de Dieu dans notre vie et avoir des lendemains en gueule de bois car nous n’avons pas été assez vigilants à endiguer cela dans la prière, l’épanouissement de la vie ecclésiale et le service de la charité.
Ce qui distingue le parler en langue de ce qui peut être vécu dans d’autres religions, c’est bien l’aspect de la joie que cela procure et des fruits de l’Esprit qui sont produits. L’un ne va pas sans l’autre. Les études exégétiques nous montrent qu’il y a plusieurs manières de parler en langue et que, si Paul en fait le plus petit des charismes, c’est pour indiquer qu’il n’est pas à rechercher pour lui-même mais pour la construction du bien commun. Or, nous ne pouvons pas mettre la main sur Dieu ni sur son œuvre, autrement dit nous ne pouvons pas quantifier les moments de grâce, à moins de se vouloir comme Dieu. Ainsi nous pouvons comprendre que le parler en langue est d’abord une communion avec l’Esprit de Dieu et une disposition du cœur qui nous rend réceptifs d’une manière nouvelle à sa grâce, en restant dans une totale obéissance à sa volonté. « À un autre est donné d’opérer des miracles, à un autre de prophétiser, à un autre de discerner les inspirations ; à l’un, de parler diverses langues mystérieuses ; à l’autre, de les interpréter. »[xiii]Le parler en langue mystérieuse peut être une grâce de la communauté, et l’interprétation une lumière de l’Esprit dans l’intelligence humaine. Le nier est de la bêtise spirituelle ou démontre une ignorance crasse par manque d’expérience. L’important, nous le voyons, est d’être disponibles à l’Esprit Saint et à ce qu’Il met en œuvre dans nos vies. Sans Le rechercher comme une fin en soi, il nous faut L’accueillir lorsqu’Il se manifeste et vivre cette disponibilité au don de l’Esprit avec le charisme qui nous est propre, en étant vigilants pour avoir une traduction afin de consolider l’assise spirituelle.
Cela étant dit, si la grâce du parler en langue touche la communauté dans la rencontre personnelle de l’Esprit Saint, cela incite aussi à un esprit de vigilance pour discerner ce que nous devons vivre ensemble et témoigner. Certaines manières de parler en langue, par mécanisme d’autosuggestion, répétition d’onomatopées ou de voyelles jusqu’à ce que cela vienne, est suspect, c’est vrai. Mais le parler en langue, vécu dans une véritable grâce, ouvre des horizons intérieurs inouïs. Nous devons l’explorer dans un discernement communautaire et une relecture personnelle, mais toujours accueillir ce qui nous fait grandir spirituellement, dans une construction intérieure qui nous pousse vers ce désir plus intense de la vie en Dieu et de Dieu lui-même.
Le Malin trompe son monde, nous le savons, et il essaye de s’immiscer dans toutes les grâces pour les falsifier, tout cela est vrai. Néanmoins faire du parler en langue, à cause des excès, une instance satanique est un péché contre l’Esprit Saint. De tels propos doivent alors nous interroger sur la bonne théologie de celui qui parle et inciter alors à une prudence sur tout l’enseignement, en prenant du recul et en allant rechercher des maîtres spirituels plus sûrs. Tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu nous dit saint Paul. Cherchons à plaire à Dieu et à être à l’écoute du souffle de l’Esprit.
4 Les points de discernement
En préambule il faut reconnaître que Dieu peut agir comme Il veut, et ce n’est pas parce que je n’en ai pas fait l’expérience, que d’autres ne peuvent pas vivre une vie avec Dieu extraordinaire. Il en va de même pour les dons reçus, peut être que parfois je peux y être étranger, ce n’est pas pour autant qu’ils ne sont pas spirituels. Du coup, le discernement à partir des trois critères proposés par le Pape Paul VI à la lecture de la Parole de Dieu, nous permet d’authentifier l’œuvre de l’Esprit avec une certaine sécurité. Il ne s’agit pas de vouloir régenter, mais de comprendre ce qui se joue, et comment nous pouvons entrer dans cette partition du bonheur en participant à la vertu de prudence avec toutes les harmonies de la bienveillance. Parallèlement, une vie paroissiale et communautaire sans souffle de l’Esprit est un gâteau qui retombe platement et n’attire pas. Il faut s’inquiéter de la désertion de certaines communautés non en termes de nombre, mais en termes d’appels et de témoignages de vie. Or, le premier témoignage de vie passe aussi par l’expression des charismes et des dons vécus sous le sceau de l’amour. C’est d’ailleurs le premier témoignage des communautés chrétiennes : vivre en artisans de paix et développer l’amour jusqu’à un partage réel et bienveillant.
D’autre part, il nous faut noter que la vie de l’Esprit enlève toute confusion pour que chacun puisse entendre dans sa langue les merveilles de Dieu. C’est là l’œuvre de l’Esprit : nous faire travailler en communion et maintenir cette communion malgré la diversité de nos caractères et de nos personnalités. Il s’agit de retrouver le temps de la fraternité. « L’amour nous met enfin en tension vers la communion universelle. Personne ne mûrit ni n’atteint sa plénitude en s’isolant. De par sa propre dynamique, l’amour exige une ouverture croissante, une plus grande capacité à accueillir les autres, dans une aventure sans fin qui oriente toutes les périphéries vers un sens réel d’appartenance mutuelle. »[xiv]La vie de l’Esprit nous pousse à rechercher avec insistance la vie de communion pour œuvrer ensemble vers la civilisation de l’amour. La diversité des mouvements dans l’Église est justement l’expression de cette profusion du don de l’Esprit qui se manifeste selon le charisme de chacun et va le toucher dans une expression qui lui parle de Dieu et du frère.
4.1 La fidélité à la foi et la tradition apostolique
Le premier critère de la vie des dons de l’Esprit est d’être toujours fidèle « à la doctrine authentique de la foi. »[xv]La tentation est grande d’exprimer les dons de l’Esprit et de s’en rendre propriétaire en se laissant abuser par le Tentateur via des compromissions qui nous désaxent de Dieu. Le rappel à la fidélité apostolique de la foi s’imposait déjà dans la communauté de Corinthe[xvi]Nous pouvons avoir un véritable charisme de la Parole et un certain talent d’orateur, si c’est pour abîmer le mystère de l’incarnation en ne reconnaissant pas le rôle premier de la Théotokos, alors tout le reste est vain et cela montre aussi la duplicité du Malin qui se dévoile dans ces paroles blasphématoires.
Le discernement dans la foi en Église catholique se vit dans la tradition apostolique mais, quelles que soient les églises, il faut une certaine collégialité pour reconnaître l’œuvre de l’Esprit. Cela ne peut pas être le fait d’un individu, ni même de ses subordonnés, mais d’une véritable collaboration, autrement dit en partenariat pour être pleinement fidèles au souffle de l’Esprit. Penser que certains gourous n’ont pas eu de grâce de l’Esprit est une erreur spirituelle majeure. Néanmoins, reconnaître que la liberté de l’homme a été mal utilisée et que les choix ont manqués de clarté dans la prise de décision communautaire est nécessaire pour vivre en vérité la présence de l’Esprit. L’espace de discernement se vit dans la prière, l’attention aux frères, à la communauté et aux fruits que cela porte dans le temps.
Le dialogue œcuménique et l’accueil des diversités de la foi dans une même louange de Dieu nous incitent à garder un regard de bienveillance et être attentifs à reconnaître ce qui nous conduit à la communion et ce qui nous en sépare. Ce discernement à l’aune de la tradition apostolique, et dans une lecture des pères de l’Église, nous empêchera de pécher contre la vérité[xvii]. Or, la sagesse de la tradition apostolique dans le temps s’est toujours affirmée. Parfois, les autorités se sont fourvoyées ou ont montré une certaine réserve, mais la force de l’Esprit et l’obéissance de ses fils ont toujours été fécondes et obtenu un rayonnement dont nous profitons encore. La vie des saints a connu des tensions parfois fortes avec la hiérarchie mais par l’obéissance, l’humilité et le service de l’amour, ils ont toujours rayonné de cette lumière de la Parole, finalement reconnue conforme à la tradition apostolique.
4.2 Un travail de l’Esprit pour le bien commun et pour un rayonnement fraternel
L’autre principe de discernement est d’accueillir les dons avec gratitude, « en vue du bien commun »[xviii], et de toujours rechercher « les plus utiles à la communauté. »[xix]Arrêtons-nous sur cette recherche de la grâce, toujours plus utile à la communauté. Dans un monde où l’individualisme est mis en exergue, peut-être nous faut-il entendre qu’il nous faut développer ce qui travaille au service des frères et du bien commun, avant de rechercher l’épanouissement personnel ou la poursuite d’un travail qui nous annonce plutôt que d’annoncer notre Sauveur. Les dons de l’Esprit nous font travailler à la construction de la civilisation de l’amour.
Aujourd’hui dans notre société sûre d’elle-même et de ses propres techniques, « l’homme …croit pouvoir ainsi s’ériger en maître de la vie et de la mort, parce qu’il en décide, tandis qu’en réalité il est vaincu et écrasé par une mort irrémédiablement fermée à toute perspective de sens et à toute espérance. »[xx]Que nous manque-t-il donc ? La foi, c’est-à-dire la fidélité à la Parole de Dieu, cette liberté de l’amour qui s’exprime dans l’obéissance filiale à Dieu notre Père. Or, cette civilisation demande des réalisations concrètes dans la vie de la cité et une construction de service profitant à tous. Nous rendons grâce à Dieu ainsi. Une vraie vie spirituelle doit contribuer collectivement à une édification matérielle, non dans l’avoir, mais dans la juste appropriation de la création et la participation à l’œuvre par notre contribution. On ne peut construire une grande basilique sans être attentif aux pauvres du pays et demander aussi un hôpital. Le service de la prière va avec le service du frère et le bien commun est autant dans cette prière fervente que dans le service de charité auprès du frère. Vivre de l’Esprit doit alors nous demander ce que nous faisons concrètement pour nos frères de manière personnelle et communautaire.
Plus concrètement, vivre une expérience de l’Esprit doit toujours nous interroger pour savoir comment nous mettre au service de la communauté. La première implication est la vie paroissiale (ou diocésaine, c’est la même réalité), avant d’aller courir le monde, et d’œuvrer dans la cité. Il nous faut compter sur la prière des frères et vivre en communion avec eux cette prière par la participation à l’eucharistie. La recherche du bien commun est toujours de nourrir le centre avant d’aller aux périphéries, sinon c’est l’épuisement et la vanité des œuvres. Le travail de l’Esprit doit ensuite se voir dans la vie de la cité, par notre implication professionnelle, nos rapports sociaux et le but d’agir pour le bien de la cité. Cela passe aussi par le travail de nos mains et la volonté d’œuvrer ensemble pour la civilisation de l’amour.
4.3 Vérifier que l’amour est toujours présent
Le troisième principe est de recevoir les dons de l’Esprit et de les partager dans la réalité de l’amour. « Au-dessus de tout plane l’amour. »[xxi]Or, l’amour s’allie avec l’humilité pour proposer la force de l’Esprit avec douceur, persévérance et justice. Une des erreurs que l’on peut voir, c’est la suffisance d’avoir été choisi et le mépris pour les frères qui n’ont pas la même onction. Sainte Thérèse d’Avila écrit qu’elle avait une véritable admiration pour une sœur qui n’avait pas d’extase ni d’expression sensible de la présence de Dieu et qui restait fervente et fidèle dans la vie de prière. Or la madré reconnaissait qu’elle avait des extases et que pour elle, il était « facile » de continuer dans cette conversation avec Dieu, mais que ceux qui traversaient un désert spirituel étaient encore plus remarquables. Loin de s’enorgueillir de ses extases, elle reconnaissait comme supérieures les sœurs qui, dans une vie plus anodine, continuaient imperturbablement d’être fidèles à Dieu. En effet, les dons de l’Esprit ouvrent à cette capacité de l’émerveillement pour l’autre et à cette perception de la grâce reçue avec amour, que nous devons développer par notre témoignage de vie. Les dons de l’Esprit sont à développer dans l’amour et, grâce à l’amour, deviennent féconds. C’est une richesse de la Personne Don de nous faire vivre cela dans le partage, pour profiter pleinement des grâces faites par pure libéralité.
Récapitulatif
C’est aussi à partir de ces critères de discernement que nous pouvons laisser opérer l’Esprit dans notre vie et l’accueillir sans crainte. Le travail du frère et le regard bienveillant porté sur soi nous poussent alors à rester à l’écoute de l’appel du Seigneur et à témoigner ainsi de notre disponibilité en partageant les chants de louange et d’action de grâce pour tous les bienfaits du Seigneur. Notre témoignage suscite alors l’interrogation et le désir de connaître un tel bonheur pour sa vie, il fédère chaque être humain à la participation de la vie de l’Esprit dans la fidélité aux Écritures. « Tous nous les entendons parler dans nos langues des merveilles de Dieu. »
5 Les fruits de l’Esprit
« Voici le fruit de l’Esprit : amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, fidélité, douceur et maîtrise de soi. »La solennité de la Pentecôte est d’abord une expérience de l’Esprit que nous devons reproduire dans nos vies. Comment pourrions-nous discerner si nous sommes dans les voies de l’Esprit, sans y reconnaître les fruits ?
5.1 Être au diapason de Dieu
Avons-nous de l’amour pour nos frères dans les charismes que nous déployons, ou sommes-nous isolés dans notre propre don en méprisant ceux qui ne nous comprennent pas et n’acceptent pas la grâce ? L’amour est le lieu de réalisation de la joie de Dieu en nous. Or, les dons de l’Esprit nous y amènent naturellement, comme une rivière vers le fleuve et le fleuve vers la mer. Il nous faut vérifier que l’amour est à la source de toutes nos actions dans la vie de l’Esprit Et, si tel n’est pas le cas, l’y remettre ou suspecter le don. La résurrection du Christ nous permet de recevoir l’autre défenseur. « Se réaliserait ainsi la promesse des « fleuves d’eau vive » qui, grâce à l’effusion de l’Esprit, jailliraient du cœur des croyants[xxii]. En effet, l’Esprit est la puissance intérieure qui met leur cœur au diapason du cœur du Christ, et qui les pousse à aimer leurs frères comme Lui les a aimés quand il s’est penché pour laver les pieds de ses disciples[xxiii]et surtout quand il a donné sa vie pour tous »[xxiv].Oui, vivre de l’Esprit nous pousse au service du frère, pour prendre soin et surtout savoir aller jusqu’à la radicalité de l’amour par le don de notre vie. Dans une société de plus en plus répressive, sur la bioéthique en particulier et sur beaucoup d’autres aspects de notre vie sociale, économique et politique, soutenue sur le plan juridique pour imposer certaines directions qui vont à l’encontre de notre foi, il nous faut des témoins lumineux pour révéler la justesse de la Parole de Dieu et sa profonde humanité dans le respect de tout être humain.
La dignité humaine doit nous rendre capables d’un regard bienveillant, laissant la dynamique de l’amour toujours à l’œuvre dans la vie de chacun et n’enfermant pas dans les actes les personnes. « Ce regard positif sur les personnes et sur les choses, fruit d’un esprit humain éclairé et fruit de l’Esprit Saint, trouve chez les chrétiens un lieu privilégié de ressourcement : la célébration du mystère pascal de Jésus. »[xxv]La bienveillance est liée à l’amour d’une manière spécifique, parce qu’elle réalise cet amour dans un renouvellement du regard. Il y a toujours une recherche du bien du frère, avec un regard de bienveillance et une volonté d’accueillir la réalité dans une compréhension plus large que l’événementiel. L’Esprit Saint nous pousse toujours à reconnaître la prodigalité de l’amour, à travers le don exercé et l’accueil de celui-ci dans notre communauté en accueillant aussi les personnes, c’est-à-dire la Personne Don et notre sœur ou notre frère. Les eaux vives de la grâce rétablissent nos relations fraternelles pour être durables. Cela demande certes une conversion de notre part, et de la part de nos frères, car nous avons toujours à nous ajuster à la présence du Seigneur, mais l’amour ne se conditionne pas à ce que nous avons fait, mais à ce que nous sommes en profondeur, images de Dieu appelées à la ressemblance.
5.2 Le sceau de la joie
Un autre fruit de la vie de l’Esprit est la joie. Vous savez, celle qui irradie tout notre être et fait vivre chaque instant comme une communion de bonheur avec Dieu, avec nos frères et avec nous-mêmes. Une joie dans une écologie intégrale, pour recevoir dans la relation la manifestation de Dieu. « Nous pouvons goûter la joie proprement spirituelle, qui est un fruit de l’Esprit Saint[xxvi] ; elle consiste en ce que l’esprit humain trouve le repos et une intime satisfaction dans la possession du Dieu trinitaire, connu par la foi et aimé avec la charité qui vient de lui. Une telle joie caractérise dès lors toutes les vertus chrétiennes. »[xxvii]Expérimenter la joie est donc un enjeu de la vérité de notre foi ou, plus exactement, une intériorisation sincère de la Parole de vie dans toute notre existence.
Le renouvellement intérieur nous ajuste à la Parole de Dieu et oriente toute notre existence vers sa présence et nous fait entrer dans la vérité de la Parole. Celle-ci se réalise dans la grande espérance du Salut. Si l’Esprit est Dieu, alors nous percevons cette révélation de la joie comme présence de l’amour dans notre vie et réponse de tout notre être à l’amour, retrouvant ainsi à un moment précis la familiarité du jardin d’Eden. C’est une joie divine qui se partage et se développe dans notre vie lorsque nous laissons les fruits de l’Esprit devenir féconds par notre disponibilité intérieure et notre volonté d’accueillir sans cesse sa présence à l’intime de nous-mêmes. Cette joie de communion à l’amour trinitaire par notre participation à répondre oui aux dons reçus et en être responsables, pour accueillir les fruits et ainsi être illuminés de cette joie communicante. Non seulement la joie de Dieu se reçoit par les dons, mais ils nous permettent de discerner dans l’action ce que Dieu donne gratuitement. « Ainsi l’Esprit Paraclet est donné à l’Église comme principe inépuisable de sa joie d’épouse du Christ glorifié. Il lui remet en mémoire, moyennant le ministère de grâce et de vérité exercé par les successeurs des Apôtres, l’enseignement même du Seigneur. Il suscite en elle la vie divine et l’apostolat et le chrétien sait que cet Esprit ne sera jamais éteint au cours de l’histoire. La source d’espérance manifestée à la Pentecôte ne tarira pas. »[xxviii]D’où l’importance d’appeler l’Esprit Saint dans notre vie et d’en vivre à travers les grâces octroyées. Le témoignage passe d’abord par cette expérience de l’Esprit dans l’intelligence des Écritures et la reconnaissance de notre Sauveur qui nous mène vers le Père. C’est là qu’est notre vraie joie et que tout prend sens.
5.3 L’appel à une vie intérieure en paix
Plus nous vivons dans l’Esprit, plus nous rencontrons cette paix intérieure qui rayonne autour de nous en tant qu’artisans de paix. Pourquoi ? Parce qu’une fois que nous sommes ajustés à la présence de Dieu, tout s’apaise et ce qui est tordu se redresse dans une belle harmonie avec la volonté du Dieu vivant. Plus de barrage et de violence des cours d’eau, tout s’apaise, tout s’aplanit, et nous voici conduits avec sérénité vers les verts pâturages en confiance avec notre Berger et sûrs de son amour. La paix de l’Esprit est cette expérience de repos en Lui pour accueillir les dons comme l’expérience d’une plus grande communion. Point de peur, ni d’angoisse, juste sa présence qui se manifeste et fait de nous des instruments de son amour. Une réconciliation de tout notre être en présence du créateur par son Esprit et un accueil de cette paix comme lieu du plein ajustement de notre vie.
L’accueil de l’Esprit est fruit de paix car Il restaure par sa présence notre liberté humaine abîmée par le péché et les choix de vie en nous conduisant sur la juste relation avec Dieu, avec nos frères et avec toute la création. Il nous faut accueillir cette paix comme l’espace de communion, mais aussi de nouvelle création, parce que cela nous entraîne vers d’autres horizons et renouvelle nos manières d’être afin de sans cesse rechercher ce qui est fécond et travaille au bien commun. La paix de l’Esprit construit notre histoire et nous donne une mémoire, car nous pouvons vivre le partage avec sérénité et compassion. Un fruit de l’Esprit spécifique dans son appel à la continuité de notre vie dans l’histoire des hommes. Toute civilisation qui a su vivre en paix s’est développée.
Tout cela commence déjà par notre paix intérieure, où tout combat cesse pour accueillir la grâce de Dieu, nous permettant ainsi une progression. Elle se prolonge dans la relation apaisée avec nos frères pour contribuer à la recherche d’un bien commun et elle se continue avec un rapport à la création, qui respecte la nature et veille à un bon équilibre des fruits de la terre. « La paix est aussi le fruit de l’amour, la paix intérieure que l’homme accablé cherche dans la profondeur de son être; la paix désirée par l’humanité, … Le chemin de la paix passe en définitive par l’amour et tend à créer la civilisation de l’amour, l’Église tient son regard fixé vers celui qui est l’Amour du Père et du Fils et, malgré les menaces croissantes, elle ne cesse d’avoir confiance, elle ne cesse d’implorer et de servir la paix de l’homme sur la terre. »[xxix]Parfois, dans les dons de l’Esprit, nous n’expérimentons pas assez la paix qu’elle produit, pour entrer dans un bavardage du don reçu et de l’enthousiasme du partage. Mais il nous faut entrer dans le service de la paix, pour la reconnaître en nous et en nos frères. Néanmoins, cette dimension de paix intérieure nous ouvre à l’humilité de l’amour et permet une meilleure croissance des dons dans la fécondité d’une vie réconciliée. La vie monastique l’a bien compris, mettant le silence au cœur de l’expérience spirituelle pour justement faire croître cette paix intérieure. C’est en tout cas l’objectif et, ne rêvons pas, comme partout ailleurs il y a des tensions et des phénomènes liés aux limites humaines. Toutefois, le silence nous fait entrer dans cette pudeur de la vie de l’Esprit pour expérimenter la paix comme lieu de maturation et d’accroissement. La réception de ce fruit de l’Esprit nous apprend alors à propager l’esprit de paix autour de nous comme manifestation de la lumière de Dieu qui s’accueille et se reçoit.
5.4 La patience dans l’action de Dieu et dans nos réponses
Plus nous communions à la vie en Dieu, plus nous prenons conscience de la patience que nous devons avoir pour ajuster toute notre vie à sa présence. Cette patience s’exerce aussi avec nos frères, pour vivre non une relation de surface mais une relation en profondeur, un accueil de nos réalités humaines et de la lente acceptation de l’action de Dieu dans notre vie. La découverte d’un continent n’est pas la connaissance de tout le continent. La traversée spirituelle, peu à peu explore toutes les régions du cœur pour nous laisser modeler par la Parole et affiner notre vie au souffle de l’Esprit. Or cela prend du temps et demande patience et persévérance. Mais, justement, le fruit de l’Esprit est de nous accorder cette patience pour rechercher toujours plus une vie en communion. Rien ne sert de s’emporter mais, dans la maîtrise de soi, de continuer à garder patience en toute chose. « La patience obtient tout. »[xxx]La force de l’Esprit est justement de garder confiance en l’œuvre de Dieu et de patienter pour une croissance féconde. La patience est liée à la douceur pour faire naître une pédagogie de l’amour et passe par la maîtrise de soi afin de la faire prospérer.
Penser les fruits de l’Esprit disjoints, ou croire pouvoir les séparer dans une logique mathématique, est pure vanité. Les fruits de l’Esprit se vivent dans l’humilité de l’amour et, s’ils transparaissent dans bien des aspects, ils ne peuvent se vivre séparément. La patience est ce chemin de progression que nous acceptons de poursuivre dans la réalité du temps qui passe et de nos propres réalités. Plus nous vivons des dons de l’Esprit, plus nous prenons conscience de la médiation du temps pour réaliser l’œuvre de Dieu, dans l’attente des conversions à vivre et à faire vivre. C’est ça la patience : un temps de murissement à la grâce que nous expérimentons dans les dons de l’Esprit. Encore faut-il ne pas confondre murissement et pourrissement mais, en d’autres termes, accompagner ce murissement dans la prière, le service de la charité et l’attention à toutes les réalités à vivre dans un esprit de conversion. La patience se comprend alors comme l’espace de la rencontre et le temps nécessaire à l’adaptation. La réception du don de l’Esprit demande à chaque fois du discernement, et donc la patience, pour l’exercer de manière intelligente. C’est un apprentissage de tous les instants pour se conformer à l’œuvre de Dieu.
Contre les convoitises, nous voici invités à vivre les fruits de l’Esprit, dans le renouvellement de la loi de l’amour qui vient de l’intérieur de l’homme, pour adhérer à la parole de vérité que le Seigneur nous a révélée. L’Esprit est un chemin de vérité pour nous apprendre à reconnaître Dieu. « La clé de la connaissance n’est pas autre chose que la grâce du Saint-Esprit. Elle est donnée par la foi. Par l’illumination, elle produit très réellement la connaissance et même la connaissance plénière. Elle ouvre notre esprit enfermé et obscurci, souvent avec des paraboles et des figures, mais aussi avec des affirmations plus claires. »[xxxi]C’est une lumière qui se discerne à travers les fruits et le regard de nos frères expérimentés dans la foi. Vivre la Pentecôte est aussi un appel au discernement de notre vie pour nous conformer à la Parole. L’expérience de l’Esprit demande par la suite du discernement, mais il nous faut en premier lieu vivre l’expérience du feu intérieur qui prodigue mille dons dans nos vies et nous fait partager la joie de Dieu : « puisque l’Esprit nous fait vivre, marchons sous la conduite de l’Esprit. »
Synthèse
La Pentecôte n’est pas une célébration du passé, mais bien l’accueil d’un événement que nous sommes appelés à vivre personnellement. « Heureux celui qui se livre docilement à la conduite de l’Esprit de Dieu ! Celui-ci le conduira par la voie étroite de l’abnégation ; il lui apprendra à crucifier la chair avec ses passions et ses convoitises pour remettre entièrement son esprit dans les mains de Dieu… Au travers du vêtement corruptible du vieil homme, dont il se dépouillera d’heure en heure, brillera ‘l’homme nouveau créé à la ressemblance de Dieu dans la justice et la sainteté de la vérité.’[xxxii]Et l’esprit de sainteté transparaitra dans toutes ses facultés et toutes ses actions. »[xxxiii]La vie de l’Esprit est un réajustement de notre corps, de notre esprit et de notre âme à la Parole de Dieu et à son action dans une même direction, pour une plus belle communion. C’est par l’Esprit que nous sommes invités à dire « Abba Père » et à recevoir le Christ dans sa chair. Enfin, c’est dans l’action de l’Esprit que nous vivons les dons de la grâce. « N’attristez pas le Saint-Esprit de Dieu, qui vous a marqués de son sceau en vue du jour de votre délivrance. »
Père Greg BELLUT
Curé de St Charles Borromée
23 mai 2021
[i]ST II-II Q 83 a13 – St Thomas d’Aquin
[ii]Catéchèse 14 la prière persévérante du 11 novembre 2020 – Pape François
[iii]ibid
[iv]Cf. Catéchisme de l’Église catholique, nn. 1817-1821
[v]&5 Spe Salvi – Benoiî XVI
[vi]P 252 L’œuvre multiforme de l’Esprit Saint en nous de Jean Mestrezat (1592-1657) in Trésors spirituels des chrétiens d’orient et d’occident de Martin de la Roncière
[vii]Sainte Thérèse de Lisieux – Le carnet Jaune p 806
[viii]Chemin de perfection Chapitre XXVI – Thérèse d’Avila
[ix]Catéchèse 10 prière des psaumes du 14 octobre 2020 op cité
[x]& catéchèse 13 Jésus maiîre de prière op cité
[xi]&24 Veritatis Splendor – JP II citant St Cyrille In Matthaeum, hom. I, 1 : PG 57, 15.
[xii]Parler en langue connue sur terre (différence avec la glossolalie chant en langue non connu sur terre)
[xiii]1 Co 12,10
[xiv]&95 Fratelli Tutti – Pape François
[xv]Paul VI discours du 19 mai 1975
[xvi]1 Co 12,1-3
[xvii]Pécher contre la vérité refuse de reconnaître une vérité notamment de la Parole de Dieu dans ce que dit l’autre parce qu’il n’appartient pas à mon système de référence, plus précisément dans le dialogue œcuménique, parce qu’il n’est pas de mon Église
[xviii]1 Co 12,7
[xix]Paul VI, discours du 19 mai op cité
[xx]&15 Evangelium Vitae
[xxi]E Osty repris dans le discours du pape Paul VI op cité
[xxii]cf. Jn 7, 38-39
[xxiii]cf. Jn13, 1-13
[xxiv]& 19 Dieu est amour avec pour ce passage une référence à Jn 13, 1; 15, 13
[xxv]Gaudete in Domino – Paul VI
[xxvi]Cf.Rm 14, 17;Ga 5, 22
[xxvii]Gaudete in Domino –op cité
[xxviii]Gaudete in Domino- op cité
[xxix]&64 Dominum et vivificantem Jean Paul II
[xxx]Poème 9 Que rien ne te trouble – Thérèse d’Avila œuvres complètes p 1243
[xxxi]Saint Syméon le Nouveau Théologien Catéchèse 33, SC 113, 255-161 – Zénith du 22 mai 2021
[xxxii]Cf Col 3,9 ; Ep 4,14
[xxxiii]p 248 Se livrer à la conduite de l’Esprit Saint de saint Philarète de Moscou (1782-1867) in trésors spirituels op cité