2019. Lettre rentrée 2/4. Lois de bioéthique
Notre attachement au Christ demande de vivre un témoignage qui dérange ceux qui sont dans l’obscurité du péché. Or la pratique médicale catholique refuse de s’accommoder de la culture de mort, et conteste les impératifs de la culture du déchet. C’est pourquoi nous avons à être présents dans le domaine du soin, et non dans seulement le « prendre soin ». « L’homme est appelé à répondre selon sa liberté éclairée par sa raison à l’appel de Dieu. Il est donc responsable. S’assumer comme personne libre suppose d’exercer cette responsabilité »[i].
C’est ainsi que l’inquiétude des lois de bioéthique interroge toute la communauté ecclésiale, et ne reste pas confinée à une histoire de spécialistes. Tous les évêques ont signé une déclaration sur la dignité de la procréation et la révision de la loi bioéthique, notamment sur les PMA en septembre 2019. L’enjeu est important, car l’attaque de la conscience des soignants qui veulent vivre leur foi en cohérence avec leurs actes est un scandale. Tout n’est pas question de fascination technique (mais ne devons nous pas dire fascisation technique ou falsification technique ?) et d’utilitarisme sous peinture d’émotions dégoulinantes. La liberté de conscience est invoquée sur des postures hasardeuses, mais elle est refusée lorsqu’elle rappelle la vérité de l’amour dans la fidélité aux Ecritures. Dans les établissements de santé, on va dans un établissement catholique au nom même des valeurs qu’ils portent, n’en doutons pas, surtout en domaine de soin, même si la formulation n’est pas toujours immédiate. Une approche de Schucklenk[ii] qui subordonne le soignant à l’exercice de son art, en dehors de toute considération religieuse est pure idéologie et une violation même de la personne humaine dans l’intégrité de tout son être. Un soignant est une personne en tant que telle, quand elle soigne, ou nourrit sa famille ou éduque son enfant, ou conduit en voiture, et les convictions de sa foi irradient toute sa vie. « la perte de limites » de notre fragilité humaine « contribue à la vacuité et à la vanité de l’homme. C’est l’illusion d’être son propre créateur. »[iii]
Aujourd’hui les questions sociétales sont vues sous le prisme d’une société gouvernée par ses désirs et incapable de respecter les normes pour se structurer. Du coup tout part dans tous les sens. Transpirent par endroits les valeurs utilitaristes, et parfois les courants conséquentialistes qui veulent s’affranchir de la tradition pour donner l’autorité sous la forme de la modernité sans réflexion en profondeur, mais dans un sentimentalisme de bon aloi. Dans la foi en Jésus, nous avons à vivre une cohérence de vie et ne devons pas être étrangers à ce qui fait notre réalité. Or les enjeux de la loi bioéthique sont un champ si ouvert, que l’on a du mal à pouvoir se positionner tant les connaissances dans tous les domaines doivent être importantes et demandent du temps. Et souvenons-nous que nous n’avons pas à cultiver une ignorance crasse… D’autant plus qu’il y a souvent une question d’effet de cascade. Les lois de bioéthique, et notamment sur le remboursement de la PMA dans une enveloppe de soin contrainte est logiquement un déremboursement d’autres soins. Ne soyons pas naïfs. La recherche sur la procréation et les sommes en jeu, signifient donc, prioriser les recherches et laisser d’autres pathologies dans l’ombre du déploiement de la recherche ou de contraindre les enveloppes des hôpitaux où de la pharmacie de ville.
La loi bioéthique ne peut pas être prise sous l’angle de la fraternité, alors que celui de l’égalité n’est pas résolu, quant à la liberté, lorsque l’argent sert de discernement, cela interroge gravement. Il nous faut réfléchir sur les enjeux ; les différents livres proposés par la conférence des évêques de France, doivent nous interroger sur les problématiques mises en exergues et les conséquences sur le pacte social et la conception anthropologique développée. Une des illusions serait, sous prétexte de charité, de refuser de se positionner. il faut bien se positionner au nom du Christ dans la vérité du débat qui demande de manière prophétique de donner des signes visibles indentifiables pour répondre à notre vocation au service de la charité.
PMA, AMP, les procréations au débat
Y a-t-il une PMA ou des PMA. Je pense que le singulier ne correspond pas à la pluralité des techniques de procréation, c’est pourquoi j’inviterais à utiliser le pluriel. De plus cela permettrait de comprendre le champ de la PMA entre les éléments chimiques, les éprouvettes, et l’intrusion cellulaire. D’autre part, nous ne parlons pas de la même procréation lorsque cela se passe dans le couple (gamète homologue), qu’un des deux est étranger, ou que les deux soient étrangers au couple. Enfin ce n’est pas la même chose de proposer une PMA pour la mère accoucheuse, et une PMA par mère porteuse, autrement appelée gestation pour autrui (GPA).
D’autres parlent d’assistance médicale à la procréation (AMP), mais la médiatisation a consacré le terme de PMA, même si tout le monde ne connait pas l’acronyme. Enfin à la suite du philosophe, peut-on parler encore de procréation médicale, lorsqu’il n’y a pas d’impératif de soin, mais comme certaines chirurgies esthétiques, de confort, et d’un simple désir. Ne pourrait-on induire le terme de procréation techniquement assistée, puisqu’elle ne correspond à aucune notion de soin mais à une pratique technique suivant un cahier des charges où la qualité sera liée à la dimension commerciale.
Le risque de marchandisation du corps, qui commencera par l’achat de sperme est donc une attaque sur la gratuité du corps pour le passer dans les biens marchands. Certains pays, comme la Chine ou la Turquie pratiquent déjà cette marchandisation, au moins officieusement et par les voies mafieuses certes, mais très rentables. D’autres comme l’Inde vendent cyniquement des organes pour permettre un niveau de vie décent jusqu’à la prochaine vente, découpant la personne humaine en organes à prélever sans que cela questionne vraiment. En fait, que nous soyons riches ou pauvres, le corps sera à acheter ou à vendre, une forme de prostitution par organes détachés. Certains films comme l’Ile décrivent cette marchandisation, (le film est sur un scénario de clones et fait rêver d’une ile paradisiaque se révélant être une opération pour réparer ceux qui les ont achetés). Et si derrière cette volonté progressiste il n’y avait pas un pur cynisme économique ?
La dignité de la personne commence dès sa conception, comme un sujet et non comme un objet de technicité possible. La notion de personne commence dès la conception et pose ainsi des questions sur l’instrumentalisation cellulaire qui peut en découler, lors d’expériences ou de développement de techniques qui veulent garantir toutes les chances de réussite. L’arrivée d’un être humain ne peut s’obtenir par des moyens sans arriver dans une forme de marchandisation, dont la GPA n’est qu’une ouverture, mais les thérapies eugéniques et le travail épigénétique ouvrant à d’autres possibles pour programmer les gènes que l’on veut voir chez l’enfant.
La problématique des PMA se fait sur plusieurs niveaux, comme la mise en œuvre dans la dissociation corporelle, par une fécondation en dehors des rapports humains, dans le temps, comme la conservation des embryons congelés (et la problématique de les garder dans le temps au détriment d’un stockage qui a ses limites – d’où l’appellation embryons humains surnuméraires). Que dirons-nous du lien générationnel et de la filiation génétique lorsqu’intervient un tiers donneur – et des problèmes nouveaux que cela pose comme la comptabilité de greffe familiale impossible à trouver. Soyons clairs, cela induit aussi à une forme de sélection eugénique, refusant toute forme d’handicap génétique repérable, et pour aller plus loin, pourrait déboucher ,lorsque les sciences le permettront pleinement, sur un transhumanisme à travers les chimères et l’avènement de l’homme amélioré (même si l’illusion du transhumanisme est de nier la mort – illusion que nous retrouvons dans des films de science-fiction comme Jupiter).
PMA pour toutes, l’histoire d’un refus d’altérité.
La question d’une PMA déconnectée d’un problème d’infertilité ouvre alors au nom même de l’égalité, à ouvrir les PMA à toutes les femmes quelle que soit la condition. C’est un choix politique mais n’est aucunement d’une nécessité médicale ou existentielle. Qu’elles soient célibataires ou vivant en paires de femmes, la maternité devient un droit presque constitutionnel au nom du suprême principe du désir individualiste qui réclame dans sa toute-puissance tous les droits, sans accepter la contradiction. C’est bien là, une logique du refus d’altérité et de contradiction en puissance, une forme de tyrannie du désir mis en place.
Evitons de déplacer le débat. Dans ce cadre-là, il ne s’agit pas de se positionner sur le mariage d’une paire d’hommes ou de femmes, cela a été tranché par la loi malgré la mobilisation gigantesque d’une partie de la population. La problématique de toute manière aujourd’hui n’est pas de cet ordre-là, puisqu’elle concerne la femme célibataire, comme la femme qui ne vit pas seule. Quel est l’intérêt supérieur de l’enfant sinon d’être élevé dans l’altérité du masculin et du féminin ? Et ce n’est pas une question de genre, mais une réalité génétique et de biochimie cellulaire. De plus il parait simpliste de ne pas y mettre la portée psychique, parlant de parent de substitution, comme si le titre faisait la fonction. N’est-ce pas aux parents plutôt d’avoir des enfants de substitution, plutôt que de réfléchir sur les capacités d’adaptation de l’enfant dans l’accueil de l’altérité sexuelle ? L’éviction des responsabilités du père n’engendrerait-elle pas demain une armée d’orphelins qui viendra demander des comptes ? « Si la procréation est bien l’acte de mettre au monde un enfant en faveur de lui-même et non pour satisfaire seulement un besoin de réalisation personnelle, si l’enfant est un don et non un dû, s’il est de plus reconnu comme vulnérable, le bien de l’enfant ne devrait-il pas être un argument éthique fondamental pour réguler les pratiques »[iv] de PMA ?
L’absurdité en droit nous rappelle aussi les situations improbables. Le premier exemple vient de Grande Bretagne, une paire de femmes demande une PMA et n’ayant pas de ressources recherche en responsabilité le père donneur pour la pension alimentaire. Il est très probable que la cour déboute la demande, mais voici les absurdités qui viendront s’inviter dans le débat public. L’autre exemple, Monsieur décide de se faire appeler Madame, sans changement de sexe. La France refuse, et la Cour Européenne des droits de l’homme, condamne la France. Donc il devient madame. Ce qui devait arriver, arriva, madame et madame ont un enfant naturellement conçu. Là encore, si une femme se sent monsieur sans changement de sexe, Monsieur et Monsieur pourront naturellement avoir un enfant. La question de droit, en cas d’infertilité du couple, est sur quel critère refuser une technique de procréation ? Nous comprenons ainsi qu’en ouvrant la boite de pandore toutes les situations sont envisageables et donc dans un progressisme décadent, amèneront à une violence sociétale induite par les demandes hors normes. Les cas traités en droit rappellent les aberrations poussées certes à des extrêmes, mais qui restent des aberrations habituelles et non conjoncturelles comme on tente parfois de relativiser.
Dialogue ou monologue ?
Le problème actuel, est que sous prétexte de dialogue, on a instauré un débat sur les lois bioéthiques durant dix-huit mois pour, à la fin redonner le projet écrit depuis deux ans. Un bon marché de dupes par des lobbying sur des désirs individualistes, et un vrai marché économique d’où l’insistance et la force de coercition qui touche les politiques et invite à se positionner voire « dézinguer » ceux qui ne sont pas dans la bonne ligne. La prise en main des médias dans ce domaine révèle la puissance de la coercition. Ne pas le voir serait d’une naïveté peccamineuse.
Sommes-nous dans le débat où la concertation fait avancer la communion ou bien dans la stérilité d’un monologue à plusieurs où chacun campe sur ses positions, et demeure la loi du plus fort ? Ressortir après concertation la loi préparée il y a dix-huit mois est instrumentaliser la parole comme lieu d’une vaine expression sur une décision déjà prise. La séduction d’un débat qui se révèle être un monologue est une escroquerie relationnelle. Le vrai dialogue impose le débat et l’évolution des positions pour éclairer toutes les parties du problème et non l’aveuglement dans une stature de commandeur intransigeant. Il ne s’agit pas de conduire à soi, dans une relation tronquée mais d’échanger dans un dialogue respectant la personne humaine dans son intégrité et son intégralité. Les propositions qui n’ont comme réelles fondements qu’un aspect marchand dévalorise l’être en marchandise et affirme une inégalité de la personne humaine. Le dialogue est une participation de chacun pour un bien commun et demande d’être entendu mais surtout écouté, pour infléchir les positions, et non reconduire les propos fracturant le pacte social et détériorant le bien commun.
Construire le bien commun demande d’abord de bien saisir la notion de fraternité, et c’est dans cet espace là que nous pouvons parler de tolérance et de pluralisme sains. Tant que la fraternité est au service du bien commun et non dans un désir individualiste de satisfaire certains aspects de manière égoïste. D’autre part, le dialogue demande que l’on ne traite pas d’extrémiste, et de déclaration haineuse, toute opposition à un courant de pensée insensé mais économiquement rentable. La coexistence pacifique demande de respecter chacun dans ses convictions, et non d’amener les uns et les autres à ses propres opinions pour ostraciser ensuite ceux qui font de la résistance. Certains discours dits progressistes, sont des anathèmes pour toute autre forme de pensée, et un mépris clairement affiché pour la personne et sa dignité. Le dialogue demande de vivre le débat et d’accepter les différences sans les ostraciser. Or le dialogue devient vraiment très difficile surtout lorsque des lois stigmatisent des situations qui sont clairement d’un point de vue moral, dans plusieurs religions, objectivement peccamineuses et peuvent parfois dans certains cas bien précis relever de la psychiatrie et apparaitre comme relevant de la pathologie. La privation de la liberté de conscience est l’une des premières étapes conduisant à la tyrannie.
Synthèse
Le Père Richard Henkes a été déporté à Dachau et il y est mort en 1945 pour s’être opposé au nom de sa foi contre les lois nationales sociales sur l’avortement rendu obligatoire pour des raisons eugéniques, l’euthanasie des infirmes et des invalides, et ce qui porte gravement atteinte à la dignité de l’homme. Dans la folie des lois bioéthiques actuelles peut être pouvons-nous nous mettre sous son intercession pour que la lumière de la foi illumine tous nos actes de ce témoignage de la vérité qui se vit dans l’amour. Que le bienheureux père Henkes qui a été au service des plus faibles, et a défendu la vie de sa conception jusqu’à sa fin nous aide à garder solidement les commandements du Seigneur et savoir nous positionner clairement, sans le misérabilisme du non positionnement du jugement.
Car les questions aujourd’hui demandent un positionnement d’un choix éthique de chacun dans une responsabilité qui est la nôtre, dans une conscience formée à la lumière de l’Evangile et qui se vérifie dans la relation au frère. Une visée éthique qui recherche une vie bonne pour soi et pour autrui dans la justesse de la vie de la cité, comme le propose Paul Ricoeur[v]. Nous devons veiller à être attentifs à ceux qui pourraient pâtir des passions désordonnées et des conséquences que cela aurait inéluctablement sur la vision de l’autre et de soi-même. Le bien commun est toujours un équilibre fragile avec l’impératif de fraternité et le désir de réalisation personnelle. Le devoir de solidarité doit toujours être entrepris dans la vérité de ce que nous avons à vivre comme enfants de Dieu, et du respect de la source de toute vie, Dieu lui-même. La fascination des techniques demande un exercice de discernement prudentiel. « Le pouvoir inédit de nos techniques a cruellement besoin d’être apprivoisé, c’est-à-dire intégré à une compréhension commune de notre vie humaine, personnelle et sociale, qui soit aussi en harmonie avec la création. Il s’agit d’un enjeu collectif car les désirs individuels qu’exacerbent ces techniques engagent la société »[vi]
Les évolutions sur la loi bioéthique montrent des manques importants sur la notion d’infertilité. Pourquoi doit-on observer aujourd’hui une hausse de l’infertilité, et les causalités avec les produits chimiques et plus largement avec l’environnement de l’homme. Que dire des embryons chimériques (embryon hybride homme et non humain) ? Volonté de faire de l’homme un animal comme un autre. L’interrogation sur l’embryon transgénique (modification des gènes) afin de modifier certains aspects, actuellement interdit pour gestation, donc ne peuvent pas excéder 12 jours, puisque le « progrès » médical ne permet pas techniquement de développer un embryon en dehors d’une gestation. Enfin la question sur les neurosciences pour stimuler le cerveau humain et lui donner d’autres formes de capacité (le film de science-fiction Jason Bourne est dans cet esprit là – dans sa forme de reprogrammation de l’être humain). Là encore le transhumanisme est clairement l’arrière fond de telle volonté de découverte. « Quel monde voulons-nous ? » pose le groupe bioéthique de la conférence des Evêques de France. Nous sortons clairement du cadre d’un simple questionnement sur la procréation, pour réfléchir sur la dignité de l’homme dans son intégrité physique, génétique, et neuronale. Une telle recherche sans un fondement éthique créerait des pays à divers stades de développement et un vrai clivage dans les rapports, la marchandisation abusive devenant l’objectif premier et immoral. Serons-nous alors vraiment si loin des expérimentations des dictatures du XXème siècle ?
Père Greg – Curé modérateur
Ensemble paroissial de Joinville le pont
[i] P 26 Qu’est ce que l’homme pour que tu penses à lui – Conseil permanent de la conférence des évêques de France – avril 2019
[ii] Udo Schuklent bio éthicien canadien déclare ouvertement que la religion n’a pas sa place en médecine.
[iii] P 77 l’assistance médicale à la procréation – Etudes – les essentiels, article de Didier Sicard
[iv] P 52 la dignité de la procréation – PMA – Révision de la loi bioéthique les évêques de France septembre 2018
[v] P 34 bioéthique – Quel monde voulons-nous ? Discerner des enjeux d’humanité – Pierre d’Ornellas, groupe bioéthique – conférence des évêques de France.
[vi] P 46 Bioéthique – Quelle société voulons-nous pour aujourd’hui et demain ? Mgr Pierre d’Ornellas