2020. Lettre de l’Avent
« Ainsi le Seigneur fera germer la justice et la louange »
Le temps de l’avènement (avent) du Christ dans notre monde, est celui de la préparation à la joie de la rencontre. L’incarnation est la réalisation de la promesse de Dieu qui, dès l’origine, voulait une communion parfaite avec sa création. « Dans son incarnation, le Fils de Dieu nous a invités à la révolution de la tendresse. »i Nous connaissons la tendresse de Dieu pour chacun d’entre nous. Il nous prépare à l’avènement en envoyant les prophètes nous annoncer cette merveilleuse réalité. Et nous, dans la joie, nous préparons notre cœur en convertissant ce qu’il faut pour être ajustés à sa Parole et le recevoir dans un intérieur dégagé de toute obscurité, pour laisser place à la lumière. « Si la parole de l’homme semble devenir muette devant le mystère du mal et de la souffrance et si notre société semble n’accorder de valeur à l’existence que si elle correspond à certains niveaux d’efficacité et de bien-être, la Parole nous révèle que ces circonstances sont aussi mystérieusement « embrassées » par la tendresse divine. »ii Or, cette manifestation de la tendresse se vit jusqu’à l’amour de Dieu, venu dans ce monde pour nous sauver et révéler la puissance du don, pour s’affranchir du mal et de ce qui mène à la mort. L’avent nous prépare alors dans cette vulnérabilité à préparer nos cœurs à la rencontre du Sauveur qui, jusqu’au bout, manifestera l’amour. « Tout être humain fait l’objet de la tendresse infinie du Seigneur, qui habite dans sa vie. Jésus Christ a versé son précieux sang sur la croix pour cette personne »iii Alors, si Dieu déchire les cieux pour venir à notre rencontre, tenons-nous prêts et veillons, car nous ne savons ni le jour ni l’heure, mais il nous faudra reconnaître notre Seigneur.
Le concept d’humilité a laissé place à celui de la vulnérabilité, changeant l’optique d’une transformation intérieure vécue dans la fragilité de sa propre vie, en une attention extérieure engageant à être attentif aux fragilités des autres et des plus démunis, ne peut qu’interroger. Si la vulnérabilité amène bien à l’humilité dans la prise de conscience de nos propres limites, elle est aussi une invitation à l’attention au frère et à son quotidien afin de toujours témoigner du Christ. « C’est l’homme dans son humanité avec les limites, la faiblesse morale, la vulnérabilité, la condition de créature et la mortalité que la nature humaine implique… L’homme est vulnérable tant devant le mal que devant Dieu »iv A travers la maladie et la souffrance, nous percevons de façon très pratique cette vulnérabilité. Nous devons abandonner ce qui nous entoure pour une recherche de sens profond, une autre forme d’intériorité où la hiérarchie des valeurs se transforme en hiérarchie d’une vie authentique vécue dans ce qui est premier.
Chasser toute peur avec Jésus pour Seigneur
La pandémie nous renvoie à cette vulnérabilité de l’homme et, en même temps, de ce qui est premier pour nous. L’homme est d’abord un être de relation. Sa première relation fut avec Dieu, puis avec ses frères, et cette relation fut violence et abandon. Or Dieu nous avait créés pour la communion. L’incarnation du Christ et son sacrifice sur la croix nous font comprendre que nous ne pourrons être vraiment féconds que dans le don. « Nous savons seulement que notre don de soi est nécessaire. Apprenons à nous reposer dans la tendresse des bras du Père, au cœur de notre dévouement créatif et généreux. Avançons, engageons-nous à fond, mais laissons-Le rendre féconds nos efforts comme bon Lui semble. »v. Ce qui est vrai pour notre engagement est vécu, dans cette attente joyeuse, comme une promesse qu’Il n’a pas cessé de dérouler tout au long des siècles avec mansuétude. Cette tendresse du Père continue de s’exercer dans l’incarnation du Christ. Il accepte de s’incarner dans la vulnérabilité de l’homme pour lui révéler la grâce de Dieu, cette force surnaturelle qui n’en fait pas un super héros, mais un homme intégral, répondant ainsi à sa pleine vocation dans la juste place de sa nature. Une unité intérieure et extérieure qui illumine la création de la présence du Seigneur, parce que nous sommes images de Dieu et que nous lui ressemblons lorsque nous sommes en communion. « Une écologie intégrale implique de consacrer un peu de temps à retrouver l’harmonie sereine avec la création, à réfléchir sur notre style de vie et sur nos idéaux, à contempler le Créateur, qui vit parmi nous et dans ce qui nous entoure, dont la présence « ne doit pas être fabriquée, mais découverte, dévoilée»vi. »vii Notre vulnérabilité n’est donc pas un échec, ni contraire à notre vocation, mais un rappel constant que nous avons été créés par Dieu pour la louange de sa gloire et que nous sommes invités à cette louange incessante.
Or, la méditation des Ecritures et le souvenir de Dieu dans notre histoire demandent que nous restions ouverts au souffle de l’Esprit, et prenions le chemin du Fils pour faire la volonté du Père. L’Ecriture devient la boussole de notre vie, et l’amour du don la direction de notre cœur. La communion en Dieu est un chant de grâce que nos propres limites ne peuvent fermer définitivement, tant nos choix restent ouverts. C’est une symphonie du désir de Dieu, qui s’agrémente des harmonies avec Dieu et fuie les discordances du péché. Mais, nous le savons bien, « si la musique de l’Évangile cesse de vibrer dans nos entrailles, nous aurons perdu la joie qui jaillit de la compassion, la tendresse qui naît de la confiance, la capacité de la réconciliation qui trouve sa source dans le fait de se savoir toujours pardonnés et envoyés. Si la musique de l’Évangile cesse de retentir dans nos maisons, sur nos places, sur nos lieux de travail, dans la politique et dans l’économie, nous aurons éteint la mélodie qui nous pousse à lutter pour la dignité de tout homme et de toute femme »viii. La joie de Dieu s’invite dans nos choix et s’exprime à travers la relation individuelle et communautaire. La marche de l’Avent nous appelle à un déplacement personnel, une invitation à l’accueil du Fils de Dieu, et communautaire, comme un rappel de sa parole dans nos vies et dans la tradition de nos pères. C’est, en même temps, une redécouverte de son œuvre d’incarnation pour nous aujourd’hui, car Noël n’est pas à voir comme un anniversaire d’un fait passé, mais une mémoire toujours actuelle d’un événement ancien et nouveau. Chaque Noël, nous recevons le Christ différemment.
Cette année, de façon particulière, nous devons vivre ce chemin de croissance de la joie avec le couperet du Covid Wuhan et les injonctions sanitaires pas toujours ajustées à la situation, que nous subissons comme Joseph et Marie, dans l’attente du Sauveur. L’obligation de recensement d’hier, des attestations de déplacement aujourd’hui, malgré la fragilité qui nous traverse, ont une répercussion dans la vie de la cité. « Bâtir sa maison sur le roc c’est d’abord bâtir sa maison familiale ix» et veiller au bien commun. Il y a un engagement spécifique pour nous aujourd’hui dans la foi. Il nous faut être attentifs aux fléaux du confinement et ses conséquences de désintégration humaine et sociale. C’est pourquoi il nous faut « prendre soin de la fragilité, de la fragilité des peuples et des personnes. Prendre soin de la fragilité veut dire force et tendresse, lutte et fécondité, au milieu d’un modèle fonctionnaliste et privatisé qui conduit inexorablement à la “culture du déchet”. [… Cela] signifie prendre en charge la personne présente dans sa situation la plus marginale et angoissante et être capable de l’oindre de dignité »x. Dans l’écoute de notre société, nous avons près de nous très concrètement des personnes qui perdent leurs repères et parfois perdent pied. Certains sont dans un isolement qui fait perdre la raison ou entrer en dépression. Notre responsabilité en tant que fils de Dieu dans ce temps de l’Avent est d’apporter cette joie de l’attente du Christ qui vient nous libérer de toute peur afin de faire advenir son règne, cette civilisation de l’amour où nous sommes tous invités. L’impératif d’aller voir les voisins, et de faire attention à ceux qui nous entourent, demande un supplément d’effort pour chacun d’entre nous afin d’engager la relation, d’accepter de se faire parfois rabrouer, mais toujours garder cette audace de l’annonce d’une joie promise.
Prier pour ceux qui nous gouvernent et accueillir le Christ qui vient
L’errance de ceux qui nous gouvernent n’est pas d’aujourd’hui, la folie d’Hérode de compter le peuple sur ordre de César n’a pas empêché les deux massacres de 70 et de 110 mais réduit le nombre de Juifs à une diaspora pour presque 20 siècles. Cela étant dit, la prière pour ceux qui nous gouvernent n’est pas facultative, mais l’expression de notre foi et la confiance dans le plan de Dieu pour l’histoire des hommes. De plus, ne nous laissons pas instrumentaliser par des mass médias peu complaisants, lorsqu’ils ne sont pas d’une partialité tyrannique. Nous devons toujours être attentifs aux tout petits et, malgré les injonctions paradoxales, trouver la voie de l’Evangile. « En politique il est aussi possible d’aimer avec tendresse. « Qu’est-ce que la tendresse ? C’est l’amour qui se fait proche et se concrétise. C’est un mouvement qui part du cœur et arrive aux yeux, aux oreilles, aux mains. […] La tendresse est le chemin à suivre par les femmes et les hommes les plus forts et les plus courageux »xi. Dans l’activité politique, « les plus petits, les plus faibles, les plus pauvres doivent susciter notre tendresse. Ils ont le droit de prendre possession de notre âme, de notre cœur. Oui, ils sont nos frères et nous devons les traiter comme tels »xii. » xiii Les choix de la cité doivent être ordonnés à notre agir moral, c’est-à-dire à la lumière de notre foi pour éclairer leurs visages de l’Evangile que nous-mêmes avons reçus. C’est un chemin abscons, et il demande beaucoup de renonciation, et pourtant c’est aussi un temps riche des personnalités de chacun pour éclairer notre vie d’autres lumières qui viennent des cieux. Dire non à l’immédiateté du désir de ce monde qui passe pour connaitre l’éternité de la communion entraine un changement de perspective.
L’aide au plus petit ne va jamais dans un seul sens, mais est toujours un dialogue d’humanité, où chacun reçoit de l’autre. C’est le principe même de cette vulnérabilité, d’être dialogue, c’est-à-dire relation d’écoute et de partage. Nous sommes dans notre vocation propre de fils de Dieu lorsque nous nous mettons à l’œuvre dans ce chemin de vulnérabilité, pour redécouvrir la tendresse de Dieu pour nous et la partager avec nos frères. Cela nous oblige à changer notre regard pour enlever celui de la condescendance et développer celui de la compassion dans la fraternité. Vivre la relation dans le temps féconde l’amour dans la réalité du quotidien. Un nouveau dynamisme de l’amour à chaque étape de la vie, qui prend en compte nos limites, certes, mais aussi l’ingéniosité de nos pauvres moyens. Autrement dit, « Le temps ordonne les espaces, les éclaire et les transforme en maillons d’une chaîne en constante croissance, sans chemin de retour. Il s’agit de privilégier les actions qui génèrent les dynamismes nouveaux dans la société et impliquent d’autres personnes et groupes qui les développeront, jusqu’à ce qu’ils fructifient en évènement historiques importants. Sans inquiétude, mais avec des convictions claires et de la ténacité. »xiv L’avènement de l’incarnation du Christ éclaire l’humanité d’un jour nouveau dans la réalisation de la promesse. Dieu est fidèle, et vient au secours de notre faiblesse pour nous inviter une nouvelle fois au sacrement de la charité, le banquet de noce, la communion avec Lui et Lui seul.
L’attente de l’incarnation de notre Sauveur, nous fait être autrement, pour préparer sa venue, et change notre axe du temps pour écouter ce qu’Il attend de chacun d’entre nous. Veiller et être prêts signifie alors écouter son souffle de vie qui nous guide sur le chemin du Salut. La source de la vie nous conduit sur un chemin d’existence qui est d’abord attention à l’autre et à ses souffrances, pour que nous puissions lui dire “me voici” et être là, présents, à côté de Lui. Notre vulnérabilité nous rend attentifs à l’autre et disponibles à ce partage d’humanité. Le Christ, en s’incarnant, nous montre le chemin à suivre pour être son disciple. C’est la manière d’aimer la plus authentique possible, malgré nos fragilités humaines, c’est-à-dire nous ajuster à l’amour de Dieu, chacun selon ses propres talents. L’épreuve est là non pour nous affaiblir, mais au contraire, nous affermir dans la confiance en Dieu. Dans nos choix de vies nous exprimons notre être, c’est ce que dit le Père Wojtyla dans son livre difficile « Personne et acte » que je résume de manière très sommaire en deux propositions : chaque personne se dit dans son acte, mais on ne peut pas réduire la personne à son acte. Cela demande de cultiver notre jardin intérieur et d’être attentifs à ce que nous devons vivre dans la réalité du quotidien. « Il faut toujours cultiver un espace intérieur qui donne un sens chrétien à l’engagement et à l’activité.xv Sans des moments prolongés d’adoration, de rencontre priante avec la Parole, de dialogue sincère avec le Seigneur, les tâches se vident facilement de sens, nous nous affaiblissons à cause de la fatigue et des difficultés, et la ferveur s’éteint »xvi C’est d’autant plus vrai lorsque nous vivons l’épreuve et que nous sommes confrontés à nos finitudes, comme un rappel que nous ne sommes pas éternels et que nos choix impliquent notre responsabilité. Alors la conscience est confrontée à cette recherche du bien et aux distorsions que l’on a pu vivre, et de là surgit une forme de culpabilité pas toujours ajustée à nos actes.
Dans l’épreuve, nous disons quelque chose de nous-même et, lorsque nous progressons dans la liberté intérieure, nous nous rapprochons de Dieu et participons, personnellement et communautairement, à cette construction de la civilisation de l’amour. Il est illusoire de vouloir vivre sans agir moral ou de faire de la morale un carcan, alors qu’elle est justement l’expression de notre conscience dans ce choix d’humanité. La question du sens dans la souffrance prend une tournure nouvelle, car elle fait tomber toutes nos fuites et nos distractions, pour nous rappeler à l’essentiel de nos limites humaines. L’accueil de cette finitude et de l’angoisse qu’elle engendre, dans la foi, reçoit une nouvelle lumière de l’intelligence par la présence de Dieu dans notre vie. Nous comprenons alors que nos peurs et nos angoisses ne disent pas toute la vérité sur le rapport au monde et aux personnes, mais qu’il nous faut revoir notre fraternité comme un lieu à conquérir, pour affirmer notre vocation de fils d’un même Père. Ce n’est plus une question de sentiment ou même de volonté, mais un choix de vie qui s’oriente vers la finitude de l’être. « En réalité, l’amour ne peut se réduire à un sentiment qui va et vient. Il touche, certes, notre affectivité, mais pour l’ouvrir à la personne aimée et pour commencer ainsi une marche qui est un abandon de la fermeture en son propre « moi » pour aller vers l’autre personne, afin de construire un rapport durable ; l’amour vise l’union avec la personne aimée. Se manifeste alors dans quel sens l’amour a besoin de la vérité. C’est seulement dans la mesure où l’amour est fondé sur la vérité qu’il peut perdurer dans le temps, dépasser l’instant éphémère et rester ferme pour soutenir une marche commune. »xvii Un chemin d’humanité vers le Salut, auquel nous appelle le Christ et que nous devons vivre personnellement et fraternellement. Parler de vérité de l’amour dit entrer en relation mais, plus encore, être en dialogue pour échanger sur la personne et non sur l’avoir ou l’utilité. L’épreuve du vagabondage à cause du recensement ou du confinement (que l’on pourrait appeler le covid-ment tant sont absurde les consignes et les injonctions sur le dos du covid donne l’impression d’autres préoccupations) est aussi un passage, pour chacun d’entre nous, de la Mer Rouge pour regarder Dieu déployer sa puissance dans nos vies. Plus qu’une conversion, il s’agit dans ce temps de l’Avent d’apprêter son cœur, afin de recevoir Dieu dans la joie de la rencontre. Il se fait proche de nous pour que nous nous rendions proches de Lui, dans un partage du don qui se fait accueil de l’autre.
La vérité de l’amour
La vérité de l’amour se réalise pleinement dans ce don sincère de soi-même et l’accueil de l’autre dans ses vulnérabilités. Elle demande parallèlement un lâcher prise et l’acceptation que nous ne maîtrisons pas tout, mais que Dieu sait ce qu’Il fait. Nous Lui faisons confiance, à l’image de Marie qui n’a été qu’un oui tout au long de sa vie, un fiat à la volonté de Dieu dans la réalité de l’histoire des hommes. C’est pourquoi nous pouvons comprendre l’Avent comme un espace de rencontre plus authentique de l’homme intégral, dans l’écoute et la proximité de notre humanité. La compassion est cet élément de tendresse nécessaire à toute relation qui respecte l’autre. Dans les périodes difficiles, ce n’est plus la liberté qui prime, mais bien l’humanité. Celle-ci est respectée dans sa dignité lorsqu’elle renvoie à la liberté des choix radicaux qui font sens (nous pourrions dire qui sont sens puisque c’est la personne qui témoigne). « Le chrétien sait que la souffrance ne peut être éliminée, mais qu’elle peut recevoir un sens, devenir acte d’amour, confiance entre les mains de Dieu qui ne nous abandonne pas et, de cette manière, être une étape de croissance de la foi et de l’amour. En contemplant l’union du Christ avec le Père, même au moment de la souffrance la plus grande sur la croixxviii, le chrétien apprend à participer au regard même de Jésus »xix. Le chemin d’alliance avec Dieu dès l’origine a consisté à remettre sur la route l’homme en errance. Ce n’est pas sans but, mais bien dans la promesse d’une civilisation de l’amour qui trouverait son sens dans l’incarnation du Christ Sauveur. Le rédempteur nous ouvre à la vie en Dieu en venant sauver tous les hommes. Ce temps de joie de la rencontre est aussi le lieu de l’émerveillement et d’une révélation de la tendresse de Dieu pour tous les hommes, prenant notre condition humaine pour révéler la force de son amour. Nous devons vivre les commandements dans l’appel des béatitudes, comme lieu de réalisation du bonheur promis dans chacune de nos relations ajustées à la Parole.
L’agir moral comme lieu de libération de notre vulnérabilité
L’agir moral et la liberté de notre conscience ne sont pas le tout de notre vie. Le souffle de l’Esprit et la méditation de la Parole nous poussent à l’audace de l’amour dans la gratuité du don et la disponibilité de notre être, afin de nous adapter à la réalité que nous avons à vivre, et de témoigner de l’Evangile avec la Loi pour cadre et la vérité de l’amour comme seule limite. L’accompagnement spirituel, l’écoute de la tradition apostolique, l’ouverture à la Parole de Dieu et au service de la charité auprès des frères, sont autant de balises de vie qui permettent de ne pas partir dans le décor. Elles rappellent l’impératif de suivre le Christ en toute circonstance et de s’occuper du Samaritain sur le bord de la route, tout comme aller à la messe, prier et servir Dieu, dans les deux cas ne sont ni de l’ordre du relativisme, ni du facultatif. Nous ne pouvons pas non plus opposer le service du frère à celui de Dieu sans faire un contresens monumental de l’intelligence de la foi, versant ainsi dans une forme d’hérésie, c’est-à-dire d’errance dogmatique.
L’agir moral demande un dialogue dans la relation à l’autre, où l’amour est premier dans l’intelligence des Ecritures et le partage comme lieu de rencontre avec l’autre pour tisser ainsi d’autres liens fraternels. Il faut certes une bonne distance, mais elle n’est pas l’évitement de proximité, sorte de pudeur mal placée de la distanciation, ni une fusion dans l’impudence de la confusion des sens. Recevoir l’autre, dans sa propre altérité, nous fait grandir dans tout notre être. C’est la richesse du Christ qui vient se révéler comme notre Rédempteur. Nous entrons ainsi dans la compassion de Dieu pour ce monde, et l’invitation à compatir pour nos frères, de cet amour contrarié. Tout n’est pas fini, le Rédempteur vient ; à nous de l’accueillir dans notre vie. Il est de notre responsabilité de tenir nos lampes allumées et de faire les provisions nécessaires dans la prière et la méditation des Ecritures, pour nous souvenir qu’on doit résolument l’attendre dans la grande espérance du Salut. Il vient nous réunifier dans notre vocation d’images de Dieu appelées à entrer dans la civilisation de l’amour et à rechercher un bien meilleur à ce qui est sensible, c’est-à-dire l’union à Dieu et des biens qui ne passent pas.
Notre vulnérabilité peut nous pousser à un repli sur nous-mêmes, sur notre humanité. Une forme de dépression spirituelle, où Dieu nous aurait abandonnés, sans espoir, sinon de vivre une vie juste sans lendemain comme le pensaient les Sadducéens. L’anonymat des laissés-pour-compte est un scandale aux yeux de Dieu car il touche à notre appel premier à vivre la fraternité, comme lieu d’équité dans la relation à l’autre. Il n’y a pas de plus grand, ou de plus petit, nous sommes tous frères car d’un même Père. L’onction d’Israël comme peuple élu, n’a pas disparu avec la venue de Jésus, mais elle s’est partagée d’une manière universelle à toute la terre. L’espérance renait parce que Dieu s’est incarné et qu’Il est le Verbe fait chair. Nous cheminons à sa suite pour être disponibles à l’action de Dieu dans notre histoire. Notre confiance en la vie éternelle repousse toute peur afin de reconnaître notre Seigneur. Dans notre vulnérabilité, nous nous recentrons sur le présent de notre vie et ce que nous voulons, dans les choix que nous posons. Une forme d’interrogation de notre vocation d’image de Dieu, afin de suivre la volonté du Père.
L’attente de l’accueil de Jésus parmi nous est une indication de ce que nous sommes vraiment appelés à vivre. Une présence de Dieu dans l’histoire où nous sommes réconfortés et dans cette nouvelle présence dans la relation nous invite à la conversion. Oui il nous faut accueillir Dieu et sa Parole comme une chance de restructurations de tout notre être, une réintégration de ce que nous sommes dans l’équilibre de son projet créateur, une réunification de tout notre être pour chanter les louanges de Celui qui nous a créé. Bref l’harmonie de tout notre être en communion avec Dieu. Et le temps d’attente de l’incarnation est notre capacité à comprendre que malgré nos limites, Dieu reste sans limite, et nous invite à le contempler pour continuer à grandir dans sa maison. Un gout de l’immédiat de Dieu qui pousse au désir de le chercher sans cesse. C’est bien dans la communauté que nous sommes appelés à le reconnaitre, la relation avec l’autre, notre frère, qui nous laisse percevoir la relation unique que nous avons avec Dieu, et l’accueil que nous pouvons lui faire dans notre jardin intérieur.
Marie, le chemin du “oui”
Il n’y a pas meilleur chemin de l’Avent, que la méditation de la vie de la Vierge Marie. Elle n’a pas cessé de dire oui à l’œuvre de Dieu. Pourtant, le projet créateur était mal parti : Adam et Eve se sont défiés de Dieu et, malgré le fait d’avoir été créé sans péché, ils ont succombé à la voix du tentateur et ont dit non à l’interdiction structurante de Dieu. Loin de se lasser, et laissant l’homme méditer sur les conséquences de son péché, le Seigneur a redit sa fidélité dans la promesse de son alliance et sa volonté de communion avec nous. Il a permis, dans sa grande sagesse, de créer à nouveau une femme, immaculée conceptionxx. Il tente cette deuxième approche avec notre humanité et triomphe du mal avec le oui de Marie en toute circonstance. « Elle est aussi bien la femme orante et laborieuse à Nazareth, que notre Notre-Dame de la promptitude, celle qui part de son village pour aider les autres « en hâte »xxi. Cette dynamique de justice et de tendresse, de contemplation et de marche vers les autres, est ce qui fait d’elle un modèle ecclésial pour l’évangélisation. »xxii Car le chemin d’attente est aussi un chemin d’espérance et de fécondité de l’annonce : Le voici, Il vient à ma rencontre, mais aussi à notre rencontre. Nous sommes tous appelés à expérimenter cette proximité de Dieu dans notre vie, et pas seulement une nuit de Noël derrière un pilier de Notre-Dame… Marie montre sa disponibilité dans le oui, qui dit le dynamisme de l’amour toujours entreprenant dans le service et le don de soi. C’est en hâte qu’elle va aider Elisabeth sa cousine, une célérité pour accomplir la volonté de Dieu en toute chose, y compris dans un recensement inopportun ou la nécessité d’une fuite en Egypte devant un gouvernement assassin. Suivre la volonté de Dieu n’est pas renoncer à notre vulnérabilité mais, au contraire, dans cette vulnérabilité lui faire confiance pour connaître cette paix intérieure en toute circonstance. « Marie est celle qui sait transformer une grotte pour des animaux en maison de Jésus, avec de pauvres langes et une montagne de tendresse. »xxiii Nous sommes loin des murmures du désert, mais au contraire de la disponibilité à l’aujourd’hui pour accueillir dans la réalité notre vocation première de fils et de fille de lumière.
Toutefois la vie de Marie nous révèle aussi que Dieu va à la rencontre de ceux qui sont oubliés pour leur dire l’amour qui vient. Nazareth est une ville inconnue de l’Ancien Testament et, selon les traces historiques, dans un foyer régional assez turbulent. C’est là, parmi ce peuple où la colère gronde contre l’envahisseur romain, que vient le Messie, le Sauveur. Dieu ne manque pas d’humour car, par la naissance de Jésus, ce n’est pas un renversement politique qu’Il propose mais une révolution de l’amour dans le changement des cœurs. Marie est là, pour recevoir l’amour de Dieu et le partager en se préoccupant des réalités quotidiennes, « ils n’ont plus de vin », comme un appel à percevoir dans la détresse des frères, une manière de dire la tendresse de Dieu. « Car, chaque fois que nous regardons Marie nous voulons croire en la force révolutionnaire de la tendresse et de l’affection. En elle, nous voyons que l’humilité et la tendresse ne sont pas les vertus des faibles, mais des forts, qui n’ont pas besoin de maltraiter les autres pour se sentir importants. »xxiv La mère du Rédempteur, loin de s’enivrer de son titre, reste disponible à la volonté de Dieu et toujours proche de son Fils jusqu’au pied de la croix et au témoignage de Pentecôte. Alors, nous comprenons que le temps de l’Avent est bien celui du premier témoignage que nous rendons au Fils dans la joyeuse préparation de sa rencontre. C’est notre premier témoignage.
Vers un chemin de tendresse
Parler de vulnérabilité, dans ce temps de l’Avent, est accueillir la tendresse de Dieu pour notre humanité. Le mot tendresse vient des entrailles, pour dire que cela prend aux tripes. Comme la tendresse de la mère pour son nourrisson, Dieu a de la tendresse pour chacun d’entre nous, et notamment les plus vulnérables. Non ils ne sont pas oubliés dans leur sort, mais au contraire particulièrement aimés. Le fait que le Christ naît dans une étable n’est pas une recherche de pauvreté, comme pourrait le faire croire une certaine idéologie de fausse simplicité, mais une recherche de proximité avec tous. La porte d’une auberge impose un droit de passage, un jeu de regard plus ou moins bienveillant, une atmosphère de suspicion. La porte d’une étable est faite pour les touts venants, des plus riches aux plus pauvres, chacun s’y sentant chez lui. Et c’est ainsi que l’amour peut se manifester dans son universalité.
Mais, plus qu’une attitude d’accueil de l’autre, la tendresse peut aussi à travers l’épreuve montrer de la bonté dans le pardon, et Dieu lui-même vient nous pardonner le premier rejet par l’homme en nous proposant le nouvel Adam. Car la tendresse de Dieu se manifeste par le Christ qui, tout au long de sa vie, aura pitié des pauvres qui viendront vers lui. La tendresse de Dieu vient pénétrer tout homme et nous invite à L’imiter à l’heure de l’Evangile. « Dans la vie du peuple fidèle de Dieu, nous trouvons beaucoup de supplications débordantes d’une tendresse croyante et d’une confiance profonde. N’ôtons pas de la valeur à la prière de demande, qui bien des fois donne de la sérénité à notre cœur et nous aide à continuer de lutter avec espérance. »xxv N’ayons pas peur de vivre cette tendresse dans l’expression de notre foi et de la partager autour de nous comme supplément de l’amour de Dieu. Cela demande de la douceur et une forme d’humilité pour reconnaître l’autre dans toutes ses composantes et y déceler la merveille de Dieu. « La foi authentique dans le Fils de Dieu fait chair est inséparable du don de soi, de l’appartenance à la communauté, du service, de la réconciliation avec la chair des autres. Dans son incarnation, le Fils de Dieu nous a invités à la révolution de la tendresse. »xxvi Une vérité de la relation qui demande d’entrevoir l’amour à travers le pardon et d’user de la miséricorde afin de mettre au cœur de toute relation la recherche de communion. C’est là, le chemin de grâce que nous devons vivre dans notre vulnérabilité, car celle-ci devient clivante lorsqu’elle ne se tourne pas vers l’amour. « Tout être humain fait l’objet de la tendresse infinie du Seigneur, qui habite dans sa vie. Jésus Christ a versé son précieux sang sur la croix pour cette personne. Au-delà de toute apparence, chaque être est infiniment sacré et mérite notre affection et notre dévouement »xxvii Notre témoignage se fera dans la douceur de l’annonce et la vérité du message de l’Evangile, qui ne verse ni dans la compromission ni dans le sentimentalisme, mais demande la relation et la radicalité de l’engagement.
L’avènement du Christ nous rappelle cet appel à la sainteté qui est notre vocation baptismale première. Malgré les épreuves et les ruptures dans les relations, nous devons garder confiance en l’amour de Dieu et toujours avoir ce regard de bienveillance sur le frère. « Personne ne pourra nous enlever la dignité que nous confère cet amour infini et inébranlable. Il nous permet de relever la tête et de recommencer, avec une tendresse qui ne nous déçoit jamais et qui peut toujours nous rendre la joie »xxviii. »xxix Car la vraie joie se vit dans l’amour de Dieu et du frère, et sait passer par le pardon et la miséricorde pour accueillir toute relation avec tendresse et humilité. « Il faut avoir le courage, la tendresse et la délicatesse nécessaires pour aider l’autre à reconnaître la vérité et les mensonges ou les prétextes. »xxx La douceur, que nous devons déployer pour ajuster la relation aux besoins du frère, demande une présence à soi, et une capacité à réagir de façon appropriée selon le souffle de l’Esprit. Un tel accompagnement, constant et fidèle, rappelle que notre vulnérabilité a besoin d’aide, comme celle de nos frères, et que l’entrée en relation demande de respecter notre identité propre dans un accompagnement spécifique. Lorsque le rapport au mot est compliqué, le geste approprié et la proximité de tout l’être par un regard, un geste, une intention particulière, permet d’ouvrir les portes pourtant bien verrouillées. Il faut vaincre les sommets de l’inaccessibilité par une présence de l’Evangile qui demande du temps et de l’espace. La civilisation de l’amour est confiance en la vie en Dieu, dans la vie des frères. Une sollicitude recherchée pour accompagner de la façon la plus juste et ne jamais perdre le dialogue malgré les fragilités reconnues.
Les dimanches de l’avent nous communiquent cette tendresse de Dieu, qui se vit dans notre propre histoire comme source d’émerveillement de sa présence prévenante. Jésus vient révéler l’immense tendresse de Dieu pour tous les hommes, dans l’annonce du Royaume, et transformer les rapports humains pour apprendre à aimer, à pardonner et à se mettre au service les uns des autres. L’amour est un chemin de croissance qui demande l’accueil du Messie dans nos vies, la transformation du cœur et le partage explicite avec toutes les nations. « Dieu n’exerce pas ce pouvoir de manière arbitraire et tyrannique, mais comme une prévenance et une sollicitude aimantes à l’égard de ses créatures. S’il est vrai que la vie de l’homme est dans les mains de Dieu, il n’en est pas moins vrai que ce sont des mains pleines de tendresse, comme celles d’une mère qui accueille, qui nourrit et qui prend soin de son enfant: « Je tiens mon âme égale et silencieuse; mon âme est en moi comme un enfant, comme un petit enfant contre sa mère » xxxi L’incarnation du Christ révèle la tendresse du Père pour notre humanité et le partage de cette tendresse par les grâces de l’Esprit Saint.
La veille en Dieu
« Prenez garde, restez éveillés : car vous ne savez pas quand ce sera le moment. » L’impératif de veiller qui est en même temps une injonction de foi nous invite à repenser notre temps en Dieu. Nous ne pouvons plus vaquer dans l’indolence de notre vie sans avoir en perspective le Salut promis. Veillez est une invitation à la grande espérance, promesse de joie de la rencontre éternelle. « Il veille avec le Christ, celui qui, tout en regardant l’avenir, ne perd pas de vue le passé, et tout en contemplant ce que son Sauveur a acheté pour lui, n’oublie pas ce qu’il a souffert pour lui. Il veille avec le Christ, celui qui commémore et renouvelle toujours en sa propre personne derrière lui lorsqu’il est monté au ciel. »xxxii L’Avent, attente de la naissance du Christ Sauveur nous invite alors à contempler la Parole de vie qui ouvre à la vulnérabilité de l’homme Dieu et en même temps la promesse de la résurrection comme joie du Salut promis.
L’impératif de la veille commence par cette proximité aux Ecritures. « Qu’est-ce qui est le propre de la foi ? C’est la pleine et indubitable certitude de la vérité des paroles inspirées par Dieu (…) Qu’est-ce qui est le propre du fidèle ? De se conformer avec cette totale certitude à ce qu’expriment les paroles de l’Écriture, et ne pas oser en retrancher ou en ajouter une seule »xxxiii. Se conformer à la Parole de Dieu demande une conscience de chaque instant. Etre attentifs à toujours suivre le souffle de l’Esprit Saint dans nos choix de vie. Certes, nous savons que nous n’y arrivons pas toujours, mais ne nous décourageons pas. Dieu est là, nous attend, et demande que nous soyons persévérants, pas que nous y arrivions tout de suite, du premier coup, sans miséricorde. Dieu sait être patient et attend de nous une bonne volonté pour progresser. « Accueillir le Verbe signifie se laisser modeler par Lui afin d’être conforme au Christ, au « Fils unique qui vient du Père »xxxiv par la puissance de l’Esprit Saint. Cela marque le début d’une nouvelle création. »xxxv
Qu’attendons-nous du Christ dans notre vie ? Il y a bien une nécessité d’accorder nos choix de vie à sa Parole mais, parallèlement, il y a bien une manifestation de sa présence dans un renouvellement de la relation que nous avons à vivre. Il est là, présent à nous, dans l’onction de l’Esprit Saint qui nous appelle à la conversion. « L’histoire de Jésus est la pleine manifestation de la fiabilité de Dieu. La vie de Jésus apparaît comme le lieu de l’intervention définitive de Dieu, la manifestation suprême de son amour pour nous. … La foi chrétienne est donc foi dans le plein Amour, dans son pouvoir efficace, dans sa capacité de transformer le monde et d’illuminer le temps. « Nous avons reconnu l’amour que Dieu a pour nous, et nous y avons cru »xxxvi. La foi saisit, dans l’amour de Dieu manifesté en Jésus, le fondement sur lequel s’appuient la réalité et sa destination ultime. »xxxvii C’est ainsi que l’apôtre Paul nous invite à tenir ferme jusqu’au bout, au nom même de la fidélité de la Parole de Dieu, qui se manifeste dans l’amour prévenant de sa grâce. « Ainsi, aucun don de grâce ne vous manque, à vous qui attendez de voir se révéler notre Seigneur Jésus Christ… Car Dieu est fidèle, lui qui vous a appelés à vivre en communion avec son Fils, Jésus Christ notre Seigneur. »
« Consolez, consolez mon peuple »
« Consolez, Consolez mon peuple, dit le Seigneur » Il y a comme une sorte d’insistance, de demande suppliante. La tendresse de l’amour de Dieu qui a compassion pour sa création Consolez, ce qui indique la peine du peuple, sa souffrance qui ne se tarit pas. D’ailleurs le prophète Isaïe nous l’explique un peu plus loin dans son livre : « oui, comme une mère console son enfant, moi aussi, je vous consolerai. »xxxviii La tendresse est cette préoccupation de Dieu pour la vulnérabilité de l’homme. On peut y lire, d’ailleurs, toute la mansuétude du Seigneur. Dans ce temps de l’avènement de l’incarnation, attente de la miséricorde qui se fait chair et vient dresser sa tente parmi nous, il nous est promis, dans la joie, cette relation particulière de la consolation d’un Dieu qui est Père, d’un Dieu qui est Mère, d’un Dieu qui est à l’origine de toute vie et en porte l’histoire. Et dans cette souffrance du Seigneur, se dit la voix suppliante d’un Dieu attentif à chacun,
« Consolez mon peuple,…parlez au cœur de Jérusalem. » S’adresser au cœur pour consoler, c’est retirer toute idée noire d’abandon, de solitude vis-à-vis de Dieu, ou d’insidieuse désespérance. La consolation est d’abord le temps de l’espérance, comme fruit du Salut, et se déploie dans la tendresse. Tout ne s’arrête pas là, car nous sommes invités à vivre autre chose, une caresse de Dieu dans notre vie, comme une réconciliation dans notre histoire guidée vers une vie bonne. Assurément nous ne sommes pas seuls ! « L’Esprit est aussi la force qui transforme le cœur de la Communauté ecclésiale, afin qu’elle soit, dans le monde, témoin de l’amour du Père, qui veut faire de l’humanité, dans son Fils, une unique famille. »xxxix. C’est bien dans la communion des membres que nous éprouvons cette joie de la consolation et du réconfort qui nous fait attendre le Christ Jésus, lui qui à travers le bonheur apporte consolation et que l’Esprit Saint confirme à travers les encouragements intérieurs, face aux obstacles et aux persécutions. Les miracles deviennent alors cette consolation de Dieu dans notre vie et nous révèlent sa tendresse dans la fidélité de son amour, comme un réconfort de sa grâce, face aux obstacles tant intérieurs qu’extérieurs, qui ne peut être fragmentée. Le témoignage d’un envoyé, d’un Messie qui redira sa promesse dans l’alliance, qui éclairera de l’amour toutes nos relations pour les situer en Dieu et rappelle que la loi et les prophètes sont là pour nous. Parfois, nous avons l’illusion de ne pas avancer malgré notre volonté de tout faire et la faiblesse de nos actes dans la réalité. Mais Dieu est présent et nous invite alors à retrouver la source unique de la joie : la consolation, le Verbe de vie, lumière des hommes qui brille dans les ténèbres du découragement mais qui ouvre toujours à la lueur de l’espérance. « Alors se révélera la gloire du Seigneur, et tout être de chair verra que la bouche du Seigneur a parlé. »
A travers la parole de consolation nous sommes invités alors à nous mettre en présence du Seigneur pour comprendre ce que nous avons à vivre. « J’écoute : que dira le Seigneur Dieu ? » D’ailleurs, le temps de l’avènement est le temps de l’écoute, cette écoute joyeuse d’une promesse qui va se réaliser.
« Le Puissant fit pour moi des merveilles »
Rien n’est impossible à Dieu dit l’ange à Marie. Et les messagers sont là pour nous redire cet amour de Dieu, qui reste un mystère à découvrir sans cesse dans la prière et la relation au frère, par une relation qui est universelle et qui ne s’arrête pas à nos frontières humaines ou nos vulnérabilités. Nous sommes invités à vivre l’espérance de la rencontre par ce petit enfant qui va naître et à nous laisser attendrir par sa présence pour ensuite la partager autour de nous. Dans une époque moderne où certains se retrouvent « sans espérance et sans Dieu dans le monde » et qui pensent « dans un monde obscur, devant un avenir sombre »xl. Nous avons à rappeler l’Evangile comme un message qui porte du fruit. La foi en Jésus est pour nous un feu dévorant et les anges sont là pour nous rappeler cet attachement du Seigneur pour chacun d’entre nous. Il nous revient, dans une responsabilité baptismale, de l’annoncer explicitement avec humilité et douceur, mais dans l’audace de l’Esprit Saint.
Dans ces moments difficiles, d’un bien commun incompréhensible à entendre, il importe de ne plus vivre l’autorité comme un rapport de force, où chacun devrait défendre son point de vue, sous le prétexte d’une intelligence qui prendrait contrepied du ministère exercé comme un service. Il importe de la vivre dans l’obéissance, avec la claire vision de l’Evangile et la conscience du meilleur bien, et conduit d’abord à mettre en pratique la volonté d’unité et de communion. L’unité réclame obéissance, dans un dialogue attentif à chacun, cette autorité étant vécue « à partir d’une certaine unité fondamentale de doctrine. »xli Nous ne devons pas éteindre l’Esprit qui habite en nous, mais vivre dans l’écoute des prophètes, pour nous enraciner dans l’autorité. « L’autorité de l’Eglise, qui se prononce sur les questions morales, ne lèse donc en rien la liberté de conscience des chrétiens : d’une part, la liberté de conscience n’est jamais une liberté affranchie « de » la vérité, mais elle est toujours et seulement « dans » la vérité ; et, d’autre part, le Magistère ne fournit pas à la conscience chrétienne des vérités qui lui seraient étrangères, mais il montre au contraire les vérités qu’elle devrait déjà posséder en les déployant à partir de l’acte premier de la foi »xlii . Vivre de la foi, c’est découvrir cette joie d’un amour qui nous fait exulter en Dieu notre Sauveur et nous ouvre à la paix intérieure. Cette paix nous sanctifie pleinement et nous permet de réaliser notre vocation baptismale de fils de Dieu.
Le témoignage de la paix nous ouvre au mystère de la joie. Joie de la communion en Dieu malgré notre vulnérabilité, et ouvre à la richesse d’une relation qui ne cesse de grandir. Joie liée à l’action de grâce de tous les bienfaits que le Seigneur fait dans notre vie, comme une relation nuptiale où le Seigneur « fait germer la justice et la louange » dans une identité retrouvé de fils bien aimés du Père. Joie de l’action de Dieu qui fait entrer notre vie dans l’histoire du Salut et ouvre un espace de rencontre unique et universel en même temps : « le Puissant fit pour moi des merveilles. » Joie de l’action de Dieu dans la grâce qu’Il me propose et que je peux suivre en répondant moi-même à cet appel et reconnaître la tendresse du moment. L’avènement du Christ est appel à la joie. « Joie de la rencontre avec le dépouillement divin dans la sainte humanité de notre Seigneur »xliii. La relation à Dieu nous ouvre à la joie de la rencontre qui est accueil de sa Parole dans notre vie et dans celle de nos frères. La joie est la manifestation de l’Esprit Saint dans notre vie et de notre réponse à sa présence, comme une évidence qui nous fait comprendre notre vocation propre. A la suite de Jean le Baptiste nous pourrons alors vivre cette joie de l’annonce tournés vers Dieu et décentrés de nous-mêmes : « Il est venu comme témoin, pour rendre témoignage à la Lumière ».
« Je te salue, profusion-de-grâce »
On peut comprendre le trouble de Marie devant la salutation de l’ange, puisque l’extraordinaire de Dieu dans l’ordinaire de la vie des hommes n’est pas toujours manifeste immédiatement. L’évangéliste dit que « Marie «fut toute troublée, et elle se demandait ce que signifiait cette salutation»xliv, ce que pouvaient signifier ces paroles extraordinaires et, en particulier, l’expression «pleine de grâce». »xlv Celle qui est bénie de Dieu nous ouvre à toutes sortes de bénédictions par la venue du Rédempteur. La tendresse de Dieu se manifeste à l’humanité par le oui de Marie, même si Marie a une place unique dans l’histoire du Salut, ce qui permet à Elisabeth sa cousine de la saluer comme « bénie entre toutes les femmes ».
Dans le oui de Marie la gloire de Dieu se manifeste dans l’incarnation du Verbe fait chair. Le choix de Dieu dans cette fille d’Israël nous ouvre au mystère de l’élection et en même temps nous fait comprendre cette volonté, éternelle depuis la chute d’Adam, de sauver l’homme par la participation à sa propre vie. « Mais la plénitude de grâce désigne en même temps tous les dons surnaturels dont Marie bénéficie en rapport avec le fait qu’elle a été choisie et destinée à être Mère du Christ. »xlvi C’est pourquoi il nous faut prier Marie pour comprendre le chemin que nous devons suivre. Cette mère aimante, vient nous réconforter dans les épreuves, nous renvoie à son Fils dans la conversion et nous apprend à recevoir l’Esprit Saint dans l’obéissance à la grâce, acte d’humilité qui est aussi acte salvateur. « A Dieu qui révèle est due “l’obéissance de la foi”xlvii, par laquelle l’homme s’en remet tout entier et librement à Dieu»xlviii. Cette définition de la foi trouve en Marie une réalisation parfaite. Le moment «décisif» fut l’Annonciation, et les paroles mêmes d’Elisabeth: «Bienheureuse celle qui a cru» se rapportent en premier lieu à ce moment précis »xlix.
« Tu as trouvé grâce auprès de Dieu. » Il s’agit, dans le temps de l’avènement, de laisser la grâce de Dieu s’accomplir en nous, cette grâce qui fait de nous des fils. « Et le Verbe s’est fait chair et il a dressé sa tente parmi nous et nous avons vu sa gloire, cette gloire que, fils unique plein de grâce et de vérité, il tient du Père ». Cette gloire, qui est manifestation d’un Dieu dans notre aujourd’hui, en est, en même temps, la présence. « De sa plénitude, en effet, tous, nous avons reçu grâce sur grâce. » Le temps de l’Avent, de l’avènement du Christ, nous fait prendre conscience de cette plénitude de grâce qui nous est promise par le Sauveur que nous attendons. Une pluie de grâce. Dans le sacrement de la charité qu’est l’eucharistie, nous entrons en action de grâce et nous accueillons cette conscience de notre dimension missionnaire. Nous devons annoncer le Christ, le manifester par notre vie, et partager cette force dans l’Esprit Saint qui procure toutes paix, toutes joies. « Celui sur lequel tu verras l’Esprit descendre et demeurer sur lui, c’est Lui qui baptise dans l’Esprit Saint ». Dans l’attente de Noël, demandons à l’Esprit Saint de se déployer dans notre cœur, dans notre vie, pour que nous puissions resplendir de la joie de Noël. « Dieu, personne ne l’a jamais vu, mais le Fils unique qui est Dieu, dans le sein du Père, nous l’as révélé. »
Synthèse
Ce chemin de l’Avent, fait sous le signe de l’accueil de notre vulnérabilité dans ce petit enfant de la crèche, nous invite à l’humilité et, en même temps, à rechercher, à retrouver le sens premier de notre témoignage. Le ridicule du confinement et des concessions malhonnêtes d’une trentaine de personne à la messe interpelle et, en même temps, nous demande d’agir en conscience dans la ferveur de notre foi. Ne perdons pas notre temps dans des débats stériles, mais annonçons l’Evangile. Veillons, parce qu’Il vient pour nous sauver. « Il convient de reconnaître comment chaque étoile a paru à son tour sur la face du ciel pour illuminer la nuit de notre vie terrestre, jusqu’à ce que, à la fin de la nuit, le Rédempteur des hommes, véritable étoile du matin, se lève. »l Tout prend sens lorsque nous laissons Dieu conduire notre vie et que nous Lui faisons confiance. Cet impératif de laisser Dieu prendre notre vie ne se fait pas sans combat spirituel, sans chute, ni sans bleu à l’âme, mais dans la persévérance, cette rencontre purifie, élève, sanctifie. « C’est le moment pour dire à Jésus Christ : « Seigneur, je me suis laissé tromper, de mille manières j’ai fui ton amour, cependant je suis ici une fois encore pour renouveler mon alliance avec toi. J’ai besoin de toi. Rachète-moi de nouveau Seigneur, accepte-moi encore une fois entre tes bras rédempteurs ». Cela nous fait tant de bien de revenir à lui quand nous nous sommes perdus ! » C’est à ce moment-là que nous pourrons nous mettre au service de manière efficace, en laissant Dieu nous conduire. Car le service véritable est la gratuité de l’amour en toute occasion et la disponibilité de notre cœur pour être attentifs à l’appel de Dieu. C’est justement ce qu’a vécu Marie, la Theotokos.
Le plan de Dieu met Marie à la première place pour nous aider à nous situer dans la vérité de l’amour de Dieu pour sa création. L’histoire du Salut proposé par grâce lors de l’incarnation et lors de la Pentecôte est « réalisée sous l’action de l’Esprit Saint, une correspondance unique entre le moment de l’Incarnation du Verbe et celui de la naissance de l’Eglise. » Avec Marie, demandons à l’Esprit Saint d’entrer dans nos vies sur la route de la préparation de notre cœur à la réception du Sauveur, pour resplendir et témoigner de sa présence au monde de ce temps. « L’amour du Seigneur, sans fin je le chante ; ta fidélité, je l’annonce d’âge en âge. »
Père Greg– Curé modérateur
St Charles Borromée de Joinville le pont
i &88 Evangelii Gaudium
ii &106 Verbum Domini
iii &274 Evanglii Gaudium
iv TDC 051 note 1 du 17 décembre 1980
v &279 Evangelii Gaudium
vi Exhort. apost. Evangelii gaudium (24 novembre 2013), n. 71 : AAS 105 (2013), 1050.
vii &225 Laudato Si
viii Discours lors de la rencontre œcuménique, Riga – Lettonie (24 septembre 2018) : L’Osservatore Romano, éd. en langue française (4 octobre), p. 7. In &277 Fratelli Tutti
ix Lettre pastorale de Mgr Santier II-1 de septembre 2020
x Discours au Parlement européen, Strasbourg (25 novembre 2014) : L’Osservatore Romano, éd. en langue française (27 novembre 2014), p. 10. (in &188 Fratelli Tutti
xi Message vidéo à la conférence TED 2017 de Vancouver (26 avril 2017) : L’Osservatore Romano, éd. en langue française (11 mai 2017), p. 4.
xii Audience générale (18 février 2015) : L’Osservatore Romano, éd. en langue française (19 février 2015) p. 2.
xiii &194 Fratelli Tutti
xiv &223 Evangelii Gaudium
xv Cf. Proposition 36.
xvi &262 Evangelii Gaudium
xvii &27 Lumen Fidei
xviii cf. Mc 15, 34
xix &56 Lumen Fidei
xx Conçu sans le péché originel – immaculée de tout péché
xxi cf. Lc 1, 39-45
xxii &288 Evangelii Gaudium
xxiii &286 Evangelii Gaudium
xxiv &288 Evangelii Gaudium
xxv &154 Gaudete et exsultate
xxvi &88 Evangelii Gaudium
xxvii &273 Evangelii Gaudium
xxviii Ibid., n. 3: AAS 105 (2013), 1020.
xxix &119 Christus Vivit
xxx &293 Christus vivit
xxxi &39 Evangelii vitae
xxxii Cardinal Newman
xxxiii &48 Verbum Domini citant saint Basile Regula : LXXX, XXII, PG 31, 867.
xxxiv Jn 1, 13
xxxv &50 Verbum Domini
xxxvi 1 Jn 4, 16
xxxvii &15 Lumen Fidei
xxxviii Is 66,13
xxxix &19 Deus Caritas Est
xl &3 Spe Salvi
xli &78 et unum sint
xlii &64 Veritatis splendor
xliii Pour toi qui suis-je ? Maurice Zundel p 291
xliv Lc 1, 29
xlv &8 Redemptoris Mater
xlvi &9 Redemptoris Mater
xlvii Rm 16, 26; cf. Rm 1, 5; 2 Co 10, 5-6
xlviii “Dei Verbum,” 5
Sermon de la nativité de Jean Tauler
Si nous voulons maintenant sortir de nous, bien plus nous élever en dehors et au-dessus de nous-mêmes, alors nous devons renoncer à tout vouloir, désir et agir propres. Il ne doit rester en nous qu’une simple et pure recherche de Dieu sans plus aucun désir d’avoir rien qui nous soit propre, et en quelque manière que ce soit, sans aucun désir d’être, de devenir ou d’obtenir quelque chose qui nous soit propre, mais avec la seule volonté d’être à lui, de lui faire place de la façon la plus élevée, la plus intime avec lui pour qu’il puisse accomplir son œuvre et naître en nous, sans que nous y mettions obstacle.
En effet, pour que deux êtres puissent n’en faire qu’un, il faut que l’un se comporte comme patient et l’autre comme agent ; pour que l’œil puisse percevoir les images qui sont sur ce mur, ou tout autre objet, il doit n’avoir en lui aucune autre image. N’eût-il même qu’une image d’une couleur quelconque, jamais il ne pourrait en percevoir d’autre, de même l’oreille qui est pleine de bruit ne peut en percevoir un autre. Ainsi donc, tout ce qui doit recevoir, doit être pur, net, et vide.
C’est pourquoi Saint Augustin nous dit : « Vide-toi pour que tu puisses être rempli ; sors afin de pouvoir entrer » ; et ailleurs « O toi, âme noble, noble créature, pourquoi cherches-tu en dehors de toi ce qui est en toi tout entier de la façon la plus vraie et la plus manifeste ? et puisque tu participes à la nature divine, que t‘importent les créatures et qu’as-tu donc à faire avec elles ? » Si l’homme préparait ainsi la place, le fond, Dieu, sans aucun doute, serait obligé de le remplir et, certes complètement ; sinon le ciel se romprait plutôt pour remplir le vide. Mais Dieu peut encore beaucoup moins laisser les choses vides, ce serait contraire à sa nature, à sa justice.
C’est pourquoi tu dois te taire ; alors le Verbe de cette naissance pourra être prononcé en toi et tu pourras l’entendre ; mais sois bien sûr que si tu veux parler, lui doit se taire. On ne peut mieux servir le Verbe, qu’en se taisant et en écoutant. Si donc tu sors complètement de toi-même, Dieu entrera tout entier ; autant tu sors, autant il entre, ni plus ni moins.