2020. Lettre de Pâques 2. Ethique sociale

 « Que les nations se reconnaissent mortelles ! »

            Pâques est la victoire de l’humilité sur l’orgueil parce que la lumière de la résurrection redit la vérité première d’enfant de Dieu aimé par Lui et appelé à vivre la communion avec Lui. La résurrection du Christ rétablit la bonne relation de l’homme à Dieu dans la familiarité de la rencontre. « Quant à nous, nous sommes les témoins de tout cela, avec l’Esprit Saint, que Dieu a donné à ceux qui lui obéissent. »[i] Or il y a une haute différence entre l’autonomie et l’indépendance. L’autonomie fait appel à notre responsabilité pour participer à l’œuvre de création et ainsi être acteur dans nos choix de la participation à cette prolificité. L’indépendance est de vouloir faire par soi-même en dehors de toute autre référence et nous enferme dans un comportement égoïste et stérile sans inventivité et dans un appauvrissement relationnel ayant pour conséquence une forme de régression humaine. Dans l’aventure spirituelle nous sommes appelés à vivre une meilleure autonomie afin de grandir en la présence de Dieu et accorder nos actes à sa volonté. Cela demande d’être en communion les uns avec les autres et d’intégrer notre histoire propre et commune afin de discerner l’appel de l’Esprit Saint. « Par le don de l’Esprit, l’homme parvient, dans la foi, à contempler et à goûter le mystère de la volonté divine »[ii] Hélas, nos suffisances parfois nous livrent à des impasses, et la pandémie que nous rencontrons en ces temps de conversion (Carême), et d’émerveillement du salut (Pâques) sont une épreuve pour le témoignage (Pentecôte) que nous avons à vivre en toute occasion. Mais peut être que le premier témoignage est la concordance de notre vie à la Parole de Dieu et à sa méditation, puis de le passer dans le concret de nos actes dans un amour authentique pour le frère, et une volonté de vivre la relation comme un temps du don sincère et désintéressé de soi-même, tout ceci éclairé par le mystère du Verbe incarné car Il est venu nous sauver. Il est ressuscité et cette joie pleine de richesse nous introduit à l’abondance de la grâce par une vie menée avec l’Esprit Saint.

            Si Dieu s’inscrit dans notre histoire et nous amène à vivre de l’espérance du salut, c’est pour nous mener sur la voie du bonheur. Que voudrait nous dire le Seigneur dans ce combat que nous menons contre le virus depuis plusieurs semaines ? Qui a péché, est-ce moi ou mes parents ? C’est de la faute à qui ? (que l’on voudrait traduire parfois par « c’est de la faute acquis(e) »). D’autre part, rendre étranger Dieu par rapport à ce que nous traversons est une théologie un peu curieuse d’une “non implication de Dieu dans notre temps”. C’est une tentation bien contemporaine de rendre Dieu étranger à toute notre vie. Et nous avons tous les outils pour nous y aider… Comme cette forme d’oasis numérique qui, à travers les films, les jeux et tous les flux de la bande passante, nous ouvre les portes vers tous les horizons pour mieux échapper au temps qui passe et à la vraie relation avec nous-même, avec nos frères et avec Dieu mais n’étanche jamais notre soif et instaure une forme de vacuité distillant le vide intérieur.

Néanmoins, si Dieu n’est pas étranger à la pandémie, en est-il responsable ? Comme un jugement sévère, une punition divine pour nos égarements ? Ce qui nous permettrait en passant de ne plus avoir de responsabilité dans ce qui se passe, subissant le châtiment divin. Or nous ne pouvons pas nier nos propres responsabilités, et nos propres désajustements à l’œuvre de la création. Et ce désordre, que nous avons créé, n’est pas simplement contre la nature, il est aussi dans notre relation économique, sociale, politique et culturelle, et dans le refus de voir les impasses dans lesquelles nous nous engouffrons avec presque un engouement d’une pure folie. La concomitance avec les évolutions bioéthiques que nous voulons mettre en place et la pandémie qui rappelle notre fragilité humaine, est-elle le fruit du hasard ou alors l’expression d’un errement humain qui se trouve acculé aux extrémités de son cul-de-sac. Avant les grandes théories, peut-être nous faut-il sérieusement prier, et demander au Seigneur ce que nous avons à vivre dans ces temps difficiles, et ce qu’Il veut nous dire à chacun d’entre nous ?

1    Objectivité de notre situation

            Avant de jouer la solidarité comme lieu de réparation face à la pandémie, ou les clivages individualistes qui ne se préoccupent pas de nos frères, il nous faut regarder les faits et réfléchir ensemble : comment notre foi peut-elle nous mener vers un témoignage d’amour et de vérité à la lumière des Ecritures ?

La recherche du bien commun, se comprend par l’attention à la personne vivant en société et l’expression de sa liberté, notamment à travers sa conscience. La recherche de la solidarité amène à une harmonie de la vie sociale dans l’épreuve et vient souder chacun dans un effort national respectant l’ouverture et la concertation, la recherche du consentement à la vérité et l’intelligence du dialogue. Ensemble, faire la vérité sur la situation et avoir l’intelligence du changement, afin de ne pas revivre pareille tragédie humaine. Il y a pour les témoins de la résurrection un prophétisme à donner, tant dans le renouveau de notre vie aux lueurs de Pâques, que dans l’autre expression de la charité évangélique, car celle-ci demande un investissement radical et non l’obole superflue du pharisien. Néanmoins, dans cette guerre sanitaire, peut être pourrions-nous relire l’encyclique du pape Jean XXIII « Pacem in Terris » [qui] s’attarde sur les pouvoirs publics de la communauté mondiale dont le rôle est « d’examiner et de résoudre les problèmes que pose le bien commun universel en matière économique, sociale, politique ou culturelle ».[iii] Voici justement la problématique que nous rencontrons aujourd’hui par l’avènement de cette crise et les questions soulevées à cette occasion. La question du bien commun est à examiner dans son ensemble et non sur une situation sanitaire précise aussi aiguë soit-elle. Le lien social demande l’expression d’une continuité dans tous les domaines de la vie, à travers la recherche d’un consensus pour vivre la relation comme une richesse et non comme un fléau à combattre ou comme un parallèle à notre existence. « De la dignité, de l’unité et de l’égalité de toutes les personnes découle avant tout le principe du bien commun, auquel tout aspect de la vie sociale doit se référer pour trouver une plénitude de sens. »[iv] Peut être que cette pandémie aura au moins le mérite de nous faire méditer sur le sens de ce que nous vivons et la direction à suivre, au lieu d’être parfois dans une logique utilitariste ou une perception de la personne selon ses émotions et non son intelligibilité. Or ce n’est pas tant le désir qu’il nous faut suivre, que la volonté de vouloir faire les choses. C’est d’ailleurs la peur de l’engagement que l’on retrouve dans le concubinage. Vivre dans un désir sans y mettre de volonté, par peur de l’échec. C’est sûr que ne pas essayer, c’est ne pas vivre d’échec, mais c’est également ne pas emporter de victoire.

1.1      Les faits

            Nous pouvons nous interroger sur la pandémie, son traitement dans notre pays, sur le continent européen et en Amérique du Nord. Tout le monde semble avoir été endormi et se retrouve, non sans effroi, réveillé par le cri du prédateur prêt à se jeter sur nous. Sidérés,…. nous regardons l’événement se dérouler, statufiés devant la situation comme paralysés devant les décisions à prendre, viennent les ordres et les contre-ordres de toute part, pimentés d’imprécision parfois cocasse (en toute chose garder l’humour) et avec une panoplie d’injonctions paradoxales qui rendent branlant tout l’édifice de conviction à vouloir être solidaire et faire ensemble. Le bien commun ne peut se brader sur les injonctions paradoxales et l’incompétence manifeste. Ne reprochons pas à d’autres nos propres errances, ni la difficulté que nous avons à œuvrer avec simplicité et en artisans de paix. Restent, face à la crise inédite pour notre époque, quelques constats.

            Le premier constat est la surprise de l’événement pourtant prévisible. Dans une dictature communiste se développe un virus, qu’ils n’arrivent plus à cacher (malgré les mensonges sur les chiffres, notamment sur les morts), imposant même un confinement d’un petit « village » de 11 millions d’habitants (environ la petite région parisienne). Nous aurions dû être inquiets de ce Tchernobyl sanitaire. Aucun service de renseignement européen ne semble pouvoir informer de la situation dans la province de Wuhan et de la gravité de la crise. Aucune veille sanitaire pour s’inquiéter de ce qui se passe. Et on peut s’interroger sur la pertinence de la mission de l’OMS, qui est justement de prévenir de ces situations ! Seuls les pays proches, Taiwan et la Corée du Sud, prennent des mesures immédiates, qui passent par la désinfection, le dépistage et le confinement ciblée d’une part, et un contrôle sanitaire dans les aéroports et les ports d’autre part. Et les résultats sont là. Pour la Corée du Sud, seules dix mille personnes ont été infectés, pour une population équivalente à l’Espagne et une surface similaire au Portugal.

            Le deuxième constat est la légèreté du traitement de la maladie en Europe, avec un manque d’anticipation assez évident. A force de vouloir faire des économies et de travailler la mondialisation, nous manquons de tests parce que deux pays (Chine et USA) seulement en produisent un composant et de masques car leur fabrication a été délocalisée, jusqu’à fermer une usine bretonne performante dans ce domaine. La léthargie de la France pour réagir face à la situation laisse perplexe, alors que les drames transalpins et transpyrénéens ne faisaient plus aucun doute. Une incapacité à contrôler les frontières et les aéroports, alors que dans d’autres pays (en Afrique noire par exemple), une quarantaine était imposée durant 14 jours pour tous ceux qui arrivaient de l’étranger. Il nous faut noter à ce sujet la différence notoire entre le jour 1 de l’épidémie dans chaque pays, et l’explosion des cas : pour l’Italie et l’Espagne, à peine 15 jours, pour la France un mois, pour les USA presque deux mois.

            Le troisième constat est d’avoir préféré une politique du moindre mal avec le confinement et le double effet que cela engendre sur les relations sociales, l’accélération de la paupérisation, l’isolement des personnes menant les plus âgées à des syndromes de glissement et d’autres à de fortes dépressions, et les maux de violences exacerbées. A défaut d’avoir eu une politique pour un bien commun, nous avons une politique d’un moindre mal commun. Une privation de liberté parce que nous n’avons pas les possibilités matérielles de cibler le mal et de circonscrire son étendue. On sait aujourd’hui que le confinement ne sert pas à grand-chose, sinon ralentir faiblement la progression, et que les solutions à court terme sont dans les gestes de protection et le dépistage systématique, et à long terme une forme d’immunologie de la population.

            Le quatrième constat est un manque de matériel, sans parler des médicaments qui là encore sont produits à l’étranger et en rupture de stock, nécessitant des décrets pour l’utilisation d’autres produits litigieux. Mais cette mondialisation est la résultante d’un durcissement sur les avantages acquis, la sclérose des positionnements et le poids d’un code du travail que l’Etat impose au privé, mais dont il s’affranchit en partie pour le public, encourageant à aller voir ailleurs, c’est-à-dire dans la délocalisation. Un abus du droit de protection entraînant une démotivation patronale. Mais loin d’être d’un côté, la faute vient aussi d’une recherche de rentabilité « à tout prix », sans réfléchir à l’impact humain, et de l’appât du gain comme seule finalité. Aujourd’hui nous sommes face à une situation désastreuse et les uns et les autres s’opposent, sans chercher de dialogue, dans un raidissement des positions au détriment des citoyens et du bien de l’ensemble. N’allons pas chercher chez les autres nos propres erreurs.

            Le cinquième constat est une paupérisation volontaire de notre système de santé, en réduisant les marges de manœuvres, et qui déjà dans un temps « normal » donne des situations tendues, mais dans les pic épidémiques, rend la situation intenable et surtout ingérable. Les soins ont un prix, sans un retour sur investissement probant, avec régulièrement un questionnement des contribuables sur ce qu’on fait de l’argent, alors que les loisirs tels le football permettent de payer à des prix pharaonique les joueurs avec la complaisance des citoyens. Que dire dans le médico-social du soin de nos vieux, avec des budgets toujours rognés, « les vieux coûtent cher et ne sont pas utiles »…  dans une culture de mort prônant l’euthanasie comme solution économique et parfois comme soubassement à un nouvel équilibre des caisses de retraite. Certes nous n’aurons jamais les structures pour une pandémie, nous en sommes tous conscients, mais entre avoir un régime stable et un régime exsangue dû aux coupes budgétaires, et les conséquences que cela entraîne, pose forcément question. Nous faire traiter en urgence les manœuvres économiques bien en amont et devoir répondre dans la précipitation a toujours un côté tyrannique. Ensuite, effectivement, il y aura un tri des malades à l’entrée de la réanimation (dans certains hôpitaux m’a-t-on dit, l’âge limite est de 70 ans… après on n’accepte plus de les recevoir) sur des principes éthiques tout à fait discutables par ailleurs et parfois en dehors de tout cadre : des décisions personnelles prises en dehors de toute collégialité, sur des critères discutables et en dehors de tout protocole. Ainsi, en âme et conscience, se transforme en pensée du jour et selon les moyens du bord, iceberg émergeant d’une société parfois bien cynique et avec une grille de discernement utilitariste.[v] .  Une vision responsable aurait voulu justement donner une fluidité dans les moyens appropriés, avec une souplesse des acteurs et une ouverture à la recherche du service pour la société.

            Le sixième constat est ce régime de la peur face à une maladie qui rappelons-le encore une fois est beaucoup moins mortel que la grippe espagnole (taux de morbidité entre 10 et 20 %, taux de létalité entre 3 et 6 %), ou la peste noire (1/3 de la population européenne), puisque ce sont les deux références aujourd’hui. Nous sommes dans un taux de létalité à moins de 0,1 % par rapport à la population et un taux de contagion, certes sous-estimé, mais de 0,5 % de la population dans le monde et de létalité de 0,018 % (en France 0,036 % au 30 avril). Ce qui a fait dire à certains pays, d’attendre l’immunité de la population, mais en oubliant que le faible pourcentage représente un nombre de morts important (0,1% des morts en France correspond à 67.000 personnes…. en une période courte). Mais la mort fait partie de notre condition humaine, une société toute puissante qui ne voudrait aucun risque et, confrontée à ses propres évitements, se trouve devant les limites de ses choix et des orientations prises. Les chiffres de l’INSEE laissent pensif sur le mois de mars. (2020 = 57.969 morts, 2019 = 53.850 morts, 2018 = 61.071 morts)[1]. On est très loin du fléau dévastateur tant annoncé mais bien dans une peur irrationnelle.

            Le septième constat est une stupeur, de vouloir faire de ce moment une union nationale pour vaincre lennemi qu’est le Covid-Wuhan et, en même temps, de prolonger le droit à l’avortement et de prendre des décrets à relent de culture euthanasique .Demander de serrer les coudes, et en même temps formuler des propositions clivantes. C’est une extension infernale, un ajustement permanent pour laisser passer ses propres préoccupations sans se soucier du lien social qu’il nous faut au contraire affermir et consolider.

            Le huitième constat est l’interrogation quant au critère du travail déclaré utile et qui peut se dérouler sans accroc, de celui qui paraît inutile et amène à un chômage et un enfoncement dans la précarité pour certains. Ensuite la hiérarchie des valeurs entre une banque ouverte et une Eglise, pourrait continuer d’interroger grandement le sens des priorités dans notre société. Je ne parlerai pas de l’utilité d’ouvrir un tabac et en même temps interdire la communion aux fidèles. D’autre part les critères d’employabilité reste très discutables et le télétravail indique juste la satellisation du travail par rapport au concret de la vie, que ce soit dans un bureau ou chez soi. Comme toujours, c’est le travail manuel et la beauté de ses tâches qui est ainsi dévalorisé. Enfin le surréalisme des livraisons qui deviennent un parcours du combattant et la difficulté d’approvisionnement dans cette psychose qui se créé questionne encore durablement sur ce que nous avons à vivre.

            Le neuvième constat est le manque de solidarité que l’on a pu apercevoir entre les Etats, entre les professions, et dans l’interpersonnel. Que dire de l’attitude de cow-boy des USA rachetant, trois à quatre fois leur prix, des masques à l’aéroport chinois, au nez et à la barbe des européens et dans un cynisme assumé de l’argent roi ? Que dire parallèlement de la manière chinoise d’honorer ses engagements dans les contrats passés et de refuser son contrat pour un aspect purement vénal en dehors de toute éthique, basée sur l’engagement donné et sa responsabilité à l’honorer ? Qu’en est-il alors de cette distribution du matériel, des masques distribués inégalement dans notre pays et au gré des décisions, pour enfin permettre à tous les acteurs du champ sanitaire et médico-social d’avoir le matériel pour gérer la crise ? Le manque d’investissement financier, d’année en année, qui amène à un manque de moyens généralisé dès que provient la crise ? Que dire de nos propres engagements à respecter le confinement, lorsque le sport national est de se griser d’y déroger par un individualisme forcené ou alors d’une vision tyrannique d’un confinement total excluant le règne de la raison ? Du macro au micro relationnel, nous avons tous une part de responsabilité dans le naufrage d’une société qui en a oublié l’homme avant l’argent et l’émotion… 

            Le dernier constat est l’attristement d’avoir une vision purement sanitaire pour gérer la crise, avant d’avoir un regard qui embrasse tous les pans de la société. Il nous faut au contraire chercher à élaborer une hiérarchie dans ce qu’il faut mettre en place avant d’avoir une vaine vision purement sécuritaire, stérile en soi dans la toute-puissance de contenir. Afin d’avoir cette stratégie efficace, on distille à coté le discours de la peur et de la catastrophe apocalyptique, sans rapport avec la réalité des chiffres et de l’épidémie, mais sous le coup de l’émotionnel et d’une vague de désespérance issue de cette culture de mort. Le spirituel étant un produit de luxe pour notre humanité, invité à s’effacer devant la gravité de la situation, comme si la prière et la vie fraternelle étaient un rajout à la société avant d’en être le cœur…         

1.2      De la logique d’accusation à une pastorale de fraternité

            La liste pourrait être longue des accusations et de la recherche des responsabilités de chacun sur la crise que nous traversons aujourd’hui et qui n’est qu’un épiphénomène de la déstructuration sociale. Hélas, force est de constater que ce qui devrait être premier, c’est-à-dire notre relation à Dieu et à nos frères, est relégué sur l’autel des sacrifices pour une vision sanitaire technique, avec pour veau d’or la préservation économique et, comme bouc émissaire, des responsabilités à rechercher afin de pouvoir se défouler… Néanmoins, notre foi demande d’abord et avant tout de contempler le Christ et, dans ce dialogue amoureux, d’être à l’écoute de l’Esprit Saint pour avoir les gestes prophétiques afin d’annoncer le royaume, qui est notre première vocation… c’est même la principale. L’annonce du royaume demande une vie de prière c’est-à-dire du temps passé avec le Seigneur dans le silence du cœur et par la méditation des Ecritures, un service de la charité nécessaire en tout temps et toujours vigilant aux plus pauvres (et ce n’est pas qu’une donnée économique) et la vie communautaire en Eglise dans la communion fraternelle.

1.2.1    La vérité vous rendra libres

 « Cachez ce sein que je ne saurais voir » nous dit Tartuffe dans la pièce de Molière, dénonçant l’hypocrisie d’une situation ambiguë. Or la pandémie s’est révélée juste avant le nouvel an chinois, les festivités attendues par la population et la manne financière qui va avec. De plus, révéler son incapacité à juguler la maladie ne faisait pas très moderne, ni très évolué pour un pays qui se veut exemplaire sur la technologie et le savoir. Bref, brader la vérité par manque d’humilité, d’une part, et par peur des conséquences tant financières que du statut du pays et de sa place dans le monde d’autre part.

Mais, là encore, ayons le courage de regarder en nous-mêmes cette confiance absolue que nous pouvons posséder dans certains domaines, avec des certitudes assénées au tranchoir de la vérité qui peuvent sonner comme des mensonges lorsqu’on les distord dans certaines situations. « Une vérité mal dite est un mensonge » nous rappelle saint Augustin. Cela nous demande, dans la foi,de discerner dans nos actes ce qui est source de fraternité et de communion, et ce qui engendre le chaos et la violence. Suivant la théorie du battement d’aile du papillon occasionnant un orage, une coupable négligence peut avoir des répercussions catastrophiques. La culture de vie que tout chrétien est appelé à faire prospérer demande alors de faire des choix afin de retrouver les valeurs de l’amour, de la communion et de la solidarité. 

Il nous faut aussi entrer dans une recherche d’information et de juste connaissance afin de comprendre les enjeux. Trop souvent nous nous arrêtons à ce qui est dit sans réfléchir aux tenants et aux aboutissants. Cela est vrai sur les informations parcellaires et mensongères de la Chine sur le Covid-Wuhan, mais c’est vrai aussi pour chacun d’entre nous lorsque nous nous contentons des informations officielles, sans avoir l’esprit critique nécessaire à l’évaluation de la situation, ou les implications que cela engage. D’autant plus vrai dans le domaine de la foi, où la raison a toute sa place. Si Dieu nous a fait un cerveau c’est pour que nous l’utilisions et la connaissance de la vérité, du beau et du bien fait partie de notre responsabilité. Le péché d’Adam n’est pas d’avoir mangé de l’arbre de la connaissance, mais de s’être défié de Dieu pour se déifier soi-même. La connaissance, dans la recherche de la vérité s’appelle le discernement, qui éclaire notre conscience pour faire les choix les plus judicieux, à l’écoute du souffle de l’Esprit Saint. Il nous faut rechercher la connaissance à travers la méditation de la Parole de Dieu, l’étude du catéchisme et la lecture des maîtres spirituels pour ensuite relire les documents de l’Eglise et sans cesse amplifier cette recherche du désir de Dieu. Car l’intelligence amène toujours à la sagesse, c’est-à-dire à l’émerveillement devant l’œuvre de Dieu dans ce monde et l’obligation d’être vigilant en toute chose. 

1.2.2    « C’est l’esprit qui fait vivre, la chair n’est capable de rien»

La légèreté avec laquelle a été prise la pandémie au départ dans notre pays, la comparant à une grippe saisonnière, a aussi sa genèse dans une certaine forme de suffisance. En effet, les premières détections du Covid-Wuhan se sont faites en France et en Italie comme en Espagne ; cela s’est embrasé très rapidement, alors que nous avons réussi (comme les USA d’ailleurs) à juguler le mal beaucoup plus longtemps, même si l’éruption virale a bien eu lieu. Que les volcans n’aient pas le même degré d’éruption, ni la même forme n’est pas un scoop. Qu’une maladie suivant l’environnement se comporte différemment est compréhensible. Mais, dans la foi, nous avons à réfléchir à ce manque d’humilité, tant institutionnelle (en méprisant ceux qui sont dans la tourmente, avec les pieds sous la poudrière) que personnelle (une maladie pour les autres mais certainement pas pour soi), nous affranchissant des gestes de précaution et préférant nous promener en foule compacte dans la nature plutôt qu’observer la vertu de prudence et le discernement nécessaire pour notre propre responsabilité. 

Il est toujours plus facile de faire porter à d’autres nos propres errances, et se disculper de nos actes parce qu’ils portent moins à conséquence. Mais le chrétien doit être responsable en toute chose et œuvrer pour sauvegarder les liens fraternels en étant attentif à tous. Peut-être faudra-t-il développer la vertu de prudence, puisque celle-ci demande un principe de précautions quant aux distances, mais aussi une éthique du discernement pour l’évaluation de la situation et la réflexion à mettre dans tous nos actes en cohérence avec nos choix dans le temps…

Les conséquences d’une mondialisation, si agréable parfois pour le portefeuille, portent au revers de la médaille cette pandémie si prévisible. Le manque de vigilance et d’anticipation au nom d’un rendement économique qui demande d’éviter les stocks sonnent au-dessus de nos têtes comme un avertissement de l’imprévoyance des vierges folles. La nuit vient et les lampes s’éteignent. « Rien de ce monde nous est indifférent »[vi] et il nous faut être vigilant à ce qui s’y passe pour ne pas y perdre nos âmes dans des compromissions toujours discutables. Notre responsabilité est aussi de savoir avec qui nous travaillons et quels sont les gardes fous que nous mettons en place. Rien ne sert de faire des grandes murailles sans s’occuper de ce qu’il y a au-delà, tôt ou tard, nous serons envahis parce que nous n’avons pas anticipé, mais cela ne peut pas être non plus une passoire de toutes les valeurs, du moment que l’argent rentre et que la nature rapporte. La relation humaine n’est pas principalement du commerce, mais de la gratuité de la rencontre. « Dieu a confié le monde à l’être humain, mais encore la vie de celui-ci est un don qui doit être protégé de diverses formes de dégradation. Toute volonté de protéger et d’améliorer le monde suppose de profonds changements dans « les styles de vie, les modèles de production et de consommation, les structures de pouvoir établies qui régissent aujourd’hui les sociétés »[vii].  La pandémie actuelle nous force à réfléchir sur les changements de vie que nous pouvons opérer actuellement et qui demandent une grande surveillance. L’attention à ce qui se passe dans le pays d’à côté est donc une obligation morale, car les répercussions peuvent être terribles. Les Etats l’ont bien compris avec la puissance nucléaire, peut être pourra-t-on l’étendre de manière plus efficace à la santé et aux questions bioéthiques, avant d’être dans la fascination technique sans prévoir les accidents que cela posera immanquablement (chaque découverte amène à des accidents, ainsi l’avion nous a fait connaître le risque de crash particulièrement meurtrier).

1.2.3     «  Qui pourra nous séparer de l’amour du Christ ? »[viii]

Parce que nous n’avons pas appris de nos erreurs, que nous nous retrouvons dans une situation délicate aujourd’hui, il a été opté pour une politique du moindre mal par le confinement. Forme d’infantilisation de la population qui n’a pas su avoir un comportement adapté. Il y a une responsabilité de chacun d’entre nous dans une course économique où la recherche d’un bien commun a été oubliée pour l’intérêt personnel et la course au profit. Mais c’est aussi la révélation d’un individualisme forcené, empêchant tout contrôle sanitaire aux frontières, et la délocalisation des produits adéquats qu’en temps de crise nous ne sommes plus capables de fournir. Rappelons-nous l’opposition des syndicats au début parce que cela empêchait de pouvoir manifester et entravait la démocratie.

Aujourd’hui force est de constater que notre liberté est fortement touchée, pour un meilleur bien nous dit-on, mais avec une inactivité législative qui laisse pantois. Or cela touche à la norme et au devoir des faire des efforts, c’est-à-dire notre propre capacité à faire des sacrifices. Offrir au Seigneur ce qui fait notre vie, et nos privations, comme action de grâce pour tous ses bienfaits, taxés de désuets par une culture de mort qui refuse la norme au nom d’une jouissance tous azimuts. Nous voilà rappelés au bon sens par cette pandémie, ainsi qu’à une autre hiérarchie des valeurs. Plus encore, la norme se réfère toujours à la Parole de Dieu, au discernement en Eglise et à l’éclairage de notre conscience personnelle afin de rechercher le meilleur bien. Nous aurions compris alors que la première liberté est de vivre en fils de Dieu et qu’importe ce qui arrive, « ni la mort, ni la vie, ni présent ni avenir, rien ne nous séparera de l’amour du Christ » Nous ne sommes plus tributaires de la peur, mais gardiens de la grande espérance du Salut. Tout est ordonné à l’amour de Dieu et, pour cela, nous avons à œuvrer pour rechercher l’ajustement dans la relation avec le principe de précaution, mais sans pourtant en être esclave. Le don de soi-même au service du frère doit toujours être premier.

1.2.4    La frugalité des moyens

A force de délocalisation, les médicaments pour la réanimation – dont l’hypnovel – sont devenus une denrée rare, et le remplacement par des médicaments qui n’ont pas eu l’autorisation pour cette utilisation comme le Rivotril pose des vraies questions sur l’intentionnalité des actes et la volonté d’aider à mourir sans pour autant tomber dans l’excès d’une volonté euthanasique. Tout est question de prudence dans le discernement à opérer dans ce domaine. Mais il faut observer que fonctionner en “flux tendus” lors des crises occasionne des graves disproportions. La préférence nationale est à privilégier par rapport à l’invitation à respecter les contrats engagés, comme nous l’avons vu dans les pays concernés. Même dans le christianisme la question s’est posée entre la communauté de Jérusalem, vivant la radicalité de la pauvreté, et la communauté de Corinthe, marchande, qui avait besoin de stock. Lorsque la famine est apparue, c’est bien la communauté de Corinthe qui a aidé la communauté de Jérusalem à faire face à la situation dans le partage. Heureusement que les marchands gardent un peu de bon sens dans la gestion des biens ! Il en va de même pour notre foi, sans être dans le syndrome de Diogène (syndrome des personnes souffrant d’addiction et conservant tout dans leur lieu d’habitation…), il nous faut être vigilant à porter notre responsabilité sur ce qui doit nous faire garder une certaine autonomie.

La sclérose des positionnements a pu avoir aussi d’autres causes que la simple connaissance, et notamment les aspects économiques. Le raout qu’il y a eu sur la chloroquine associée à un antibiotique pour traiter le Covid-Wuhan, si savamment vilipendée, au profit de médicaments plus modernes mais cinq fois plus coûteux ne peut que poser question sur l’honnêteté des positions et la gratuité technique du conseil. Je ne parle pas du dénigrement d’autres traitements juste parce que cela n’entre pas dans notre école de pensée et en dehors de toute autre considération observable. D’ailleurs se pose la question de l’économie des laboratoires pharmaceutiques et de la santé des personnes, nous pouvons l’observer pour le traitement du cancer avec des molécules à des prix exorbitants (1000 à 1500 € la molécule….). L’opulence de certains laboratoires faite sur le dos de la santé des personnes n’est pas sans interroger, et le scandale des laboratoires Servier, il y a une dizaine d’année, est encore dans nos mémoires. Ils ont préféré la rentabilité à une étude sérieuse sur la santé des personnes et à la reconnaissance des contre-indications pourtant signalées. Là encore la foi nous commande d’être payé à la juste rétribution et non de rechercher du profit. C’est d’ailleurs l’impasse d’une forme de la théologie de la prospérité. Une recherche d’argent, pris comme une bénédiction mais sans discernement sur le partage à opérer en vérité, donnant l’adage « Hier Jésus a nourri les foules, aujourd’hui les foules nourrissent les pasteurs ». Il ne s’agit pas d’être payé le plus possible, mais bien selon nos besoins réels. Un changement de paradigme serait salutaire et permettrait une meilleure solidarité. La simplicité de vie est un appel pour chacun d’entre nous, que l’on soit roi comme saint Louis ou un pauvre de Dieu comme saint Benoît Labre. La crise sanitaire actuelle remet en lumière ce besoin de simplicité pour vivre le partage dans une solidarité plus importante. Tant que l’argent est une fin en soi, l’homme devient un moyen utile pour y parvenir, ce qui s’appelle de l’instrumentalisation, une forme d’utilitarisme[2] tel que défini par Jean Paul II.

1.2.5    La paupérisation programmée

Une des vraies interrogations de cette pandémie, est l’incapacité de nos moyens sanitaires à faire face dès l’annonce du flot. L’économie recherchée dans nos hôpitaux, mais aussi dans nos maisons de retraite, et tout le domaine sanitaire et médico-social trouve ici un résultat aberrant, demandant de faire des choix sélectifs ou de refuser l’hospitalisation de personnes trop âgées. Mettons l’argent dans les loisirs et les jeux du cirque sportif au lieu d’avoir une juste vision des choses dans un équilibre à long terme de nos actions. Dites-moi vos investissements et je vous dirai vos valeurs, serait l’adage de la crise actuelle. Or, la perte de sens face à des choix sélectifs de patients au nom même d’un principe de réalité montre aussi une politique de désengagement suite aux votes des citoyens. Il est trop facile de choisir un Etat, ou les hommes politiques du moment, comme bouc émissaire de nos propres compromissions et d’une certaine mollesse à défendre nos positions. Mais le choix que nous avons fait d’une politique utilitariste trouve aujourd’hui son aboutissement dans les moyens comme finalité, peut être non recherchée consciemment, mais révélée expressément par ce que nous vivons. Peut-être serait-il bon de réfléchir autrement d’une part notre rapport à l’argent, comme moyen et non comme une fin, et d’autre part de poser des choix de société clairs qui mettent en avant la culture de la vie. En effet l’économie doit être au service de l’homme et non asservir l’homme. Il y a aussi l’utilisation raisonnable des ressources proposées par l’Etat et non l’individualiste « j’ai le droit, donc j’utilise » jusqu’à l’abus, enjoignant un déséquilibre de l’ensemble.

Oserais-je questionner sur nos facultés à payer les impôts et à être responsable des services proposés, sans abuser, ou servir ailleurs ce qui est prévu pour la nation.  La recherche économique ne se fait aux dépens du bien commun lorsque  des lois particulières sont votées, comme le remboursement de la PMA. Il faut bien trouver l’argent quelque part. Et nous voyons aujourd’hui une conséquence de toujours plus de droits injustes pour la vie, incapables de réguler ce qui est juste pour chacun. L’imprévoyance de la situation financière et l’impasse des arbitrages de budget sans toucher aux impôts amènent aux situations ubuesques actuelles. Tout est lié, les débats éthiques ont un impact financier et, si l’on ne veut pas augmenter les dépenses, il faut donc dérembourser des prestations ou rogner sur des moyens. Il n’y a pas de mystère en ce domaine, tout est une question de choix et d’équilibre et notre responsabilité chrétienne est clairement engagée dans la tiédeur des positions de certains sur des sujets de société au nom d’une ouverture d’esprit mais, visiblement, en l’absence de celui qui est Saint.

Il s’agit bien d’une fraternité dans le dialogue qu’il nous faut développer, sans rigidité il est vrai, mais sans négligence non plus. Le « je ne suis pas concerné donc je ne prends pas position » n’est pas tenable à la lumière de l’Evangile. Il nous faut être engagé dans la radicalité de la vérité, avec la douceur des fils de lumière et l’humilité propre aux habitants du Royaume des cieux. C’est bien dans l’ajustement de nos relations que nous pourrons consoler ceux qui vivent pareille épreuve. Être présent, tenir la main, accompagner la personne sur son bout de chemin, lui prêter un manteau pour lui permettre de durer sur la route sont autant de voies possibles pour exprimer notre filiation à un même Père. Le refus de payer des impôts, les récriminations de toute sorte pour avoir plus d’argent à ne plus savoir comment le dépenser, jalouser le statut social de l’autre et être dans la perpétuelle opposition n’est ni juste ni droit. Les conséquences c’est un rétrécissement du cœur et une volonté d’économie qui va jusqu’à rogner sur les budgets. Cela est vrai pour l’Etat dans le domaine médico-social et notamment auprès des personnes âgées, et dans une moindre mesure dans le domaine sanitaire, mais c’est aussi notre manière d’agir en société et de parler du respect des anciens ou de la mobilisation que nous pouvons avoir. Ne rien dire revient à consentir, c’est le début du passage d’une démocratie à la tyrannie. Certes cela demande  d’avoir des personnalités pathologiques à la tête de l’Etat, mais c’est aussi une responsabilité de chacun de s’opposer à la folie de ce monde. Les chrétiens ont payé durement, mais toujours avec droiture, la folie de Néron et des empereurs romains, occasionnant dans le peuple un retournement et une prise de conscience se traduisant enfin quelques siècles plus tard à l’Edit de Constantin et à revoir l’homme dans sa dignité intégrale en refusant les jeux du cirque.

1.2.6    L’épidémie de la peur

La peur face à la pandémie révèle notre peu d’espérance. Si le Christ est notre vie, qu’importe ce que nous vivrons puisqu’ « Il nous conduit vers des verts pâturages pour l’honneur de son Nom » Or la folie de la situation où nous avons l’impression parfois que l’irrationalité des comportements fait penser le Covid-Wuhan comme une lèpre moderne, avec tous les comportements inadéquats et les appréhensions irrationnelles, chacun se pensant déjà un pied dans la tombe puisqu’il a côtoyé quelqu’un qui a été malade. Cela va jusqu’à refuser de prier ensemble, de peur de se contaminer, ou encore de ne plus aller aux obsèques pour ne pas être contaminé.

Hélas ! Nous avons bien un renversement de la hiérarchie des valeurs, or le service du frère doit être toujours premier, invitation à imiter le Christ en croix pour sauver le monde en offrant sa vie. Ce qu’ont fait notamment, de manière remarquée, les prêtres italiens qui ont accompagné jusqu’au bout leurs paroissiens. Ce qui a été premier était bien été d’être au service du Christ dans l’action de charité, et non dans la préservation de sa propre vie en devenant un Robinson Crusoé dans notre société. Nonobstant le principe de précaution qu’il faut mettre en premier, il ne nous est pas demandé d’être téméraire et s’attitrer  une vocation de martyr, ce n’est pas un appel pour tous. Le discernement doit toujours être opéré entre ce qu’il est raisonnable de faire et une prise de risque inconsidéré sans en mesurer les enjeux et la finalité. Pour cela nous devons garder prudence.

Mais la phobie que l’on peut voir se développer autour de nous semble indiquer aux chrétiens que nous sommes appelés à développer les vertus cardinales, afin de garder notre regard tourné vers le Christ et marcher confiant en sa présence. Saint Charles Borromée avait invité son clergé de Milan à sortir des presbytères pour aller soigner les pestiférés. De plus, dans ces temps de pandémie, il a invité le peuple à la prière par des grandes processions qui, bien loin de faire progresser le mal, l’ont stoppé. Il nous faut quand même remettre la prière à sa juste place, et non comme un gadget plus ou moins efficace de notre vie de foi. Si Dieu est Tout Puissant, il intervient bien dans mon histoire et la prière trouve son efficacité dans l’obéissance à la volonté de Dieu et à l’engagement de notre foi. « Tu vois donc que le désir de l’âme unit à moi qui suis le Bien infini, satisfait peu ou beaucoup selon le degré du parfait amour de celui qui m’offre sa prière et aussi suivant le désir de celui qui reçoit. L’intensité du désir en celui qui me donne et en celui qui reçoit, voilà la mesure sur laquelle ma Bonté règle ses dons. »[ix] Habiter la présence de Dieu, c’est lui laisser le gouvernail de notre vie et, dans le souffle de l’Esprit Saint, se donner soi-même pour découvrir la vérité de l’union à Dieu.

1.2.7    L’idéologie en marche, et la culture de mort toujours prégnante

Dans ces périodes d’incertitude où tous les regards sont tournés vers l’évolution de la maladie, il nous faut être vigilants pour rappeler la civilisation de l’amour et continuer de nous opposer à tout ce qui touche à la beauté de la dignité humaine.

Ne bradons pas nos valeurs sous prétexte qu’un mal plus grand est en train de nous submerger. Faire bloc est nécessaire pour affronter l’ennemi, qui aujourd’hui prend le visage d’un virus, mais demande une grande prudence pour traiter les autres sujets. Qu’une gazelle boive à côté du lion, soit il y a un feu de forêt et une espèce de trêve précaire, le danger premier rendant secondaire tout le reste, soit il faut vraiment s’assurer que le lion est rassasié… Or si la mort frappe à la porte de nos sociétés de manière si insistante aujourd’hui, nous rappelant immédiatement la fragilité de notre humanité, ce n’est certainement pas pour développer une culture de mort. Or les indicateurs de sélection qui nous viennent des prises de position de soignant parfois de manière complètement individuelle et en dehors de tout protocole ou de toute déontologie n’est pas sans poser question. L’endormissement des consciences face aux choix de société quant à la dignité de l’homme et au respect de la vie est plus que préoccupant : « …s’il est particulièrement grave et inquiétant de voir le phénomène de l’élimination de tant de vies humaines naissantes ou sur le chemin de leur déclin, il n’est pas moins grave et inquiétant que la conscience elle-même, comme obscurcie par d’aussi profonds conditionnements, ait toujours plus de difficulté à percevoir la distinction entre le bien et le mal sur les points qui concernent la valeur fondamentale de la vie humaine. »[x] Tout ce qui concerne les débats de société ne peut être traité dans une période d’urgence où notre première préoccupation devrait être la pandémie….

Notre première préoccupation est de maintenir le lien social dans cette recherche permanente du bien commun ajusté à la réalité de la situation et sans perdre de vue la perspective d’une attention à chaque personne. « L’Eglise a toujours la vive conscience de son « devoir, à tout moment, de scruter les signes des temps, et de les interpréter à la lumière de l’Evangile, de telle sorte qu’elle puisse répondre, d’une manière adaptée à chaque génération, aux questions éternelles des hommes sur le sens de la vie présente et future et sur leurs relations réciproques »[xi]. »[xii] Ce covid-Wuhan est alors un moment de solidarité que nous avons à vivre ensemble et d’attention à ceux qui nous entourent, les plus proches, au lieu de fuir ailleurs et plus loin. C’est ici et maintenant que nous sommes invités à témoigner de notre foi par la vigilance à offrir le service de la charité à tous. Notre première préoccupation doit être le bien du frère et le service de la communauté humaine, avant d’être une instrumentalisation idéologique pour faire avancer sournoisement la culture de mort.

1.2.8    Un travail pour le Seigneur

Le discernement est toujours quelque chose de difficile à exercer et n’est pas une science exacte (même si parfois on aimerait bien…). La qualification de travail utile, opposé donc à travail inutile je suppose, introduit une hiérarchie dans les besoins d’une part, et les données culturelles d’autres parts. Il peut être important de réfléchir sur notre rapport au travail et à l’appréciation de celui des autres. Dans une maison de retraite, la femme de ménage a un travail tout aussi important que l’infirmière. Chacun dans son domaine doit veiller au bien des résidents.Dans sa manière d’être, sa disponibilité, sa relation personnelle, chacun apporte une touche indispensable et spécifique et dans la complémentarité des tâches irremplaçables. Les critères d’utilité posent problème dans une hiérarchie assez arbitraire. Est-il vraiment plus utile d’aller au bar-tabac ou d’entrer dans une église pour prier ensemble ? En fait, cela demande un discernement (vertu de prudence) entre la fin et les moyens. Or, notre finalité est d’entrer dans la grande espérance du salut et tout doit nous y amener, même lorsque je fais mes courses, dans mes relations aux autres et dans ma vie de prière. Mais si nous allons plus loin, nous retrouvons aussi la pensée utilitariste, si bien développée aujourd’hui, jusqu’à endormir notre conscience, trouvant normal ce qui aurait dû par principe poser question. Devons-nous vraiment entrer dans cette logique matérialiste, ou gardons-nous notre vocation d’éveilleur de sens dans la foi au Ressuscité ? La question de l’utilité sociale dépend de critères plus philosophiques normatifs, alors que la dignité de l’homme et sa place dans la création appelle à une harmonie sociale dans la civilisation de l’amour. Or la pandémie nous rappelle avec insistance que le principe d’utilité dans une conception marchande trouve sa limite face à la maladie et que le monde continue de tourner, même si beaucoup d’activités sont arrêtées. Cela permettra-t-il à certains un recentrage de leur activité et de ce qui est premier dans leur vie ? En tout cas, c’est un appel à ne pas réduire l’être humain à une mécanique et garder un équilibre avec ce qui l’entoure dans une saine écologie intégrale. Fragmenter les occupations, ou déclarer utile ou pas utile, entraîne forcément un déséquilibre dévastateur, avec des répercussions humaines, sociales et spirituelles très importantes. Ne soyons pas dans une atomisation de nos rapports, mais au contraire dans une communion de ce que chacun peut apporter. 

Réfléchir au travail que nous faisons pour le Seigneur nous invite aussi à réfléchir à une juste rétribution. Dans le rapport à l’argent il nous faut une conversion pour savoir ce dont nous avons besoin et non combien nous pouvons gagner .Chaque travail mérite salaire, mais celui-ci doit être en adéquation avec nos besoins d’une part et l’équilibre de l’ensemble d’autre part, en ayant une vigilance pour ceux qui sont exclus. « En jetant les yeux sur l’ensemble de la famille humaine, répandue sur toute la Terre, on ne peut pas ne pas être frappé par un fait déconcertant d’immense proportion : alors que d’une part des ressources naturelles importantes demeurent inutilisées, il y a d’autre part des foules de chômeurs, de sous-employés, d’immenses multitudes d’affamés. »[xiii] Aujourd’hui il est peut-être temps de se poser les bonnes questions et de ne pas être dans les bonnes résolutions, mais bien dans les bonnes réalisations d’un partage équitable qui tienne compte des moyens de chacun. Il est important que chacun puisse se développer en participant au bien de tous à travers un travail contribuant à l’œuvre de création.  « Dans les paroles de la Révélation divine, on trouve très profondément inscrite cette vérité fondamentale que l’homme, créé à l’image de Dieu, participe par son travail à l’œuvre du Créateur, et continue en un certain sens, à la mesure de ses possibilités, à la développer et à la compléter, en progressant toujours davantage dans la découverte des ressources et des valeurs incluses dans l’ensemble du monde créé. »[xiv] La recherche de valeur dans le travail doit  être recherchée pour lui donner toute sa noblesse, et retrouver le sens premier de nos actions. Nous ne sommes plus sur un critère d’utilité mais de communion et d’ajustement à un équilibre de la communauté humaine, chacun à son poste. Une intégration de l’homme dans la vie de la cité, et une participation active à sa richesse propre, qui est d’abord dans la relation humaine.

Il nous faut aussi avoir un rapport au travail qui soit serein et sain. Serein c’est-à-dire le mettre dans une perspective de développement de soi-même et dans l’action de grâce pour l’œuvre de Dieu. C’est la spiritualité de la patate. Vous avez deux manières d’éplucher une patate, la première c’est de râler et de murmurer « c’est toujours moi qui m’y colle, j’ai pas les bons outils, j’ai pas les bonnes patates, elles sont trop petites, j’en ai marre, je préfère aller jouer, discuter, aller ailleurs… » L’autre manière c’est de louer Dieu pour ce repas que je vais préparer, remercier le Seigneur pour les produits de la terre et ceux qui ont permis que je puisse avoir cette patate-là entre les mains… et à chaque patate être dans la joie. Grosse différence entre l’être et l’avoir : être une patate et maugréer ou avoir la patate et louer Dieu (ayons un peu d’humour). Accueillir le travail comme un don de Dieu, c’est lui redonner sa vocation première de développer la création et d’y prendre sa responsabilité. C’est en même temps redonner sa juste place au temps que nous y consacrons, le travail ne devant pas être une course au profit ou un investissement au-delà du raisonnable, travaillant 7 jours sur 7, dans une recherche d’argent, de pouvoir, de séduction ou de connaissance. Lever le nez du guidon demande alors de savoir ce qui est de ma responsabilité, ce que le Seigneur me demande de vivre et le témoignage que je dois rendre. Il s’agit donc de faire prendre au travail sa juste place dans l’équilibre de vie en étant vigilant à ce qu’il reste un moyen et non que j’en fasse une fin. Parfois, au moment de la retraite, on peut observer chez certains une décompensation assez forte, parce que le travail a été le tout d’une vie.

Or ce qui compte c’est ce qui fait sens et, pour nous chrétiens, cela demande de nous situer dans le souffle de l’Esprit sur ce qu’il nous est demandé dans l’instant présent. Le rapport au travail doit toujours être discerné pour savoir s’il est juste. La vocation monastique particulière nous donne l’idée de ce que nous pourrions vivre en famille. Les moines en effet font les trois huit, (8 h de travail, 8h de prière, 8 h de sommeil). Ce découpage nous redonne l’importance d’un partage qui doit être équilibré car, trop souvent, le travail prend le pas sur le reste sans que cela soit toujours raisonnable. Ou, pire encore, soit que nous ne nous en apercevions pas, soit que nous nous trouvions acculés par peur de perdre l’emploi, ou dans une confusion de croire ne pas en faire trop, ou de se sentir responsable du poids du monde. La vie de prière, en famille, est un temps important qu’il ne faut pas minorer, comme aussi le temps que nous avons à passer ensemble dans la relation éducative, parents-enfants, et la relation de l’amour sponsal entre époux. Les 8 h de prière pour les moines deviennent alors un temps de prière en famille et un temps d’échange et de vie communautaire entre les générations d’une manière chrétienne. Enfin le temps du sommeil ne doit pas être sabordé par les affres de l’écran ou de l’occupationnel des fêtes et des soirées qui n’ont pas de fin. L’enjeu du sommeil en psychanalyse nous apprend que c’est la peur de la mort. Aujourd’hui, il nous faut en tout cas noter la difficulté de garder un équilibre qui prend soin du corps et des besoins biologiques. Ne passons pas trop vite sur le sujet. Les changements d’humeur, les troubles physiques ou psychosomatiques, voire psychiatriques, prennent quelquefois leurs racines dans la gestion du sommeil. Or le corps a besoin de repos, et ce n’est pas une perte de temps… Le Seigneur, en nous confiant un corps, temple de l’esprit, nous demande d’en prendre soin dans un juste équilibre.

1.2.9    Qu’as-tu fait de ton frère ?

Le principe de solidarité mis à mal par la peur de manquer, révèle aussi notre incapacité à vivre la relation fraternelle avec confiance. Nous avons bien ici un clivage entre une société américaine bâtie sur l’argent et l’arrogance du pouvoir, se croyant maître du monde et agissant en cow boy dans les relations commerciales, et d’autres pays moins cyniques où la valeur de l’échange n’a de sens que dans la relation à l’homme. Je sais bien qu’une pensée dominante prégnante tend à nous faire croire que tout se monnaie. Mais ce n’est pas vrai, et le nier n’est pas le propos d’un idéaliste. Il s’agit juste d’ouvrir les yeux et de rechercher ce qui fait sens.

Il y a une invitation à reprendre l’ensemble de nos relations et de notre environnement pour comprendre la cohésion intrinsèque. « Si tout est lié, l’état des institutions d’une société a aussi des conséquences sur l’environnement et sur la qualité de vie humaine : « Toute atteinte à la solidarité et à l’amitié civique provoque des dommages à l’environnement »[xv]. Dans ce sens, l’écologie sociale est nécessairement institutionnelle et atteint progressivement les différentes dimensions qui vont du groupe social primaire, la famille, en passant par la communauté locale et la Nation, jusqu’à la vie internationale »[xvi] Nous saisissons pleinement l’impératif de conversion à vivre, et de distanciation par rapport au cynisme de certains agissements. Se ruer sur les grandes surfaces pour acheter des produits au-delà du raisonnable et sans s’inquiéter du partage avec d’autres est une absurdité en soi mais aussi le résultat de la peur. La question fraternelle commence déjà par notre manière de vivre et nos propres comportements ; elle doit aussi avoir une résonnance dans nos rapports internationaux. Ne pleurons pas sur le monstre que nous avons nourri et qui vient nous dévorer. Notre responsabilité est de dénoncer les comportements incohérents et, en même temps, de proposer une autre relation qui prenne en compte les paramètres nécessaires à un véritable renouveau de la relation. Si nous pouvions nous indigner un peu plus souvent pour ce qui est en dehors de la morale, au lieu de nous compromettre dans la situation absurde, ou d’en rire dans une confraternelle complicité. Il y a une certaine complaisance dans ce que font les autres, ou dans ce que nous vivons, qui est peccamineuse. Or l’amour demande la vérité dans tous les aspects de notre vie et une parole qui redresse, relève et libère. L’empathie n’est pas la collaboration. Dénoncer le mal est un devoir et ne doit pas être simplement une option, lorsque je suis concerné. Nos rapports internationaux doivent nous interroger, mais ils ne sont que le prolongement de nos votes, et de nos préoccupations premières.

J’ai été en 2006 dans le groupe de réflexion au ministère de la santé sur la pandémie, représentant les Directeurs, et j’avais bien compris qu’en période de pandémie, il faudrait des masques. Donc j’ai fait des stocks pour mon EHPAD sur trois mois… seulement il faut savoir qu’il y a une date de péremption. Trois ans après, j’avais toujours le stock presque non utilisé, et 10 000 € partis en fumée. L’injonction financière qui était de faire des économies, et les autorités de tarification épluchant nos budgets, je n’ai naturellement pas refait de stock. Ce n’est ni de la négligence, ni de la prévarication mais une volonté d’être vigilant à tous les impératifs. La pandémie… normalement… c’est une fois par siècle…si l’on veut garder raison sur l’usage économique, et dans l’urgence des besoins, ce n’était pas prioritaire. Nous avons beau jeu aujourd’hui de dénoncer le manque de masque, alors que nous sommes les mêmes à vouloir payer moins d’impôts, à ce que les services coûtent moins cher et demander en toute chose une économie repensée pour plus de loisirs, de confort parfois irrationnel et de thésaurisation au cas où, un jour peut-être, nous serions dans la misère noire….

Néanmoins le manque de masque, et la colère qu’aujourd’hui cela instaure, doit s’éclairer par la raison. Est-il raisonnable de mobiliser une énergie financière pour un événement rare ? Doit-on tout contrôler, tout sécuriser, au-delà de la réalité du temps ? N’y a-t-il pas en toute chose un part d’impondérable ? Nous n’aurons jamais les lits d’hôpitaux nécessaires pour une pandémie et il n’est pas possible économiquement parlant de faire croire le contraire. Même si comme je l’ai déjà dit la paupérisation du système sanitaire n’a même pas permis d’amortir le premier choc. Il nous faut développer une certaine prudence dans les propos et de nuance dans les positions afin de ne pas tomber dans des logiques absurdes de toute-puissance et d’une tyrannique maîtrise absolue. La vie demande de faire des choix et aussi des anticipations ; Le gérant Joseph, en Egypte, a entassé le blé pour les années de famines. Il a bien essayé de prévoir ce qui est de l’ordre public, l’Etat et en même temps personnel dans notre rapport à nos choix. Nous ne pouvons pas emprunter aujourd’hui tout en ne faisant pas face aux échéances de demain. Tout est lié.

1.2.10                      Le Tout sanitaire pour aucune spiritualité

Le confinement comme la sortie de cette situation ubuesque, marque la dépréciation spirituelle cyniquement affichée. Une déconfiture de l’homme devant la mort et l’hystérie collective d’une société qui avait pourtant assuré une certaine toute-puissance dans la culture de mort (à comprendre dans tous les sens de la phrase). Or le bien de tous passe d’abord par une relation à Dieu et dans la communion avec nos frères. Les sachants dans le domaine sanitaire doivent informer, mais non prendre des décisions à la place des personnes.

La déconfiture face à la mort ne doit pas entraîner la désespérance mais nous recentrer sur l’essentiel et retrouver le chemin de la vie. Souvent le refus derrière le médical est de croire que l’on peut repousser la mort. J’ai connu un médecin qui voulait guérir de vieillir… et donc entreprenait tout l’arsenal médical pour sauver les vies humaines en dehors du rationnel. L’angoisse de la mort touche aussi les patients qui s’attendent à ce que la médecine répare tout. La fascination des possibilités demande donc un discernement sur ce qu’il est juste de faire et ce qu’il n’est pas cohérent d’entreprendre. Ce n’est pas parce que nous avons les moyens qu’il faut les utiliser car il faut regarder la finalité : si c’est pour guérir ou aller mieux, certes nous devons entreprendre les démarches, mais si c’est pour retarder de quelques heures la mort inéluctable, en occasionnant en plus de la souffrance ou en privant la personne de ses derniers temps de lucidité, c’est à bannir.

La question d’avoir une vision sanitaire, et parfois une compétence technique dans ce domaine, ne doit pas nous faire oublier aussi les autres aspects de la vie humaine, qui est psychologique et spirituelle. Car là encore dissocier les domaines est d’une profonde indigence rationnelle. En temps de crise l’Eglise à toutes les époques faisait des prières et des grandes processions. Il y avait un regain de la foi qui permettait aussi d’appréhender les choses d’une autre manière. De même l’action de Dieu pouvait se manifester dans l’arrêt de la pandémie, comme avec saint Charles Borromée et la peste de Milan. Là aussi ce sont des faits. Mais comme en médecine et dans les sciences, les faits sont sujets à interprétation dans la foi. De plus il faudra qu’on m’explique l’intérêt d’avoir fermé les entreprises et tout ce qui n’était pas « utile » alors que plusieurs entreprises, moyennant les travaux nécessaires pour la sécurisation des salariés, auraient pu continuer à travailler… Le confinement est un état de siège sanitaire qui impose des fortes restrictions pour une problématique que l’on ne cerne toujours pas aujourd’hui, six mois après le début de la pandémie (la maladie est probablement du mois de novembre). Dans la foi, nous devons garder les yeux fixés sur le Christ et chasser toute peur de notre environnement, car c’est Lui notre Sauveur et nous nous abandonnons à sa volonté tout en exerçant notre responsabilité. La prière est le lieu du dialogue, mais aussi de l’écoute, et conduit à une meilleure intelligence fraternelle. Il nous faut discerner, discerner, discerner, sans nous laisser aller à l’émotionnel ou à l’irrationnel d’un mal encore bien étrange par plusieurs de ses aspects. Être chrétien, c’est avoir le regard fixé sur le Christ et des mains pour l’entraide fraternelle dans le chemin de la méditation des Ecritures et de l’action de grâce. Oublier l’aspect spirituel à cause d’une connaissance bien humaine, bien rationnelle mais qui en oublie l’intelligibilité est une erreur. La dimension spirituelle de l’homme est une réponse nécessaire à toute crise. La prévenance de Dieu pour chacun de nous dans son histoire, et sa manifestation par ses œuvres de salut, est une évidence qu’il nous faut retrouver lorsque nous nous égarons sur le chemin d’idolâtrie technique mais bien vaine.

1.2.11                      Méditations

Et si cette crise était l’occasion pour nous de réajuster notre rapport à Dieu et nos relations fraternelles ? Si cela nous demandait de revoir nos relations pour construire un monde où chacun à sa place ? Si nous abandonnions le superficiel du spectacle et de nos loisirs pour remettre l’homme au centre de nos projets, et revoir la relation fraternelle comme une chance de plus grande humanisation ? Si nous pouvions revoir nos rythmes, pour nous laisser habiter par une présence de Dieu, Lui qui est toujours fidèle, et laisser l’amour irradier toutes nos relations dans une volonté de communion ?

Peut-être prendrons nous aussi conscience que tous nos choix ont un impact, et qu’il ne faut pas nous laisser déposséder par négligence ou paresse ? Peut-être sera-t-il temps de sortir d’une forme de naïveté afin de reconnaître le caractère essentiel de notre foi et premier dans tout ce que nous avons à vivre ? Peut-être devrons-nous rappeler à temps et à contre-temps la valeur communautaire de la prière et de la vie fraternelle, sans nous laisser ensorceler par les sirènes d’un tout sanitaire ? Peut-être devons-nous restaurer nos relations fraternelles et prendre soin des uns des autres en donnant du temps et en arrêtant de courir en tous sens ? « La lumière de la foi est capable de valoriser la richesse des relations humaines, leur capacité à perdurer, à être fiables et à enrichir la vie commune. La foi n’éloigne pas du monde et ne reste pas étrangère à l’engagement concret de nos contemporains »[xvii] Nous avons à vivre de la relation fraternelle et à en témoigner comme une richesse, c’est-à-dire être attentif aux besoins de chacun et ouvert à tous pour ne pas s’enfermer sur ses propres aspirations. C’est un véritable parcours de conversion personnel et communautaire. « Sans un amour digne de confiance, rien ne pourrait tenir les hommes vraiment unis entre eux. Leur unité ne serait concevable que fondée uniquement sur l’utilité, sur la composition des intérêts, sur la peur, mais non pas sur le bien de vivre ensemble, ni sur la joie que la simple présence de l’autre peut susciter. La foi fait comprendre la structuration des relations humaines, parce qu’elle en perçoit le fondement ultime et le destin définitif en Dieu, dans son amour, et elle éclaire ainsi l’art de l’édification, en devenant un service du bien commun »[xviii] IL nous faut nous délivrer de toute peur au nom même de notre espérance en Dieu et témoigner de l’amour de Dieu dans la recherche de communion entre nous, qui n’est pas une prostitution de nos valeurs, mais au contraire un respect des différences, dans une acceptation de manifestations variées d’une même recherche du bien commun.

2    Les vertus comme lieu de réalisation de nos actes

Vivre sa foi avec raison demande aussi d’éduquer sa volonté à la recherche du bien et d’éclairer l’intelligence à la lumière de l’Evangile pour conformer notre vie à notre vocation première d’aimé de Dieu appelé à la responsabilité de ses choix.  « Les vertus humaines sont des attitudes fermes, des dispositions stables, des perfections habituelles de l’intelligence et de la volonté qui règlent nos actes, ordonnent nos passions et guident notre conduite selon la raison et la foi. Elles procurent facilité, maîtrise et joie pour mener une vie moralement bonne. L’homme vertueux, c’est celui qui librement pratique le bien. »[xix] Il ne s’agit donc pas de suivre ses désirs pulsionnels comme l’énumèrent les 7 vices, mais bien de rechercher le meilleur bien dans les choix que nous posons. Or justement cette recherche d’une vie vertueuse nous sécurise dans notre humanité, parce qu’elle nous donne le cadre nécessaire face à toute crise, pour gérer les injonctions données et discerner avec intelligence ce que nous avons à vivre, en acceptant les contraintes et en refusant les aliénations. Par la pratique des vertus, nous travaillons notre caractère pour nous entraîner à accomplir ce qui est le mieux et donc avoir des mœurs qui témoignent de ce que la vie en Dieu transforme dans notre existence. « La vertu est la bonne qualité de l’esprit qui assure une vie droite »[xx] sous le regard de Dieu et dans la continuité de sa Parole de vie. Dieu agit toujours en nous, mais la vertu est aussi la contribution de notre volonté de vivre cette liberté avec Dieu dans l’obéissance. « La vertu est une disposition habituelle et ferme à faire le bien. Elle permet à la personne, non seulement d’accomplir des actes bons, mais de donner le meilleur d’elle-même. » La recherche éthique d’un bonheur éclairé par la lumière de l’Evangile de la vie oriente tous nos actes et transforme notre être pour nous ajuster à la vie bonne promise par Dieu. Aujourd’hui la remise en cause de la morale, comme carcan, l’affranchissement des règles de vie et de la recherche individualiste d’exercer ses propres désirs poussent à des débordements dont la pandémie actuelle n’est qu’un épiphénomène. Un travail sur la vertu doit conditionner notre existence pour une exigence de vie plus en adéquation à la Parole de Dieu et donc nous enraciner avec confiance dans la relation fraternelle, et non être dans un marché de dupe. S’affranchir de la norme et rejeter la religion comme brimante est une vision fortement biaisée de la réalité, une valorisation de l’anormalité et une culture de la désespérance où l’homme est esclave de lui-même et des choix qui l’enferment. C’est une logique de culture de mort amenant à une impasse. Or la vertu enracinée dans la foi, prolongée dans la charité et abreuvée d’espérance nous montre la recherche du bien et le courage d’y parvenir. Peut-être pouvons-nous travailler les vertus cardinales, que (à part la vertu de prudence) je n’ai pas vraiment abordées, alors que les vertus théologales (foi, espérance et charité) ont plusieurs fois été étudiées et méditées?

2.1   Les vertus cardinales

Avec la Somme théologique de saint Thomas d’Aquin (1224-1274) l’Eglise a fixé les vertus en 7 familles, 4 dites cardinales, car elles demandent un exercice de la volonté, mais pas forcément une grâce spéciale, et 3 familles de vertus dites théologales, parce qu’elles impliquent une communion avec Dieu dans sa propre participation à désirer l’union. Ainsi donc, « Quatre vertus jouent un rôle charnière. Pour cette raison on les appelle ” cardinales ” ; toutes les autres se regroupent autour d’elles. Ce sont : la prudence, la justice, la force et la tempérance. ” Aime-t-on la rectitude ? Les vertus sont les fruits de ses travaux, car elle enseigne tempérance et prudence, justice et courage “[xxi]. Sous d’autres noms, ces vertus sont louées dans de nombreux passages de l’Écriture »[xxii] J’ai employé le terme de famille, car de chaque vertu principale découle d’autres vertus ‘secondaires’ formant un tout dans la compréhension de notre agir humain. Ces vertus « sont des conditions générales de l’âme humaine qui se retrouvent dans toutes les vertus ; en ce sens, [par exemple] la prudence ne serait rien d’autre qu’une certaine rectitude de discernement dans n’importe quels actes ou n’importe quelles matières »[xxiii] Des vertus cardinales découlent plusieurs autres vertus.

2.2   La vertu de prudence

La vertu de prudence est appelée la reine des vertus[xxiv] que certaines personnes confondent avec le principe de précaution. Or la prudence est une vertu qui demande d’abord le discernement vers le meilleur bien. Or si souvent le principe de précaution fait partie de la prudence, d’autrefois ce principe même va à l’encontre du meilleur bien, s’apparente à de la lâcheté et manque la vertu par un autre objectif. «  Le prudent est ainsi appelé comme voyant loin (prudens = porro videns) ; il est perspicace en effet et voit les vicissitudes des choses incertaines »[xxv] En clair le contraire du conséquentialiste, qui ne mesure la portée de son acte qu’aux conséquences que cela génère pour réajuster son positionnement. Une des questions sur la gestion de la pandémie n’a-t-elle pas été ce développement du conséquentialisme, qui prend les mesures une fois que l’on peut en voir les résultats ? Cela a été un développement commencé dans les débats éthiques et bioéthiques, et qui continue avec la gestion de la crise sanitaire actuelle. Or le conséquentialisme, en s’affranchissant de la norme, non seulement fourvoie mais devient même une éthique dangereuse pour l’existence humaine.

C’est pourquoi nous devons exercer la vertu de prudence en discernant ce qu’il nous est demandé, notamment dans la recherche du bien commun et en même temps vivre le sacrement de charité et proposer tous les sacrements pour le salut. Néanmoins, aujourd’hui cela paraît bien distordu par les demandes contradictoires. Peut-on sérieusement être dans un positionnement légitime en sacralisant les exigences émanant d’autorités sanitaires discutables et d’autorités politiques ayant une idéologie qui va à l’encontre du christianisme ? Cependant la vertu de prudence invitera à ne pas opposer le bien commun avec le témoignage de la foi sauf s’il y a une valeur suprême qui est touchée. L’interdiction royale d’enterrer son frère à pousser Antigone à désobéir. L’intervention ferme des autorités enjoignant aux apôtres de ne pas témoigner a valu la réponse cinglante « mieux vaux obéir à Dieu qu’aux hommes ». C’est bien avec une acuité accrue qu’il nous faut discerner ce que nous avons à faire dans le respect des consignes et l’obligation de l’annonce explicite de la foi et des moyens du salut que donnent, entre autres, les sacrements. Cela demande en Eglise de savoir bien délibérer pour vivre d’une part la communion et d’autre part ne pas se laisser instrumentaliser, ou servir d’idiot utile. Retrouvons le bon sens pour avoir un jugement droit dans les actions particulières à mener et le vivre dans un principe de réalité.

Toutefois une vision sanitaro-centrée est problématique, comme si la science médicale (qui tout d’un coup serait une science exacte) suffisait en elle-même. Si c‘était vrai cela se saurait. L’évacuation de la dimension spirituelle pour une pandémie, comme le refus de passage à l’église par peur de certaines pompes funèbres dans des régions de France est un scandale et un déni de droit. L’évacuation du spirituel devant la mort est une inhumanité profonde et une atteinte au bien commun et à la dignité de la personne. Notre participation au bien commun demande d’avoir la tête au ciel et les pieds sur terre, c’est-à-dire voir l’invisible, témoigner à nos frères de notre dialogue avec Dieu et, en même temps dans la réalité de ce monde, avoir un principe de bon sens au nom de la charité fondamentale, car celle-ci consiste à être attentif à prendre soin de mon frère. C’est pourquoi, les règles sanitaires demandent un discernement avant de pouvoir être exécutées, pour vérifier qu’il n’y a pas d’excès de zèle dans la précaution, une suffisante connaissance de la maladie pour faire intelligemment des propositions et un double effet délétère face aux injonctions premières. D’autre part, un discernement prudentiel se fera jour lorsque nous évaluerons les demandes face à l’enjeu spirituel, d’une part, et la demande des fidèles d’autre part .Nous ne sommes pas des mercenaires mais des serviteurs et, lorsque le loup est là, nous devons savoir faire bloc avec les brebis, c’est le rôle du pasteur certes, mais aussi des chrétiens affermis dans la foi qui encouragent les frères dans l’épreuve. Reste à réfléchir sur la notion d’utilité de la foi et de nécessité impérieuse, qui est toute la question de la juste place de la religion dans l’espace public et demande la vertu de justice. 

Face à la pandémie actuelle, peut être devons-nous développer la vertu de prudence, c’est-à-dire d’utiliser la raison pour bien comprendre les enjeux en essayant de se laisser le moins possible instrumentaliser, et d’autre part discerner ce que nous avons à vivre à l’écoute de la Parole de Dieu, et de la tradition apostolique en Eglise et le souvenir des saints.  En ce sens, même la sollicitude du peuple de Dieu et la vigilance auprès des plus fragilisé nous demandent un positionnement clair et de réaffirmer la certitude de la vérité en Christ. C’est Lui qui nous conduit. Il nous faut en faire mémoire, et avoir une docilité à la Parole de Dieu pour trouver avec sagacité les solutions dont nous avons besoin dans l’inventivité de l’intelligence collective. Le bon sens des fidèles (sensus fidei) étant à écouter pour marcher en vérité dans le souffle de l’Esprit Saint.

2.3   La vertu de justice

La vertu de justice est peut être difficile à saisir, car on y voit l’institution avant d’y comprendre l’ajustement de notre vie dans la fidélité au Seigneur et à sa Parole. « La justice est la vertu morale qui consiste dans la constante et ferme volonté de donner à Dieu et au prochain ce qui leur est dû. La justice envers Dieu est appelée ” vertu de religion “. Envers les hommes, elle dispose à respecter les droits de chacun et à établir dans les relations humaines l’harmonie qui promeut l’équité à l’égard des personnes et du bien commun »[xxvi] Une recherche de faire des choses justes et dans la foi se vit par amour de Dieu et à son service pour répondre de notre espérance ; elle se traduit dans la relation fraternelle par des actes bons, dans la recherche de la vérité et la liberté d’accueillir ces actes comme un progrès dans la dignité de chacun. Cela demande du discernement et l’entreprise d’un regard extérieur pour rendre compte de notre fidélité et vivre avec constance ce que nous avons résolu. Il y a une justice extérieure à nous-même qui régule les relations humaines et une justice intérieure à nous-même dans une conscience du bien et la fidélité à nos engagements. C’est ainsi que nous pourrons vivre l’égale dignité sous le regard de la Parole et la communion que nous chercherons avec notre prochain.

            La justice que nous exerçons ensemble permet de vérifier l’équité de ce que nous faisons et de rectifier le positionnement lorsqu’on pense l’autre ou soi-même lésé. Lorsque nous n’arrivons pas à nous ajuster, un tiers redonnera le cadre nécessaire au bon ajustement, même si très souvent dans nos cités, le droit n’est pas forcément juste. C’est pourquoi, il vaut mieux parfois trouver un accord amiable plutôt que de passer par d’autres médiateurs. Néanmoins il y a des fautes qui concernent la relation interpersonnelle, mais d’autres qui relèvent du contrat social et impliquent un positionnement de la société. La vertu de justice a bien à voir avec la recherche de communion et l’appel à vivre en paix dans la vérité de l’amour. Mais elle réfrène aussi nos passions pour respecter chacun dans ce qui lui est propre. Cela demande un exercice de la raison pour vérifier la justesse du rapport avec le prochain et refuser toute instrumentalisation clairement discernée. « En aucun cas la personne humaine ne peut être manipulée à des fins étrangères à son développement, qui ne peut trouver son accomplissement plein et définitif qu’en Dieu et en son projet salvifique: l’homme, en effet, dans son intériorité, transcende l’univers et est l’unique créature que Dieu a voulue pour elle-même.[xxvii] C’est la raison pour laquelle ni sa vie, ni le développement de sa pensée, ni ses biens, ni ceux qui partagent son histoire personnelle et familiale, ne peuvent être soumis à d’injustes restrictions dans l’exercice de ses droits et de sa liberté. »[xxviii] Ce que nous vivons actuellement doit donc s’entrevoir aussi sous le terme de justice, et d’une appréciation de ce qu’il nous est demandé de vivre par rapport au contexte. Une hiérarchie d’ouverture sur des critères plus que douteux doivent donc interroger fermement.

            Toutefois la difficulté s’ajoute lorsque des mauvaises lois ou des lois iniques sont votées. Un exemple récent est le délit d’entrave à l’avortement, qui consiste à condamner toute personne qui attaque la faculté d’avorter. Elle touche à la liberté d’expression et la valeur de notre foi. Est-il juste d’obéir, la réponse est négative. La loi de Dieu s’impose à nous, avant la loi des hommes. « La pleine vérité sur l’homme permet de dépasser la vision contractualiste de la justice, qui est une vision limitée, et d’ouvrir aussi à la justice l’horizon de la solidarité et de l’amour : « Seule, la justice ne suffit pas. Elle peut même en arriver à se nier elle-même, si elle ne s’ouvre pas à cette force plus profonde qu’est l’amour ».[xxix] Or lorsqu’on touche à la liberté de l’homme et à ses droits fondamentaux, nous commençons à entrer dans une forme de totalitarisme et nous devons y réaffirmer notre attachement à la vérité de l’Evangile de vie. « Saint Thomas d’Aquin écrit qu’ « on n’est tenu d’obéir… que dans la mesure requise par un ordre fondé en justice ».[xxx] Le fondement du droit de résistance est donc le droit de nature »[xxxi]  Il est d’ailleurs drôle aujourd’hui de répéter à l’envi « Rendez à César ce qui est à César », en oubliant l’autre partie de la phrase, « Rendez à Dieu ce qui est à Dieu », et pour Dieu il s’agit d’un culte spirituel que je vis par une vie de prière qui chez les catholiques, rappelons-le pour certains amnésiques, est personnelle et communautaire. Il n’y a pas d’Eglise sans communauté et pas de communauté sans rencontre le premier jour de la semaine, comme cela se fait depuis l’antiquité, le dimanche. Or priver le frère d’une liberté fondamentale de se tourner vers Dieu en Eglise, est une violence que l’on ne peut défendre. Je reste sans voix quand j’entends certains prétendus catholiques, justifier le principe de précaution et dévaloriser la présence communautaire. C’est déjà une vision protestante de notre foi. Il est dommageable qu’en ce temps de pandémie nous ne sachions pas vivre un peu plus la communion dans tous les sens du mot. Il nous faut être artisan de paix en rétablissant ce qui est juste et en recherchant le bien commun. « La paix est le fruit de la justice  ,[xxxii] comprise au sens large, comme le respect de l’équilibre de toutes les dimensions de la personne humaine. La paix est en danger quand l’homme se voit nier ce qui lui est dû en tant qu’homme, quand sa dignité n’est pas respectée et quand la coexistence n’est pas orientée vers le bien commun. »[xxxiii]  Nous devons donc être responsable de nos choix et en conscience suivre la vérité de ce qui nous semble bon personnellement et communautairement. Nul ne peut porter atteinte à la conscience sans commettre une grave injustice. « Le citoyen n’est pas obligé en conscience de suivre les prescriptions des autorités civiles si elles sont contraires aux exigences de l’ordre moral, aux droits fondamentaux des personnes ou aux enseignements de l’Évangile.[xxxiv] Les lois injustes placent les hommes moralement droits face à de dramatiques problèmes de conscience : lorsqu’ils sont appelés à collaborer à des actions moralement mauvaises, ils ont l’obligation de s’y refuser ».[xxxv] Certes cela demande beaucoup de prudence pour discerner les actions moralement mauvaises qui entravent gravement ma liberté, mais ne justifie pas la perte d’une juste paix dans un équilibre de compromis lorsque le témoignage ne serait pas prophétique. La vertu de justice m’invitera alors à un jugement éclairé par la Parole de Dieu et l’intelligence de la foi pour trouver le comportement favorable à la vérité de l’Evangile et au témoignage au cœur de la cité.

            Peut-être nous faut-il rappeler la prudence quant aux accusations à porter sur des situations difficiles. Ne nous faisons pas juge de nos frères, ni indiffèrent d’ailleurs. La juste parole demande d’être vigilant pour ne garder dans sa bouche que des paroles de bénédictions et refuser l’opprobre tout en faisant la vérité sur les situations. Nous le voyons bien la vertu de justice demande d’être vigilant à ne pas tomber dans les excès. Ni ceux de la naïveté complaisante, ni celle de la violence et du dénigrement. Cela demande un ancrage dans la foi pour rechercher le bien commun et, en même temps, une juste appréciation des choses en intégrant la dimension du pardon La foi« … nous enseigne à découvrir des formes justes de gouvernement, reconnaissant que l’autorité vient de Dieu pour être au service du bien commun. La foi affirme aussi la possibilité du pardon, qui bien des fois nécessite du temps, des efforts, de la patience et de l’engagement ; le pardon est possible si on découvre que le bien est toujours plus originaire et plus fort que le mal, que la parole par laquelle Dieu soutient notre vie est plus profonde que toutes nos négations »[xxxvi] Ce qui est vrai en société l’est tout aussi dans notre relation à Dieu par la piété que nous développons, la lecture de la Parole et le partage à travers la quête et la dime. Or nous avons vite fait de nous retourner vers des formes d’idolâtrie et de pratique qui mettent Dieu au dehors. L’exercice de recentrage demande alors une juste appréciation de notre vie et de notre relation à Dieu pour s’ajuster chaque jour un peu plus et mettre la vérité de la Parole dans nos agissements. Une justesse d’appréciation dans ce que nous avons à vivre dans la recherche d’un meilleur bien et que nous avons à assumer avec courage.

2.4   La vertu de force

La vertu de la force aujourd’hui pourrait se traduire par la vertu du courage pour la différencier de la violence ou de l’exploit physique. Il nous faut différencier la force de l’âme, comme lieu de fidélité malgré les vents contraires, et la force du corps simple phénomène physique exercé souvent sans beaucoup d’intelligence. « La force est la vertu morale qui assure dans les difficultés la fermeté et la constance dans la poursuite du bien. Elle affermit la résolution de résister aux tentations et de surmonter les obstacles dans la vie morale. »[xxxvii] Un travail de la volonté pour être fidèle aux résolutions et s’accrocher, malgré les épreuves, aux engagements pris. C’est aujourd’hui ce qui manque le plus dans notre société, ballotée par le vent moderne des désirs incapable de perdurer dans le temps et balançant les valeurs au gré de l’histoire sans ligne fixe et parfois sans espoir. Or il nous faut bien vivre le combat spirituel et non se décourager dès qu’arrive l’adversaire. « La vertu de force rend capable de vaincre la peur, même de la mort, d’affronter l’épreuve et les persécutions. Elle dispose à aller jusqu’au renoncement et au sacrifice de sa vie pour défendre une juste cause. ” Ma force et mon chant, c’est le Seigneur “[xxxviii]. ” Dans le monde, vous aurez de l’affliction, mais courage, moi j’ai vaincu le monde “[xxxix]. »[xl] Un combat entre le corps et l’âme, où la vertu de force nous invite à tenir ferme avec audace pour ne pas succomber à la tentation. « L’homme tenté est rendu plus fort, comme les soldats sont rendus endurant grâce aux exercices et nous voyons les saints, aguerris par de longs combats, devenir redoutables au démon, comme saint Antoine au désert »[xli] C’est bien la vertu de force qui est première dans le combat spirituel pour agir afin de résister aux forces de destruction et aux assauts du Malin.

Néanmoins elle chasse toute peur de notre vie, parce que nous restons fidèles à Dieu et nous n’avons pas à nous cacher, mais elle développe aussi la crainte d’offenser Dieu en n’ayant pas les comportements ajustés. La modération dans ce que nous avons à vivre pour ne pas nous laisser envahir par les sentiments mais à chaque fois garder la raison du cœur afin de mettre la parole en action dans nos actes. « La vertu est ordonnée au bien de la raison qu’il faut conserver malgré les assauts du Mauvais. »[xlii] Mais dans le monde qui est le nôtre, c’est aussi accepter de témoigner jusqu’au don de sa vie de l’amour de Dieu et la promesse du salut. La vertu de force aide à enter dans la vérité du don jusqu’à persévérer pour le vivre vraiment.

La peur est à combattre comme une conséquence du péché, lorsqu’elle est renfermement sur soi, mais aussi un manque de confiance en Dieu et d’espérance dans le salut. A différencier de la crainte, la peur nous empêche d’affronter les problèmes et nous donne d’agir parfois de manière irrationnelle. Parfois il est vrai, elle permet de voir le danger, mais la peur ne doit pas nous empêcher d’agir en enfant de Dieu. Or la force d’âme nous invite alors à prendre de la distance et nous ajuster avec fermeté à ce qui est le plus important, et ainsi à respecter nos bonnes résolutions. La raison prime sur la force et évite la tentation de l’abandon ou de lâcheté face à notre vocation de fils de lumière.

Nous avons sans cesse à nous souvenir qu’avec le Christ nous n’avons plus à avoir peur, car c’est Lui notre défenseur, et Lui faire confiance. De quoi devrions-nous avoir peur, puisque nos vies sont entre ses mains et que nous Lui faisons confiance ? Effectivement la peur est un manque d’abandon à la providence de Dieu ! Cela nous demande donc la force nécessaire pour avoir le courage d’affronter les situations avec la présence du Seigneur à nos côtés et une espérance indéfectible qu’Il est notre salut. Dans la foi, le contraire de la peur est la confiance en Dieu et en sa providence. Rien des vicissitudes extérieures ne peut me toucher parce que le Seigneur est avec moi et qu’Il m’accompagne. Il me sauve des filets du chasseur et de la peste maléfique, Il me couvre et me protège et j’ai près de Lui un refuge (Ps 90/91). Il y a donc bien une interrogation à avoir sur notre positionnement face à la pandémie. Ni témérité, ni insouciance, mais encore moins de peur et d’incapacité d’action, le Seigneur est notre refuge et Il donne mission à ses ange de nous accompagner dans notre histoire. C’est ce qui nous redonne courage pour avancer en toute confiance, ce qui est la justesse de notre relation à Dieu et nous aide à aller plus loin sur le chemin de vie. En toute chose il nous faut garder raison pour répondre de notre vocation d’enfant de Dieu et accueillir sa présence en toute occasion dans notre vie. Ma méditation des Ecritures est le meilleur antidote pour m’affermir dans la foi et avoir la pleine assurance du Seigneur à mes côtés.

2.5   La vertu de tempérance

C’est peut-être une des vertus les plus méconnues, qui demande en fait la maîtrise de soi. En effet « La tempérance est la vertu morale qui modère l’attrait des plaisirs et procure l’équilibre dans l’usage des biens créés. Elle assure la maîtrise de la volonté sur les instincts et maintient les désirs dans les limites de l’honnêteté. La personne tempérante oriente vers le bien ses appétits sensibles, garde une saine discrétion et ” ne se laisse pas entraîner pour suivre les passions de son cœur “ »[xliii] .  Une modération dans ce que nous avons à vivre actuellement avec les mesures de précautions. Entre se protéger avec des masques et mettre des gants, d’une part, et arriver dans une tenue complètement stérile, il y a une juste mesure. Et encore, je pense que la difficulté d’avoir cette tenue et son inconfort certain, empêche son déploiement, sinon nous aurions l’irrationalité de tels comportements. Le Covid-Wuhan est présent, mais encore faut-il réagir avec une certaine sobriété pour ne pas tomber dans une folie protectionniste entraînant d’ailleurs parallèlement chez d’autres un sentiment d’angoisse ou de franche rigolade.

Mais la tempérance demande aussi de maîtriser ce que nous désirons dans un discernement selon nos besoins. Manquer de tempérance conduit à la goinfrerie ou à une forme d’anorexie dans un rapport non ajusté à la nourriture. Il nous faut donc résister à nos envies première pour corriger en soi-même ce qui nous apporte un réel bien et émonder ce qui est de l’ordre de l’envie fugace sans utilité, voire parfois s’avérer nocif. Il s’agit de distinguer ce qui est impulsif et de l’ordre de notre nature, de ce qui est raisonnable dans un effort d’intelligence et de volonté. Elle est une prudence dans les choix que nous devons opérer entre notre désir et notre volonté propre. Je reconnais qu’aujourd’hui la notion de volonté par rapport au désir est difficile à expliquer, tant l’un est mêlé à l’autre : je le désire donc je le veux. Les demandes en bioéthique comme dans nos réactions sociétales sont souvent de ce domaine-là, mais sans entrevoir la finalité. Le désir de dépenser moins pour la santé afin de faire des économies a comme fin une forme de délabrement du système sanitaire dans notre pays (mais il faut être attentif à ce qu’il puisse y avoir une rationalité économique dans les soins). La tempérance est donc un contrôle de la raison sur nos motions intérieures pour discerner ce qui est bon pour nous de ce qui ne l’est pas. Si nous pouvions avoir une vertu de tempérance développée dans l’écologie intégrale, combien de catastrophes pourraient être evitées !! « La tempérance considère la nécessité dans son rapport de convenance à la vie »[xliv] c’est donc de distinguer ce qui peut être profitable pour nous de ce qui ne l’est pas. C’est donc avoir envers soi-même et son corps un rapport ajusté pour vivre une certaine humilité par rapport à nos propres limites, et discerner ce qui nous sera profitable. Une modestie à avoir sur l’utilisation des ressources dont nous disposons afin de reconnaître nos besoins réels et non fantasmés.

Si nous pouvions prendre du recul face à la pandémie afin d’observer, dans les connaissances qui sont les nôtres aujourd’hui, ce qui nous est profitable et ce qui peut se révéler un désastre économique, sociétal et enfin humain. Le devoir de tempérance demande alors à nos propos de pouvoir être ajustés pour ne pas entrer dans une prudence qui s’apparente à la lâcheté, ni dans la témérité qui serait alors de l’inconscience. Il s’agit donc de vivre la modération en nous-même dans les émotions, autour de nous dans l’usage des relations ou de la création, et en même temps vivre une certaine humilité dans l’approche de ce que nous percevons pour savoir discerner ce qui nous est profitable ou pas. Dans cette optique alors, nous n’avons plus à avoir peur puisque nous savons discerner avec sagesse ce qui nous convient ou pas.

2.6   Synthèse d’un remède contre la peur

La vie sacramentelle n’est pas le tout de la vie chrétienne, mais rappelons que l’Eucharistie en est la source et le sommet. La foi catholique affirme, non sans raison, que le sacrement est un moyen ordinaire d’action de Dieu dans notre vie et nous aide à ajuster nos vie à notre responsabilité première de fils de lumière. Néanmoins s’ils ne sont pas suffisants, à notre témoignage ils sont nécessaires et, si l’action de Dieu ne se limite pas à cela, Il contribue par les sacrements à nous renouveler dans l’Esprit Saint. La foi est d’abord une rencontre personnelle avec Mon Seigneur et Mon Dieu et se vit en Eglise dans cette fraternité retrouvée. La rencontre personnelle et la communion fraternelle sont deux aspects indissociables de notre vie de foi. Amputer l’une des parties nous fait claudiquer et forme un déséquilibre spirituel, voire un combat qui doit clairement interroger sur ce que nous avons à vivre pleinement en Dieu. Mais l’illusion du monde technique voudrait sortir Dieu d’une équation ontologiquement déséquilibrée. « Peu à peu, cependant, on a vu que la lumière de la raison autonome ne réussissait pas à éclairer assez l’avenir ; elle reste en fin de compte dans son obscurité et laisse l’homme dans la peur de l’inconnu. »[xlv] Remettre Dieu au centre de notre cité, comme l’église au centre du village, c’est nous souvenir de ce qui a du sens, qui fait la vie.

A travers les vertus cardinales nous avons un volant d’action pour discerner ce que nous avons à vivre par notre baptême. « Bien vivre n’est autre chose qu’aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme et de tout son agir. On Lui conserve un amour entier (par la tempérance) que nul malheur ne peut ébranler (ce qui relève de la force), qui n’obéit qu’à Lui seul (et ceci est la justice), qui veille pour discerner toutes choses de peur de se laisser surprendre par la ruse et le mensonge (et ceci est la prudence) »[xlvi]. Or l’appréhension de la maladie aujourd’hui porte en elle-même un sujet d’angoisse relayée en permanence par les médias et le décompte des morts, une avalanche des chiffres qui entraîne à la morosité et semble affirmer la possibilité angoissante d’une fin du monde imminente (et je n’exagère même pas… c’est ce qui est le plus triste) ; « ce n’est pas un esprit de peur que Dieu nous a donné, mais un esprit de force, d’amour et de sagesse » – c’est ainsi que, par une belle expression, la seconde lettre à Timothée[xlvii] caractérise l’attitude fondamentale du chrétien »[xlviii] Comment rendrons-nous compte de notre foi si nous nous laissons envahir par l’esprit du monde ? « Si nous ôtons la foi en Dieu de nos villes, s’affaiblira la confiance entre nous. Nous nous tiendrions unis seulement par peur, et la stabilité serait menacée »[xlix] En artisan de paix et avec le cœur pur qui contemple Dieu, laissons-nous guider par la raison afin de ne pas succomber à l’obscurantisme de l’émotion. « Nous avons besoin de l’impulsion de l’Esprit pour ne pas être paralysés par la peur et par le calcul, pour ne pas nous habituer à ne marcher que dans des périmètres sûrs. Souvenons-nous que ce qui est renfermé finit par sentir l’humidité et par nous rendre malades. »[l]. Marcher dans la lumière du Christ, c’est être à l’écoute de sa Parole et chasser loin de nous les angoisses de la nuit pour vivre en plein jour de la foi.

Une des erreurs serait de se laisser paralyser par la peur et manquer d’espérance. Or le Christ nous appelle à vivre en confiance, avec l’alliance de Dieu, et reconnaître les pas familiers du jardin pour aller à sa rencontre. « Que de fois le Seigneur, ton fils, avait dit la même chose à ses disciples: N’ayez pas peur! Dans la nuit du Golgotha, tu as entendu de nouveau cette parole. À ses disciples, avant l’heure de la trahison, il avait dit: « Ayez confiance: moi, je suis vainqueur du monde » »[li] Avec le Christ, tout prend sens et nos chemins d’Emmaüs devient un lieu de témoignage de la grâce de la présence de Dieu parmi nous. La foi en la résurrection nous fait comprendre le salut, non plus comme une belle idée mais une réalité de foi. Il vient à notre rencontre à chaque instant de notre vie. « Il est en toi, il est avec toi et jamais ne t’abandonne. Tu as beau t’éloigner, le Ressuscité est là, t’appelant et t’attendant pour recommencer. Quand tu te sens vieilli par la tristesse, les rancœurs, les peurs, les doutes ou les échecs, il sera toujours là pour te redonner force et espérance. »[lii] La prière est le passage d’une rencontre à un dialogue de confiance, comme lieu de restructuration intérieure, comme étape de croissance. Une conversion dans le rapport à Dieu, au frère, au prochain et au monde, qui nous rétablit dans notre appel à ressembler à Dieu. En effet, la demande de conversion est la porte d’entrée de la conscience à ses limites humaines et à la compréhension du non ajustement à la volonté de Dieu. En clair, elle promeut la dynamique de changement, mais ce n’est pas le saut dans l’inconnu, comme la peur semble l’instiller, mais bien l’abandon à la providence comme l’Esprit nous l’insuffle. Oui, Dieu sait bien que nous sommes tordus, mais il nous invite à nous redresser sous le souffle de l’Esprit et dans la liberté qui est nôtre d’accepter cette aide salutaire. Une prise de conscience du besoin de conversion annonce le changement et la transformation de la vie dans la civilisation de l’amour. La rencontre du Christ et l’accueil de l’Esprit Saint sont l’occasion d’une nouvelle vie où la lumière de Dieu vient toucher mon cœur et l’embraser de son amour, répondant ainsi à mon premier désir de retrouver l’amour fondateur de Dieu pour ma vie. La lumière du Christ m’emporte de l’intérieur pour coordonner ma vie à sa volonté. C’est cela, la conversion : vivre l’amour comme moteur de tous mes actes et comme orientation de toute ma vie. A travers l’amour, découvrir le sens de ce que j’ai à vivre, retrouver la hiérarchie, la bonne hiérarchie des valeurs par la dignité de l’homme.

3    Prière du prophète aujourd’hui ?

Je serai le serviteur de la Parole, dans le zèle de l’annonce d’un feu qui brule en moi et me pousse à la contemplation de son œuvre, dans la prière et le dialogue avec le Ressuscité. Je continuerai l’aventure prophétique pour le monde de ce temps en rappelant que Dieu est premier en toute chose et qu’autour de moi, je puisse susciter d’autres frères zélés pour la Parole « afin qu’ils proclament l’Évangile, qu’ils suscitent la foi en Jésus, Christ et Seigneur, et qu’ils rassemblent son Église.»[liii]

Je serai le ministre du sacrement où je mettrai Jésus vivant au milieu de nous parce que je pense que c’est vital pour ce monde malade du relativisme, du dénigrement face à des perceptions très personnelles de la tradition apostolique et de la parole. « Participant au sacrifice eucharistique, source et sommet de toute la vie chrétienne, ils offrent à Dieu la victime divine et s’offrent eux-mêmes avec elle  ; ainsi, tant par l’oblation que par la sainte communion, tous, non pas indifféremment mais chacun à sa manière, prennent leur part originale dans l’action liturgique. »[liv] Et nous ne pouvons pas être privés de cette source du salut. Il n’y a pas de relativisme par rapport à d’autres situations plus difficiles, celle des restaurateurs ou d’autres… car la possibilité de célébrer publiquement sa foi fait partie des droits de l’homme et elle est un droit fondamental.

Je serai le fidèle de l’Eglise de ce temps qui médite sa propre histoire à l’aune de la révélation. « Le mystère de l’homme ne s’éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe incarné »[lv]. Afin d’avoir l’inventivité nécessaire à l’évangélisation et de rendre Dieu présent à tous, par une vie de foi et de prière, à travers le service de la charité et dans la droite ligne de la tradition apostolique. Rien ne sert d’être moderne si c’est pour se fourvoyer dans l’immédiateté du temps qui passe, ni d’être libéral pour imposer une idéologie sectaire et des valeurs qui, en feuilles d’automne, tombent dans le vent de l’histoire.

Je serai le témoin d’une Parole qui appelle à l’intégrité de la foi dans sa vie, en vivant le sacrement du mariage en fidélité à l’alliance de Dieu et dans l’appel à la sainteté, en vivant le sacrement de l’ordre à travers un célibat consacré pour le Royaume, et dans les états de vie du célibat ou de l’engagement religieux, comme un lieu d’annonce d’une vie en Christ où le bonheur est ma coupe d’héritage. « Pour l’accomplissement d’une si grande œuvre, le Christ est toujours là auprès de son Église, surtout dans les actions liturgiques »[lvi] et je ne me ferai pas voler la célébration eucharistique sur l’autel d’un principe sanitaire épaulé par l’épidémie de la peur.

Je serai le dénonciateur des situations injustes. L’Esprit Saint s’arrêterait-il aux portes de nos cérémonies ? Oui, c’est une infamie de nous empêcher de célébrer, mais ayons confiance en Dieu, Il saura nous donner l’inspiration nécessaire pour continuer de propager sa Parole. Et rappeler en tout temps l’impératif de l’annonce et de la vie de prière communautaire ! « De même requièret-ils que soit juridiquement délimité l’exercice de l’autorité des pouvoirs publics, afin que le champ d’une honorable liberté, qu’il s’agisse des personnes ou des associations, ne soit pas trop étroitement circonscrit. »[lvii]

Enfin, en artisan de paix j’annonce que le Christ est vraiment ressuscité, et qu’Il nous attend dans les Galilées de nos quartiers pour que la Parole résonne en tout temps et en tout lieu. « La pluie et la neige qui descendent des cieux n’y retournent pas sans avoir abreuvé la terre, sans l’avoir fécondée et l’avoir fait germer, donnant la semence au semeur et le pain à celui qui doit manger ; ainsi ma parole, qui sort de ma bouche, ne me reviendra pas sans résultat, sans avoir fait ce qui me plaît, sans avoir accompli sa mission. »[lviii]

4    Synthèse

C’est à travers la prière et la méditation de la Parole de Dieu que nous trouverons les éléments essentiels pour discerner ce que nous avons à faire et ne pas nous laisser embrigader sous des régimes de peur et de précautions outrancières. Il y a bien un combat à mener pour entrer dans la lumière du Seigneur et ne pas succomber au poids de ce monde et aux formes de péchés qui « … se définissent comme des péchés sociaux. Est social tout péché commis contre la justice dans les rapports de personne à personne, de la personne avec la communauté, ou encore de la communauté avec la personne. Est social tout péché contre les droits de la personne humaine, à commencer par le droit à la vie, y compris celui de l’enfant à naître, ou contre l’intégrité physique de quelqu’un; tout péché contre la liberté d’autrui, spécialement contre la liberté de croire en Dieu et de l’adorer; tout péché contre la dignité et l’honneur du prochain. ….».[lix] Il nous faut remettre Dieu au centre de notre agir et continuer inlassablement de témoigner dans la fidélité de la prière, la constance de notre charité et l’attention à la vie fraternelle.

Le concile cité dans la prière nous rappelle l’impératif d’annoncer le Christ et de nous tenir prêts à rendre compte de notre foi. La visibilité de nos assemblées ne se brade pas sur des injonctions sanitaires ni dans la témérité d’une non prise en compte des réalités. « De même que l’Église reçoit un accroissement de vie par la fréquentation assidue du mystère eucharistique, ainsi peut-on espérer qu’un renouveau de vie spirituelle jaillira d’une vénération croissante de la Parole de Dieu, qui “demeure à jamais” »[lx] Ne laissons pas planer le doute quant à la nécessité de retrouver une vie ecclésiale qui fait partie intégrante de l’expression de notre foi depuis les temps apostoliques. L’assiduité à la fraction du pain malgré les persécutions rappelle l’urgence d’une certaine radicalité à vivre notre vocation propre et non nous laisser instrumentaliser par une vision purement sanitaire enfermée dans sa technicité. « En regardant l’histoire bimillénaire de l’Église de Dieu, guidée par l’action sage de l’Esprit Saint, nous admirons, pleins de gratitude, le développement, ordonné dans le temps, des formes rituelles par lesquelles nous faisons mémoire de l’événement de notre salut. » [lxi] Ainsi il nous faut être clairs sur notre positionnement pour rappeler l’impératif de célébrer le sacrifice du Christ qui, de mémoire d’homme ne s’est jamais arrêté dans des pays évangélisés. Faut-il rappeler que « le Christ se donne à nous à l’occasion du repas pascal[lxii], c’est la vie divine tout entière qui nous rejoint et qui participe à nous sous la forme du Sacrement »[lxiii] et que cela ne peut pas être relativisé dans l’ère du temps ni dans une compromission légitimiste.

Dans ce temps particulier nous avons à suivre le Christ dans l’obscurité de ce qu’il nous est demandé de vivre, en redisant notre foi avec vigueur, et notre volonté d’être tournés vers le Seigneur. Il vient vers nous comme il le fit avec les disciples « Mais aussitôt Jésus parla avec eux et leur dit : « Confiance ! c’est moi ; n’ayez pas peur ! »[lxiv]  Comme une injonction à le laisser s’inviter pleinement dans notre vie, non de manière magique mais par l’accomplissement de sa présence salvifique. Il nous demande alors la foi pour nous lever à notre tour comme l’aveugle Bartimée pour que nous soyons délivrés de la cécité qui engendre peur et angoisse, afin de nous diriger vers Lui, le seul chemin de vérité qui donne vie . « Confiance, lève-toi ; il t’appelle. »[lxv]

Père Greg – Curé modérateur. St Charles Borromée –  Joinville le pont. 4ème Dimanche de Pâques – dit du Bon pasteur

Notes :

[1] https://www.insee.fr/fr/information/4190491 ; à noter que l’année 2018 fut une année grippale fortement sévère et que l’année 2020 paradoxalement avait commencé comme une année particulièrement basse. De plus la pandémie en France au 31 mars fait 3523 morts sachant que parallèlement beaucoup de choses sont mises sous l’appellation Covid-Wuhan, ce qui explique sur la même période qu’il n’y ait pas d’AVC enregistré ou que les pathologies cardiaques soient repertoriées comme une résultante du Covid. Bref cela impacte peu sur cette période. Pour mémoire au 30 avril nous sommes à 24 760 morts il faudra vérifier l’analyse sur le mois d’avril, et plus encore, avec un lissage sur l’année avant de conclure quoi que ce soit. La démographie s’analyse sur des chiffres établis.

[2] « Forme d’éthique conséquentialiste qui résulte de l’ambition d’un pouvoir total de l’homme sur la nature et relève donc d’une vision mécaniciste de la nature (p 743) » La théologie du Corps de JP II  d’Yves Semen et son lexique «  L’utilitarisme… qui fait de l’utile (et par là de l’intérêt) le principe de toutes les valeurs dans l’ordre de la connaissance comme dans celui de l’action. Elle a pour conséquence immédiate l’instrumentalisation d’autrui, qui n’est qu’un moyen au service de l’unique fin, le bonheur de l’individu identifié au plaisir et à l’absence de douleur » p 249 Abrégé de la TDC de JP II

Sources :

  • [i] Ac 5
  • [ii] &15/4 Gaudium et spes
  • [iii] Jean XXIII, Encycl. Pacem in terris: AAS 55 (1963) 294. Ref &95 CDSE
  • [iv] &164 CDSE
  • [v]  Définition de JP II ou l’homme est considéré comme objet
  • [vi] &3 Laudato Si
  • [vii] &5 Laudato Si – centissimus annus., n. 58.
  • [viii] Rm 8
  • [ix] Catherine de Sienne – Dialogue 4
  • [x] &4 Evangelium Vitae
  • [xi] GS 4
  • [xii] &3 Veritatis Splendor
  • [xiii] &18 Laborem exercens
  • [xiv] &25Laborem exercens
  • [xv] Benoît XVI, Lett. enc. Caritas in veritate (29 juin 2009), n. 51 : AAS 101 (2009), 687.
  • [xvi] &142 Laudato Si
  • [xvii] &50 Lumen Fidei
  • [xviii] ibid
  • [xix] &1804 CEC
  • [xx] Somme Théologique II-I q 55 art 4
  • [xxi] Sg 8, 7
  • [xxii] &1805 CEC
  • [xxiii] ST II-I Q 61 art 4 réponse
  • [xxiv] Lettre de Pâques 2019 2/2 ref ST II-I  q61 art 2
  • [xxv] ST II-I Q 47 réponse – Isidore – Etymol X.
  • [xxvi] &1808 CEC
  • [xxvii] Cf. Concile Œcuménique Vatican II, Const. past. Gaudium et Spes, 24: AAS 58 (1966) 1045; Catéchisme de l’Église Catholique, 27, 356 et 358.
  • [xxviii] &133 CDSE
  • [xxix] Jean-Paul II, Message pour la Journée Mondiale de la Paix 2004, 10: AAS 96 (2004) 121.
  • [xxx] Saint Thomas d’Aquin, Summa theologiae, II-II, q. 104, a. 6, ad 3um: Ed. Leon. 9, 392: « Principibus saecularibus intantum homo oboedire tenetur, inquantum ordo iustitiae requirit ».
  • [xxxi] &400 CDSE
  • [xxxii] cf. Is 32, 17 Cf. Paul VI, Message pour la Journée Mondiale de la Paix 1972: AAS 63 (1971) 868.
  • [xxxiii] &494 CDSE
  • [xxxiv] Cf. Catéchisme de l’Église Catholique, 2242.
  • [xxxv] &399 CDSE Cf. Jean-Paul II, Encycl. Evangelium vitae, 73: AAS 87 (1995) 486-487.
  • [xxxvi] &55 Lumen Fidei
  • [xxxvii] &1808 CEC
  • [xxxviii] Ps 118, 14
  • [xxxix] Jn 16, 33
  • [xl] &1808 CEC
  • [xli] P 309 Tactiques du diable et délivrances – JB Golfier – Chap 2 les tentations ordinaires comme assauts de la psychologie /3 La tentation comme épreuve sanctifiante.
  • [xlii] ST II-II q 123 art 11 solution 1
  • [xliii] & 1809 CEC avec les références de Si 5, 2 ; cf. 37, 27-31
  • [xliv] ST II-II q 141 art 6 solution 3
  • [xlv] &2 Lumen Fidei
  • [xlvi] S. Augustin, mor. eccl. 1, 25, 46 : PL 32, 1330-1331 in CEC – vertus cardinales
  • [xlvii] 1, 7
  • [xlviii] &9 Spe Salvi
  • [xlix] &55 Lumen fidei
  • [l] Gaudete et exsultate &133
  • [li] &50 Spe Salvi
  • [lii] Christus vivit &2
  • [liii] &18 Dei Verbum – Vatican II
  • [liv] &11 Lumen Gentium – Vatican II
  • [lv] &22 Gaudium et Spes – Vatican II
  • [lvi] &7 Sacrisanctum concilium – Vatican II
  • [lvii] &1 Dignitatis Humanae – Vatican II
  • [lviii] Is 55,10-11
  • [lix] &203 CDSE citant Jean-Paul II, Exhort. apost. Reconciliatio et paenitentia, 16: AAS 77 (1985) 216 in &119 CDSE
  • [lx] &26 Dei Verbum
  • [lxi] &3 Sacramentum Caritas
  • [lxii] cf. Lc 22, 14-20; 1 Co 11, 23-26
  • [lxiii] &8 Sacramentum caritas
  • [lxiv] Mc 6,50
  • [lxv] Mc 10,49

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